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Décisions

Cass. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Cafés Jacques Vabre (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Aydalot

Rapporteur :

M. Vienne

Avocat général :

M. Granjon

Avocats :

Mes Boré, Riche

Paris, du 7 juill. 1973

7 juillet 1973

LA COUR : - Sur le premier moyen pris en ses deux branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt déféré (Paris, 7 juillet 1973) que, du 5 janvier 1967 au 5 juillet 1971, la société Cafés Jacques Vabre (société Vabre) a importé des Pays-Bas, Etat membre de la Communauté économique européenne, certaines quantités de café soluble en vue de leur mise à la consommation en France; que le dédouanement de ces marchandises a été opéré par la société J. Weigel et C. (société Weigel), commissionnaire en douane; qu'à l'occasion de chacune de ces importations, la société Weigel a payé à l'administration des douanes la taxe intérieure de consommation prévue, pour ces marchandises, par la position ex 21-02 du tableau a de l'article 265 du Code des douanes; que, prétendant qu'en violation de l'article 95 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, lesdites marchandises avaient ainsi subi une imposition supérieure à celle qui était appliquée aux cafés solubles fabriqués en France à partir du café vert en vue de leur consommation dans ce pays, les deux sociétés ont assigné l'administration en vue d'obtenir, pour la société Weigel, la restitution du montant des taxes perçues et, pour la société Vabre, l'indemnisation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi du fait de la privation des fonds versés au titre de ladite taxe;

Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir accueilli ces demandes en leur principe alors, selon le pourvoi, d'une part, que la compétence judiciaire en matière de droits de douanes est limitée aux litiges concernant l'existence légale, la détermination de l'assiette et le recouvrement de l'impôt; qu'elle ne peut être étendue aux contestations concernant le prétendu caractère protectionniste de l'impôt qui supposent une appréciation de l'imposition du point de vue de la réglementation du commerce extérieur, qui ressortit à la compétence exclusive du juge administratif; et alors, d'autre part, que l'article 95 du traité du 25 mars 1957, invoqué par les demandeurs à l'action, ne vise pas une imposition déterminée, mais caractérise le régime discriminatoire en fonction de l'ensemble des "impositions intérieures de quelque nature qu'elles soient ", en postulant, par la même, une appréciation de l'incidence économique de la totalité des charges fiscales et parafiscales susceptibles de grever le produit litigieux, qui excède manifestement les limites du contentieux douanier et donc la compétence du juge civil;

Mais attendu que l'incompétence des tribunaux judiciaires, au profit du juge administratif, n'a pas été invoquée devant les juges du fond; qu'aux termes de l'article 14 du décret du 20 juillet 1972, les parties ne peuvent soulever les exceptions d'incompétence qu'avant toutes autres exceptions et défenses; qu'il en est ainsi alors même que les règles de compétence seraient d'ordre public; d'où il suit que le moyen est irrecevable en l'une et l'autre de ses branches;

Sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il est de plus fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré illégale la taxe intérieure de consommation prévue par l'article 265 du Code des douanes par suite de son incompatibilité avec les dispositions de l'article 95 du traité du 24 mars 1957, au motif que celui-ci, en vertu de l'article 55 de la Constitution, a une autorité supérieure à celle de la loi interne, même postérieure, alors, selon le pourvoi, que s'il appartient au juge fiscal d'apprécier la légalité des textes réglementaires instituant un impôt litigieux, il ne saurait cependant, sans excéder ses pouvoirs, écarter l'application d'une loi interne sous prétexte qu'elle revêtirait un caractère inconstitutionnel; que l'ensemble des dispositions de l'article 265 du Code des douanes a été édicté par la loi du 14 décembre 1966 qui leur a conféré l'autorité absolue qui s'attache aux dispositions législatives et qui s'impose à toute juridiction française;

Mais attendu que le traité du 25 mars 1957, qui, en vertu de l'article susvisé de la Constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres; qu'en raison de cette spécificité, l'ordre juridique qu'il a crée est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s'impose à leurs juridictions; que, dès lors, c'est à bon droit, et sans excéder ses pouvoirs, que la cour d'appel a décidé que l'article 95 du traité devait être appliqué en l'espèce, à l'exclusion de l'article 265 du Code des douanes, bien que ce dernier texte fût postérieur; d'où il suit que le moyen est mal fondé;

Sur le troisième moyen : - Attendu qu'il est au surplus reproché à l'arrêt d'avoir fait application de l'article 95 du traité du 25 mars 1957, alors, selon le pourvoi, que l'article 55 de la Constitution subordonne expressément l'autorité qu'il confère aux traités ratifiés par la France à la condition exigeant leur application par l'autre partie; que le juge du fond n'a pu, dès lors, valablement appliquer ce texte constitutionnel sans rechercher si l'Etat (Pays-Bas) d'où a été importé le produit litigieux a satisfait à la condition de réciprocité;

Mais attendu que, dans l'ordre juridique communautaire, les manquements d'un Etat membre de la Communauté économique européenne aux obligations qui lui incombent en vertu du traité du 25 mars 1957 étant soumis au recours prévu par l'article 170 dudit traité, l'exception tirée du défaut de réciprocité ne peut être invoquée devant les juridictions nationales; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;

Sur le quatrième moyen : - Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir déclaré la taxe litigieuse entachée d'un caractère discriminatoire au regard de l'article 95 du traité du 25 mars 1957, alors, selon le pourvoi, que d'après la Cour de justice des Communautés européennes, le rapport de similitude exigé par l'article 95 dudit traité n'existe qu'autant que les produits en question relèvent de la "même classification fiscale, douanière ou statistique" (arrêt du 4 avril 1968); que le produit fini importé (extraits solubles de café) et la matière première, retenue par l'arrêt à titre de référence (café vert), relèvent de deux positions tarifaires distinctes; que la proportion selon laquelle ces deux marchandises étaient respectivement taxées - qui a d'ailleurs été supprimée à une date (1964) antérieure à la période non couverte par la prescription (cf jugement confirmé) - n'implique nullement que les fabricants français d'extraits solubles emploieraient réellement 3,600 kilos de café vert pour préparer un kilo de café soluble, la teneur en café de cette préparation étant extrêmement variable, non seulement à l'intérieur du Marché commun, mais, en outre, à l'intérieur du territoire français; qu'en outre, la réglementation nationale, issue du décret du 3 septembre 1965, impose aux fabricants français de nombreuses sujétions, concernant notamment la qualité du café vert, qui en diminuent sensiblement le rendement et, par conséquent, modifient la teneur des composantes du produit fini; d'où il suit que l'arrêt attaqué ne justifie pas valablement de la similitude entre les produits en question, dont la preuve incombait aux sociétés Weigel et Vabre;

Mais attendu que si l'arrêt invoqué de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu à titre préjudiciel par application de l'article 177 du traité, dispose que "le rapport de similitude visé à l'article 94, alinéa 1, existe lorsque les produits en question sont normalement à considérer comme tombant sous la même classification, fiscale, douanière ou statistique suivant le cas", il ajoute que "l'alinéa 2 de l'article 95 prohibe la perception de toute imposition intérieure qui... frappe un produit importé plus lourdement qu'un produit national qui, sans être similaire au sens de l'article 95, alinéa 1, se trouve cependant en concurrence avec lui..."; que c'est donc à juste titre qu'ayant constaté que, bien que l'extrait de café importé des Pays-Bas et le café vert servant en France à la fabrication d'une telle marchandise ne figurent pas à la même classification douanière, ces produits se trouvent néanmoins en concurrence et qu'ayant, en retenant les éléments de fait par elle estimés pertinents, apprécié souverainement la proportion de café vert nécessaire à la production d'une quantité donnée d'extrait soluble de café, la cour d'appel a fait application en la cause de l'article susvisé du traité; d'où il suit que le moyen est mal fondé;

Sur le cinquième moyen pris en ses deux branches : - Attendu qu'il est de plus reproché à la cour d'appel d'avoir retenu le caractère discriminatoire susvisé de la taxe en cause, alors, selon le pourvoi, qu'en vertu des dispositions de l'article 95 du traité du 25 mars 1957, le caractère discriminatoire d'un régime fiscal doit être apprécié en fonction de l'ensemble des impositions, de quelque nature qu'elles soient, susceptibles de grever directement ou indirectement le produit en question; qu'ainsi que l'administration l'a rappelé dans ses conclusions laissées sans réponse, le produit français supportait, outre la taxe à l'importation sur le café vert, la taxe sur la valeur ajoutée grevant le produit à tous les stades de sa fabrication et commercialisation; qu'en outre, les charges résultant de cette taxe interne sont d'autant plus lourdes que le coût de revient du produit est plus élevé, que le produit français est soumis à une réglementation particulièrement rigoureuse édictée par le décret du 3 septembre 1965, qui interdit notamment l'emploi, dans la fabrication du café soluble, de grains brisés ou présentant une défectuosité quelconque; qu'en omettant d'examiner l'ensemble des impositions de toute nature ainsi que la réglementation interne ayant pour effet d'augmenter le montant des charges fiscales qui grevaient le produit national, et dont le produit importé était exempté, le juge du fond a manqué de donner à sa décision une base légale;

Mais attendu qu'aux calculs effectués par le premier juge des charges fiscales auxquelles étaient soumis, d'un coté les extraits de café fabriqués en France et d'un autre coté les extraits importés, l'administration des douanes s'est bornée, devant la cour d'appel, à opposer, de façon imprécise, que les composants des produits nationaux, "aux divers stades des opérations dont ils font l'objet sont soumis à la fiscalité interne, essentiellement représentée par la taxe sur la valeur ajoutée", sans faire valoir en quoi l'incidence de cette taxe pesait d'autant plus lourdement sur le prix de revient du produit français que la matière première d'où il était issu, était soumise à de strictes règles de qualité et sans expliciter en quoi cette incidence pouvait amener une égalité fiscale entre les deux catégories de produits; qu'en s'appropriant, en cet état, les éléments de calcul du tribunal, la cour d'appel a répondu aux conclusions invoquées et donné ainsi une base légale à sa décision; d'où il suit que le moyen n'est pas mieux fondé que les précédents;

Sur le sixième moyen : - Attendu que l'arrêt est enfin attaqué en ce qu'il a décidé que les sommes perçues par l'administration des douanes devaient être restituées dans leur intégralité, au motif que l'article 369 du Code des douanes interdit au juge de modérer les droits, alors, selon le pourvoi, que la répétition du montant de l'impôt ne peut être ordonnée que dans la mesure où celui-ci revêtirait un caractère discriminatoire et non pas pour sa totalité, qu'en outre, l'article 369 du Code des douanes défend au juge du fond de modérer les droits, les confiscations et amendes, ainsi que d'en ordonner l'emploi au préjudice de l'administration des douanes; que l'arrêt méconnaît ces dispositions en accordant au contribuable la restitution du montant de l'impôt qui était dû dès lors qu'il n'est pas établi par l'arrêt que la taxe litigieuse serait, pour la totalité de son montant, discriminatoire au regard des dispositions de l'article 95 du traité du 25 mars 1957;

Mais attendu que, nouveau et mélangé de fait et de droit, le moyen est irrecevable;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 7 juillet 1973 par la Cour d'appel de Paris (1re chambre).