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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 26 novembre 2003, n° 2002-13263

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Friendly France (SA)

Défendeur :

Les Fontanettes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Garnier, SCP Bernabe-Chardin-Chevillier

Avocats :

Mes Brabant, Detroyat

T. com. Paris, 15e ch., du 31 mai 2002

31 mai 2002

Vu l'appel interjeté, le 28 juin 2002, par la société Friendly France, d'un jugement rendu le 31 mai 2002 par le Tribunal de commerce de Paris qui a:

* dit qu'elle a enfreint les dispositions des articles 1.2 et 1.3 du contrat de franchise de la société Les Fontanettes en concluant un contrat de franchise sur la marque Comfort Résidence avec l'hôtel Albion,

* dit ce contrat inopposable à la société Les Fontanettes,

* ordonné la suppression des marques et enseignes concernées sur ledit hôtel Albion dans les huit jours de la signification du présent jugement, sous peine d'une astreinte de 1 500 euro par jour de retard, à la charge de la société Friendly,

* condamné la société Friendly au paiement de la somme de 20 000 euro à la société Les Fontanettes au titre des dommages et intérêts du fait de la concurrence déloyale,

* condamné la société Les Fontanettes à payer à la société Friendly la somme de 50 977,80 euro augmentée des intérêts légaux à compter du prononcé du présent jugement,

* prononcé la compensation des condamnations en numéraires,

* ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

* condamné la société Friendly à verser à la société Les Fontanettes la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

* condamné la société Friendly aux dépens;

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 octobre 2003, aux termes desquelles, la société Friendly France, poursuivant la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Les Fontanettes à lui payer la somme de 50 977,80 euro, augmentée des intérêts légaux à compter de la date du jugement, tout en réactualisant sa créance à la somme de 53 376,07 euro TTC, demande à la cour de:

* condamner la société Les Fontanettes à lui payer la somme de 32 929 euro TTC, au titre de l'astreinte à liquider pour non descente des enseignes,

* infirmer, le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Les Fontanettes la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts, et ordonné la suppression de la marque Hôtel Résidence sur l'hôtel Albion sous peine d'une astreinte de 1 500 euro par jour de retard,

* débouter la société Les Fontanettes de l'ensemble de ses demandes,

* la condamner à lui verser la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

Vu les ultimes conclusions, en date du 25 septembre 2003, par lesquelles la société Les Fontanettes, poursuivant la confirmation du jugement déféré, sollicite de la cour de la recevoir en son appel incident et de:

* la dire fondée à opposer à la société Friendly l'exception d'inexécution.

* juger, en conséquence, qu'elle ne sera pas tenue au paiement des redevances contractuelles aussi longtemps que la société Friendly poursuivra les violations contractuelles et les actes de concurrence déloyale à son égard.

* constater que la résiliation notifiée le 20 février 2003 est dès lors dénuée de tout fondement et de la dire injustifiée.

* débouter en conséquence la société Friendly de l'ensemble de ses demandes,

* constater qu'elle a procédé au règlement au profit de la société Friendly de la somme de 28 488,99 euro le 22 septembre 2003 et de condamner cette société à lui rembourser cette somme,

* voir liquider l'astreinte mise à la charge de la société Friendly par le jugement déféré à compter de l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, du 14 novembre 2002, en la fixant à la somme de 342 000 euro et de condamner la société Friendly au paiement de cette somme,

* condamner la société Friendly à lui payer les sommes supplémentaires de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, et de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

* la société Les Fontanettes est propriétaire exploitant d'un hôtel situé à Claix (38).

* le 10 juillet 1993, la société Les Fontanettes et la société Manor Gare Hotels France, aux droits de laquelle se trouve la société Friendly France, ont signé un contrat de franchise, en vertu duquel, en contrepartie de diverses redevances et obligations, la société intimée se voyait accorder le droit exclusif d'utiliser diverses marques et enseignes, soit seules, soit combinées, dans une zone d'exclusivité qui comprend la zone Sud de l'agglomération de Grenoble, selon un plan annexé au contrat et paraphé par les parties,

* le 26 mai 1998, la société Les Fontanettes, ayant été informée par son franchiseur de son intention de signer un contrat de franchise avec un tiers, pour l'exploitation d'une résidence hôtelière, à Grenoble, lui faisait part, le 3 juin 1998, de son opposition à cette opération dès lors que cette nouvelle franchise se situerait à l'intérieur de sa zone d'exclusivité,

* fin 1998, nonobstant cette opposition, le projet a été concrétisé par la signature d'un contrat de franchise avec une société exploitant une résidence hôtelière, située au centre de Grenoble, pour une exploitation de cet établissement sous la marque Comfort Inn Residence;

* Sur la portée du contrat de franchise:

Considérant que le contrat de franchise, en date du 10 juillet 1993, souscrit entre les parties prévoit, en ses dispositions utiles à la solution du présent litige :

Article 1.2 Le Franchiseur accorde au Franchisé, pour l'unité et dans la zone d'exclusivité définie au contrat initial conclu entre le Franchisé et SPAPH [actuellement la société Friendly], le droit exclusif d'utiliser la Marque Agréée. Le Franchiseur garantit la jouissance paisible de la Marque Agréée au Franchisé.

Article 1.3 Le Franchiseur s'engage à ne conclure aucun contrat de franchise dans la zone d'exclusivité pour la Marque Agréée.

Cependant, le Franchiseur se réserve le droit, dans cette même zone, de conclure un contrat de franchise portant sur le Système et sur l'une quelconque des marques déposées utilisée seule ou en association ;

Considérant qu'il résulte de l'exposé préliminaire aux dispositions du contrat de franchise (art. 2.6), paraphé par les parties que le terme marque agréée concerne les marques Comfort Inn et Primevère;

Considérant qu'il est établi par les documents versés aux débats et non contestés par les parties que la société Les Fontanettes exploite un établissement hôtel-restaurant sous la dénomination Comfort Inn Restaurant Primevère et le nouveau franchisé un établissement de même nature sous celle de Comfort Hôtel Résidence, étant précisé que l'un et l'autre de ces établissements utilisent le même logo Comfort qui selon la classification contractuelle est une marque agréée exclusive de la qualification de marque déposée ;

Considérant dès lors que si, en se prévalant des dispositions de l'article 1.3 précité, la société Friendly était en droit de concéder l'utilisation de l'une quelconque des marques déposées Primevère, Resthotel Primevère, Saphir, Dordinn Hôtel, Dordine Hotel, Reshotel Primerose et Prima Pizza) sur la zone d'exclusivité déjà accordée à un autre franchisé, elle ne saurait se prévaloir de ces mêmes dispositions pour soutenir qu'une pareille faculté lui était offerte pour les marques agréées;

Qu'il s'ensuit que la marque Comfort Résidence n'étant pas expressément mentionnée au titre des marques déposées, la société Friendly ne pouvait librement disposer de cette marque pour conclure, dans la zone de la franchise de la société Les Fontanettes, un contrat de même nature concernant une marque agréée;

Considérant que la société Friendly fait encore vainement valoir qu'un client serait en mesure, à la seule lecture des annonces Comfort Inn Restaurant Primevère et Comfort Hôtel Résidence, de percevoir qu'il serait en présence de deux produits différents, alors que dans toutes les publicités et annonces seul le terme Comfort est clairement mis en évidence et figure sur le logo, de sorte que nécessairement un consommateur ne peut qu'être amené à penser que les établissements hôteliers en cause appartiennent effectivement à la même chaîne que, en outre, et contrairement aux prétentions de la société appelante, il ne ressort pas des publicités et annonces que l'hôtel nouvellement franchisé propose la location d'un appartement (du studio jusqu'au trois pièces), dans un immeuble où il serait proposé un certain nombre de services dits hôteliers à la carte, et donc mieux adapté à des séjours de longue durée ;

Que c'est donc par une juste appréciation que les premiers juges ont retenu que dans les outils de commercialisation du franchiseur (enseigne, logo, publications...) la résidence hôtelière n'est en rien distinguée d'un hôtel ;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a estimé que la société Friendly a enfreint les dispositions dès articles 1.2 et 1.3 du contrat de franchise passé avec la société Les Fontanettes ;

* Sur la résiliation du contrat de franchise et le paiement des redevances:

Considérant que, par lettre en date du 20 février 2003, la société Friendly a, se fondant sur le défaut de règlement des redevances, notifié à la société Les Fontanettes sa décision de résilier le contrat de franchise ;

Considérant que, pour voir constater que cette résiliation est injustifiée et pour s'opposer au paiement des redevances, la société Les Fontanettes soutient, d'abord, que le contrat de franchise et les obligations qui en résulteraient, la placerait dans une situation de dépendance économique;

Mais considérant que les dispositions contractuelles de la franchise en cause n'entrent pas dans le cadre des prévisions de l'article L. 420-2 du Code du commerce ; qu'en effet la notion de dépendance économique impliquant une relation commerciale dans laquelle soit l'un des partenaires n'a pas de solution alternative s'il souhaite refuser de contracter dans les conditions que veut lui imposer son partenaire, soit une relation d'affaires dans laquelle une entreprise exerce son activité avec un seul partenaire économique, force est de constater que le taux de remplissage de l'établissement propriété de la société Les Fontanettes ne dépend pas exclusivement de la société Friendly puisque, comme tout hôtel, cet établissement est de libre accès et ouvert à toute clientèle de passage qui, de même que pour toute clientèle habituelle, n'a pas l'obligation de passer par l'intermédiaire du franchiseur pour louer une chambre;

Considérant, en revanche, que la société Les Fontanettes est fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution dès lors que la cour a retenu que la société Friendly a manqué à ses obligations contractuelles et que la société intimée n'a pas tenté, alors même que ces manquements étaient avérés, d'éluder le paiement des redevances par elle dues puisqu'elle les a consignées dans l'attente du dénouement de la présente procédure ;

Qu'il s'ensuit que la cour constate, comme il lui est demandé, que la résiliation du contrat de franchise notifiée le 20 février 2003 par la société Friendly à la société Les Fontanettes est dénuée de tout fondement de sorte que, pour reprendre les termes pour le moins ambigus de la société Les Fontanettes quant aux conséquences juridiques à en tirer, elle est injustifiée ;

* Sur les mesures réparatrices:

Considérant, en premier lieu, que de par son comportement la société Friendly a incontestablement manqué à ses obligations de franchiseur ; qu'il s'en déduit qu'elle n'est pas fondée à demander le paiement des redevances afférentes à la période au cours de laquelle ses manquements ont été constatés puisque, d'une part, elles constituent la contrepartie de prestations qui, selon les éléments du dossier, n'ont plus été fournies et que, d'autre part, ils ont causé un trouble manifeste dans la gestion de l'entreprise constituant un préjudice distinct du préjudice commercial qui sera réparé par l'octroi de dommages et intérêts indemnitaires ; qu'il convient en conséquence, d'une part, de débouter la société Friendly de ses demandes concernant le paiement de la somme de 53 376,07 euro au titre dès redevances, étant précisé qu'elles ne pourront être exigées aussi longtemps que cette société poursuivra les violations contractuelles et les actes de concurrence déloyale à l'égard de la société intimée, et d'autre part, de la condamner à restituer à la société Les Fontanettes la somme de 28 488,99 euro réglée le 23 septembre 2003 ;

Considérant, en second lieu, que, la cour ayant estimé que la résiliation du contrat de franchise n'était pas justifiée, il conviendra de débouter la société Friendly de sa demande tendant à voir, par application des dispositions de l'article 9.3 de ce contrat, procéder à l'enlèvement par le franchisé des enseignes du franchiseur ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il convient de confirmer la mesure de suppression ordonnée par le tribunal ; que, en revanche, la cour ne tient pas de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée par le jugement qui lui est déféré par la voie de l'appel, de sorte que la demande de la société Les Fontanettes tendant à voir liquider l'astreinte mise à la charge de la société Friendly par le jugement dont appel sera rejetée ;

Considérant, en quatrième lieu, que la société Friendly fait valoir que la société intimée ne justifierait de l'existence d'un préjudice et encore moins d'une quelconque relation causale entre la faute alléguée et le préjudice prétendument subi ;

Mais considérant qu'il résulte, notamment, de l'analyse des résultats des taux d'occupation cumulés fin août 1999, 2001 et 2002 des trois hôtels franchisés par la société Friendly dans la région grenobloise, une forte progression de l'établissement indûment franchisé au détriment de celui exploité par la société Les Fontanettes démontrant ainsi qu'une partie de la clientèle de cette dernière a été détournée au profit de l'établissement grenoblois lui causant de la sorte une concurrence déloyale ; qu'il s'ensuit que la société intimée a subi un préjudice certain et directement lié à l'implantation justement contestée de l'hôtel Comfort Résidence que les premiers juges ont exactement évalué à la somme de 20 000 euro ; que le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point ;

Considérant, en cinquième lieu, que la société Friendly avant pu de bonne foi se méprendre sur l'étendue de ses droits, il convient de débouter la société intimée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; que, par ailleurs, il résulte du sens de l'arrêt que la société appelante ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que, en revanche, l'équité commande de condamner, sur ce même fondement, la société Friendly à verser à la société Les Fontanettes une indemnité de 5 000 euro;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne la condamnation de la société Les Fontanettes à payer à la société Friendly la somme de 50 977,80 euro augmentée des intérêts légaux à compter du prononcé du jugement; Et, statuant à nouveau, de ce chef; Déboute la société Friendly de sa demande tendant à voir condamner la société Les Fontanettes à lui payer la somme de 50 977,80 euro augmentée des intérêts légaux; Y ajoutant; Constate que la résiliation du contrat de franchise notifiée le 20 février 2003 est injustifiée; Dit que la société Les Fontanettes ne sera pas tenue au paiement des redevances contractuelles aussi longtemps que la société Friendly poursuivra les violations contractuelles et les actes de concurrence déloyale à son égard; Ordonne à la société Friendly de restituer à la société Les Fontanettes la somme de 28 488,99 euro; Déboute les parties de l'ensemble de leurs autres demandes; Condamne la société Friendly à payer à la société Les Fontanettes une indemnité complémentaire de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles ; La condamne en outre aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.