Livv
Décisions

CA Orléans, ch. solennelle, 14 octobre 2005, n° 04-01227

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Peano (Epoux)

Défendeur :

Gardenia Archidea Spa (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Marion

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, MM. Garnier, Beyssac

Avoués :

SCP Laval-Lueger, SCP Desplanques-Devauchelle

Avocats :

Mes Levy, Chapelain l'Officier

TGI Cusset, du 2 avr. 1998

2 avril 1998

Exposé du litige:

Par contrat du 30 août 1991, la société de droit italien Ceramiche Gardenia-Orchidea Spa (société Gardenia), a confié, pour une durée indéterminée, aux époux Bernard Peano-Georgette Rougier et à M. Frédéric Peano, associés de fait de la société BGF Peano, la représentation de ses produits dans une zone géographique constituée par un ensemble de départements situés dans le centre de la France, dont celui de l'Allier. Dans des conditions qui demeurent discutées entre parties, le contrat contiendrait, à l'article 12, une clause attribuant compétence aux juridictions de Modène (Italie) et une clause (article 11) de choix de la loi applicable au fond, qui serait la loi italienne.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 6 octobre 1994, la société Gardenia a notifié aux consorts Peano, en raison de la baisse de leurs résultats, la résiliation de ce contrat d'agent commercial et, par acte d'huissier du 13 août 1997, les agents l'ont assignée devant le Tribunal de grande instance de Cusset, juridiction de leur domicile et dont le ressort fait partie de la zone à prospecter, en paiement d'une indemnité de résiliation et d'une indemnité de préavis.

Par jugement du 2 avril 1998, le Tribunal de grande instance de Cusset a accueilli l'exception d'incompétence internationale soulevée devant lui par la société Gardenia sur la base de la clause attributive de compétence et a renvoyé les parties à se mieux pourvoir.

Statuant sur contredit, la Cour d'appel de Riom, par arrêt du 30 juin 1998, a confirmé le jugement aux motifs que, par application des dispositions de l'article 17 de la Convention judiciaire de Bruxelles du 27 septembre 1968, la clause de prorogation volontaire de juridiction est valable, peu important que M. Bernard Peano "n'ait pas signé le § approuvant expressément certaines clauses, dont celle de l'article 12, pas plus d'ailleurs qu'il n'a signé le contrat qu'il invoque, sa signature figurant seulement au bas d'une annexe à l'article 3, sur la mention de la dernière page du document contractuel bilingue" et que les deux parties ont appliqué le contrat de 1991 à 1994 et se reconnaissent liés par lui.

Par un premier arrêt du 6 février 2001 (pourv. N° C 98-44.876, arrêt n° 203 D), la première Chambre civile de la Cour de cassation a cassé cette décision au visa de l'article 17 précité aux motifs que, selon ce texte, la clause attributive de juridiction n'est valable que si elle résulte d'une convention écrite ou d'une convention verbale confirmée par écrit et que la cour d'appel n'a pas constaté que la clause litigieuse avait fait l'objet d'une acceptation écrite.

Par arrêt du 13 juin 2001, la Cour d'appel de Bourges, désignée comme première cour de renvoi, a considéré que la clause n° 12 n'avait pas été signée par les consorts Peano et ne pouvait donc leur être opposée et que, par ailleurs, les dispositions de l'article 5.1° de la Convention de Bruxelles précitée les autorisaient à saisir le Tribunal de grande instance de Cusset, tribunal du lieu d'exécution du contrat d'agent commercial. La Cour d'appel de Bourges a donc renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance primitivement saisi qui, par jugement du 21 octobre 2002, condamnait la société Gardenia à payer des indemnités à M. Bernard Peano, à partager entre associés de fait. Sur appel de la société Gardenia, la Cour d'appel de Riom, par arrêt du 21 janvier 2004, décidait de surseoir à statuer dans l'attente de l'examen du nouveau pourvoi formé par la société Gardenia à l'encontre de l'arrêt du 13 juin 2001 de la Cour d'appel de Bourges.

Par un second arrêt du 30 mars 2004 (pourv. n° M 01-16.045. arrêt n° 540 D), la première Chambre civile de la Cour de cassation a cassé cette dernière décision, aux motifs que si, en matière contractuelle, le défendeur domicilié dans un Etat contractant peut, sur le fondement de l'article 5.1° de la Convention de Bruxelles, être attrait dans un autre devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, ce lieu doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie et qu'en l'espèce la Cour d'appel de Bourges n'avait pas déterminé préalablement la loi applicable à l'obligation litigieuse.

La Cour d'appel d'Orléans, désignée comme seconde cour de renvoi, a été saisie par déclaration du 29 avril 2004 des époux Peano-Rougier et Mme Virginie Nebout, veuve de M. Frédéric Peano, décédé le 26 août 2002, est intervenue volontairement à l'instance tant en sa qualité d'héritière de son époux que d'administratrice légale des biens de son fils mineur, Romain Peano, né le 7 septembre 1993.

Ont été signifiées et déposées les dernières conclusions suivantes;

* 18 mai 2005 (société Gardenia),

* 23 mai 2005 (consorts Peano).

La société Gardenia soutient, à titre principal, que la clause attributive de compétence est valable, dès lors que les consorts Peano ne peuvent, sans se contredire, prétendre ne pas l'avoir acceptée, en l'absence de signature spéciale de cette clause, comme prévu au contrat, alors qu'ils se prévalent de la zone géographique attribuée, dont la définition résulte d'une autre clause qu'ils n'ont pas plus spécialement acceptée. La société Gardenia estime donc que la signature du contrat apposée en dernière page par M. Bernard Peano suffit à exprimer le consentement global des consorts Peano... A titre subsidiaire, la société Gardenia fait valoir que la loi applicable aux obligations litigieuses est, en vertu de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles - et non de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaire et à la représentation - la loi italienne choisie tacitement par les parties. A titre infiniment subsidiaire, la société Gardenia prétend que, même en retenant la loi française, le caractère quérable des paiements, suivant l'article 1247 du Code civil, impliquerait que le lieu d'exécution litigieux est l'Italie, siège du débiteur.

Les consorts Peano font valoir que les termes du contrat exigeaient une acceptation spéciale de leur part de certaines de ses clauses, dont celles de choix de la loi et de choix de la juridiction compétente, acceptation qu'ils ont toujours refusée. Estimant la loi française compétente, leur activité d'agent commercial, s'exerçant en France, pays avec lequel le contrat présente ainsi les liens les plus étroits, ils considèrent que l'obligation qui sert de base à leurs demandes est celle de poursuivre en France les relations contractuelles et de ne pas commettre d'abus au moment de leur cessation, le lieu du paiement étant indifférent.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 1er juin 2005, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

A l'issue des débats, le Premier Président d'audience a informé les parties que l'arrêt serait prononcé le 14 octobre 2005.

Motifs de l'arrêt:

Attendu que les consorts Peano ne contestent pas, et le reconnaissent même expressément in limine en p. 2 de leurs dernières conclusions, que M. Bernard Peano a conclu, le 30 août 1991, un contrat d'agent commercial avec la société Gardenia; qu'ils ne contestent pas, non plus, que, contrairement à ce qui avait été retenu par le premier arrêt cassé (Riom, 30 juin 1998) et expliquait la cassation du 6 février 2001, M. Bernard Peano a apposé sa signature au pied du contrat, les mêmes conclusions faisant, en effet, valoir en p. 6, que le premier juge, c'est-à-dire le Tribunal de grande instance de Cusset, ne pouvait déduire, dans le jugement du 2 avril 1998, l'acceptation de la clause de compétence de la seule signature du contrat, laquelle n'aurait pas emporté, dans l'interprétation des consorts Peano, l'acceptation requise de la clause de prorogation volontaire de juridiction, ce dont il résulte que le contrat comporte bien la signature de celui qui pouvait, ainsi qu'il n'est pas contesté, engager les consorts Peano.

Que, pour soutenir que cette signature, dont l'existence est admise - comme celle du représentant de la société mandante Gardenia -, ne suffirait pas cependant pour établir que les parties seraient convenues d'un tribunal par écrit, au sens de l'article 17 de la Convention judiciaire de Bruxelles du 27 septembre 1968, les consorts Peano se bornent à indiquer que, contractuellement, l'acceptation de la clause de compétence litigieuse aurait nécessité une acceptation spéciale de la part de M. Bernard Peano ; qu'ils précisent en ce sens que la clause litigieuse - figurant à l'article 12 en langue italienne et française, ainsi qu'il suit : "Controversie : ogni eventuale controversia sara' di competenza della autorita' giudiziara di Modena ;forum juridique: tout litige qui ne pourra être réglé à l'amiable est du ressort de l'autorisée [sic] judiciaire de Modena -Italie" - est l'une de celles qui est visée à l'avant-dernière page du contrat, où il est énoncé: "on approuve expressément les clauses aux n° 2, 3, 5, 8, 9, 10, 11, 12 " mais que justement cette page ne porte pas la signature de M. Bernard Peano;

Que, néanmoins, ce dernier, qui n'a porté, en tout et pour tout, qu'une seule signature pour l'ensemble du contrat, n'a pas plus accepté de manière expresse d'autres clauses spécialement visées dont il s'est toujours prévalu et se prévaut encore, comme celle, essentielle, définissant la zone de représentation (art. 2) et, contrairement à ce qui est prétendu dans les conclusions des consorts Peano (haut de la p. 5), ce n'est pas cet article 2 qui, dans l'un et l'autre des exemplaires du contrat produit à la cour, a fait l'objet d'un paraphe spécial de l'agent commercial, mais l'article 3 indiquant les entreprises pour lesquelles celui-ci pourrait parallèlement travailler, cette clause appelant effectivement des précisions quant à la liste de ses autres mandants, inutiles dans le cas de la clause de compétence; que la clause de compétence faisant partie de l'économie des contrats internationaux, comme la définition du mandat confié fait partie de celle des contrats d'agents commerciaux, la signature globale ici en cause par l'agent commercial suffit à exprimer, dans les circonstances de l'espèce, son consentement;

Que, par conséquent, il y a lieu, sur contredit, de déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige opposant les consorts Peano à la société Gardenia et de renvoyer les parties à se mieux pourvoir, conformément aux dispositions de l'article 96 du nouveau Code de procédure civile;

Qu'il n'appartient pas à cette cour de statuer sur la restitution des sommes qui auraient pu être versées en exécution du jugement rendu le 21 octobre 2002 par le Tribunal de grande instance de Cusset;

Que les consorts Peano supporteront solidairement les dépens exposés devant le Tribunal de grande instance de Cusset et les cours d'appel de Riom, Bourges et Orléans, et, à ce titre, verseront une somme globale de 1 500 euro à la société Gardenia en remboursement de ses frais hors dépens exposés tous les degrés de juridiction;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, sur renvoi après cassation; Confirme, sur contredit, le jugement du Tribunal de grande instance de Cusset du 2 avril 1998 et Déclare incompétentes les juridictions françaises pour connaître du litige opposant les consorts Peano à la société Ceramiche Gardenia-Orchidea Spa (société Gardenia); Vu l'article 96 du nouveau Code de procédure civile, Renvoie les parties à se mieux pourvoir; Invite le greffier de la cour à notifier le présent arrêt aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en leur indiquant qu'un pourvoi en cassation peut être formé dans le délai de deux mois à compter de cette notification et qu'il doit l'être au greffe de la Cour de cassation par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation;Condamne solidairement les consorts Peano aux dépens exposés devant le Tribunal de grande instance de Cusset et les cours d'appel de Riom, Bourges et Orléans, et à payer à la société Gardenia la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Accorde à la SCP Desplanques-Devauchelle titulaire d'un office d'avoué près la cour d'appel d'Orléans, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.