CA Paris, 13e ch. A, 15 décembre 2003, n° 03-04984
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
MM. Nivose, Waechter
Avocat :
Me Mitchell
Rappel de la procédure:
La prévention:
X Laurent et la société Y sont poursuivis par convocation notifiée, sur instructions du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Créteil, par un officier de police judiciaire, selon les dispositions de l'article 390-1 du Code de procédure pénale, pour avoir :
- pour X Laurent, pour avoir à Charenton-le-Pont (94), en tout cas sur le territoire national, le 17 mai 2002, depuis temps non couvert par la prescription :
- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper le consommateur sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition, la quantité, la teneur en principes utiles de marchandises, en l'espèce, par bardage excessif du tournedos de boeuf mis en vente au rayon boucherie,
- effectué une publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, en l'espèce, en présentant indûment comme biologiques des pains mis en vente au rayon boulangerie,
- pour la société Y, représentée par Monsieur Christian Z, pour avoir à Charenton-le-Pont (94), en tout cas sur le territoire national, le 17 mai 2002, depuis temps non couvert par la prescription :
- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper le consommateur sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition, la quantité, la teneur en principes utiles de marchandises, en l'espèce, le bardage excessif du tournedos de boeuf mis en vente au rayon de boucherie,
- effectué une publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, en l'espèce, en présentant indûment comme biologiques des pains mis en vente au rayon boulangerie,
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a :
- déclaré X Laurent non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis le 17 mai 2002, depuis temps non couvert par la prescription, à Charenton-le-Pont (94), en tout cas sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
- déclaré X Laurent coupable de tromperie sur la nature la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis le 17 mai 2002, depuis temps non couvert par la prescription, à Charenton-le-Pont (94), en tout cas sur le territoire national, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation,
- déclaré la société Y, représentée par Monsieur Christian Z, non coupable et l'a relaxée des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis le 17 mai 2002, depuis temps non couvert par la prescription, à Charenton-le-Pont (94), en tout cas sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
- déclaré la société Y représentée par Monsieur Christian Z coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis le 17 mai 2002, depuis temps non couvert par la prescription, à Charenton-le-Pont (94), en tout cas sur le territoire national, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation,
Et par application de ces articles, a condamné :
- X Laurent à une amende délictuelle de mille euro (1 000 euro),
- la société Y à une amende délictuelle de sept mille euro (7 000 euro),
- dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de quatre vingt dix euro (90 euro), dont sont redevables les condamnés,
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur X Laurent, le 4 avril 2003,
La société Y, représentée par Monsieur Christian Z, le 4 avril 2003,
Monsieur le Procureur de la République, le 4 avril 2003 contre Monsieur X Laurent et la société Y, représentée par Monsieur Christian Z,
* A titre subsidiaire, de déclarer que cette infraction n'est pas imputable à la société Y;
* En conséquence, de l'en relaxer;
* A titre très subsidiaire, de faire preuve de la plus grande clémence eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce;
* De les dispenser de peine et de dire n'y avoir lieu à mention de leur condamnation éventuelle sur leur casier judiciaire.
- S'agissant de l'infraction de publicité trompeuse,
* De confirmer la relaxe des prévenus.
* Très subsidiairement, de les dispenser de peine et de dire n'y avoir lieu à mention de leur condamnation éventuelle sur leur casier judiciaire.
Sur l'infraction de tromperie
Ils exposent que le tribunal a érigé en norme obligatoire, créatrice de droits et d'obligations (telle une loi ou un règlement) ce qui ne résulte que d'une simple circulaire administrative interne aux services de l'Etat et dénuée de force obligatoire.
Ils soutiennent qu'il est constant toutefois que les consommateurs n'ont pu être "trompés", au sens de l'article L. 223-1 du Code de la consommation, pour les raisons suivantes :
- Le consommateur, de toute évidence, ignore l'existence d'un prétendu "usage professionnel", selon lequel le pourcentage de barde est limité à 13 % et ne peut en conséquence en aucun cas être trompé ou induit en erreur en cas de dépassement de ce seuil,
- La réglementation applicable aux pièces de tournedos préemballées n'impose pas la mention du poids respectif de la viande et de la barde sur l'étiquetage du produit,
- L'étiquette informant le consommateur du prix du produit ne mentionnait dès lors que le poids global du produit (en ne distinguant pas celui de la barde et de la viande), information radicalement exacte et, au demeurant, non contestée par les contrôleurs,
- Les tournedos préemballés dans les magasins Z sont parfaitement visibles, l'emballage plastique étant transparent. Le consommateur est donc en mesure de connaître, sinon le poids ou le pourcentage respectifs de la viande et de la barde (éléments, au demeurant, tout à fait secondaire dans l'acte d'achat), mais leur importance visuelle respective, de même que l'épaisseur de la barde,
- Le consommateur qui ne souhaite pas acheter une pièce de viande bardée ou qui souhaite une barde de moindre importance a le loisir de s'adresser au rayon boucherie à la coupe où sa demande, quelle qu'elle soit, pourra être satisfaite.
Subsidiairement, ils affirment qu'il ne peut être reproché à Monsieur X aucune intention frauduleuse ni aucune négligence fautive dans la vérification de la marchandise vendue par son magasin dès lors que:
- le contrôle des bardes était effectué en amont par son fournisseur habituel et qu'il n'avait aucune raison de soupçonner une quelconque anomalie du bardage des pièces litigieuses,
- il avait mis en œuvre dans son magasin l'ensemble des procédures définies par le groupe Z (formation, contrôle, vérification...) pour prévenir une infraction du type de celle relevée,
- l'anomalie du bardage très ponctuellement constatée n'a pu résulter que d'une circonstance exceptionnelle malheureuse.
Toujours subsidiairement, en tout état de cause, ils font valoir l'absence d'imputabilité de l'infraction à Y puisque le délégataire de pouvoirs n'est pas un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du Code pénal et en raison de la nécessité d'identifier un élément intentionnel distinct du chef de la personne morale alors qu'il est démontré que la société Y et le groupe Z dans son ensemble ont précisément exprimé une volonté de parfait respect des réglementations applicables et mis en œuvre les moyens nécessaires à cette fin.
Ils soulignent enfin que l'extension automatique de la responsabilité pénale du délégataire à la personne morale introduirait dans notre droit une présomption irréfragable de responsabilité, voire de culpabilité de la personne morale contraire à nombre de principes fondamentaux du droit pénal interne et conventionnel (personnalité de la responsabilité pénale, présomption d'innocence, droit à un procès équitable...) et serait de nature à dissuader les entreprises de mettre en place une organisation efficace pour prévenir la commission d'infractions.
Sur l'infraction de publicité fausse ou de nature à induire en erreur
Ils exposent que le retrait temporaire de la certification bio du magasin, outre irrégulier dans la forme, était motivé par un problème purement administratif ne justifiant en aucun cas une résiliation, ce que confirme la régularisation opérée par Qualité-France quelques jours après le contrôle, et ce au titre de l'année 2002.
Sur l'élément légal ils soutiennent que c'est à tort que la DDCCRF a cru devoir leur imputer un manquement quelconque aux dispositions du règlement communautaire n° 2092-91 et en déduire un grief de publicité mensongère.
Il font en effet valoir qu'il est constant que les dispositions visées par ce texte ne s'imposaient pas au magasin Z de Charenton dans la mesure où il ressort des articles 8.1,4 et 1 que :
1) le règlement est applicable, matériellement, aux produits agricoles (non transformés) et aux produits destinés à l'alimentation humaine (article 1),
2) l'obligation de se soumettre aux contrôles prévus par le règlement s'impose aux seuls opérateurs produisant, préparant ou important d'un pays tiers les produits visés par le règlement (article 8.1),
3) la notion de préparation est limitativement définie comme recouvrant les opérations de transformation, de conservation ou de conditionnement de produits agricoles non transformés (à l'exclusion des mêmes opérations concernant les produits alimentaires destinés à l'alimentation humaine, article 4), étant observé que le magasin Z de Charenton, dès lors qu'il n'exerce aucune activité de production, d'importation ou de préparation (le pain n'étant pas un produit agricole non transformé) au sens des dispositions précitées du règlement, échappe de toute évidence aux obligations du contrôle (et donc de certification) qui en sont la conséquence.
Ils affirment par ailleurs que le non-respect des obligations de contrôle et de notification prévues par le règlement, à supposer même qu'il soit répréhensible, n'aurait été susceptible d'être sanctionné qu'au titre d'une contravention de 3e classe, non visée à la prévention et qu'il n'aurait pu en être autrement que s'il était démontré que les pains mis en vente le jour du contrôle n'étaient pas issus de l'agriculture biologique alors qu'il est constant que tous les pains commercialisés par le magasin sous le logo "AB" sont bel et bien biologiques et proviennent de fournisseurs qualifiés par Qualité-France.
Ils soulignent enfin la bonne foi du groupe qui, par une démarche qualitative, s'est soumis volontairement à la procédure, légalement non requise, de la certification en agriculture biologique.
Rappel des faits
Les premiers juges ont exactement et complètement rapporté les circonstances de la cause dans un exposé des faits auquel la cour se réfère expressément.
Il suffit de rappeler que des agents de la DDCCRF se sont présentés aux fins de contrôle le 17 mai 2002 au magasin Z de la rue xxx à Charenton-le-Pont, exploité par la SAS Y.
Ils ont constaté au rayon boucherie, en libre-service, la présence de dix pièces de viande de boeuf munies d'un bardage excessif, représentant en moyenne 18,60 % du poids de viande vendue et dépassant donc largement le pourcentage de 13 % prévu par les usages de la profession;
Laurent X, directeur du magasin et titulaire d'une délégation de pouvoirs, invoquait une erreur du fournisseur qui livrait des bardes trop épaisses et précisait que du fait du réaménagement du magasin il n'avait pas pris le soin de vérifier les rayons.
Les fonctionnaires observaient par ailleurs sur les pains mis en vente au rayon boulangerie du supermarché des étiquettes informatives comportant un logo vert AB faisant référence au caractère biologique de ces produits, alors qu'après vérification auprès de l'organisme certificateur Qualité-France il s'avérait que l'agrément relatif à l'activité de préparation de produits issus de l'agriculture biologique avait été retiré au magasin le 4 avril 2002.
Laurent X et la société Y affirmaient qu'ils ignoraient le retrait de cet agrément et qu'ils avaient dès lors maintenu en toute bonne foi la référence au caractère biologique de ces pains.
Sur ce, LA COUR
Considérant que la cour ne saurait suivre les prévenus en leur argumentation :
Sur le délit de tromperie
Considérant qu'il est constant que les conditionnements mis en vente présentaient un bardage excessif, dépassant largement le pourcentage de 13 % prévu pour les pièces de rôti en portion individuelle par les usages de la profession;
Que peu importe que le consommateur ait ignoré la réglementation et que celle applicable aux pièces de tournedos préemballées n'impose pas la mention du poids respectif de la viande et de la barde sur l'étiquetage du produit;
Considérant en effet que le fait de faire payer au prix de la viande de boeuf un excédent de barde lèse et trompe manifestement le consommateur au sens de l'article L. 213-1 du Code de la consommation;
Considérant que le contrôle de la marchandise doit être effectué à tous les stades de la commercialisation;
Que Laurent X a admis lors de l'enquête que les rayons n'avaient pas été vérifiés "du fait du réaménagement du magasin";
Qu'il s'est rendu ainsi coupable d'une négligence fautive et a ainsi engagé sa responsabilité pénale;
Sur le délit de publicité mensongère
Considérant que les prévenus ne sont pas poursuivis pour infraction au règlement communautaire n° 2092-91 du 24 juin 1991 mais pour le délit de publicité mensongère prévu à l'article L. 121-1 du Code de la consommation;
Considérant que le contrôle réalisé le 17 mai 2002 par les agents de la DGCCRF a mis en évidence que 5 catégories de pains comportant le logo vert AB symbolisant le caractère biologique des produits étaient mis en vente au magasin Z de Charenton;
Que ces pains sont cuits dans le fournil de l'établissement et y subissent donc leur dernière transformation;
Considérant que le jour du contrôle, le magasin Z n'était plus autorisé à produire et commercialiser des pains de qualité biologique, car l'organisme certificateur lui avait retiré l'agrément le 4 avril 2002 au motif que la comptabilité matière était incohérente, c'est-à-dire que le magasin n'était plus en mesure de justifier que les sortants qualifiés de " Bio "étaient uniquement composés d'entrants "Bio";
Considérant que Laurent X ne peut sérieusement soutenir qu'il ignorait le retrait de la certification par Qualité-France alors que cette mesure a été notifiée au magasin par lettre recommandée avec avis de réception du 4 avril 2002;
Considérant que Laurent X a fait valoir lors de l'enquête que l'avis de réception avait été signé par un "stagiaire chef alimentaire" qui ne lui avait pas transmis le courrier;
Considérant toutefois qu'une telle carence, à la supposer établie, ne dispensait pas Laurent X de vérifier que la publicité diffusée était exempte de tous éléments susceptibles d'induire le consommateur en erreur, ce qu'il a manifestement omis de faire;
Sur l'imputabilité et sur les peines
Considérant que les délits poursuivis sont caractérisés à l'encontre de Laurent X, titulaire d'une délégation de pouvoirs du 2 avril 2002 lui imposant de veiller à la réglementation applicable en vigueur et notamment (...) à l'information du consommateur;
Considérant que les faits visés à la prévention sont également caractérisés à l'encontre de la société Y;
Considérant en effet que les infractions poursuivies ont été commises pour le compte de Y par son représentant Laurent X;
Considérant qu'ont la qualité de représentant, au sens de l'article 121-2 du Code pénal, les personnes pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires en raison d'une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale, ce qui est le cas en l'espèce de Laurent X;
Que par ailleurs les carences constatées établissent la négligence fautive de Y qui n'a pas su mettre en place les procédures, mesures de sécurité, consignes ou politique de vigilance ou d'alerte nécessaires de nature à prévenir la commission des infractions reprochées;
Considérant que les conditions d'une dispense de peine ne sont pas réunies en l'espèce;
Considérant que la cour n'estime pas devoir accéder en l'état aux demandes tendant à l'exclusion de la mention des condamnations à intervenir aux bulletins n° 2 des casiers judiciaires des prévenus;
Considérant que la cour confirmera le jugement attaqué en ce qu'il a, à bon droit, déclaré Laurent X et la société Y coupables du délit de tromperie
Considérant que la cour, infirmant pour le surplus la décision critiquée, déclarera les prévenus coupables du délit de publicité mensongère et condamnera Laurent X à 2 000 euro d'amende et la société Y à 10 000 euro d'amende;
Que compte tenu des circonstances particulières de l'espèce la cour dispensera les prévenus de la publication de la décision prévue à l'article L. 121-4 du Code de la consommation;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'encontre des prévenus, reçoit les prévenus et le ministère public en leurs appels, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Laurent X et la société Y coupables du délit de tromperie, L'infirmant pour le surplus;Déclare Laurent X et la société Y coupables du délit de publicité mensongère, prévu et réprimé par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation, Condamne Laurent X à 2 000 euro d'amende et la société Y à 10 000 euro d'amende, Dispense les condamnés de la publication de la décision, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.