CA Paris, 14e ch. A, 19 janvier 2005, n° 04-15834
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Loubeyre (Consorts), Bourgois, Dufour, Seroude
Défendeur :
Myr-Ho (SARL), Bootshop (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
M. Beaufrère, Mme Percheron
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, SCP Calarn-Delaunay
Avocats :
Mes Lewin, Bessis
Faits constants
LA SARL Myr-Ho (Myr) est depuis 30 ans locataire commerciale des consorts Loubeyre d'un local sis au 3e étage d'un immeuble au 104 rue des Couronnes. La SARL Bootshop (Boot) qui a le même gérant que la précédente est depuis une date non précisée, locataire-gérant de Myr.
Par ordonnance du 25 mars 2003 le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris saisi par les deux sociétés pour :
se voir autoriser à séquestrer les loyers jusqu'à expiration des squatteurs
que soit ordonné un minimum d'entretien
que soit assuré le fonctionnement normal du monte-charge,
disait n'y avoir lieu à référé aux motifs:
que l'interprétation des clauses du bail concernant le monte-charge relève de la "compétence" du juge du fond
que l'occupation des squatteurs constituait un cas de force majeure
Sur demande principale en paiement provisionnel de loyers arriérés, et reconventionnelle en non-exécution par le bailleur de certaines de ses obligations contractuelles, le juge des référés, par ordonnance avant dire droit du 15 octobre 2003 désignait un constatant l'expulsion des squatteurs intervenait le 22 octobre 2003. Le constatant déposait son rapport le 17 décembre 2003.
Par ordonnance du 28 avril 2004, aujourd'hui entreprise, et sur demande de Myr et de Bootshop, le même juge:
* donnait injonction aux défendeurs:
1 de rétablir la salubrité des parties communes
2 d'assureur le fonctionnement du monte-charge
3 de rétablir l'ouverture effective du portail dans le mois de la signification et sous astreinte de 300 euro par infraction constatée pendant un délai de 3 mois.
* disait n'y avoir lieu de statuer sur le surplus en raison d'une contestation sérieuse
* condamnait les défendeurs à payer une provision de 10 000 euro à valoir sur le préjudice subi.
Cette ordonnance était signifiée le 4 juin 2004.
Les consorts Loubeyre interjetaient appel le 11 juin 2004.
L'ordonnance de clôture était rendue le 8 décembre 2004.
Prétentions et moyens des consorts Loubeyre
Par dernières conclusions du 29 novembre 2004 auxquelles il convient de se reporter, les consorts Loubeyre soutiennent notamment:
que tant que Myr, qui n'exerce aucune activité dans les lieux, que Boot, avec qui elle n'a aucun lien de droit, sont irrecevables pour défaut de qualité à agir
que l'autorité de chose jugée de l'ordonnance du 25 mars 2003, rend irrecevable les mêmes demandes formulées dans la présente instance
subsidiairement sur le fond
- avoir rempli leurs obligations contractuelles concernant le monte-charge et que toute demande à ce titre se heurte à des contestations sérieuses
- que les demandes au titre des charges d'eau et de la porte du 104 rue des Couronnes se heurtent également à des contestations sérieuses
- respecter leur obligation d'entretien
- que le juge des référés ne peut accorder des dommages et intérêts
- que la demande de liquidation d'astreinte est irrecevable
Ils concluent
à l'infirmation de l'ordonnance
à l'irrecevabilité des demandes des sociétés à qui ils réclament 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Ces parties entendent bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile
Prétentions et moyens de Myr et de Boot
Par dernières conclusions du 6 décembre 2004 auxquelles il convient de se reporter, ces sociétés exposent notamment:
que le défaut d'entretien n'a pas changé malgré l'expulsion des squatteurs
que l'ordonnance du 25 mars 2003 a reconnu à Myr le droit d'agir
que celle du 25 octobre 2003 qui a reçu Boot en son intervention n'a pas été frappée d'appel
qu'elles fondent aussi leurs demandes sur l'article 1382 du Code civil
que la situation a changé puisque les squatteurs ont été expulsés et que le bailleur doit donc assurer le fonctionnement du monte-charge
qu'une nouvelle astreinte de 500 euro par jour de retard est nécessaire pour faire respecter les condamnations prononcées
Elles demandent en conséquence:
la confirmation de l'ordonnance entreprise sauf en ce qui concerne le débouté de leur demande en remboursement de charges, et la condamnation à une provision de 419 euro à ce titre
que le rétablissement du monte-charge soit effectué sur la base d'un devis Schindler
le rétablissement de la lumière dans les parties communes
de dire que l'astreinte ordonnée par infraction constatée est journalière
de se réserver la liquidation de l'astreinte prononcée par le juge des référés
de liquider provisionnellement l'astreinte à 88 000 euro
de condamner les bailleurs sous astreinte de 500 euro par jour de retard à assurer:
- le rétablissement du fonctionnement du monte-charge
- la salubrité des parties communes
- l'ouverture du portail
- le rétablissement de la lumière dans les parties communes de se réserver la liquidation des nouvelles astreintes
- une nouvelle provision de 20 000 euro sur le préjudice subi
- 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Sur quoi, LA COUR,
Sur la qualité à agir des sociétés
Considérant qu'il résulte de l'article 488 du nouveau Code de procédure civile qu'une ordonnance de référé a autorité de chose jugée par rapport à elle-même, puisqu'elle ne peut être modifiée qu'en cas de circonstances nouvelles, et ce même si elle n'a pas été signifiée;
Considérant que les sociétés reconnaissent une telle autorité à l'ordonnance du 25 mars 2003, puisqu'elles soutiennent que ladite ordonnance a reconnu que Myr avait qualité à agir;
Considérant que ces sociétés ne peuvent sans se contredire, soutenir d'une part que ladite ordonnance a autorité de chose jugée lorsqu'elle déclare Myr recevable, et n'aurait plus la même autorité lorsqu'elle déclare Boot irrecevable;
Considérant que contrairement à ce que soutient Boot, l'ordonnance de référé du 15 octobre 2003 - qui se bornant à ordonner une mesure d'instruction pour éclairer la religion du juge, l'ayant rendue ne pouvait être immédiatement frappée d'appel (sauf autorisation) - n'a pas statué sur la qualité à agir de Boot ; que dans ces conditions la juridiction des référés ne peut en l'absence de circonstances nouvelles revenir sur l'irrecevabilité des demandes contractuelles de Boot ; qu'en revanche la demande extra-contractuelle de Boot- possible - est recevable puisqu'elle ne se heurte pas à l'autorité de chose jugée susvisée;
Sur les demandes examinées par le premier juge
Considérant qu'il a été dit que les squatteurs avaient été expulsés ; que ce changement constitue à l'évidence une circonstances nouvelle, et ce même pour le demande concernant le monte-charge puisque l'alimentation électrique de celui-ci, détruite en partie par les squatteurs avait dû être débranchée par les pompiers ; que ce monte-charge est aujourd'hui "entièrement détérioré et hors d'usage" (rapport du constatant);
Constatant qu'il convient de rappeler que les locaux litigieux font partie d'un ensemble immobilier très vaste, et libéré de tous autres locataires et que tous ces espaces non loués, ainsi que les accès ont été squattés jusqu'au 10 octobre 2003 ; que si le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voie de fait à sa jouissance, ledit bailleur, doit assurer un libre accès à la chose louée alors qu'il est seul propriétaire dudit accès;
Considérant que le premier juge a justement rappelé " que les bailleurs ont pour obligation de fournir des locaux correspondant au descriptif du bail ; qu'ils doivent assurer le fonctionnement du monte-charge actuel ou d'un autre ayant des caractéristiques identiques notamment en taille et capacité de chargement; qu'il n'est pas contesté que ce monte-charge ne fonctionne toujours pas et que les bailleurs n'ont pas entrepris les travaux qui leur incombent pour cette remise en marche, ayant seulement fourni un devis de remplacement de l'actuel monte-charge";
Considérant qu'il résulte du rapport de mission du constatant que les accès à l'immeuble loué ne sont pas entretenus, que l'escalier est dépourvu d'éclairage, et que le portail du 104-106 rue des Couronnes (des sociétés) est fermé avec l'indication "entrée 23 rue de la Mare - faire le tour", que cette situation justement sanctionnée par le premier juge puisque contraire aux obligations contractuelles du bailleur, perdure;
Considérant que si dérisoire que paraisse l'astreinte prononcée, rien ne vient démontrer qu'elle est le fruit d'une erreur ou d'une omission matérielle.
Considérant cependant qu'une infirmation sur ce point n'aurait aucun effet, puisqu'une "nouvelle astreinte" ne pourrait courir qu'à compter de la signification du présent arrêt; qu'il y a lieu de confirmer la décision du premier juge;
Considérant que la non-exécution par le bailleur de ses obligations contractuelles, rend non sérieusement contestable, la demande en remboursement de 419 euro à valoir sur le surcoût payé par les locataires (cf rapport du constatant);
Considérant que le premier juge a justement évalué à 10 000 euro la provision sur dommages et intérêts à valoir sur le préjudice subi par les sociétés locataires;
Sur les autres demandes
Considérant que la juridiction des référés ne peut liquider une astreinte lorsqu'elle ne s'est pas réservé le pouvoir de la liquider, ce qui est le cas d'espèce ;
Considérant que l'astreinte prise par le premier juge ayant été inefficace, il y a lieu d'en prononcer une nouvelle du même montant mais journalière, comme il sera précisé dans le dispositif;
Considérant que les sociétés locataires continuent et continueront jusqu'à réalisation des obligations fixées dans le dispositif à subir un préjudice; qu'il convient dans ces conditions d'accorder une nouvelle provision à valoir sur le préjudice subi de 15 000 euro;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés les frais non compris dans les dépens; qu'il y a lieu de leur accorder 3 000 euro à ce titre ;
Considérant qu'il a été dit d'une part que l'astreinte journalière aujourd'hui prononcée ne pourra courir qu'à compter de la signification du présent arrêt et d'autre part que le juge des référés ne s'était pas réservé la liquidation de l'astreinte qu'il avait lui même prononcée et que dans ces conditions seul le juge de l'exécution pourra la liquider;
Par ces motifs, Infirme partiellement l'ordonnance entreprise Reçoit la SARL Myr-Ho et la SARL Bootshop en leurs demandes Condamne les consorts Loubeyre à : * rétablir la salubrité de l'accès au locaux loués (dits parties communes) par un nettoyage régulier des lieux, et par le rétablissement de l'éclairage de l'escalier * Assurer le fonctionnement du monte-charge, par la réparation de l'actuel ou par le remplacement par un monte-charge des mêmes caractéristiques (taille, charges etc ...) * Assurer le rétablissement de l'ouverture effective du portail du 104-106 rue des Couronnes au moyen d'un système adapté tel une télécommande * et ce dans un délai de 2 mois à compter de la signification de la présente décision sous astreinte de 300 euro par jour de retard Confirme la décision entreprise en ce qui concerne la condamnation à 10 000 euro de provision, à 1 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens. Y ajoutant Condamne les consorts Loubeyre à payer à la SARL Myr-ho et à la SARL Bootshop une nouvelle provision de 15 000 euro ainsi que 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile Condamne les consorts Loubeyre aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile Déclare irrecevables les autres demandes.