CA Chambéry, ch. com., 22 mars 2005, n° 03-02164
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Prodim (SAS)
Défendeur :
Distribution Casino (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Batut
Conseillers :
MM. Martin-Saint-Léon, Betous
Avoués :
SCP Dantagnan-Dormeval, SCP Forquin-Rémondin
Avocats :
Me Bednarski, SCP Louchet-Falcoz
Le 12 décembre 1996, la société Méridis a conclu avec la société Prodim Grand Est, aux droits de laquelle se trouve désormais la SAS Prodim, d'une part un accord de franchise d'une durée de sept ans, en vue de l'exploitation à Méribel-les-Allues d'un magasin d'alimentation générale sous l'enseigne Codec et, d'autre part, un contrat d'approvisionnement prioritaire.
Une clause prévue à l'article 6 du contrat de franchise imposait à la société Méridis de ne pas utiliser pendant une période d'un an à compter de la résiliation du contrat une enseigne de renommée nationale ou régionale et de ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques seraient liées à cette enseigne dans un délai de cinq kilomètres du magasin Codec concerné.
Par deux lettres en date des 24 août et 16 novembre 1998, la société Méridis a rompu les contrats, avec effet au 30 septembre 1998, et a poursuivi son activité sous l'enseigne concurrente Casino.
Le 2 décembre 1998, elle a engagé la procédure d'arbitrage conformément à la clause compromissoire stipulée dans la convention. Par une sentence rendue le 25 janvier 2000, le tribunal arbitral, devant lequel la société Prodim avait invoqué la violation de la clause de non-réaffiliation prévue au contrat, a notamment condamné la société Méridis à payer à la société Prodim la somme de 100 000 F en réparation du préjudice résultant pour celle-ci du non-respect de cette clause et de la rupture unilatérale des contrats, avec intérêts au taux légal à compter de la date de la sentence.
La société Prodim a alors engagé une action en paiement de dommages et intérêts à l'encontre de la société Casino France SAS, aux droits de laquelle se trouve la société Distribution Casino France (ci-après désignée la société Casino), en sa qualité de tiers complice de la violation du contrat de franchise, sur le fondement des dispositions des articles 1165 et 1382 du Code civil.
Par jugement rendu le 9 septembre 2003, le Tribunal de grande instance d'Albertville, statuant en matière commerciale, a rejeté l'ensemble des demandes des parties et condamné la société Prodim aux dépens.
Celle-ci en a interjeté appel le 19 septembre 2003.
Aux termes de leurs dernières écritures, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, les parties demandent à la cour:
- La société Prodim (conclusions du 14 janvier 2005)
* de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute imputable à la société Casino,
* de le réformer pour le surplus,
* de condamner la société Casino à lui payer une somme qui ne saurait être inférieure à 300 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice commercial lié à l'atteinte au réseau Codec,
* de condamner la même au paiement de la somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- La société Casino qui a formé appel incident (conclusions du 26 août 2004)
* de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Prodim et l'a condamnée aux dépens,
* de le réformer pour le surplus et de condamner la société Prodim à lui payer la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts,
* et celle de 8 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2005.
Sur quoi, LA COUR :
Attendu que la société Prodim soutient, sur le fondement des dispositions combinées des articles 1165 et 1382 du Code civil, que la société Casino a commis une faute quasi-délictuelle en participant à la violation par la société Méridis de la clause de non-réaffiliation prévue au contrat de franchise rompu par celle-ci avant son terme ;
Que la violation des obligations contractuelles du franchisé à l'égard du franchiseur a été consacrée par le tribunal arbitral dont la sentence, en date du 25 janvier 2000, a autorité de chose jugée et est opposable aux tiers, notamment à la société Casino;
Qu'il ressort des éléments de fait et de preuve soumis au débat contradictoire que lorsqu'elle a affilié la société Méridis à son propre réseau, la société Casino ne pouvait ignorer, ce qu'elle reconnaît d'ailleurs dans ses conclusions (p. 6), que la société Méridis était liée à un autre distributeur, en raison même de l'apposition sur le point de vente litigieux de l'enseigne Codec qu'elle savait appartenir à la société Prodim ; qu'elle ne peut sérieusement contester, au vu notamment des offres faites par elle à des franchisés Prodim (pièces de cette société n° 12/1 à 17/1) qu'elle connaissait également les clauses du contrat de franchise Codec, notamment les conditions de résiliation, au demeurant communes aux divers franchiseurs - une clause de non-affiliation identique figure dans les contrats de franchise Casino - en concurrence dans la même activité économique du commerce d'alimentation;
Que les quelques articles de presse annonçant la disparition prochaine du réseau Codec, opposés aux promesses concomitantes faites alors par la société Prodim à ses franchisés de maintenir en tout cas les contrats en cours jusqu'à leur terme, n'autorisaient pas la société Casino à se dispenser de vérifier l'existence d'une clause de non-affiliation dans le contrat Prodim-Méridis et en présence d'une telle clause, de rechercher si le franchisé en était délié, obligation à laquelle ne pouvait faire obstacle la clause de confidentialité figurant au contrat, concernant les seuls renseignements relatifs au fonctionnement de l'affiliation;
Que la société Prodim soutient donc à juste titre que la société Casino s'est rendue complice de la violation par la société Méridis de ses obligations contractuelles ;
Qu'elle réclame le paiement de dommages et intérêts en complément de la somme qui lui a été allouée par le tribunal arbitral (ses conclusions, p. 13) et destinés à réparer l'intégralité de son préjudice ;
Qu'elle invoque à cette fin une atteinte à son réseau de franchise en soutenant que, par le fait des agissements de la société Casino, elle a perdu un point de vente dès le mois de novembre 1998 alors que le contrat signé par la société Méridis devait expirer le 12 décembre 2003 ; qu'elle fait valoir que la société Casino ne peut lui opposer l'abandon du réseau Codec, dès lors qu'elle justifie avoir proposé à l'ensemble des "codécistes" et notamment à la société Méridis, soit la mise en place d'un nouveau concept (Shopi ou 8 à Huit urbains), soit la poursuite de la relation contractuelle en cours jusqu'au terme du contrat ; qu'elle réclame paiement de la somme de 300 000 euro, correspondant au coût prétendu de la création d'un magasin similaire à celui irrégulièrement capté par la société Casino;
Attendu, cependant, qu'il résulte de divers documents (compte-rendu des "codécistes" en date du 8 janvier 1998 selon lequel à cette date, le directeur de Prodim avait annoncé l'arrêt du développement et de l'animation de l'enseigne Codec, confirmé par des correspondances des 9 et 27 février informant les franchisés du non-renouvellement à leur échéance des affiliations, sans aucune autre proposition, compte-rendu du "comité d'enseigne Codec" du 3 mars 1998 proposant un contrat de franchise différent - Shopi - pour une durée égale à celle restant à courir pour les contrats Codec) que la société Prodim a décidé de mettre un terme au fonctionnement du réseau Codec en proposant à ses cocontractants une seule solution, en l'occurrence l'intégration dans un autre réseau, sans possibilité pour les franchisés de mettre fin au contrat moyennant un préavis, et ce malgré la modification des accords initiaux;
Qu'il s'en déduit que la société Prodim est au moins pour partie à l'origine de la rupture qu'elle impute à la faute du franchisé, consacrée par la sentence arbitrale, et à celle de la société Casino ; qu'en tout cas, l'atteinte au réseau Codec est nécessairement limitée, dès lors que le franchiseur avait décidé d'y mettre un terme, que la société Méridis avait refusé de poursuivre la relation contractuelle sous l'enseigne Shopi (lettre du franchisé au franchiseur en date du 24 août 1998, pièce n° 13 de la société Méridis) et qu'en conséquence, le point de vente litigieux était destiné à passer à la concurrence ; que la société Prodim ne peut donc évaluer son préjudice au coût d'installation d'un magasin identique à celui dont elle a perdu la franchise à Méribel;
Que, toutefois, les agissements fautifs de la société Casino ont accéléré la disparition locale du réseau Codec et occasionné pour la société Prodim un trouble commercial caractérisant un préjudice moral qui doit être réparé par l'allocation à celle-ci de la somme de 5 000 euro;
Que la solution apportée au litige justifie le rejet de la demande de dommages et intérêts de la société Casino étant précisé, au surplus, que la multiplicité des actions intentées par la société Prodim sur l'ensemble du territoire national ne suffit pas à caractériser l'abus prétendu de son droit à défendre ses intérêts commerciaux;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Condamne la société Distribution Casino France à payer à la société Prodim, venant aux droits de la société Prodim Grand Est, la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts; Rejette la demande de dommages et intérêts de la société Distribution Casino France; Vu les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette la demande de la société Distribution Casino France; La condamne à payer la somme de 3 000 euro à la société Prodim; Condamne la société Distribution Casino France aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'avoués Dantagnan Dormeval à recouvrer directement ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.