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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 10 mars 2005, n° 04-00135

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Saint-Jacques (SA)

Défendeur :

Ney (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Selmes

Conseillers :

MM. Vergne, Baby

Avoués :

SCP Malet, SCP Rives-Podesta

Avocats :

Mes Junca, Bansard

T. com. Castres, du 15 déc. 2003

15 décembre 2003

Attendu que la société Saint-Jacques SA, dont le siège est à Aussillon (Tarn) et qui est spécialisée dans la distributions en gros d'articles de chapellerie a signé le 5 juin 2002 avec la société Ney SA, société de droit belge, qui a notamment pour activité la fabrication et la vente de chapeaux, casquettes et sacs à dos pour enfants et adolescents, un contrat intitulé contrat d'exclusivité entre la société Ney SA et la société Saint-Jacques pour la distribution de la collection " Chapeaux et Casquettes été 2003 ";

Que par ce contrat, la société Ney octroyait le droit de distribution exclusive à la société Saint-Jacques pour la collection de chapellerie "Chapeaux et Casquettes été 2003" comprenant les articles allant de la référence SUMU01/WD à SUMU23/WD et CBT01/CF à CBT11/CF, ce pour une durée d'un an, la distribution exclusive étant attribuée à la société Saint-Jacques pour tout le territoire français ainsi que la principauté d'Andorre et les départements et territoires français d'outre-mer;

Qu'il y a lieu ici d'indiquer que les modèles d'articles dont les références sont ci-dessus précisées étaient porteurs de personnages Walt Disney et de la famille Simpson;

Que la société Saint-Jacques s'engageait à passer une commande de base d'un container de 50 000 pièces, ce avant le 20 septembre 2002 au plus tard, le contrat prévoyant une indemnité à la charge de la société Saint-Jacques en cas de réduction ou d'annulation de sa commande, étant en outre précisé que les tarifs dont bénéficiait la société Saint-Jacques figuraient en annexe au contrat;

Que le contrat comportait en outre une clause n° 7 selon laquelle " les royautés Walt Disney et Century Fox sont comprises dans l'ensemble des prix " ;

Attendu que la société Ney, après mise en demeure restée infructueuse adressée le 26 septembre 2002 à la société Saint-Jacques de passer la commande de base prévue au contrat, a, par acte d'huissier de justice en date du 17 avril 2003, assigné la société Saint-Jacques devant le Tribunal de commerce de Castres en vue, à titre principal, de faire prononcer la résolution du contrat du 5 juin 2002 aux torts exclusifs de la société Saint-Jacques et de faire condamner celle-ci au paiement de l'indemnité contractuelle, soit la somme de 37 630 euro;

Attendu que par jugement en date du 15 décembre 2003, le Tribunal de commerce de Castres a fait droit à l'essentiel de ces réclamations et a donc prononcé la résolution du contrat du 5 juin 2002 aux torts exclusifs de la société Saint-Jacques, condamné la société Saint Jacques à régler à la société Ney, à titre d'indemnité, la contrevaleur en euro, au cours officiel de la Banque de France du dernier jour du mois précédant le jugement, de la somme de 276 000 HKD (Hong Kong Dollars), ainsi qu'une indemnité de 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que la société Saint-Jacques, a interjeté appel de ce jugement;

Qu'elle demande d'abord à la cour de prononcer la nullité de cette décision au regard des dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme;

Qu'elle conclut ensuite sur le fond, à titre principal, à la nullité du contrat du 5 juin 2002;

Qu'à titre subsidiaire, elle fait valoir que la clause pénale insérée au contrat et dont la société Ney sollicite l'application est inapplicable aux faits de l'espèce et que cette clause est par ailleurs manifestement excessive, faisant en outre observer que la société Ney ne justifie en toute hypothèse d'aucun préjudice;

Qu'elle sollicite enfin la condamnation de la société Ney à lui verser une somme de 10 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que la société Ney, en réplique, conclut au rejet de toutes les prétentions de la société Saint-Jacques, à la confirmation du jugement déféré, demandant en outre à la cour de dire que les intérêts de l'indemnité principale qui lui a été allouée seront capitalisés en application de l'article 1154 du Code civil;

Qu'elle sollicite en outre l'allocation d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur quoi

Vu les conclusions signifiées et déposées par l'appelante et par l'intimée, respectivement le 18 janvier 2005 et le 14 octobre 2004,

Attendu que la société Saint-Jacques fait d'abord valoir (pages 7 et 8 des conclusions susvisées) qu'elle avait sollicité dans le cadre de l'instance devant le Tribunal de commerce la communication par la société Ney des contrats de licence par lesquels les sociétés Walt Disney et 20th Century Fox l'avaient autorisée à apposer sur les modèles qu'elle fabriquait des personnages Disney et des personnages de la famille Simpson, et que le tribunal, alors qu'il n'était encore saisi que de ce seul incident de communication de pièces, a non seulement rejeté cette demande de communication de pièces mais a également statué directement sur le fond des prétentions de la société Ney sans avoir invité la société Saint-Jacques à présenter ses moyens de défense au fond, ce en violation manifeste du principe du contradictoire et du droit des parties à un procès équitable;

Attendu que l'examen des pièces de la procédure suivie en première instance devant le Tribunal de Commerce révèle que l'assignation introductive de la présente instance en date du 17 avril 2003 a, certes, saisi le Tribunal de commerce de Castres de demandes au fond formées par la société Ney tendant à la résolution du contrat du 5 juin 2002 et à la condamnation de la société Saint-Jacques au versement de l'indemnité contractuelle prévue et que cette dernière était donc bien d'ores et déjà en mesure, eu égard aux termes complets de cette assignation de présenter d'ores et déjà, dès réception de cet acte, les moyens de défense au fond qui lui paraissaient utiles ;

Qu'il apparaît toutefois qu'au cours de cette instance, la société Saint-Jacques, comme elle l'avait d'ailleurs fait au cours d'une instance en référé antérieurement engagée aux mêmes fins par la société Ney (et qui s'était achevée par une ordonnance en date du 16 décembre 2002 par laquelle le juge des référés avait estimé que l'on était en présence d'une contestation sérieuse) a sollicité la communication par la société Ney de ses contrats de licence avec les sociétés Disney et 20th Century Fox;

Qu'elle a ainsi déposé une "requête devant Monsieur le juge rapporteur aux fins de production de pièces" demandant que soit ordonnée la production de ces contrats, et que la société Ney a établi en réponse des "conclusions récapitulatives sur incident de communication de pièces" dont le contenu est limité à l'incident de communication de pièces;

Qu'il apparaît que l'affaire alors été appelée à l'audience du tribunal du 22 septembre 2003 et que le rappel des prétentions des parties effectué dans le jugement présentement déféré du 15 décembre 2003 qui a été rendu à la suite de cette audience révèle que les parties ne se sont expliquées et n'ont formulé de demandes, lors de cette audience, que sur la question de l'incident de communication de pièces soulevé par la société Saint-Jacques;

Attendu dans ces conditions, que même s'il était d'ores et déjà saisi des demandes formées au fond par la société Ney, et même si la procédure devant le tribunal de commerce est une procédure orale, le tribunal, en prononçant un jugement le 15 décembre 2003 qui a non seulement rejeté la demande de communication de pièces présentée par la société Saint-Jacques mais qui a également entièrement statué sur les prétentions de fond de la société Ney sans inviter préalablement les parties, et en particulier la société Saint-Jacques, à s'expliquer sur le fond des demandes de la société Ney, a rendu une décision en violation du principe de la contradiction;

Que la demande présentée par la société Saint-Jacques tendant à l'annulation de ce jugement apparaît donc justifiée et qu'il y sera en conséquence fait droit ;

Attendu que par application de l'article 562 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, il appartient à la cour de statuer sur l'ensemble du litige ;

Attendu que la société Saint-Jacques fonde son argumentation principale au fond (pages 8 à 11 des conclusions susvisées) sur le fait que la société Ney ne justifie pas des contrats de licence passés avec la société Walt Disney et la société 20th Century Fox et qu'en tout cas, les quelques éléments dont on dispose quant à licence qui aurait été concédée par la société Walt Disney montrent que cette dernière avait entendu limiter l'autorisation donnée à la société Ney de distribuer ses produits au seul espace économique européen ce qui excluait donc nécessairement la principauté d'Andorre ;

Qu'elle soutient en conséquence que le contrat du 5 juin 2002 serait nul, d'abord à raison de ce que son objet serait indéterminé, puisque les droits qu'elle tient du contrat du 5 juin 2002 seraient conditionnés par ceux concédés en amont à la société Ney et que, précisément, l'on ignore tout de la réalité et de l'étendue de ces droits;

Qu'elle fait ensuite valoir que ce contrat serait nul en raison du caractère impossible et même illicite de son objet, puisque d'une part l'autorisation de distribution donnée par la société Walt Disney exclurait en toute hypothèse la principauté d'Andorre et puisque d'autre part l'existence même d'une licence accordée par la société 20th Century Fox n'est même pas démontrée, de sorte qu'en réalité le contrat du 5 juin 2002 a consisté pour la société Ney à concéder des droits dont elle-même ne disposait pas, soulignant en outre que l'exécution d'un tel contrat la contraindrait, en fait, à commettre le délit de contrefaçon;

Qu'elle soutient enfin que ce contrat serait nul pour défaut de cause, faisant valoir que l'on est en présence d'un contrat synallagmatique et que l'obligation résultant pour elle de ce contrat d'acquérir les produits de la société Ney, obligation qui n'avait été souscrite qu'en contrepartie de la concession par la société Ney de ses droits de distribution sur les mêmes produits, se trouve, en raison de l'inexistence même de ces droits, dépourvue de réelle contrepartie et, partant, de toute cause;

Mais attendu que l'ensemble de ces moyens et arguments repose en définitive sur l'idée que le contrat dont il s'agit du 5 juin 2002 serait étroitement lié aux contrats de licence par lesquels la société Ney avait pu être autorisée par les sociétés Walt Disney et 20th Century Fox à apposer des personnages de ces sociétés sur les modèles qu'elle fabriquait et que, par ce contrat du 5 juin 2002, la société Ney aurait en réalité concédé à la société Saint-Jacques les droits qu'elle tenait de ces contrats de licence;

Or, attendu que l'analyse des éléments d'appréciation produits aux débats ne peut que conduire à écarter cette argumentation;

Attendu, en effet, qu'il apparaît que les divers échanges de correspondances entre les parties avant la signature du contrat et, surtout, les termes mêmes du contrat du 5 juin 2002, tels qu'ils ont été ci-dessus rappelés, montrent que l'objet de ce contrat était uniquement de concéder à la société Saint-Jacques la distribution exclusive pour la France, les Dom-Tom et l'Andorre, d'un certain nombre de produits de chapellerie créés et fabriqués par la société Ney, produits appartenant à une collection dénommée "Chapeaux et Casquettes été 2003" et dont les références exactes étaient en outre très précisément mentionnées;

Qu'il est sans doute exact que la société Ney avait effectivement obtenu des sociétés Walt Disney et 20th Century Fox des contrats de licence lui permettant, pour les besoins de la création des modèles dont il s'agit, d'apposer sur les dits modèles des personnages de ces sociétés, mais que ces contrats de licences, dont au demeurant rien n'indique qu'ils conféraient à la société Ney une quelconque exclusivité sur les personnages dont il s'agit, sont en réalité sans lien direct avec le contrat de distribution de produits du 5 juin 2002 ;

Que la seule référence à ces autorisations figurant dans le contrat lui-même réside dans la clause 7 ci-dessus rappelée qui indique simplement, et de façon au demeurant assez lapidaire, que le montant des redevances dues au titre de ces contrats de licence était pris en compte dans les tarifs concédés par le contrat à la société, étant observé :

* que cette seule indication ne saurait évidemment suffire pour pouvoir considérer, contrairement à ce que soutient l'appelante, que ce contrat du 5 juin 2002 avait pour objet la concession par la société Ney à la société Saint-Jacques des droits qu'elle tenait elle-même des contrats de licence que lui avaient accordés les sociétés Disney et 20th Century Fox;

* que le contrat du 5 juin 2002 prévoyait au bénéfice de la société Saint-Jacques une exclusivité pour la distribution des modèles très précisément énumérés ainsi qu'une exclusivité territoriale mais ne contenait en toute hypothèse absolument aucune disposition conférant au distributeur le bénéfice d'une quelconque exclusivité sur les personnages des société Disney ou 20th Century Fox figurant sur les modèles qu'il s'agissait de distribuer;

Attendu, par voie de conséquence, que l'argumentation développée par la société Saint-Jacques tendant à la nullité du contrat du 5 juin 2002 et fondée sur l'inexistence des droits que ce contrat aurait eu pour objet de transférer est en réalité dépourvue de portée et de pertinence et sera donc écartée;

Qu'en définitive, l'on se trouve simplement en présence d'un contrat de distribution de produits très précisément déterminés avec exclusivité territoriale, contrat dont aucun des éléments constitutifs principaux n'apparaît illicite ou devoir encourir une sanction quelconque ;

Attendu, par ailleurs que la société Saint-Jacques semble soutenir dans ses écritures (exposé des faits des pages 3 et 4 des conclusions susvisées) que l'exclusivité qui lui avait été promise par le contrat du 5 juin 2002 n'aurait en toute hypothèse pas été respectée par la société Ney, mais que force est de constater, à l'examen des pièces produites sur ce point, qu'il n'est nullement établi que la société Ney ait signé ou même simplement proposé à un distributeur autre que la société Saint-Jacques un contrat en vue distribuer sur les territoires définis par le contrat du 5 juin 2002 les produits très précisément énumérés par ce même contrat;

Attendu, au total, que les prétentions principales de la société Saint-Jacques doivent être écartées et que, par voie de conséquence, il y a lieu de prononcer la résolution du contrat du 5 juin 2002 aux torts de la société Saint-Jacques à raison des manquements de cette dernière à l'un des engagements principaux résultant de ce contrat qui consistait en l'obligation de passer avant le 20 septembre 2002 de passer une commande de base de 50 000 pièces ;

Attendu qu'à titre subsidiaire, la société Saint-Jacques indique que la clause indemnitaire dont la société Ney sollicite l'application en conséquence de la résolution du contrat est en l'espèce inapplicable, faisant en effet valoir que, selon les termes de cette clause, le fait générateur de l'indemnité prévue par ladite clause réside dans l'annulation ou la réduction de la commande de base prévue par le contrat et qu'il ne peut donc y avoir lieu à application en l'espèce de cette clause puisque cette commande de base n'est en réalité jamais intervenue;

Mais attendu qu'il convient simplement de relever que le contrat prévoyait très clairement que la société Saint-Jacques s'engageait, en contrepartie de l'exclusivité dont elle bénéficiait, à former au plus tard le 20 septembre 2002, une commande de base de 50 000 pièces et que la société Saint-Jacques, n'a pas seulement annulé ou réduit sa commande de base mais qu'elle n'a même jamais effectué une telle commande et que, dès lors il ne peut être sérieusement contesté que l'indemnité contractuellement prévue à l'article 10 du contrat est bien a fortiori due par la société Saint-Jacques;

Attendu que s'agissant du quantum de cette indemnité, dont la société Saint-Jacques prétend qu'il est manifestement excessif, il convient simplement de constater qu'à supposer même qu'eu égard à la nature de la clause dont il s'agit, les dispositions de l'article 1152 alinéa 2 du Code civil soient effectivement applicables en l'espèce, la société appelante n'explique ni ne justifie ce en quoi le montant réclamé par la société Ney qui correspond très précisément aux prévisions du contrat serait manifestement excessif au sens de ces dispositions ;

Qu'il convient donc de faire droit à la demande de la société Ney ;

Attendu qu'au résultat de tout ce qui précède, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par la société Saint-Jacques doit être rejetée ;

Attendu, enfin, que la société Saint-Jacques doit être condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et qu'il apparaît en outre équitable d'allouer à la société Ney une indemnité de 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Annule le jugement du Tribunal de commerce de Castres en date du 15 décembre 2003, Statuant en application de l'article 562 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, Prononce la résolution du contrat du 5 juin 2002 aux torts exclusifs de la société Saint-Jacques, Condamne la société Saint-Jacques à verser à la société Ney, en application de la clause prévue à l'article 10 de ce contrat, une indemnité d'un montant en euro équivalent à 276 000 dollars Hong Kong, ce au cours officiel de la Banque de France au dernier jour du mois précédent le présent arrêt, ce avec intérêts aux taux légal à compter du présent arrêt, Dit que ces intérêts seront capitalisés, conformément à la demande qui en est faite par la société Ney, en application de l'article 1154 du Code civil, Déboute la société Saint-Jacques de toutes ses prétentions, Condamne la société Saint-Jacques à verser à la société Ney une indemnité de 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Saint-Jacques aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et accorde à la SCP Rives Podesta, qui le demande, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.