CA Paris, 22e ch. B, 8 avril 2005, n° 04-38340
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Merzoug
Défendeur :
Disco-CE-GE Wissous (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Taillandier
Conseillers :
Mme Bonnan-Garçon, M. Labregère
Avocats :
Mes Saada, Violet, Carlberg
LA COUR,
Statuant sur l'appel formé par Mohamed Merzoug d'un jugement du Conseil des prud'hommes de Longjumeau (section encadrement) en date du 27 juin 2002 qui a condamné la société Disco CE GE à lui payer les sommes de:
- 4 893,60 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 489,36 euro à titre de congés payés afférents,
- 489,30 euro à titre d'indemnité de licenciement,
- 600 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- 165,25 euro à titre de remboursement de frais de garage,
ordonné la production par l'employeur des factures des 21 magasins pour la période du 1er avril 2000 au 30 juin 2001, la remise d'un certificat de travail rectifié et d'une attestation ASSEDIC conforme, mais l'a débouté du surplus de ses demandes;
Vu l'arrêt de cette chambre en date du 1er septembre 2003 ayant désigné Monsieur Paumier en qualité d'expert avec mission de déterminer les fonctions exactes du salarié, la durée hebdomadaire de travail, le nombre d'heures supplémentaires et le cas échéant, le nombre de dimanche travaillés ; de déterminer les commissions pouvant rester dues ; faire toute constatation permettant à la cour d'apprécier le bien-fondé des griefs articulés dans la lettre de licenciement;
Vu le rapport de Monsieur Paumier en date du 13 juillet 2004;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 1er mars 2005 de Mohamed Merzoug, appelant, qui demande à la cour de:
Confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais tenant compte de la nouvelle moyenne de salaire révélée par l'expertise, de porter les condamnations aux sommes suivantes:
Indemnité compensatrice de préavis : 5 955 euro
Congés payés afférents : 595,50 euro
Indemnité conventionnelle de rupture: 893,25 euro
Confirmer la condamnation prononcée au titre du remboursement des frais de garage pour 165,25 euro avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2001, accueillir l'appel de Monsieur Merzoug pour le reste et dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamner la société DCG à lui payer sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, la somme de 46 640 euro et à rembourser à l'ASSEDIC 6 mois d'allocation chômage. Dire que la rupture est intervenue dans des conditions vexatoires et allouer à Monsieur Merzoug la somme de 3 970 euro au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive.
Condamner en outre la société DCG à payer à Monsieur Merzoug les sommes suivantes:
- rappel de salaire pour heures supplémentaires d'avril 2000 à juin 2001 : 5 371,64 euro
- congés payés afférents : 537,16 euro
- majoration des heures supplémentaires : 1 621,56 euro
- congés payés afférents : 162,15 euro
- repos compensateur : 4 229,61 euro
- rappel de commissions d'avril 2000 à juin 2001 (congés payés inclus) : 5 828,18 euro
- commissions de retour sur échantillonnage : 1 063,43 euro
- congés payés afférents : 106,34 euro
- indemnité complémentaire pour défaut de paiement des commissions : 12 000 euro
Ces sommes portant intérêt au taux légal à compter du 4 juillet 2001, date de saisine du conseil de prud'hommes et date commune d'exigibilité des sommes.
Ordonner la remise sous astreinte de 15 euro par jour de retard et par document dans les 8 jours du prononcé de l'arrêt, la cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte, les documents suivants :
- certificat de travail avec pour période d'emploi du 11 septembre 1998 au 12 septembre 2001
- attestation pour l'ASSEDIC comportant dans le cadre des 12 derniers mois travaillés le rappel des commissions déterminé par l'expert ainsi que les heures supplémentaires et leur majoration
- bulletins de paie des sommes correspondant à des salaires.
Allouer à Monsieur Merzoug une indemnité complémentaire de 7 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Condamner la société DCG aux dépens comprenant l'intégralité des frais d'expertise ainsi qu'aux frais d'exécution éventuels.
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 1er mars 2005 de la société Disco CE GE (DCG), intimée, qui demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de dire que le licenciement de Mohamed Merzoug repose sur une faute grave, de débouter celui-ci de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à rembourser les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement ; à titre subsidiaire, de constater que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et dans cette hypothèse, confirmer le jugement entrepris et débouter l'appelant du surplus de ses demandes et le condamner à lui payer une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que pour l'énonciation des faits à l'origine du litige, il est fait expressément référence à l'arrêt du 1er septembre 2003
Sur la qualité de VRP de l'appelant
Considérant qu'il est constant qu'aux termes de son contrat de travail l'appelant a été engagé en qualité de VRP ; que dans les faits, aux termes du rapport de l'expert, non contesté sur ce point par les parties, il effectuait les tâches suivantes:
- approvisionner régulièrement les magasins clients en CD, CD 2 titres, DVD, vidéos etc...
- gérer le rayon en s'assurant de la présence de références "TOP" ou "BEST OF" et d'autres nouveautés ou produits référencés,
- ranger les rayons,
- procéder à l'enlèvement des références en fin de vie,
- procéder à la récupération des colis contenant les produits à la demande du client;
Que les clients lui étaient imposés par l'employeur qui travaillait notamment avec des centrales d'achat et qu'ils pouvaient lui être retirés ; qu'il n'avait aucune activité de prospection et ne déclenchait pas les commandes;
Que l'ensemble de ces tâches ne caractérisent pas la fonction de VRP qui est d'ordre public et qui ne peut être appliquée conventionnellement, d'accord entre les parties, qu'uniquement dans la mesure où il se révèle plus favorable au salarié;
Considérant qu'en l'espèce, il ne ressort pas des éléments fournis à la cour que Mohamed Merzoug retirait des avantages du statut résultant de son contrat de travail puisqu'il n'était pas rémunéré de ses heures supplémentaires, n'avait pas le choix de sa clientèle qui lui était imposée, ne percevait pas de commissions de retours sur échantillonnage et ne pouvait prétendre à aucune indemnité de clientèle;
Que si l'appelant sollicite l'application de certaines dispositions de la convention collective nationale des VRP, il forme par ailleurs des demandes totalement incompatibles avec ce statut et qu'il doit être, dès lors, considéré qu'il n'a pas entendu se soumettre en sa totalité à ce statut et qu'il n'existe pas d'accord complet du salarié pour revendiquer l'application du statut des VRP ; que ce statut sera, dès lors, écarté;
Sur les heures supplémentaires
Considérant qu'aux termes de ses opérations, l'expert retient une moyenne de deux heures supplémentaires par jour d'avril 2000 à juin 2001 incluant les dimanches consacrés pour partie à l'inventaire du camion dans lequel le salarié entreposait ses marchandises ; qu'il considère que "compte tenu de la nature hybride de l'emploi de Monsieur Merzoug, on peut considérer que le salaire perçu par l'intéressé a représenté la rémunération du temps de travail réellement accompli, au taux normal, sans aucune majoration. Il resterait donc à lui régler les majorations légales de 10 %, 25 %, et 50 %. Le rappel s'élèverait, congés payés inclus, à 1 783,72 euro" ; que le repos compensateur serait chiffré à 4 229,61 euro;
Que l'appelant sans contester les chiffres retenus par l'expert réclame en sus des sommes définies par celui-ci le paiement des heures supplémentaires, dont rien ne permet de dire qu'elles étaient intégrées au salaire perçu;
Que l'intimée conteste la réalité des heures supplémentaires retenues par Monsieur Paumier invoquant le statut de VRP qui implique que le salarié n'est pas soumis aux dispositions légales sur le temps de travail et faisant valoir principalement qu'au vu des plans de tournée du salarié, il est démontré que l'appelant n'effectuait pas d'heures supplémentaires;
Considérant qu'il résulte des éléments produits au débat et notamment les auditions pratiquées par l'expert de Monsieur Lalouche, Monsieur Solomon VRP au moment des faits, des attestations de clients de l'appelant, Monsieur Dujarier, Monsieur Belgy, Monsieur Lamoureux, qu'il avait une amplitude de travail très importante, devant charger la marchandise tôt le matin et terminant ses tournées tard dans la soirée; qu'il effectuait ses inventaires en plus de ses heures de travail et même certains dimanches et totalisait un nombre important de kilomètres par semaine (environ 1 350 km par semaine) ; que l'audition de Monsieur Luel, salarié de l'intimée d'octobre 2002 à juin 2003 ne peut être considérée comme pertinente celui-ci ayant travaillé dans l'entreprise alors que l'appelant l'avait déjà quittée;
Qu'enfin les plans de tournée du salarié, versés de part et d'autre ne permettent pas de déterminer le temps passé par Mohamed Merzoug dans chaque magasin; qu'ils attestent tout au plus de l'importance des distances parcourues;
Considérant en conséquence, qu'au vu des éléments susvisés, il y a lieu de retenir le décompte du nombre d'heures supplémentaires retenues par l'expert mais de dire que l'ensemble de ces heures doivent être rémunérées en sus du salaire déjà perçu par l'appelant outre les majorations et le repos compensateur;
Qu'il y a lieu, en conséquence de condamner la société intimée à payer à Mohamed Merzoug les sommes de:
- 5 371,64 euro à titre d'heures supplémentaires,
- 537,16 euro à titre de congés payés afférents,
- 1 621,56 euro à titre de majorations pour heures supplémentaires,
- 162,15 euro à titre de congés payés afférents,
- 4 229,61 euro à titre de repos compensateur;
Sur les commissions
Considérant que l'expert a fixé le montant de celles-ci à la somme de 5 838,18 euro en se référant aux éléments qu'a bien voulu lui fournir la société intimée ; qu'il relève néanmoins que ce chiffre ne constitue qu'une partie réduite des sommes dues à l'appelant puisque l'intimée ne lui a pas fourni l'intégralité des comptes clients et que manque la ventilation des ventes faites aux adhérents de trois centrales d'achat (Monoprix, Comptoir Moderne et Coop Atlantique) afin de connaître les livraisons faites à ceux d'entre eux faisant partie des clients de l'appelant;
Que celui-ci demande l'entérinement des chiffres de l'expert et une indemnité complémentaire égale à 12 000 euro en réparation du préjudice qu'il subi du fait de la carence de l'employeur à produire les éléments d'information qu'il est seul à posséder;
Que l'intimée s'oppose à ces demandes soutenant que l'appelant ne peut prétendre à des commissions pour des clients qu'il ne visitait plus, son secteur n'étant pas fixe puisqu'il dépendait des accords nationaux avec les centrales d'achat;
Mais considérant que l'employeur ne saurait modifier le secteur d'activité de son salarié au gré d'accords auxquels celui-ci n'a pas été partie et sur lequel il n'avait aucun moyen d'action, une telle modification constituant une modification substantielle du contrat de travail; qu'il sera fait droit en conséquence à la demande à hauteur de la somme retenue par l'expert;
Que par ailleurs, l'intimée ne justifie nullement de sa carence dans la fourniture d'éléments qu'elle était seule à posséder et permettant de déterminer le montant total de commissions dues ; que cette carence a, sans conteste, causé un grave préjudice au salarié qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
Considérant en revanche, que l'appelant ne pouvant bénéficier du statut de VRP, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande en paiement de commissions de retour sur échantillonnage;
Sur le licenciement
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 122-6, L. 122-14-2 (alinéa 1) et L. 122-14-3 du Code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis;
Qu'en l'espèce, en ce qui concerne les relations avec les clients et l'inexécution d'obligations contractuelles visées dans la lettre de licenciement, seules trois plaintes peuvent être retenues, celle de Monsieur Lamoureux étant en contradiction avec une attestation que celui-ci a établi en faveur de l'appelant et dans laquelle il se déclare satisfait des prestations du salarié;
Que la première de ces attestations qui émane du magasin Champion Le Pechereau évoque le renvoi de 13 DVD ; que les deux autres émanent de magasins de la même enseigne dont l'une fait état de l'absence de passage de Monsieur Merzoug depuis 6 à 8 semaines et l'autre demande son remplacement; que cependant ces deux documents ne sont pas datés et ne permettent pas de savoir s'ils sont antérieurs ou postérieurs aux mises en garde ou avertissements reçus par le salarié le 30 octobre et le 16 novembre 2000;
Que l'intimée verse également au débat des rapports d'inspections émanant des supérieurs hiérarchiques de l'appelant faisant état des insuffisances supposées de ce dernier ; que néanmoins ces appréciations doivent être relativisées au regard des attestations de clients versées par l'appelant qui se déclarent satisfaits des prestations de celui-ci;
Qu'il y a lieu également de tenir compte de la multiplicité des tâches assignées au salarié ainsi que de l'ampleur du secteur géographique de celui-ci qui ne permettent pas un exercice sans faille de l'activité professionnelle ; qu'il y a d'ailleurs lieu de retenir les termes de l'attestation de Monsieur Salomon, ancien salarié de l'entreprise qui décrit les conditions de travail particulièrement difficiles des VRP ;
Considérant enfin, qu'en ce qui concerne la baisse du chiffre d'affaires, elle ne résulte d'aucun élément comptable fiable ainsi que l'a relevé l'expert;
Qu'il y a lieu, en conséquence, de conclure que les griefs reprochés à l'appelant s'ils existent pour certains sont de peu d'importance au regard du contexte ci-dessus décrit et qu'ainsi il convient de dire que le licenciement dont a fait l'objet l'appelant n'est fondé ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse;
Que le salarié est donc en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement, telles que chiffrées dans ses écritures, le montant des heures supplémentaires et des commissions devant être réintégrées dans le salaire et l'appelant qui bénéficiait de la qualité de cadre pouvant prétendre à un préavis de trois mois;
Que le salarié présentant une ancienneté de deux ans et demi dans une entreprise comportant plus de dix salariés est endroit de prétendre à une indemnité fondée sur l'article L. 122-14-4 du Code du travail ; qu'il est toujours demandeur d'emploi alors qu'il est âgé de 46 ans et ne perçoit même pas l'allocation spécifique de solidarité ; que compte tenu des éléments du dossier il y a lieu de lui allouer une indemnité de 24 000 euro;
Sur les dommages et intérêts pour préjudice complémentaire
Considérant que l'appelant ne justifie pas d'un préjudice qui ne serait pas réparé par l'indemnité ci-dessus allouée ; qu'il sera débouté de ce chef de demande;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens
Considérant que les circonstances de l'espèce conduisent à faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'appelant à hauteur de 2 000 euro;
Que l'intimée qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux dépens qui comprendront les frais d'expertise;
Qu'il sera ordonné à l'intimée de remettre au salarié appelant des documents sociaux conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu de fixer une astreinte non opportune en l'espèce;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris; Statuant à nouveau : Dit que Mohamed Merzoug ne bénéficie pas du statut de VRP; Dit que son licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse; Condamne la société DCG à payer à Mohamed Merzoug les sommes de : - 5 371,64 euro (cinq mille trois cent soixante et onze euro et soixante quatre centimes) à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, - 537,16 euro (cinq cent trente sept euro et seize centimes) à titre de congés payés afférents, - 1 621,56 euro (mille six cent vingt et un euro et cinquante six centimes) à titre de majorations d'heures supplémentaires, - 162,15 euro (cent soixante deux euro et quinze centimes) congés payés afférents, - 4 229,61 euro (quatre mille deux cent vingt neuf euro et soixante et un centimes) au titre de repos compensateur, - 10 000 euro (dix mille euro) à titre de dommages et intérêts pour défaut de fourniture par l'employeur des éléments nécessaires à la détermination des commissions dues au salariés, - 5 955 euro (cinq mille neuf cent cinquante cinq euro) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, - 595,50 euro (cinq cent quatre vingt quinze euro et cinquante centimes) à titre de congés payés afférents, - 893,25 euro (huit cent quatre vingt treize euro et vingt cinq centimes) à titre d'indemnité de licenciement, - 165,25 euro (cent soixante cinq euro et vingt cinq centimes) au titre des frais de garage, - 24 000 euro (vingt quatre mille euro) à titre d'indemnité pour licenciement abusif; - 2 000 euro (deux mille euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Ordonne à la société DCG de remettre à l'appelant un certificat de travail conforme, une attestation ASSEDIC et des bulletins de paie rectifiés; Ordonne à l'intimée de rembourser à l'ASSEDIC le montant des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois; Condamne la société DCG aux dépens qui comprendront les frais d'expertise.