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Décisions

CA Chambéry, ch. com., 12 avril 2005, n° 03-02355

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lhomme

Défendeur :

Ferrarini Spa (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Batut

Conseillers :

MM. Martin-Saint-Léon, Betous

Avoués :

SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon, SCP Fillard-Cochet-Barbuat

Avocats :

Mes Catoni, Bonnet, Mussano

T. com. Chambéry, du 19 août 2003

19 août 2003

La société de droit italien Ferrarini Spa, fabricant de charcuterie, a signé le 11 mai 1990 avec M. Lhomme un contrat d'agence commerciale comportant mandat exclusif de promouvoir la distribution de ses produits en France et en Belgique, avec extension progressive aux différents pays de l'Europe occidentale.

Par des correspondances en date des 5 octobre et 29 novembre 2001 puis du 7 février 2002, la société Ferrarini a informé son agent que les modalités de leur collaboration devaient être modifiées pour des raisons fiscales et lui a proposé, moyennant un délai de réflexion expirant le 30 mars 2002, la conclusion d'un contrat de concession.

Par assignation délivrée le 16 avril 2002 dont la société Ferrarini a été destinataire le 15 mai suivant, M. Lhomme a attrait celle-ci devant le Tribunal de grande instance d'Annecy statuant en matière commerciale, afin de voir constater la résiliation brutale et abusive du contrat d'agent commercial le 5 octobre 2001 à l'initiative du mandant et condamner celui-ci au paiement de diverses sommes au titre des indemnités de préavis et de fin de contrat, du solde des commissions dues au jour du jugement et d'un intéressement pour les années 1998/1999.

Par jugement rendu le 19 août 2003, le tribunal a:

- dit que la rupture du contrat d'agence commerciale est imputable à M. Lhomme,

- rejeté ses demandes en paiement des sommes réclamées au titre du préavis et de l'indemnité compensatrice,

- condamné la société Ferrarini à payer à M. Lhomme les commissions dont elle est redevable, comprenant celles dues à raison des prestations accomplies par l'agent en faveur de la marque Vismara,

- condamné M. Lhomme à payer à la société Ferrarini la somme de 1 300 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejeté toutes les autres demandes,

- condamné M. Lhomme aux dépens.

Celui-ci en a interjeté appel le 17 octobre 2003.

Aux termes de leurs dernières écritures, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, les parties demandent à la cour:

- M. Lhomme (conclusions du 17 février 2005) :

* d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Ferrarini au paiement des commissions et rejeté les prétentions de celle-ci,

* de condamner la société Ferrarini au paiement des sommes suivantes :

+ 103 355 euro au titre des commissions dues sur intéressement pour les années 1998 et 1999,

+ 115 143 euro à titre d'indemnité de préavis,

+ 848 307,60 euro à titre d'indemnité de cessation de contrat, sauf à parfaire au vu des documents comptables que doit communiquer la société, et avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, soit le 15 mai 2002, avec application des dispositions de l'article 1154 du Code civil,

* de rejeter l'appel incident et les demandes de la société Ferrarini,

* de la condamner, sous astreinte de 300 euro par jour de retard à compter de l'arrêt, à produire les éléments comptables lui permettant de calculer et de vérifier les rémunérations qui lui sont dues,

* de la condamner au paiement d'une indemnité pour frais de procédure hors dépens de 5 000 euro.

- La société Ferrarini qui a formé appel incident (conclusions du 1er février 2005)

* de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la rupture du contrat d'agence commerciale imputable à l'agent et rejeté les demandes de celui-ci,

* de le condamner à lui payer les sommes de 110 527 euro à titre d'indemnité de préavis et de 30 000 euro à titre de préjudice commercial,

* outre celle de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 février 2005.

Sur quoi, LA COUR,

- Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agence

Attendu que par des motifs pertinents, le tribunal a justement analysé le contenu des deux correspondances adressées à M. Lhomme par la société Ferrarini les 5 octobre 2001 et 7 février 2002 et en a exactement déduit que si ces lettres témoignent de la volonté qui était alors celle de la société de modifier le contrat d'agence, en raison de la nécessité pour elle de revoir sa politique commerciale et de trouver une solution aux contraintes fiscales, elles ne contiennent pas pour autant notification d'une résiliation du contrat;

Qu'ainsi, dans la première lettre, après avoir mis en garde M. Lhomme de ne pas réitérer un comportement de nature à faire présumer l'existence à Annecy d'un établissement stable pouvant générer son imposition fiscale, la société de droit italien - qui justifie avoir subi un contrôle fiscal en France, cf. sa lettre du 11 mai 1999 fournissant des explications à l'administration des impôts - s'est bornée à inviter son agent à participer à une réunion "afin d'examiner la possibilité de stipuler un accord commercial qui puisse être conforme aux intérêts des deux parties" ; que dans la seconde, tout en rappelant que l'activité de l'agent pouvait faire présumer l'existence d'un établissement stable au risque pour elle d'en subir les conséquences fiscales, la société a précisé qu'elle entendait simplifier la distribution de ses produits et a proposé à M. Lhomme un contrat de concession lui assurant une parfaite indépendance, en lui accordant un délai de réflexion jusqu'au 30 mars 2002 pour accepter ou refuser cette modification juridique de leur collaboration, en concluant "Monsieur Ferrarini forme le voeu que votre décision permette la poursuite d'une collaboration pour atteindre les profits souhaités pour l'une et pour l'autre partie" ; que la société relève justement que cette lettre, pas plus que la précédente, ne contient résiliation du contrat d'agence, ayant seulement pour but d'inciter M. Lhomme à prendre position sur une modification éventuelle de son contrat;

Que dans une réponse formalisée le 20 mars 2002, l'agent a déclaré "être ouvert à toute forme de négociation respectant (ses) droits, dans l'équilibre (des) intérêts respectifs", en suggérant pour sa part de "poursuivre la mission dans le cadre d'une relation de salarié" ; que s'il est exact que ni la société ni son avocat n'ont répondu à cette contre-proposition et pas davantage à la seconde lettre de l'agent, en date du 21 mars 2002, par laquelle il demandait des informations complémentaires sur la modification de son statut, ce silence ne traduit en rien la concrétisation d'une rupture contractuelle;

Qu'il ressort des éléments de fait et de preuve soumis au débat contradictoire que les parties ont en réalité poursuivi leurs relations contractuelles sur la base du contrat d'agence commerciale (48 commandes passées par l'agent entre le 2 avril et le 27 mai 2002, échanges de courriers électroniques témoignant de leurs relations commerciales), ce dont il ne peut qu'être déduit, le délai de réflexion imparti par la société Ferrarini étant expiré sans qu'elle en ait tiré de conséquence néfaste pour son agent, qu'elle avait alors renoncé à son projet;

Qu'en l'état de ces éléments et de ceux justement énoncés par le jugement entrepris dont la cour adopte les motifs, le tribunal a exactement retenu que par son initiative tendant à voir constater en justice une rupture qui serait intervenue par le fait du mandant le 5 octobre 2001, alors que tous les éléments de fait démontrent que tel n'était pas le cas, M. Lhomme a anticipé sur une volonté de rupture prétendue que la société de droit italien n'avait en rien concrétisée, de sorte qu'en définitive, la rupture lui est exclusivement imputable, peu important qu'à une date postérieure (31 mai 2002) et en réaction à l'assignation qui lui avait été délivrée, la société ait invité l'agent à cesser toute activité;

Que M. Lhomme soutient (ses conclusions, p. 13) que "s'il avait considéré son mandat comme déjà résilié, il aurait simplement demandé au tribunal de condamner la société mandante à lui régler les conséquences de la rupture, attendu que cette dernière était déjà acquise" ; que c'est en réalité ce qu'il a fait, en soutenant dans l'assignation en justice que la société avait rompu le contrat par sa lettre du 5 octobre 2001, demandant au tribunal de constater cet élément acquis, et en réclamant paiement des diverses indemnités liées à la rupture prétendue ; qu'en tout cas, au vu du contenu de l'assignation, il soutient en vain que cet acte doit être analysé comme une simple mise en demeure adressée au mandant de faire connaître ses intentions ;

Que contrairement à ce qui est allégué, le tribunal ne s'est pas contredit en statuant comme il l'a fait tout en condamnant la société à verser à son agent les commissions dues au titre des mois d'avril et mai 2002, dès lors que celles-ci étaient payables début juin 2002 (pour celles d'avril) et début juillet 2002 (pour celles de mai), soit après la délivrance de l'assignation en constatation de la rupture prétendue du contrat ; que dans ces circonstances, la suspension du paiement des commissions par le mandant ne constitue pas une faute de nature à engager sa responsabilité dans l'imputabilité de la rupture ; que M. Lhomme allègue sans en justifier que la société Ferrarini aurait porté atteinte à l'exclusivité dont il était bénéficiaire, de sorte que le tribunal a justement retenu que ce grief était sans portée ;

Que le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a déclaré la rupture imputable à l'agent et condamné la société Ferrarini au paiement des commissions restant dues ;

- Sur les demandes financières

Attendu que M. Lhomme, à l'initiative de la rupture du contrat d'agence, ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de préavis;

Qu'il ne peut davantage invoquer le droit à une indemnité compensatrice, dès lors que la rupture du contrat n'est pas justifiée par des circonstances imputables au mandant ; que si la société ne conteste pas avoir envisagé une modification du statut de son cocontractant, il ressort des éléments de la cause que M. Lhomme n'y était pas hostile (sa lettre du 20 mars 2002) et a même formulé une contre-proposition (sa lettre du 21 mars 2002) ; que les parties avaient donc tout au plus engagé des pourparlers mais qu'il n'est pas démontré que la société Ferrarini a eu un comportement justifiant l'initiative de son agent ; qu'il n'est pas non plus établi qu'en cas de refus par celui-ci de la modification de son statut, elle aurait résilié le contrat d'agence ;

Que M. Lhomme demande paiement de la somme de 103 355 euro contestée par la partie adverse, au titre des commissions sur intéressement pour les années 1998 et 1999 ; qu'aux termes des stipulations de l'article 8 du contrat d'agence, "à compter de la deuxième période annuelle, l'agent percevra en sus de sa rémunération annuelle garantie un intéressement annuel sur le chiffre d'affaires lui assurant une amélioration de son revenu de l'année précédente. Les modalités et conditions précises d'octroi de cet intéressement seront définies ultérieurement et donneront lieu à la conclusion d'un avenant au présent contrat";

Que l'avenant au contrat, s'il a été conclu, n'est pas produit de sorte que les modalités et conditions d'octroi de l'intéressement ne sont pas justifiées; que M. Lhomme, qui a évalué sa créance à une somme précise "en l'état des éléments en sa possession" (ses conclusions p. 10), n'indique pas la nature de ces éléments et ne les a pas versés aux débats ; qu'il ne ressort d'aucune pièce produite la preuve que l'agent ait réclamé le paiement de cette somme substantielle au cours du contrat et qu'en tout cas, la lettre du 5 octobre 2001 portant refus par la société de payer une facture du 24 septembre 2001, au demeurant non produite, n'apporte pas cette preuve ; qu'ainsi, et dès lors que le simple droit de M. Lhomme au paiement de l'intéressement invoqué n'est pas établi, sa prétention doit être rejetée sans qu'il y ait lieu à délivrance d'une injonction de communication de pièces à la société Ferrarini;

Que celle-ci n'est pas fondée à réclamer le paiement d'une indemnité de préavis, dès lors qu'à la réception de l'assignation délivrée à son encontre, et après avoir vainement, par lettre du 21 mai 2002, demandé à M. Lhomme de préciser sa position, elle a elle-même invité son agent à cesser toute activité à compter du 31 mai suivant, après avoir pris acte de la résiliation (sa lettre du 24 mai 2002);

Qu'elle ne justifie pas avoir subi un préjudice commercial, les pièces versées aux débats attestant de ce que, après la rupture des relations commerciales avec M. Lhomme, la société a trouvé une solution de substitution pour la commercialisation de ses produits;

Qu'en définitive, le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Vu les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette la demande de M. Lhomme; Le condamne à payer la somme de 2 000 euro à la société de droit italien Ferrarini Spa; Condamne M. Lhomme aux dépens d'appel et autorise la SCP Fillard et Cochet-Barbuat, titulaire d'un office d'avoué, à recouvrer directement ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.