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Décisions

CA Paris, 18e ch. D, 11 octobre 2005, n° 04-38541

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Publications Pierre Johanet (Sté)

Défendeur :

Hardy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Linden

Conseillers :

Mmes Martinez, Feltz

Avocats :

Mes Burget, Fenze

Cons. prud'h. Paris, sect. encadr., du 2…

21 septembre 2004

Faits et procédure

Mme Hardy a été engagée à compter du 10 juin 1996 par la société Pierre Johanet et ses fils éditeurs en qualité de VRP monocarte, chargée de la commercialisation d'espaces publicitaires pour les revues "L'Eau, l'industrie, les nuisances" et "Le Guide de l'eau", moyennant une rémunération mensuelle de comprenant un fixe de 7 500 F et des commissions ; par avenant du 10 février 1998, elle a été nommée à compter du 1er février 1998 directrice de clientèle, responsable de la prospection et du développement, sa rémunération comprenait un fixe de 9 000 F, une part variable correspondant à 3,5 % du chiffre d'affaires publicité facturé et une prime de réalisation d'objectifs.

Le contrat de travail, non modifié sur ce point par l'avenant, comportait une clause de non- concurrence, d'une durée de deux ans pour une ancienneté supérieure à cinq ans ; il était stipulé : "cette clause correspond à 7 % de votre salaire et se trouve incluse dans votre fixe et dans les taux de commissions exprimés ci-dessus".

Mme Hardy a été licenciée le 27 février 2002 au motif de la réorganisation de l'entreprise, entraînant la suppression de son poste; son contrat de travail a expiré le 31 mai 2002.

La société Pierre Johanet et ses fils éditeurs a été absorbée par la Société financière des éditions Pierre Johanet, laquelle a été absorbée, avec effet au 1er janvier 2003, par la société Publications Pierre Johanet (ci-après société Johanet).

La salariée a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris de demandes à titre de commissions, d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral, de dommages-intérêts pour clause de non-concurrence nulle et d'allocation de procédure.

Par jugement du 21 septembre 2004, le conseil de prud'hommes a déclaré la clause de non- concurrence nulle et le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamné la société Johanet à payer à Mme Hardy:

- 40 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, préjudice moral compris,

- 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société Johanet a interjeté appel.

LA COUR se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier et reprises à l'audience du 12 septembre 2005.

Motivation

Sur les demandes de Mme Hardy

Sur le licenciement

Le premier juge a, par des motifs que la cour adopte, correctement analysé les faits de la cause et considéré à juste titre que le motif économique invoqué par la société Johanet n'était pas établi et que le licenciement de Mme Hardy était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse ; le préjudice subi de ce chef ayant été exactement apprécié, le jugement sera confirmé.

La société Johanet occupait habituellement moins de onze salariés ; il n'y a donc pas lieu d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage à l'organisme concerné.

Sur la demande en dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence

Sur la licéité de la clause de non-concurrence

La contrepartie financière d'une clause de non-concurrence, dont l'existence constitue une condition de sa validité, ne peut être constituée par une majoration du salaire pendant la période d'exécution du contrat de travail ; en effet, le salaire est la contrepartie d'une prestation de travail, alors que l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à la nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle et que son versement ne peut être effectué que pendant la période postérieure à la rupture du contrat de travail.

La clause du contrat de travail conclu entre les parties prévoyant à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence une majoration du salaire est donc illicite.

Sur le respect par Mme Hardy de la clause de non-concurrence

Mme Hardy peut prétendre à des dommages-intérêts dans la mesure où elle a respecté la clause de non-concurrence; celle-ci était "limitée à la prospection d'annonces publicitaires (...) à paraître dans une revue ou support professionnel couvrant les cibles de nos prospections".

Mme Hardy a été engagée par la Société alpine de publications à compter du 1er décembre 2002 en qualité de chef de publicité ; à ce titre, elle était chargée de prospecter des annonceurs pour la revue "Environnement et techniques".

Il résulte des pièces versées au dossier que cette revue est spécialisée dans l'eau et qu'elle est ainsi directement concurrente de la revue "L'Eau, l'industrie, les nuisances" ; Mme Hardy a d'ailleurs souscrit, pour le compte de son nouvel employeur, un abonnement à la revue "L'Eau, l'industrie, les nuisances" ; l'intéressée n'a ainsi pas respecté la clause de non-concurrence.

En conséquence, la salariée peut prétendre à des dommages-intérêts pour la seule période du 1er juin au 30 novembre 2002 ; le préjudice subi par Mme Hardy du fait de l'illicéité de la clause de non-concurrence sera réparé par l'allocation d'une somme que la cour est en mesure de fixer à 6 000 euro.

Le jugement sera donc infirmé.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Il sera alloué à Mme Hardy, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une somme complémentaire de 1 400 euro, l'indemnité de première instance étant confirmée.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Johanet

Sur le remboursement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence

Pour les motifs ci-dessus exposés, la société Johanet ne peut prétendre au remboursement d'une partie du salaire qu'elle a versé à Mme Hardy: sa demande a donc à juste titre été rejetée ; le jugement sera en conséquence confirmé.

Sur les dommages-intérêts pour concurrence déloyale

Si, en s'engageant au service de la Société alpine de publications, Mme Hardy n'a pas respecté la clause de non-concurrence, aucun élément n'établit qu'elle ait commis des actes de concurrence déloyale, sa demande sera en conséquence rejetée.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur de la société Johanet.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau, Condamne la société Publications Pierre Johanet à payer à Mme Hardy une somme de 6 000 euro (six mille euro) à titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non- concurrence; Confirme pour le surplus le jugement déféré; Ajoutant, Condamne la société Publications Pierre Johanet à payer à Mme Hardy une somme de 1 400 euro (mille quatre cents euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ; Déboute la société Publications Pierre Johanet de sa demande en dommages-intérêts pour concurrence déloyale et de celle au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Dit que les dépens seront supportés par la société Publications Pierre Johanet.