CA Rouen, 2e ch., 9 juin 2005, n° 04-00201
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Dieppe Diffusion Presse (Sté), Petit
Défendeur :
Société normande de presse républicaine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bignon
Conseillers :
M. Lottin, Mme Vinot
Avoués :
SCP Duval Bart, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault
Avocats :
Mes Senet, de Saint-Rémy
Exposé du litige:
Le 1er septembre 1986, la Société normande de presse républicaine (ci-après SNPR), qui édite le journal Paris-Normandie, a conclu avec M. Petit, ayant acquis les actions de la société Dieppe diffusion presse propriétaire d'un dépôt de presse, un contrat de dépositaire en vue de la répartition et la vente du quotidien dans le secteur de Dieppe moyennant la reprise de tous les exemplaires invendus en bon état et le paiement d'une commission de 23 %.
Par lettre du 15 septembre 2000, invoquant son projet de restructuration du réseau de distribution, la SNPR a informé M. Petit qu'elle entendait mettre fin au contrat le 30 novembre 2000.
Soutenant que le contrat constituait un mandat d'intérêt commun, la société Dieppe diffusion presse et M. Petit ont, par acte d'huissier en date du 29 mars 2002, assigné la SNPR en paiement de l'indemnité prévue par les usages professionnels, d'une indemnité réparant le préjudice subi résultant du réaménagement des tournées, et d'une indemnité pour résistance abusive.
Par jugement rendu le 12 décembre 2003, le Tribunal de commerce de Rouen a:
- déclaré recevables les actions introduites par la société Dieppe diffusion presse et M. Petit,
- débouté la société Dieppe diffusion presse et M. Petit de leurs demandes,
- condamné la société Dieppe diffusion presse et M. Petit à payer à la SNPR la somme de 1 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à payer les dépens.
La société Dieppe diffusion presse et M. Petit ont interjeté appel de cette décision.
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 15 avril 2005 par M. Petit et le 1er mars 2005 par la SNPR.
La société Diffusion presse n'a pas conclu.
Sur ce, LA COUR,
Sur la qualification du contrat
Attendu que le mandat est d'intérêt commun lorsque les deux parties contribuent par leurs activités réciproques et leur collaboration suivie à l'obtention et à l'accroissement d'un résultat qui est leur bien commun;
Attendu que, selon l'article 1er du contrat, le dépositaire concourt à la bonne diffusion des journaux et autres fournitures éventuelles que la SNPR lui confie en répartissant et en proposant à la vente les journaux, chaque jour de parution;
Qu'aux termes de l'article 5, le dépositaire doit entretenir et développer un réseau de diffuseurs, exclusifs si nécessaire, qui acceptent de recevoir en dépôt des exemplaires du journal, de les présenter et de les vendre au public chaque jour de parution, moyennant reprise des exemplaires invendus, doit servir tout point de vente dont la création a été jugée utile par l'éditeur;
Que, selon l'article 6, le dépositaire doit également, sur son secteur, entretenir et développer un réseau de vendeurs-colporteurs de presse qui acceptent de recevoir des exemplaires du journal, de le présenter, de les vendre au public et à domicile, et doit veiller à ce que tous les quartiers de ce secteur fassent ainsi l'objet de tournées de portage;
Qu'il en résulte que la SNPR et M. Petit disposaient d'une clientèle commune que le dépositaire était chargé de fidéliser et de développer ; que M. Petit avait intérêt à l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle ;
Que, dès lors, le contrat litigieux constitue un mandat d'intérêt commun.
Sur le caractère abusif de la révocation
Attendu que le mandat d'intérêt commun à durée indéterminée ne peut être révoqué que par le consentement mutuel des parties ou pour une cause litigieuse reconnue en justice ou encore suivant les clauses et conditions spécifiées au contrat ;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 du contrat, en raison de ses caractères spécifiques, la convention est révocable au gré de l'éditeur, sans qu'il ait à indiquer de motif ni à payer d'indemnité, avec un préavis de deux mois adressé au dépositaire par LRAR;
Attendu que si cette clause, valablement insérée au contrat, réserve à la mandante le droit de mettre fin unilatéralement au mandat d'intérêt commun sans indemnité et que la rupture est en l'espèce intervenue dans les conditions de forme et délais prévus par la convention, le mandataire peut cependant prétendre à des dommages-intérêts s'il établit le caractère abusif ou frauduleux de la révocation ;
Attendu que M. Petit établit par les pièces qu'il produit qu'en mettant fin au contrat, la SNPR n'a eu d'autre but que celui de réduire le taux de la rémunération versée aux dépositaires et non de restructurer son réseau de distribution; qu'en effet, M. Petit démontre qu'après avoir rompu les contrats la liant aux dépositaires, la SNPR leur propose ensuite un nouveau contrat prévoyant un taux de commission inférieur ou même un taux unilatéralement révisable ;
Que, par suite, le jugement sera infirmé;
Que la révocation est abusive;
Sur le préjudice
Attendu que M. Petit sollicite le paiement d'une indemnité de 95 978,85 euro;
Attendu qu'il résulte des documents produits que l'indemnité est calculée, selon l'usage de la profession notamment repris par un protocole signé entre le Parisien libéré et le syndicat des dépositaires de presse au mois de juillet 2000, en appliquant la formule "CALP x 8% - 40% des frais généraux x 3" ;
Attendu qu'en l'espèce le montant de l'indemnité sera calculé ainsi qu'il suit :
- chiffre d'affaires des douze derniers mois de l'année précédente, soit en l'espèce, 1 005 583 F;
- application à ce chiffre d'un taux de 8 % puisque tel est le taux de commission restant acquis au dépositaire après rémunération, sur le taux de 23 % fixé au contrat, des sous-dépositaires, diffuseurs et paiement des frais de transports, soit 1 005 583 x 8 % = 349 768 F;
- déduction des frais généraux fixés forfaitairement à 40 %, soit 209 860,80 F (349 768-139 907,20);
- application à ce dernier chiffre d'un coefficient d'usage (3), soit 209 860,80 F x 3 = 629 582,40 F (95 972,93 euro);
Qu'il résulte de ce qui précède que la SNPR sera condamnée à payer à M. Petit la somme de 95 972,93 euro, avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 29 mars 2002;
Attendu que, sauf circonstances particulières, une défense en justice ne peut dégénérer en abus lorsque sa légitimité a été reconnue par les premiers juges ;
Attendu qu'aucune circonstance particulière ne caractérisant un abus, M. Petit sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris; Et statuant à nouveau, Condamne la Société normande de presse républicaine (SNPR) à payer à M. Petit la somme de 95 972,93 euro, avec les intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2002; Déboute M. Petit de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la Société normande de presse républicaine (SNPR) à payer à M. Petit la somme de 2000 euro; Condamne la Société normande de presse républicaine (SNPR) à payer les dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.