CA Colmar, 1re ch. civ. B, 24 novembre 2005, n° 05-02761
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Blaser Jagdwaffen Gmbh
Défendeur :
Nemrod Frankonia (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Litique
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Boucon, Rugraff, Dechriste
Attendu que se plaignant d'une trop brusque rupture des relations contractuelles avec son fournisseur d'armes de chasse, la société Blaser Jagdwaffen, la société Nemrod Frankonia l'a assignée en paiement de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce;
Attendu que la société Blaser Jagdwaffen a décliné la compétence du Tribunal de grande instance de Colmar, au profit de celui de son siège social, le Tribunal de Ravensburg en Allemagne;
Attendu que par ordonnance du 7 avril 2005, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Colmar a rejeté cette exception d'incompétence;
Attendu que la société Blaser Jagdwaffen a élevé contre cette ordonnance un contredit daté du 27 mai 2005, et reçu au greffe du Tribunal de grande instance de Colmar le 30 mai;
Attendu que la recevabilité de ce contredit n'a pas été contestée;
Que sur les notes de l'audience tenue contradictoirement le 10 mars 2005, figure la mention:
"les débats étant clos, le tribunal décide de mettre l'affaire en délibéré au 7 avril 2005";
Attendu cependant qu'en l'état de la jurisprudence actuelle sur le point de départ du délai de contredit, lequel se situe en principe au jour de la décision lorsque les parties ont été informées de sa date, cette mention n'est pas véritablement suffisante pour établir qu'elles ont été effectivement avisées par le juge de la date à laquelle il rendrait sa décision;
Que même si cela peut paraître surprenant ou improbable, il ne peut pas être totalement exclu que l'indication de la date de délibéré ait été donnée en l'absence d'un des conseils, appelé à une autre cause;
Attendu par ailleurs que la notification de l'ordonnance n'apparaît pas, et que le contredit doit donc être considéré comme effectivement recevable;
Attendu qu'au soutien de celui-ci, la société de droit allemand Blaser Jagdwaffen Gmbh indique essentiellement que l'action contre elle dérive des relations contractuelles, qu'elle doit donc être considérée comme contractuelle au sens de la jurisprudence communautaire, et que la clause attributive de compétence, stipulée dans les conditions générales de vente pour tout litige découlant des relations contractuelles, doit recevoir application;
Qu'elle demande de dire que le Tribunal de Ravensburg est seul compétent, et qu'elle propose subsidiairement d'interroger la Cour de justice des Communautés européennes;
Qu'elle sollicite une compensation de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Attendu que la société Nemrod Frankonia conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, au motif essentiel que son action est bien de nature quasi-délictuelle, et qu'elle lui ouvre une option de compétence au profit des juridictions du lieu où le dommage a été subi;
Qu'elle conclut également à l'application de la loi française, et qu'elle sollicite 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Attendu que la cour rappelle que la SA de droit français Nemrod Frankonia, filiale apparemment d'une autre société de droit allemand qui possède des sièges d'administrateurs dans son conseil d'administration, a diffusé pendant trois ans en France des armes de chasse produites par la société Blaser Jagdwaffen;
Attendu que la société Blaser Jagdwaffen a décidé de mettre fin à ce partenariat commercial le 7 août 2003, pour confier à compter du 1er janvier 2004 la commercialisation de ses armes de chasse à une autre société dénommée " Chasspro";
Que la société Nemrod Frankonia a protesté contre cette rupture sans préavis suffisant selon elle, et qu'elle a saisi le Tribunal de grande instance de Colmar de l'action dévolue à cette cour sur le problème de compétence;
Attendu que la cour rappelle tout d'abord qu'en dépit de certaines demandes accessoires des parties, destinées à faire juger que la loi applicable serait pour l'une la loi française, pour l'autre la loi allemande, cette question ne se pose pas directement et à titre principal dans le cadre d'un contredit de compétence, destiné seulement à faire juger de la compétence d'une juridiction;
Attendu qu'au fond, et bien qu'aucune convention cadre ne soit produite, il n'est pas contesté que la société Nemrod Frankonia ait été le distributeur exclusif en France des armes de chasse Blaser;
Qu'elle l'a indiqué expressément, et qu'il n'y a pas eu de contestation de ce chef de la part du fournisseur;
Attendu qu'il faut donc retenir qu'il existait bien une convention-cadre, qui constituait le support des ventes particulières régulièrement consenties par la société Blaser à la société Nemrod Frankonia.
Attendu qu'il est constant que les conditions générales de vente de la société Blaser contenaient une clause attributive de compétence aux juridictions de son siège social, pour tout litige découlant des relations contractuelles avec un client commerçant;
Attendu que ces conditions générales figuraient sur les confirmations de commandes et les factures de la société Blaser, et que leur acceptation par la société Nemrod Frankonia n'est pas contestée;
Attendu qu'en 2003, la société Blaser a souhaité modifier ses conditions générales, mais que cette modification, qui ne portait pas sur le problème de compétence, n'a pas été acceptée expressément par la société Nemrod Frankonia;
Attendu que quoi qu'il en soit, la présence à l'identique de la clause attributive de compétence dans les anciennes et les nouvelles compétences générales la rendait applicable dans tous les cas ;
Attendu que la rupture d'une convention-cadre engage bien une responsabilité de nature contractuelle du fournisseur auteur de la rupture;
Attendu que la société Nemrod Frankonia a invoqué des dispositions de l'ordonnance de 1986, insérées dans le nouveau Code de commerce, mais que ces dispositions de police de la concurrence ne sont pas applicables à des fournisseurs situés à l'étranger;
Que le refus de vente a été longtemps assorti de sanctions pénales, et qu'il n'apparaît pas qu'il y ait jamais eu de poursuites contre des fournisseurs étrangers sur la base de celles-ci;
Attendu que quoi qu'il en soit, l'appréciation du caractère contractuel d'une action doit se faire indépendamment du droit national et des qualifications choisies par le demandeur;
Attendu que les conditions de rupture d'une convention-cadre posent un problème de nature contractuelle, en ce qu'il est relatif à un contrat destiné à assurer des relations continues et d'une certaine durée entre les parties;
Attendu donc que la clause attributive de compétence au profit des juridictions du siège social de la société Blaser doit recevoir application;
Que le litige entre les parties découle bien de leurs relations contractuelles au sens de cette clause;
Qu'au demeurant, celle-ci n'opère en l'espèce que confirmation de la compétence de principe évidente des juridictions du domicile du défendeur;
Attendu que le Tribunal de grande instance de Colmar n'était donc pas compétent, et que réformant l'ordonnance entreprise, la cour renvoie la société Nemrod Frankonia à se mieux pourvoir;
Attendu que la cour alloue 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à l'appelante qui a gain de cause;
Que les plus amples demandes ne sont pas fondées et sont rejetées;
Attendu qu'il n'y a pas de représentation obligatoire des parties dans le cadre d'une instance sur contredit, et que celle-ci ne comporte donc pas de frais de postulation recouvrables;
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit le contredit de la société de droit allemand Blaser Jagdwaffen Gmbh contre l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Colmar du 7 avril 2005; Au fond, reforme l'ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, Dit que le Tribunal de grande instance de Colmar n'est pas compétent pour connaître de l'action de la société Nemrod Frankonia contre la société Blaser Jagdwaffen; Renvoie en conséquence la société Nemrod Frankonia à se mieux pourvoir; La condamne à payer à la société Blaser Jagdwaffen une compensation de mille euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes plus amples; Condamne la société Nemrod Frankonia aux dépens de première instance, et Dit que l'instance devant cette cour ne comporte pas de frais de postulation recouvrables.