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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 10 février 2005, n° 04-21517

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alpaga (SARL), Batista

Défendeur :

SMN (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Faucher (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Remenieras, Picque

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Broquet, Me Cordeau

Avocats :

Mes Raskin, Genot

T. com. Paris, du 17 sept. 2004

17 septembre 2004

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Alpaga et par Mme Maria Luzia Batista contre un jugement rendu le 17 septembre 2004 par le Tribunal de commerce de Paris:

- qui les a condamnées in solidum à payer à la société SMN la somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qui les a condamnées aux dépens,

- qui a ordonné la publication du dispositif du jugement dans trois journaux aux choix de la société SMN et aux frais de la société Alpaga et de Mme Batista pour un montant maximum total de 6 000 euro.

La société SMN, qui exploite un fonds de commerce de pressing à l'enseigne "Pressing des Sablons" situé 30 rue Greuze à Paris (16e), a embauché le 3 juillet 2000 Mme Batista en qualité d'"agent qualifié tous postes". Celle-ci a ensuite procédé à l'acquisition de cent vingt cinq parts du capital de la société SMN détenues jusqu'alors par son gérant, M. Nouchi.

A la suite d'un litige, Mme Batista et M. Nouchi ont signé le 10 janvier 2003 un accord, intitulé "transaction", aux termes duquel M. Nouchi s'engageait à acquérir les cent vingt-cinq parts détenues par son associée qui, de son côté, s'engageait à se désister d'une plainte déposée devant le Doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris. Mme Batista prenait également, de son côté, aux termes d'une lettre annexée à cette transaction, divers engagements de non-concurrence.

Après son départ de la société SMN, Mme Batista a fondé une société dénommée Alpaga dont elle a été nommée gérante, qui a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 15 mai 2003, et qui exploite un fonds de commerce de teinturerie et blanchisserie 28 rue d'Armaille à Paris (17e).

Reprochant à son ancienne associée ainsi qu'à cette société d'avoir contrevenu à ses engagements et commis à son détriment des actes de concurrence déloyale, la société SMN les a assignées:

- afin d'obtenir leur condamnation au paiement:

• de la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,

• de celle de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

• de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- afin de leur ordonner de cesser, directement ou indirectement, pendant deux ans, toutes prestations commerciales avec une série de clients.

Vu les uniques conclusions, signifiées le 29 novembre 2004, dans lesquelles la société Alpaga et Mme Batista, appelantes, demandent à la cour, infirmant le jugement entrepris :

- de débouter la société SMIN de l'intégralité de ses demandes,

- de la condamner à leur payer une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et de la condamner aux dépens;

Vu les uniques écritures, signifiées le 2 décembre 2004, dans lesquelles la société SMN, intimée, prie la cour de confirmer le jugement attaqué et, y ajoutant, de condamner solidairement la société Alpaga et Mme Batista à lui verser une indemnité de 6 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et, enfin, de les condamner aux dépens;

Sur la demande principale de la société SMN,

Considérant que l'engagement du 10 janvier 2003, pris par Mme Batista et dont la violation lui est opposée ainsi qu'à la société Alpaga, est ainsi libellé: "Je m'engage à ne pas, sous peine de dommages-intérêts, directement ou indirectement, démarcher la clientèle de la société SMN, notamment l'hôtel Raphael, l'hôtel Cecilia, les sociétés Christian Dior et Emmanuel Ungaro, ni, sous quelque forme que ce soit, nuire à cette société par des agissements de concurrence déloyale, ni m'installer dans le 16e arrondissement de Paris pour y exercer une activité concurrente, ce pendant une durée de deux années à compter de ce jour. De même, je m'engage expressément à ne pas débaucher, ni directement ni indirectement, le personnel de la société SMN."

1) En ce qui concerne le lieu d'installation,

Considérant que le fonds de commerce de blanchisserie et teinturerie exploité par la société Alpaga est situé rue d'Armaille dans le 17e arrondissement, à proximité de la Porte Maillot, alors que l'activité de la société SMN s'exerce dans le 16e arrondissement, à proximité de la place du Trocadéro, dans un quartier totalement distinct; que, dès lors, l'intimée persiste vainement à invoquer une violation par son ancienne associée de la clause restreignant son implantation territoriale;

2) En ce qui concerne le débauchage de salariés,

Considérant que la société SMN, qui soutient qu'un tel comportement est caractérisé par la démission quasi-simultanée, en mai 2003, de deux de ses salariés, Mme Aziri et Mme Maigret, aussitôt embauchées par la société Alpaga, produit:

- une attestation de Mme Sokola, qu'elle a employée de septembre 2000 à janvier 2004, qui relate que Mme Aziri lui avait confié qu'elle avait reçu de Mme Batista des propositions pressantes d'embauche,

- une attestation d'une autre employée, Mme Arnaud, qui déclare que la même Mme Aziri lui avait dit "qu'elle regrettait d'avoir accepté les propositions de son ancienne collaboratrice qui ne tenait pas les promesses qu'elle lui avait faites",

- enfin, une attestation de M. Hamrene, salarié dans son entreprise jusqu'en juin 2003, qui indique que cette employée s'était plainte d'avoir été pressée par Mme Batista de travailler pour son compte;

Considérant que dans de nouvelles attestations, produites cette fois-ci par l'appelante, Mme Sokola est toutefois revenue sur ses précédentes déclarations, recueillies "par surprise", tout comme Mme Arnaud, qui, pour sa part, a prétendu qu'elles lui avaient été imposées par le gérant de SMN;

Considérant qu'en tout état de cause, les propos attribués à l'unique salariée de SMN qui est visée, Mme Aziri, ne font pas état d'éléments permettant de caractériser les manœuvres déloyales accompagnant un débauchage; qu'un tel grief n'apparaît dès lors pas fondé ;

3) En ce qui concerne le démarchage de la clientèle de SMN,

Considérant que la société intimée produit, à l'appui de ses griefs :

- une attestation de Mme Prugnaud, directrice de la boutique Emmanuel Ungaro ouverte rue d'Orsel à Paris (18e) dans laquelle celle-ci relate qu'elle a été "contactée fin juillet 2003 par [Mme Batista] me faisant des offres de service et m'incitant à quitter le pressing des Sablons pour le sien. Ce contact a été fait par téléphone entièrement verbalement. Complètement satisfaite du pressing des Sablons, je n'ai pas souhaité donner suite'';

- une attestation de Mme Leleu, gérante de la société Théodor, déclarant qu'elle avait été "démarchée" en vue de prestations de teinturerie pressing par Mme Batista, qu'elle connaissait en sa qualité de cliente régulière de son ancien employeur du pressing des Sablons, mais qu'elle n'avait pas donné suite à cette démarche "déplacée et fort déplaisante";

- des attestations accompagnées de photos, de M. Halimi et de Mme Bonnet dans lesquelles ceux-ci déclarent avoir vu le livreur de la teinturerie Alpaga procéder à des livraisons de vêtements à l'hôtel Libertel Sablons;

Considérant, toutefois, que, de leur côté, les appelantes ont versé aux débats une attestation de Mme Delimur, directrice de la couture de la Maison Emmanuel Ungaro, qui relate qu'ayant appris la création de la teinturerie Alpaga elle avait elle-même pris l'initiative de demander au service concerné de son entreprise de prendre contact avec Mme Batista;

Considérant, en outre, que les déclarations de Mme Leleu, formellement contestées par les appelantes, ne comportent de toute façon pas de précision sur les circonstances de temps et de lieu à l'occasion desquelles serait intervenu le prétendu démarchage, ni sur les formes exactes qu'il aurait revêtu;

Considérant, enfin, que les déclarations de Mme Halimi et de M. Bonnet ne permettent pas non plus d'établir que les livraisons qu'ils décrivent, effectuées dans des circonstances indéterminées, sont nécessairement le résultat d'un démarchage auprès de l'hôtel Libertel Sablons;

Considérant que la société SMN ne démontrant pas ainsi la violation par Mme Batista des engagements pris accessoirement dans le cadre de la transaction du 10 janvier 2003, et ne démontrant pas non plus, à fortiori, l'existence d'actes de concurrence déloyale engageant sa responsabilité ainsi que celle de la société Alpaga, la cour réformera le jugement attaqué et déboutera l'intimée de toutes ses demandes;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande d'allouer aux appelantes une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ; que l'intimée, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Déboute la société SMN de toutes ses demandes, Déboute la société Alpaga et Mme Batista de leur demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société SMN aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Taze Bernard & Belfayol Broquet, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.