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Décisions

CA Lyon, ch. soc., 7 octobre 2005, n° 04-00950

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cargo International (SARL)

Défendeur :

Piat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panthou-Renard

Conseillers :

Mme Devalette, M. Cathelin

Avocats :

Mes Ballestracci, Saccoccio, Demichel

Cons. prud'h. Saint-Etienne, du 10 déc. …

10 décembre 2003

Faits et procédure

Monsieur Piat a été engagé par la SARL Cargo International, société de transport de produits métallurgiques longs, en contrat à durée indéterminée à compter du 10 février 1998, en qualité d'agent-technico-commercial, avec un salaire fixe, initialement de 11 500 F puis porté à 15 000 F à partir de janvier 2000, augmenté d'une gratification exceptionnelle versée tous les trois mois, outre un intéressement annuel de 1% sur chiffre d'affaires annuel réalisé par ses soins selon avenant du 9 juin 2000.

Les 1er mars et 16 septembre 2002, Monsieur Piat a adressé à son employeur des courriers faisant état d'une mauvaise ambiance provoquée par une jalousie à son égard.

Le 23 septembre 2002, l'employeur a répondu à ces observations.

Suite à une première visite, à l'issue de laquelle Monsieur Piat a été déclaré "apte temporairement à ses fonctions", celui-ci a été déclaré le 4 novembre 2002, inapte à son poste de technico-commercial itinérant et aux longs trajets en voiture. Il a été licencié le 29 novembre 2002, pour inaptitude physique sans reclassement possible.

Le 24 janvier 2003, Monsieur Piat a saisi le Conseil des prud'hommes de Saint-Etienne pour se voir reconnaître le statut de VRP et obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 10 décembre 2003, le conseil des prud'hommes a dit que Monsieur Piat relevait du statut de VRP et a condamné la SARL Cargo International à verser la somme de 50 075,83 euro à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, sur la base d'un salaire moyen de 3 398,80 euro.

Ce même jugement a débouté Monsieur Piat de ses demandes d'indemnité de clientèle et d'indemnité de retour sur échantillonnage.

Par pli recommandé du 12 janvier 2004, la SARL Cargo International a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 15 décembre 2003.

La SARL Cargo International demande la réformation du jugement qui a retenu le statut de VRP pour Monsieur Piat alors que celui-ci ne réunissait pas les conditions prévues à l'article 751-1 du Code du travail en raison :

- d'une absence d'autonomie dans la prospection de la clientèle et dans la prise d'ordre, la fixation des tarifs et la signature des contrats,

- des autres tâches exercées au sein de l'entreprise deux jours par semaine (relances en cas d'impayés, classement des factures, assistance technique au personnel des clients),

- d'une absence de secteur déterminé (interventions dans toute la France),

- d'une rémunération constituée en majeure partie d'un fixe, indice de dépendance vis-à-vis de son employeur;

A titre subsidiaire, la SARL Cargo International demande l'infirmation de la contrepartie financière allouée au titre de la clause de non-concurrence, dont il a été déchargé par deux lettres des 26 février 2003 et 12 décembre 2003 qu'il n'a pas retirées, et qui ne lui a causé aucun préjudice puisqu'il était inapte à poursuivre son activité d'agent technico-commercial.

La SARL Cargo International demande en revanche la confirmation du jugement sur le rejet de la demande d'indemnité pour une perte de clientèle qui ne résulte pas de son licenciement mais de son inaptitude physique et qui ne se cumule pas avec l'indemnité de licenciement que Monsieur Piat a perçue. La SARL Cargo International conteste en outre les chiffres retenus pour le calcul de cette indemnité.

Elle sollicite la condamnation de Monsieur Piat à lui verser la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Piat demande la confirmation du jugement qui lui a accordé le statut légal de VRP qui n'implique pas une totale autonomie vis-à-vis de l'employeur comme le prétend la SARL Cargo International.

Il demande également la confirmation de la somme qui lui a été allouée au titre de la clause de non-concurrence qui lui est acquise, faute d'avoir été levée dans les formes et délais prescrits indépendamment des circonstances de la rupture.

Monsieur Piat forme en revanche appel incident sur le rejet de sa demande de paiement d'une indemnité pour perte d'une clientèle stable qu'il a créée et développée en nombre et en valeur. Il réclame, à ce titre, la condamnation de la SARL Cargo International à lui verser la somme de 50 643 euro sous déduction des 6 719,80 euro reçus au titre de l'indemnité de licenciement, soit un solde de 43 923,20 euro.

Il conteste également le motif du rejet de sa demande de commissions de retour sur échantillonnage, qui s'applique aux sociétés de services, et sollicite à ce titre la somme de 2 529 euro outre 252,90 euro de congés payés afférents.

Il demande la condamnation de Monsieur Piat à lui verser la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur l'application du statut de VRP

Il résulte des dispositions de l'article L. 751-1 du Code du travail que, nonobstant toute stipulation contraire du contrat de travail, la qualité de VRP statutaire est déterminée par les conditions de fait de l'exercice d'une activité commerciale caractérisée par la prise d'ordres d'achat ou de vente pour le compte d'autrui, de manière constante et exclusive de toute activité parallèle pour son compte propre, à l'intérieur d'un secteur déterminé par ses limites géographiques ou par les caractères spécifiques des clients démarchés, avec un taux de rémunération prédéterminé et constant, le contrôle de cette activité par l'employeur n'étant pas exclusif du statut non plus que l'exécution de tâches, accessoires à la représentation, pour le compte de ce même employeur.

En l'espèce, il est constant, et non contesté que Monsieur Piat n'exerçait pas d'activité pour son compte personnel et que son activité principale consistait à rechercher et visiter la clientèle pour le compte de la société Cargo International, même si, de façon régulière, il devait rester au siège pour effectuer un travail administratif (classement des factures ...) et de suivi des dossiers clients.

Même si Monsieur Piat devait visiter la clientèle confiée et remplir des fiches de visite et un compte-rendu hebdomadaire soumis au contrôle de l'employeur, celui-ci n'établit pas par la production des pages jaunes que Monsieur Piat n'accomplissait pas un travail de prospection personnelle pour rechercher de nouveaux clients. Dans ses lettres en date des 6 septembre et 13 novembre 2002, la gérante de la société Cargo International fait, au contraire, elle-même état, d'une liste non limitative de clients et d'une recherche nouvelle dans le secteur de l'entreposage et de l'affrètement pur, son descriptif des fonctions de Monsieur Piat mentionnant, de surcroît, la prospection de la clientèle potentielle et la visite de la clientèle existante, activités à laquelle ce dernier consacrait, toujours selon l'employeur, l'essentiel de son temps de travail.

La progression du chiffres d'affaires et l'augmentation du nombre de clients pendant la durée de la collaboration confirment, objectivement, la réalité du travail de prospection de Monsieur Piat, seul commercial dans l'entreprise, qui négociait, selon l'attestation de certains clients les prestations et les tarifs, en vue d'une commande immédiate, même si ces tarifs étaient préalablement discutés avec le service exploitation et les factures établies matériellement par ce service, tous les contrats produits faisant apparaître le nom de Monsieur Piat au côté de celui de la gérante signataire de ces contrats.

Par ailleurs, même si le contrat de travail ne mentionne pas un secteur défini, il ressort des pièces produites aux débats, que dans les faits, durant les 4 ans et demi d'activité, Monsieur Piat a effectué essentiellement des visites dans la région lyonnaise, de l'Isère et de la Haute-Loire, rayon d'activité de son entreprise, auprès de clients existants ou potentiels exerçant dans le domaine spécifique des produits métallurgiques de grande longueur, à l'exclusion de deux déplacements dans le Sud-Ouest et à Paris, pour rentabiliser un transport aller.

Enfin sa rémunération pour partie fixe et pour partie liée à son activité, était bien déterminée successivement par le contrat initial du 10 février 1998, puis par deux avenants des 31 mars et 9 juin 2000, peu important à cet égard le rapport de proportion entre la partie fixe et la partie variable.

Les conditions exigées par l'article L. 751-1 précité se trouvant toutes réunies, c'est à bon droit que le conseil des prud'hommes a dit que Monsieur Piat devait bénéficier du statut professionnel de VRP, quelle que soit la qualification donnée à ses fonctions dans le contrat, et le jugement doit être confirmé sur ce chef de demande.

Sur la contrepartie financière au titre de la clause de non-concurrence

Le contrat d'un représentant-placier peut comporter une clause de non-concurrence qui n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

En l'espèce, le contrat prévoit une clause de non-concurrence, sur une durée de 2 ans, qui indépendamment de la situation d'inaptitude de Monsieur Piat, justifie une contrepartie financière, dont le montant doit être toutefois ramené à 2 000 euro en fonction des éléments de la cause. Le jugement doit être réformé sur le montant de la contrepartie financière.

Sur l'indemnité de clientèle

Aux termes de l'article L. 751-9 du Code du travail, en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur, y compris pour inaptitude, et lorsque cette résiliation n'est pas provoquée par une faute grave du salarié, celui-ci a droit, en sus de l'indemnité allouée le cas échéant pour rupture abusive, à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, compte tenu des rémunérations spéciales accordées au cours du contrat pour le même objet ainsi que des diminutions qui pourraient être constatées dans la clientèle préexistante et provenant du fait de l'employé;

En l'espèce, Monsieur Piat établit qu'au moment de son embauche destinée à réorienter l'activité de la société Cargo International en augmentant son activité de commissionnaire en transport cette société comptait deux clients représentant 98,5 % de son chiffre d'affaires s'élevant à 8 000 KF, alors qu'à son départ, et par sa seule activité de prospection puisqu'il était l'unique commercial, la société comptait une clientèle stable de 35 clients pour un chiffres d'affaires de 17 000 KF.

Son intervention personnelle dans la création et le développement d'une clientèle, tant en nombre qu'en valeur est d'ailleurs reconnue par l'employeur dans une lettre du 23 septembre 2002 et lui donne droit pour la perte définitive de cette clientèle, compte tenu de l'absence de rémunération spéciale, des commissions perçues sur les deux dernières années de collaboration et sous déduction de l'indemnité de licenciement qui lui a été versée, à une indemnité de 43 900 euro que la SARL Cargo International doit être condamnée à lui verser.

Le jugement, qui a débouté Monsieur Piat ce chef de demande, doit être infirmé.

Sur les commissions de retour sur échantillonnage et congés payés afférents

Aux termes de l'article L. 751-8, quelle que soit la cause et la date de cessation des services de l'employé, celui-ci a toujours droit, à titre de salaire, aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date de son départ de l'établissement mais qui sont la suite directe des échantillonnages et des prix faits antérieurs à l'expiration du contrat, ce droit étant apprécié, en l'absence de stipulation contractuelle, en fonction de la durée normale consacrée par les usages.

En l'espèce, Monsieur Piat sollicite une commission calculée sur la moyenne des commissions versées tous les trois mois soit 2 529 euro, somme non contestée par l'employeur et qui doit être retenue faute pour ce dernier de justifier des commandes passées après le départ de Monsieur Piat et de la date de son remplacement.

La SARL Cargo International doit être condamnée à verser cette somme à Monsieur Piat outre la somme de 252,90 euro à titre de congés payés afférents.

Le jugement qui a débouté Monsieur Piat de ce chef de demande, doit être infirmé, le secteur d'activité de l'entreprise étant inopérant.

Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile

La SARL Cargo International doit être déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de cet article et condamnée, sur ce même fondement, à verser à Monsieur Piat la somme de 1 500 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a reconnu le statut de VRP à Monsieur Michel Piat; Et statuant à nouveau sur les autres chefs de demande, Condamne la SARL Cargo International à verser à Monsieur Michel Piat les sommes suivantes : - 2 000 euro au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, - 43 900 euro à titre d'indemnité de clientèle, - 2 529 euro à titre de commission de retours sur échantillonnage, - 252,90 € à titre de congés payés, - 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties du surplus de leur demande; Condamne la SARL Cargo International aux dépens de la procédure de 1re instance et d'appel.