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Décisions

CA Chambéry, ch. soc., 14 juin 2005, n° 02-00416

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Luquet

Défendeur :

Finimétal (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Landoz

Conseillers :

MM. Billy, Francke

Avocats :

Mes Chanut Fornasier, Olivier

Cons. prud'h. Chambéry, sect. encadr., d…

7 février 2002

Attendu que Monsieur Luquet a été embauché le 1er avril 1990 par la SA Finimétal comme VRP, ayant pour secteur les départements de la Savoie, la Haute-Savoie et l'Isère et un portefeuille clientèle d'une valeur de 12 617 080 F;

Que son contrat de travail prévoyait qu'il était rémunéré par des commissions calculées à des taux précisés en fonction des produits et des remises consenties et précisait que "les commissions seront calculées et réglées sur le montant net des factures émises dans le mois, après déduction d'escomptes et des taxes sur le chiffre d'affaires";

Qu'aucun escompte (remise par l'employeur au client) n'a été déduit de l'assiette des commissions des salariés et de Monsieur Luquet jusqu'au 1er juin 1999 où la société a mis en application cette clause ;

Que, après avoir adressé plusieurs courriers pour se plaindre de cette pratique, Monsieur Luquet a déposé une demande de résiliation du contrat de travail le 11 avril 2001 ;

Que le bureau de conciliation, le 19 avril 2001, a "pris acte de la rupture du contrat de travail au 19 avril 2001 à l'initiative du salarié qui demande qu'il soit statué ultérieurement sur l'imputabilité" et invité la SA Finimétal à solder les droits de Monsieur Luquet;

Que, par jugement du 7 février 2002, le Conseil de prud'hommes de Chambéry, section encadrement, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs du salarié demandeur et pris acte du paiement à Monsieur Luquet des commissions sur échantillonnage, des indemnités de congés payés et des commissions afférentes à 2001, et qu'il en a interjeté appel par lettre du 19 février suivant;

Attendu que, alléguant que la société pratiquait depuis 1993 un escompte de 2 à 3 % sur les produits vendus en contrepartie de la réduction des délais de paiement, que les commissions étaient alors calculées sans tenir compte de l'escompte, qu'à partir de juin 1999, ses commissions ont été calculées sur le montant facturé après déduction de l'escompte, que ce nouveau mode de rémunération était imposé à tous les VRP, qu'il a manifesté à plusieurs reprises son désaccord (lettres du 26 août 1999, du 28 février, du 4 mars et du 25 avril 2000), que la société n'a jamais répondu mais a versé aux VRP qui l'ont quittée les commissions ainsi omises, que, dans ses écritures de première instance, elle reconnaissait qu'elle avait procédé à partir de juin 1999 à des escomptes de 2,2 à 5 % pour favoriser un règlement rapide par les clients, "procédé auquel elle n'avait pas recours par le passé", que la société avait confié en dépôt la gamme de ses radiateurs à la société HYL Distribution, créée par lui-même et son frère Hervé, également salarié de Finimétal, qui percevait une rémunération en fonction du chiffre d'affaires réalisé par Finimétal, que celle-ci a résilié ce contrat le 13 octobre 2000, qu'elle a intenté une procédure en concurrence déloyale dont elle a été déboutée par jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 13 mai 2004, que, courant 2001, elle a dénoncé sa "totale démotivation" sans prendre de mesure, que sa rémunération brute au cours des douze derniers mois s'élevait à 628 641 F, soit 52 386 F par mois, qu'il a fait passer le chiffre d'affaires annuel du secteur de 11 millions à 25 millions de francs, Monsieur Luquet demande d'infirmer le jugement et de prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et de condamner la SA Finimétal à lui payer 97 872 euro d'indemnité de clientèle, à défaut 95 832 euro d'indemnité de licenciement, 23 958 euro d'indemnité de préavis et 2 396 euro de congés payés, et 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, soutenant que le contrat de travail prévoyait le calcul des commissions après déduction d'escomptes, que de nouveaux taux de commissions ont été fixés à partir du 1er avril 1997 et de nouveaux produits ajoutés le 2 juin 1997 et le 27 mars 1998, qu'elle n'a pas pratiqué d'escompte jusqu'à 1999, qu'en 1999, elle a rencontré avec l'ensemble de ses clients des difficultés dues au changement en avril de la gamme de radiateurs panneaux Reggane pour se mettre en conformité avec la nouvelle norme EN 442, au changement de système informatique en juin pour éviter les problèmes du passage à l'an 2000, et à un accroissement très substantiel de son activité lié à une conjoncture particulièrement favorable, que ces difficultés étaient susceptibles d'entraîner certaines difficultés pour les VRP rémunérés à la commission à compter du règlement des clients, que, pour éviter ces problèmes, elle a décidé de procéder à des escomptes de 2,2 à 3 % conduisant à un règlement plus rapide par les clients et donc à un paiement plus rapide des commissions, qu'en application des contrats de travail, les commissions de tous les VRP ont été calculées sur la base, non plus du chiffre d'affaires total mais du même chiffre d'affaires diminué de l'escompte à compter de juin 1999, qu'elle a répondu aux courriers de Monsieur Luquet, qu'elle a décidé de fermer le 13 octobre 2000 le dépôt géré par la société HYL Distribution à effet du 13 mars 2001 comme elle a fermé 12 dépôts en 1999, 12 en 2000 et 6 en 2001, que le salaire des six derniers mois s'élevait à 269 652,77 F, qu'elle s'est conformée au contrat de travail, que ses décisions ont porté leurs fruits puisque peu de clients sont venus se plaindre, que la rémunération de Monsieur Luquet n'a fait qu'évoluer grâce à la réduction significative des difficultés rencontrées avec les clients, que seuls dix de ses clients ont bénéficié d'un escompte compris entre 2,2 et 3 %, qu'en réalité, la demande de résiliation est due à ce que Monsieur Luquet voulait s'adonner à la commercialisation de produits Manaut par la société HYL Distribution, que le montant total des commissions correspondant aux escomptes est particulièrement faible, que Monsieur Hervé Luquet a été licencié sans préavis le 8 novembre 2000 et que le Conseil de prud'hommes de Lyon a considéré que cette rupture avait une cause réelle et sérieuse, que Monsieur Luquet ne peut prétendre à une indemnité de clientèle alors que, avec la société HYL, il continue de commercialiser pour le compte de Manaut des radiateurs similaires à ceux de Finimétal auprès de la même clientèle, que l'indemnité de clientèle ne peut excéder 83 824,10 euro, la SA Finimétal conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Monsieur Luquet à lui payer 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que, en réponse à l'argumentation développée à l'audience, la mention du procès-verbal du bureau de conciliation ne peut caractériser une prise d'acte de la rupture par le salarié, dès lors que celui-ci maintient sa demande de prononcé de la résiliation aux torts de l'employeur, mais est un donné acte de ce que la rupture prend effet ce jour-là à la demande du salarié ;

Attendu que le contrat de travail, article 7, en définissant les montants des taux de commissions, précise qu'il est tenu compte des taux de remises, lesquelles sont accordées par le VRP;

Que le même article, qui prévoit la déduction de la base de calcul des commissions des taxes sur le chiffre d'affaires et d'escomptes, ne précise pas ce que sont celles-ci mais qu'il n'est pas contesté qu'il s'agisse de remises accordées par l'employeur en fonction de la proximité du règlement (cf lettre Finimétal à société Novarina du 29 avril 1993, indiquant que l'escompte de 2,8 % sera désigné sur la facture sous le terme "remise délai de règlement") ;

Attendu que, par lettres des 6 mai 1993 et 4 novembre 1993, la SA Finimétal accordait pour l'avenir des escomptes de 2,8 % à la SA Novarina, sous la signature de Monsieur Luquet et de 3 % à la SA Mestre, sous celle de Monsieur Bolliet, Directeur Régional, avec copie à Monsieur Luquet, en contrepartie de leur engagement de payer, respectivement, "le 10 du mois suivant vos relevés" au lieu de 60 jours le 15 et "à 30 jours le 10" au lieu de 90 jours le 10;

Que, dans une lettre du 28 février 2000, Monsieur Yves Luquet écrivait à Finimétal que "en 1996, vous avez mis en place une opération de réduction de délai de paiement contre escompte sur facture. Cependant, et en accord avec la direction, les escomptes n'étaient pas déduits des montants commissionnés" et "depuis l'origine de nos relations, vous m'avez payé l'intégralité de mes commissions jusqu'en juin 1999 sans difficulté" ;

Que Monsieur Ferreyrolles écrivait le 31 janvier 2000 une lettre similaire "En 1996, vous avez mis en place une opération de réduction de délai de paiement contre un escompte sur facture. Depuis 1996 j'étais commissionné sur le montant des factures avant escompte, ce qui est un avantage acquis. Or, depuis juin 1999, Finimétal me commissionne sur le montant des factures après escompte";

Attendu que la possibilité pour l'employeur de réduire la rémunération en fonction des ristournes qu'il accorde aux clients est à sa discrétion ;

Que, d'ailleurs, la SA Finimétal soutient qu'elle n'accordait pas d'escompte jusqu'en juin 1999, ce qui est contraire aux affirmations précédentes des salariés, et a décidé d'en accorder pour apporter une solution à ses difficultés;

Qu'elle reconnaît qu'elle n'avait jamais diminué les commissions du fait d'escomptes jusqu'en 1999 alors que Monsieur Luquet justifie que des escomptes étaient accordés auparavant, mais qu'il n'en était pas tenu compte dans le calcul des commissions;

Attendu qu'il s'était institué ainsi au profit des salariés VRP un usage constant, général et fixe de ne pas imputer les escomptes accordés par l'employeur aux clients sur l'assiette de leurs commissions, à l'encontre du texte même du contrat de travail, et d'une clause contestable en ce qu'elle accordait un avantage discrétionnaire à l'employeur;

Qu'en affectant brutalement à partir de juin 1999 l'assiette des commissions des escomptes consentis aux clients, la SA Finimétal a modifié unilatéralement la rémunération des salariés, et plus particulièrement celle de Monsieur Luquet;

Attendu qu'en fait, la SA Finimétal présente sa décision de réduire l'assiette des commissions du montant des escomptes comme ayant des raisons économiques, lesquelles présentent l'originalité d'être dues à " un accroissement très substantiel de son activité lié à une conjoncture exceptionnellement favorable " ;

Que, si sa décision avait un fondement économique, il lui appartenait de proposer au salarié une modification de son contrat de travail, et du mode de calcul de sa rémunération, conformément à l'article L. 321-1-2 du Code du travail;

Attendu que la modification du salaire, et particulièrement sa réduction, car, si la SA Finimétal impute l'augmentation finale des commissions au succès des mesures prises, il est possible que ce soit dû à l'escompte accordé aux clients qui auraient effectué plus vite leurs règlements, mais certainement pas à l'imputation de l'escompte à l'assiette des commissions, qui ne peut que représenter une baisse du commissionnement effectif, et donc du salaire, justifie qu'il soit fait droit à la demande de prononcé de la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, avec effet au 19 avril 2001, date où la rupture est devenue effective;

Attendu que Monsieur Luquet est dès lors bien fondé à revendiquer une indemnité de préavis et de congés payés qu'il a exactement calculée ;

Attendu que Monsieur Luquet justifie avoir augmenté la clientèle en nombre et en valeur, ce qui n'est d'ailleurs contesté que pour la valeur de départ de la clientèle, laquelle a été évaluée par le contrat de travail à 12 617 080 F;

Qu'il est seulement contesté que Monsieur Luquet ait effectivement perdu sa clientèle, au motif qu'il continuerait de vendre le même genre de produit pour une autre société, point sur lequel il reste silencieux, ne contestant pas que, par l'intermédiaire d'une société HYL Distribution, dont il est actionnaire avec son frère, il distribue des radiateurs Manaut, notamment sur le même secteur;

Qu'il convient de le débouter de sa prétention de ce chef;

Attendu qu'il demande, subsidiairement, une indemnité de licenciement qui, compte tenu des modalités de calcul, douze mois de salaires, et de sa motivation, le caractère abusif et injustifié de la rupture, est en réalité une demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Que, compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise, du salaire perdu, et des circonstances de la rupture, caractérisées par une résistance pendant un an et demi de l'employeur au rétablissement des modalités de calcul du salaire telles qu'elles avaient été établies pendant plus de neuf années, son préjudice doit être évalué à 70 000 euro;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit Monsieur Luquet en son appel, Infirmant, Prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de la SA Finimétal, Condamne celle-ci à lui payer 23 958 euro (vingt-trois mille neuf cent cinquante huit euro) d'indemnité de préavis et 2 395,80 (deux mille trois cent quatre-vingt quinze euro quatre-vingts) de congés payés, et 70 000 euro (soixante dix mille euro) de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, La condamne à lui payer 1 000 euro (mille euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute Monsieur Luquet du surplus de ses prétentions, Condamne la SA Finimétal aux dépens.

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