CA Grenoble, ch. soc., 13 avril 2005, n° 04-03540
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Duse
Défendeur :
Novax (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delpeuch
Conseillers :
M. Vigny, Mme Combes
Avocat :
Me Lutreau-Chaveron
Monsieur Duse a été embauché par la société Novax, suivant contrat à durée indéterminée du 16 février 1999, comme attaché commercial avec statut de salarié, chargé de commercialiser des systèmes d'affichage électronique auprès des pharmacies dans la région Rhône-Alpes.
Au cours des années suivantes, les fonctions de M. Duse ont connu un développement. Il a été nommé responsable de groupe.
Ultérieurement, le 31 octobre 2002, la société a proposé à M. Duse, dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise, de modifier son contrat de travail, en supprimant sa fonction de responsable de groupe, entraînant une diminution de son commissionnement, mais corrélativement une augmentation de son secteur.
Par lettre du 19 novembre 2002, M. Duse a refusé cette proposition et a revendiqué la reconnaissance du statut légal de VRP. Ce statut lui a été reconnu le 3 décembre 2002.
Par un nouveau courrier daté du 6 janvier 2003, M. Duse a fait part à son employeur de ce que son attitude le contraignait à prendre acte de la rupture du contrat de travail, à ses torts exclusifs.
Par courrier du 4 mars 2003, M. Duse sera licencié pour faute grave : abandon de poste entre le 3 et le 13 janvier 2003.
Saisi par M. Duse, le Conseil de prud'hommes de Grenoble a, par jugement du 12 février 2004, estimé que la proposition de modification de contrat de M. Duse était d'ordre économique et modifiait le contrat. Le conseil de prud'hommes a:
- dit le licenciement sans cause;
- condamné la société Novax à lui payer:
* 35 541 euro à titre d'indemnité de préavis,
* 3 554,10 euro à titre de congés payés afférents,
* 71 082 euro à titre de dommages et intérêts,
* 140 904 euro à titre d'indemnité spéciale de rupture,
* 11 847 euro pour non-respect de la procédure de licenciement.
Par arrêt du 28 avril 2004, la Chambre sociale de la Cour d'appel de Grenoble, saisie en interprétation, a réduit à 37 800 euro l'indemnité spéciale de rupture, montant de la demande de M. Duse.
La société Novax, qui a relevé appel, conclut au débouté de M. Duse. Elle fait valoir que:
- M. Duse a été en arrêt-maladie au moment de la réorganisation, et après le 31 janvier 2003, fin du dit arrêt, il n'a plus donné signe de vie. Entre le 4 janvier 2003 et le 13 janvier 2003, il était absent irrégulièrement;
- les propositions faites à M. Duse ne peuvent s'analyser en une modification substantielle. Elles visent à une meilleure organisation du service et un meilleur suivi des clients;
- les autres commerciaux ont accepté de discuter, pas M. Duse.
M. Duse conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause, et demande de dire le licenciement nul comme dénué de plan de sauvegarde de l'emploi.
M. Duse demande à la cour de:
A titre principal:
Prononcer la nullité du licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l'emploi, et condamner la SARL Novax à verser à M. Duse une somme de 200 000 euro en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail (loi du 17/01/2002, article 111);
A titre subsidiaire:
Requalifier la rupture de licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamner la SARL Novax à verser à M. Duse une somme de 200 000 euro en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail;
Dans tous les cas:
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Novax à verser à M. Duse une indemnité compensatrice de préavis, mais l'infirmer quant au quantum retenu et, après avoir de nouveau jugé, fixer la somme due à M. Duse au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à 35 241 euro, outre 3 524,10 euro de congés payés;
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Novax à verser à M. Duse une somme au titre d'indemnité spéciale de rupture visée à l'article 14 de la Convention collective des VRP, mais l'infirmer quant au quantum retenu et, après avoir de nouveau jugé, fixer la somme due à M. Duse au titre de l'indemnité spéciale de rupture à 36 415,70 euro;
Condamner la SARL Novax à verser à M. Duse une somme de 25 000 euro à titre d'indemnité pour violation de la procédure visée à l'article L. 321-2-1 du Code du travail;
Condamner la SARL Novax à verser à M. Duse une somme de 11 500 euro à titre d'indemnité pour défaut de la mention relative à la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement;
Condamner la SARL Novax à verser à M. Duse une somme de 11 500 euro à titre d'indemnité pour défaut de mention du dispositif pré-PARE dans la lettre de licenciement;
Infirmer le jugement entrepris et condamner la SARL Novax à verser à M. Duse une somme de 11 227,88 euro à titre de rappel d'indemnités complémentaires de maladie, outre 1 122,78 euro de congés payés;
Infirmer le jugement entrepris et condamner la SARL Novax à verse à M. Duse une somme de 2 349,40 euro à titre de salaire pour jours fériés légaux chômés et 234,94 euro de congés payés y afférents;
Ordonner la remise de bulletins de paie et d'une attestation Assedic rectifiés et conformes aux condamnations prononcées;
Condamner la société Novax à lui verser la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il sollicite l'institution d'une expertise comptable à l'effet de déterminer le montant de ses commissions.
Il expose que:
- son employeur a modifié unilatéralement son contrat et la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement économique, en l'espèce;
- la société Novax a supprimé tous les postes de responsable de groupe;
- une partie de son secteur a été confiée à un de ses collègues, M. Comte, le 19 décembre 2002 (il était en arrêt-maladie);
- le motif de la rupture est économique : réorganisation du service commercial, suppression des postes de responsable de groupe, réorganisation du service après-vente, suppression de la mission de suivi de la clientèle;
- aucun plan de sauvegarde de l'emploi n'a été élaboré, alors que la réorganisation concernait 10 salariés au moins;
Motifs de l'arrêt
Le contrat initialement conclu entre la société Novax et M. Duse, le 16 février 1999, prévoyait une rémunération sous forme de commissions de 10 % sur le chiffre d'affaires et une prime mensuelle de 3 000 F (457,35 euro) en cas d'objectif réalisé à 100 %, ou de 7 500 F (1 443,37 euro) en cas d'objectif réalisé à 120 %, avec un revenu minimum brut mensuel garanti pendant 3 mois de 15 000 F (2 286,73 euro).
Le dernier avenant au contrat de travail, daté du 1er mars 2001, portait la commission à 12 % de la marge brute (10 % rémunérant la vente et 2 % versé au titre du suivi-client).
Le 1er octobre 1999, un autre avenant avait confié à M. Duse la fonction de responsable de groupe constitué, outre lui-même, de deux commerciaux.
La société Novax, dans son courrier adressé le 31 octobre 2002, à M. Duse, après avoir souligné "l'effondrement du ratio de l'efficacité prospection" - nombre de rendez-vous effectués auprès d'officines rapporté au nombre de contacts tentés - ratio passé de 64 % en 1999 à 46 % fin 2002, et après avoir relevé le mécontentement de la clientèle en ce qui concerne le suivi après installation, a estimé nécessaire de réorganiser l'entreprise de la façon suivante:
- la mission commerciale serait toujours assurée par les commerciaux;
- la mission formation, bien qu'inscrite dans le contrat des commerciaux, serait effectuée par les techniciens, ainsi qu'ils le font déjà;
- la mission suivi-clientèle serait assurée par les "chargés de suivi de clientèle", qui seraient également autorisés à effectuer des ventes limitées à 2 670 euro HT de marge brute.
La lettre adressée à M. Duse lui a proposé d'exercer dorénavant la fonction d'attaché commercial, et non plus de responsable de groupe, et a fixé son commissionnement à 10 % sur la marge brute personnelle.
La société Novax lui a offert d'étendre son secteur aux départements suivants: 01 - 38 - 69 - 71 - 73 - 74, et lui a offert d'augmenter le remboursement de ses frais de déplacement.
Le courrier de la société Novax reçu par M. Duse lui proposait de " réfléchir " à ses offres pendant un mois, et lui rappelait que le défaut de réponse de sa part, à l'issue de ce délai, équivaudrait à une acceptation des modifications proposées.
Il n'est pas douteux que la nature des propositions faites à M. Duse par la société Novax constituait une modification de son contrat de travail, en ce qu'elles visaient à transformer son emploi^-même en lui retirant la fonction de responsable de groupe et à diminuer le pourcentage de son commissionnement.
La modification du contrat de travail de M. Duse nécessitait son accord. Si en droit interne, la notification au salarié de la modification de son contrat de travail n'obéit à aucune forme, une directive 91-533-CEE du 14 octobre 1991 prescrit à l'employeur d'informer le travailleur en cas de modification de son contrat de travail.
Le salarié doit disposer d'un délai suffisant pour se déterminer.
Il ne saurait être déduit de la circonstance que l'employeur de M. Duse lui ait laissé un délai de un mois pour se déterminer, que la modification du contrat était, de ce simple fait, de nature économique. Seul l'examen du contexte de la modification peut révéler la nature de la modification.
La société Novax, par la modification du contrat de travail de M. Duse, entendait procéder à une réorganisation de son activité. Si M. Duse devait se trouver privé de sa fonction de responsable de groupe, son poste n'a pas été supprimé et aucun poste n'a du reste été supprimé au sein de la société, qui a décidé de confier le service après-vente à d'autres salariés, en raison du mécontentement de la clientèle.
M. Duse ne démontre nullement que la société Novax était confrontée à des difficultés économiques (pertes financières, pertes de marché...) mettant en péril sa compétitivité ou sa pérennité.
La modification du contrat de travail de M. Duse ne revêt pas un caractère économique.
M. Duse, face à la modification de son contrat de travail, pouvait ou accepter, ou refuser.
M. Duse ayant refusé la modification de son contrat de travail, c'est à juste titre qu'il a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, dans sa lettre du 6 janvier 2003. Cette prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La procédure ultérieure de licenciement mise en œuvre par la société Novax et fondée sur un abandon de poste de M. Duse est sans influence et sans effet, la rupture du fait de la société étant antérieure.
Sur l'indemnisation
M. Duse est resté au service de la société Novax du 16 février 1999 jusqu'à la fin de l'année 2002, soit près de 4 ans. Il a retrouvé, selon ses dires, une situation professionnelle au milieu de l'année 2003.
Son préjudice résultant de la rupture infondée de son contrat de travail sera réparé par la condamnation de la société Novax à lui payer la somme de 70 482 euro à titre de dommages et intérêts, M. Duse ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise comptant plus de 11 salariés.
L'indemnité de préavis doit être, en application de la Convention collective des VRP (article 12), fixée à trois mois, soit la somme de 35 241 euro, outre la somme de 3 524,10 euro au titre des congés payés afférents.
En ce qui concerne l'indemnité spéciale de rupture, c'est à juste titre que le premier juge en a retenu le principe. En effet, le droit à indemnité de M. Duse doit s'apprécier en fonction de son statut au moment de la rupture.
Au jour de la rupture, le statut de M. Duse était celui de VRP.
En application de l'article 14 de la Convention collective des VRP, l'indemnité spéciale de rupture s'élève à 3,1 mois de salaires, soit 36 415,70 euro. En effet, la prise d'acte de la rupture ayant eu lieu le 6 janvier 2003, le contrat expirait le 6 avril 2003 compte tenu du préavis. M. Duse a renoncé, par courrier du 17 mars 2003, à l'indemnité de clientèle, et son employeur n'a pas fait jouer son droit d'opposition.
S'agissant de la demande portant sur un rappel d'indemnités complémentaires maladie, c'est à juste titre que le premier juge l'a rejetée. En effet, la demande présentée par M. Duse concernait la période au cours de laquelle le statut de VRP lui avait été reconnu. Seule s'appliquait, à compter du 3 décembre 2002, date à laquelle le statut de VRP lui a été reconnu, la convention collective applicable à cette profession. Il importe peu que le droit à indemnités complémentaires de M. Duse ait été ouvert alors qu'il bénéficiait de la Convention collective des cadres de la Métallurgie.
M. Duse n'établissant pas avoir subi une perte de rémunérations à raison de six jours fériés, c'est à bon droit que le premier juge l'a débouté de cette demande.
Sur la demande d'expertise comptable
M. Duse demande une expertise comptable pour chiffrer le montant de la marge brute dégagée par la société Novax sur les commandes passées par lui-même ou ses commerciaux depuis le 1er mars 2001 jusqu'à la date de rupture, et pour rechercher le reliquat de ses commissions.
Il convient d'observer que M. Duse n'a pas fait délivrer de sommation à la société Novax pour obtenir les informations souhaitées.
Il résulte d'un avenant qu'il a signé le 1er mars 2001, qu'il devait percevoir une commission de 12 % de la marge brute sur sa production personnelle, la marge brute étant précisément définie comme la différence entre la CAHT (net de rabais, remises et ristournes) et le coût des marchandises et prestations livrées. Il a encore été convenu que la commission se décompose de la manière suivante: 10 % rémunérant la vente, et 2 % versés au titre du suivi-client dont les objectifs sont par ailleurs fixés précisément.
Il résulte de l'examen de ses bulletins de paye sur la période considérée, qu'il a régulièrement perçu ses commissions, pour des montants précisément chiffrés et variables d'un mois sur l'autre, et qui n'ont donc pu être établis que sur des données comptables précises qu'il n'a jamais contestées avant la rupture.
M. Duse ne procède que par des affirmations, sans produire le moindre élément permettant de supposer qu'il n'a pas été rempli de ses droits à commissions.
Il n'appartient pas à la juridiction de pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.
M. Duse sera donc débouté de sa demande d'expertise.
Il sera fait droit à sa demande concernant la délivrance de bulletins de paie et d'attestation Assedic.
L'équité commande la condamnation de M. Duse à payer à la société Novax la somme de 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné à la société Novax sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et en ce qu'il a ordonné le remboursement aux Assedic, par la société Novax, des indemnités de chômage dans la limite de trois mois; Dit la rupture du contrat de travail imputable à la société Novax. Dit que cette rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse; Condamne la société Novax, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. Duse les sommes suivantes: 70 482 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive avec intérêts au taux légal au 12 février 2004, 35 241 euro au titre de l'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal au 29 mars 2003, 3524,10 euro au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal au 29 mars 2003, 36 415,70 euro au titre de l'indemnité spéciale de rupture avec intérêts au taux légal au 12 février 2004; Condamne M. Duse à payer à la société Novax la somme de 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Ordonne à la société Novax de remettre à M. Duse les bulletin de paie et l'attestation Assedic rectifiés conformément au présent arrêt; Déboute les parties de toute autre demande; Condamne M. Duse aux dépens d'appel.