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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc. sect. 2, 4 février 2005, n° 03-03764

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoire de l'Ecluse Canal Reportage (SARL), Lemoux (ès qual.), Belhasen (ès qual.), AGS-CGEA Ile-de-France Ouest

Défendeur :

Maguer

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dardé

Conseillers :

MM. Belières, Rimour

Avocats :

Mes Sanchez, SCP Matheu-Rivière Sacaze, Associés, SCP Saint-Geniest, Guérot

Cons. prud'h. Toulouse, du 17 juin 2003

17 juin 2003

Faits et procédure

Catherine Debernardy, née le 11 novembre 1958, devenue épouse Maguer, a été embauchée à partir du 1er juin 1995 par la SARL Laboratoire de l'Ecluse au nom commercial de "Canal Reportage" suivant un contrat de travail écrit à durée indéterminée lui attribuant expressément la qualité de voyageur représentant placier statutaire à cartes multiples, ayant pour objet la vente d'albums de photographies prises préalablement dans une maternité à l'occasion de la naissance d'un enfant ou d'autres reportages photographiques à l'occasion de fêtes familiales ou de la vie de l'enfant dans un secteur géographique et de clientèle, avec un objectif mensuel de chiffre d'affaires moyen supérieur à 650 F TTC par client visité, une rémunération composée de commissions comprenant les frais professionnels engagés à raison de 30 %, une clause de non-concurrence étant fixée pour son secteur géographique et de clientèle et une durée d'un an à compter de la cessation effective de ses fonctions.

Sans que soit fournie de justification des dates précises, à partir de 1997 Madame Maguer a bénéficié d'un congé de maternité, puis d'un congé d'éducation parentale jusqu'aux premiers jours de mai 2001.

La salariée a prévenu son employeur de ce retour par un courrier du 15 avril 2001 indiquant la date du 1er mai 2001 et demandant d'être fixée sur les conditions de son retour au sein de l'entreprise, et rappelé cette demande par un nouveau courrier du 4 mai suivant.

L'employeur lui répondait le 10 mai 2001 qu'il lui envoyait le même jour un avenant à son contrat de travail et un nouveau barème de commissions correspondant à un nouvel album également adressé, ajoutait qu'il se tenait à sa disposition pour lui donner tous renseignements par téléphone et qu'une formation de recyclage était prévue pour le 22 ou 23 mai suivant.

Par une lettre du 15 mai 2001 la salariée considérait qu'il s'agissait d'une modification de son contrat de travail qui n'avait pas reçu son consentement et que l'absence d'envoi de dossier, de matériel et de tarif l'avait placée dans l'impossibilité d'exercer normalement son activité, puis le 23 mai 2001 accusait réception de deux cartons d'anciens albums qu'elle disait cependant vides et 100 dossiers de photos de clients à visiter, que dépourvue de carnets de commande, de tarifs et de matériels de démonstration elle était toujours dans l'impossibilité de reprendre son travail, et mettait son employeur en demeure de prendre rapidement une décision la concernant, faute de quoi elle en tirerait toutes les conséquences de droit.

La société Laboratoire de l'Ecluse lui écrivait le 28 mai 2001 qu'elle n'avait pas encore reçu le colis réexpédié, et lui adressait le 29 mai 2001 un courrier par lequel cette société disait effectuer une enquête auprès de la Poste, qu'un nouveau produit était diffusé depuis deux ans avec un nouveau barème appliqué à l'ensemble des salariés VRP mais que si celui-ci ne la satisfaisait pas la société reprendrait avec elle la diffusion de l'ancien produit avec l'ancien barème.

Le même jour 29 mai 2001, la salariée a adressé à son employeur une lettre par laquelle elle rappelait qu'elle avait refusé les nouvelles conditions de rémunération, et que du fait qu'elle était restée depuis le 2 mai 2001 dans l'impossibilité de travailler du fait de son employeur qui avait ainsi violé ses obligations les plus élémentaires, elle se trouvait dans l'obligation de constater la rupture de son contrat de travail du fait de la société Laboratoire de l'Ecluse, rupture qu'elle analysait comme un licenciement abusif, le conseil de prud'hommes devant tirer toutes conséquences de cette rupture.

Madame Maguer a accusé réception le 1er juin 2001 d'un colis de son employeur contenant 32 dossiers photos et un matériel de démonstration, indiquant que ce colis arrivait trop tard car après la rupture de son contrat de travail du fait de la société Laboratoire de l'Ecluse le 29 mai 2001, et que ce colis ne contenait ni les bons de facturation ni les bons de commande, ajoutant que les dossiers étaient inexploitables car trop anciens.

Saisi par la salariée le 8 juin 2001 de demandes de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et pour licenciement abusif, de rappel de salaires en fonction de la rémunération minimale, d'indemnité conventionnelle de rupture, de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence et d'autres indemnités de rupture, le Conseil de prud'hommes de Toulouse, par jugement de départition du 17 juin 2003 a dit que la rupture de son contrat de travail incombait à la SARL Laboratoire de l'Ecluse et s'analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que Madame Maguer exerçait au sein de la société une activité de VRP exclusif à temps plein, a condamné la SARL Laboratoire de l'Ecluse à lui payer les sommes suivantes:

- 9 146,94 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse

- 11 261 euro à titre de rappel de salaires et d'indemnités de congés payés

- 4 758,67 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 475,87 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente à ce préavis

- 4 917,29 euro à titre d'indemnité de licenciement

- 6 344,90 euro à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence

- 800 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

A condamné en outre l'employeur à remettre à la salariée sous astreinte les bulletins de salaire, l'attestation ASSEDIC et le certificat de travail conformes, et à rembourser à l'ASSEDIC de Midi-Pyrénées les indemnités de chômage payées à la salariée dans la limite de 6 mois d'indemnités, condamnant cette société aux dépens.

L'employeur a relevé appel de ce jugement.

La SARL Laboratoire de l'Ecluse a fait l'objet d'un jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

Demandes et moyens des parties

La SARL Laboratoire de l'Ecluse demande l'infirmation du jugement attaqué, qu'il soit dit que Madame Maguer était titulaire d'un contrat de VRP Multicartes, que la rupture du contrat de travail est intervenue du seul fait de la salariée, le rejet de l'ensemble des prétentions de celle-ci et sa condamnation à lui verser la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, dont distraction au profit de son conseil conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

L'employeur fait valoir que Madame Maguer a été absente près de 4 ans de l'entreprise, ce qui l'a laissée éloignée de l'évolution de l'activité dans laquelle elle intervenait, que de nouveaux produits en fonction de la concurrence avaient entrainé une modification des contrats de travail que l'ensemble des VRP avait acceptée de façon profitable, mais que lorsqu'elle n'a pas accepté l'avenant proposé son employeur a immédiatement maintenu les conditions antérieures, sans pouvoir empêcher Madame Maguer de rompre cependant son contrat de travail car celle-ci avait organisé son départ de la société, alors qu'elle était en contact avec d'anciens salariés qui avaient été débauchés par une société concurrente qui a usé de pratiques déloyales envers la société Laboratoire de l'Ecluse.

Que la salariée n'établit pas l'existence de l'exclusivité et du temps complet de son contrat de travail de VRP.

Qu'elle ne peut prétendre à une contrepartie financière de la clause de non-concurrence dont elle n'a jamais demandé d'être déliée et compte tenu de la marge de manœuvre dont elle disposait en qualité de VRP Multicartes.

Catherine Maguer conclut à la confirmation du jugement dont appel sauf en ce qui concerne les sommes allouées à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et pour licenciement abusif ainsi qu'au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, sollicite la fixation des sommes suivantes complémentaires au titre de sa créance dans la procédure collective:

- 18 293,88 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse

- 7 622,45 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

sous déduction de la somme de 11 928,70 euro qui lui a été versée par le représentant des créanciers dans le cadre de l'exécution provisoire de droit du jugement de première instance, et que soit ordonnée la remise des documents salariaux sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard.

La salariée fait plaider qu'en raison de sa charge de travail elle a occupé un emploi de VRP exclusif à temps complet et peut donc revendiquer un rappel de salaires sur la base du minimum garanti par l'accord national interprofessionnel des VRP, que la société Laboratoire de l'Ecluse l'a mise dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions au retour de son congé parental, notamment pour la contraindre à signer l'avenant à son contrat de travail modifiant celui-ci, de telle sorte qu'elle a dû prendre acte de la rupture de son contrat de travail du fait de ce comportement de son employeur.

Que les circonstances de son licenciement ont été abusives par l'absence d'envoi des éléments nécessaires à accomplir ses fonctions et par l'absence de délivrance de l'attestation ASSEDIC.

L'AGS représenté par le CGEA d'Ile-de-France Ouest, s'en rapporte aux conclusions de l'employeur sur la responsabilité de la rupture du contrat de travail et sur le fait que Madame Maguer n'exerçait pas ses fonctions de VRP à temps plein, et conclut en toute hypothèse à ce que l'arrêt à intervenir ne lui soit opposable que dans les strictes limites légales et réglementaires.

Motifs de la décision

Attendu tout d'abord que les documents versés au dossier et les débats ne permettent pas d'établir que Catherine Maguer exerçait des fonctions de VRP exclusif, car notamment était prévu à son contrat de travail l'exercice de fonctions de VRP à cartes multiples, et une attestation d'une collègue de travail, Madame Lenoir, indiquant simplement et de façon imprécise que le volume de travail de la salariée ne lui permettait pas de prendre d'autres cartes et le fait que ne figuraient pas de mentions d'autres maisons représentées sur sa carte d'identité professionnelle de représentant sont des éléments insuffisants à démontrer le contraire, étant observé en outre que son contrat de travail contenait l'interdiction pour elle de représenter sous quelque forme que ce soit aucune autre entreprise concurrente et de proposer tout autre produit à la clientèle fournie par la société Laboratoire de l'Ecluse, de telle sorte que ce contrat ne devait pas comprendre la déclaration des maisons ou produits que le VRP représentait déjà et l'engagement de ne pas prendre en cours de contrat de nouvelles représentations sans autorisation préalable de l'employeur, ainsi que prévu à l'article L. 751-3 du Code du travail, et que compte tenu notamment de ses longues périodes de congés de maternité et de congés parental le fait de la part de la salariée de ne pas avoir pris deux ou trois représentations pouvaient aussi bien procéder d'un choix personnel.

Attendu qu'ainsi que Catherine Maguer l'expose elle même, en cessant son travail le 29 mai 2001 et en adressant le même jour à son employeur un courrier par lequel elle lui imputait l'entière responsabilité de la rupture de son contrat de travail pour avoir effectué une modification de celui-ci qu'elle avait refusée et pour l'avoir laissée sans les moyens nécessaires à son travail, la salariée a ainsi pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'elle reprochait à son employeur.

Attendu que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit dans le cas contraire d'une démission.

Attendu qu'en l'espèce, les documents versés au dossier et les débats ne permettent pas d'établir les manquements de l'employeur invoqués par la salariée dans sa lettre de rupture du 29 mai 2001, car notamment:

- la société Laboratoire de l'Ecluse lui a seulement proposé un avenant à son contrat de travail comportant de nouvelles conditions de rémunération, et sur le refus de la salariée a aussitôt accepté de maintenir l'ancien contrat et les anciens produits.

- l'employeur a bien adressé à la salariée trois colis par "Colissimo Suivi" le 18 mai 2001, dont deux ont été retirés le 23 mai 2001 et le troisième le 1er juin 2001, sans qu'aucun autre élément permette d'établir que Madame Maguer n'ait pas reçu par ces colis les produits et documents nécessaires à son travail.

Que dès lors, il n'est pas établi que les faits invoqués par la salariée justifiaient sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, de telle sorte que cette rupture a produit les effets d'une démission.

Attendu qu'en conséquence, Madame Maguer ne peut prétendre ni à des dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, ni à une indemnité de préavis, ni à une indemnité spéciale de rupture de l'article L. 751-9 ne s'agissant pas d'une rupture par le fait de l'employeur, ni à une indemnité de licenciement.

Attendu que n'est pas non plus établie l'existence de circonstances abusives de la rupture du contrat de travail concernant notamment la modification du contrat ou un retard dans la délivrance de l'attestation ASSEDIC, de telle sorte que la demande de dommages et intérêts pour les circonstances abusives de la rupture doit être rejetée.

Attendu qu'en l'absence de caractère exclusif du contrat de VRP de Madame Maguer, dont il n'est pas non plus établi qu'elle travaillait à temps complet, celle-ci ne peut bénéficier de la garantie de rémunération minimale prévue à l'article 5 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 concernant les VRP, de telle sorte que sa demande de rappel de salaires et d'indemnité de congés payés correspondante doit être rejetée.

Attendu qu'en ce qui concerne la clause de non-concurrence, d'une part la salariée n'a pas demandé à son employeur à être dispensée de son exécution dans les quinze jours suivant la notification de la rupture ainsi que prévu à l'article 17 de l'accord du 3 octobre 1975 concernant les VRP, d'autre part et en toute hypothèse en l'absence de contrepartie pécuniaire prévue à cette clause, celle-ci n'était pas licite et en conséquence Madame Maguer n'était pas tenue de respecter cette obligation, de telle sorte que sa demande de versement d'une contrepartie financière doit être rejetée.

Attendu que par ailleurs, en considération des éléments de la cause, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu que la salariée devra reverser à l'employeur la somme reçue de 11 928,70 euro au titre de l'exécution provisoire de droit de la décision de première instance.

Que Madame Maguer, partie succombante, doit supporter les entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement de départition du Conseil de prud'hommes de Toulouse du 17 juin 2003. Dit que Catherine Maguer exerçait chez la SARL Laboratoire de l'Ecluse les fonctions d'un VRP multicartes. Dit que le 29 mai 2001, Catherine Maguer a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'elle reprochait à son employeur. Dit que les faits invoqués par Catherine Maguer au soutien de cette prise d'acte ne justifiaient pas cette rupture, qui en conséquence produit les effets d'une démission à la date du 29 mai 2001. Déboute Catherine Maguer de l'ensemble de ses demandes. Condamne Catherine Maguer à reverser à la SARL Laboratoire de l'Ecluse la somme de 11 928,70 euro. Déboute la SARL Laboratoire de l'Ecluse de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que le présent arrêt est commun à l'AGS. Condamne Catherine Maguer à payer les entiers dépens.