CA Nîmes, 1re ch. civ., 6 mai 2003, n° 00-01043
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Aloin (Epoux)
Défendeur :
Veysseyre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chalumeau
Conseillers :
MM. de Monredon, Coursol
Avoués :
SCP Pomies Richaud-Astraus, SCP Guizard-Servais
Avocats :
Mes Abouteboul, Chomiac de Sas
Exposé du litige
Le 6 juillet 1960, les époux Simon ont acheté aux consorts Brun un terrain d'une superficie de 443 m2 environ, en nature de pré, situé à Langogne.
Dans le seul but de bénéficier d'un régime fiscal plus favorable (droits de mutation réduits), il avait été indiqué, dans l'acte de vente, que les acquéreurs destinaient ce terrain à la construction d'une maison qu'ils s'engageaient édifier avant l'expiration d'un délai de 4 ans.
Le 16 septembre 1961, les époux Simon revendaient le terrain aux époux Aloin selon un acte qui reprenait exactement les mêmes indications relatives à la désignation du terrain ainsi qu'aux conditions de la vente, les acheteurs feignant également de s'engager, pour les mêmes raisons fiscales, à y faire construire une maison d'habitation dans le délai primitivement prévu.
En réalité, ils revendaient le terrain, le 9 décembre 1996, à Madame Jeanine Creux épouse Veysseyre, sans avoir édifié la moindre construction.
Ils désignaient le terrain vendu, désigné en nature de jardin, comme étant à usage de terrain à bâtir;
Il était ajouté aux conditions de la vente que l'acquéreur prendrait le bien dans son état au jour de l'entrée en jouissance sans recours contre l'ancien propriétaire pour mauvais état du sol ou du sous-sol, vices même cachés, erreur dans la désignation, le cadastre ou la contenance, toute différence excédât-elle un vingtième devant faire son profit ou sa perte, et plus généralement pour quelque cause que ce soit.
Madame Veysseyre faisait étudier la possibilité de la construction d'une maison d'habitation par une entreprise de travaux publics pour les fondations, une entreprise de maçonnerie et un bureau d'étude technique.
Avant le démarrage des travaux, des sondages, effectués sur le devant du terrain, révélaient l'existence, en sous-sol, de tourbe sur 3 mètres de profondeur, puis d'une couche d'argile verte porteuse.
Si cette configuration, sur cette partie du terrain, n'interdisait pas totalement la construction, elle nécessitait toutefois des fondations spéciales qui en accroissaient si considérablement le coût que Mme Veysseyre devait se résoudre à rechercher une autre solution moins onéreuse, ce qui l'amenait à modifier son projet initial.
Lors de l'exécution des fouilles par l'entreprise chargée du terrassement, l'entreprise se trouvait devant une difficulté majeure, la partie arrière du terrain étant encore beaucoup plus défavorable que la partie avant, la tourbe y ayant une épaisseur encore plus importante et le terrain, sableux, étant, à 5 à 6 mètres de profondeur, saturé d'eau.
M. Brochard, chargé de l'étude "béton armé" indiquait, dans un courrier, daté du 5 mai 1997, adressé à Mme Veysseyre qu'il n'était pas concevable de se fonder sur un tel terrain, le risque étant trop grand de désordres irréversibles dans les structures.
Cet avis était confirmé, en des termes encore plus affirmatifs dans une lettre du 31 juillet 1997, le terrain étant, selon lui, impropre à la construction dans les règles de l'art, outre qu'il était impraticable à n'importe quel engin de terrassement.
De son coté, le 7 mai 1997, l'entreprise Arnaud (maçonnerie-terrassement) faisait savoir à Mme Veysseyre que le terrain, en très mauvais état, était tellement gorgé d'eau qu'après avoir creusé à 5 mètres de profondeur, il menaçait de s'ébouler avec les risques que cela présentait pour les maisons voisines, d'où l'obligation pour elle d'arrêter son intervention.
Enfin, l'entreprise de travaux publics Sicard l'informait, par lettre du 20 juillet 1997, de ce que, lorsqu'elle avait commencé à creuser les fondations, elle avait rencontré de l'eau et que plus elle avait creusé plus l'arrivée d'eau avait été importante de sorte qu'elle avait dû interrompre les travaux, la construction s'avérant impossible;
Cette entreprise relevait, en outre, que des canalisations en pierre traversaient le terrain de part en part et qu'une canalisation de drainage provenant de chez un voisin s'y déversait.
Le 18 juillet 1997, Madame Veysseyre faisait intervenir un huissier de justice qui, lui aussi, avait constaté l'existence de 3 canalisations ancrées dans le sol dont la dernière était beaucoup plus récente (1970) que les autres, trop vétustes et donc plus opérationnelles.
Interrogé par cet officier ministériel, le propriétaire du terrain voisin indiquait qu'il était très probable que l'ancien propriétaire connaissait l'état du sous-sol et que lui-même avait branché sa propre canalisation de drainage sur le réseau de drainage qui existait dans le terrain vendu.
Ce voisin, exerçant la profession de carrossier sur le terrain contigu, s'est proposé de racheter à Madame Veysseyre le terrain litigieux, ce à quoi elle a consenti, par acte authentique du 30 mai 1997, pour le prix de 80 000 F alors qu'elle l'avait payé, en 1996, 100 000 F.
Les photographies produites au dossier font apparaître qu'il l'a utilisé pour y entreposer des véhicules.
Par acte du 11 février 1998, Madame Veysseyre assignait les époux Aloin devant le Tribunal de grande instance de Mende sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;
Elle leur reprochait une réticence dolosive et leur réclamait l'indemnisation de son préjudice qu'elle chiffrait à la somme de 67 569,16 F.
Elle précisait qu'elle avait correspondu avec les consorts Aloin par l'intermédiaire de son organisme de protection juridique à partir du mois de septembre 1997 avant de se résoudre, devant leur inertie, à les assigner le 11 février 1998.
Par jugement en date du 19 janvier 2000 auquel il est expressément référé pour plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions des parties, le Tribunal de grande instance de Mende a déclaré les consorts Aloin responsables in solidum, sur le fondement de l'article 1382, du préjudice subi par Madame Veysseyre et les a condamnés à lui payer la somme de 67 569,16 F en réparation du préjudice subi, outre celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les époux Aloin ont relevé appel de cette décision.
Par arrêt du 25 février 2002 auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des prétentions en cause d'appel des parties et de ses motifs, la cour de céans a :
- reçu l'appel en la forme,
Avant dire droit au fond,
Vu les articles 12 et 16 du nouveau Code de procédure civile et l'article 1641 et suivants du Code civil,
- invité les parties à conclure sur l'application des articles sus visés aux faits de la cause
- renvoyé les parties devant le conseiller de la mise en état,
- réservé les dépens.
Par conclusions du 29 avril 2002 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs fins moyens et prétentions, les époux Aloin demandent à la cour, sur le fondement des articles 564 et 565 du nouveau Code de procédure civile et des articles 1315, 1644, 1642 et 1648 du Code civil, vu l'absence de preuve :
- réformer entièrement la décision rendue par le Tribunal de grande instance de Mende,
- juger que l'article 1641 du Code civil est inapplicable et que la garantie du vendeur n'est pas acquise puisque l'action est irrecevable,
- juger que l'action en garantie des vices cachés est prescrite,
- juger que la garantie du vendeur n'est pas due en l'état du caractère apparent du vice allégué,
Statuant à nouveau,
- condamner Madame Veysseyre à leur payer la somme de 3 050 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- la condamner à leur payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Pomies-Richaud-Astraud, avoué.
Par conclusions du 28 février 2003 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses fins, moyens et prétentions, Madame Veysseyre demande à la cour de confirmer le jugement déféré sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil et, subsidiairement, de l'article 1382 dudit Code et y ajoutant de condamner les époux Aloin à lui payer la somme de 3 048,98 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel dont distraction de ceux dont elle aura fait l'avance au profit de la SCP Guizard-Servais.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2003.
Motifs
Attendu que Madame Veysseyre fait grief aux époux Aloin de lui avoir vendu un terrain censé être constructible alors qu'il ne l'était pas, situation qu'ils ne pouvaient, selon elle, ignorer et qu'ils lui ont délibérément caché;
Attendu que l'arrêt du 25 février 2002, rendu par la cour dans une composition différente, bien que qualifié d'avant dire droit, a jugé que les parties étant liées par un contrat de vente, la non-conformité de la chose à sa destination normale ressortait de la garantie des vices cachés, et qu'ainsi les défauts qui la rendaient impropre à sa destination normale constituaient des vices qui sont définis par l'article 1641 du Code civil "...unique fondement possible" de l'action de Madame Veysseyre;
Que c'est donc en l'état de cette décision que la cour, autrement composée, doit vider sa saisine;
Attendu qu'il résulte du dossier que les époux Aloin ont acheté, en 1961, un terrain à usage de pré, ultérieurement revendu, fini 1996, à Madame Veysseyre comme étant à bâtir;
Qu'ils en ont donc disposé pendant trente cinq ans, le réservant uniquement, ainsi que cela résulte des photographies produites et de l'acte de vente, à un usage de jardin potager;
Que les conditions de leur achat, la durée pendant laquelle ils sont restés propriétaires sans jamais faire édifier la moindre construction et l'usage limité auquel ils l'ont cantonné, malgré une pression immobilière croissante, permet de déduire que les époux Aloin n'ignoraient rien des particularités du terrain et notamment le fait qu'en sous-sol, il présentait une très importante humidité, le rendant très instable;
Qu'ils ne pouvaient, en outre, pas ignorer l'existence, relevée par l'huissier de justice mandaté par Madame Veysseyre et par l'entreprise Sicard, de canalisations enterrées, l'une ayant été installée en 1970, et donc nécessairement par leurs soins, alors que ces installations ne trouvent leur justification que dans la nécessité de drainer cette très importante humidité;
Attendu que, lorsqu'ils ont revendu le terrain comme à bâtir, les époux Aloin n'établissent pas avoir avisé Madame Veysseyre de ce vice connu d'eux alors même qu'il était de nature à la rendre impropre à l'usage auquel elle était destinée, la cour se référant aux différents courriers, que lui ont adressé le bureau d'étude et les entreprises auxquels elle avait confié la réalisation de la construction, qui le démontre amplement;
Attendu qu'il est certain que, si Madame Veysseyre avait connu le vice, elle aurait fait effectuer des études de sol qui lui auraient permis de se rendre compte que la constructibilité du terrain était si délicate, pour un résultat incertain, et nécessitait le recours à des techniques si particulières et si coûteuses de fondation qu'elle aurait renoncé à son achat;
Attendu que la non-conformité à l'usage convenu, à savoir être un terrain à bâtir, constituant un vice entrant dans le champ d'application des articles 1641 et suivants du Code civil, comme l'a jugé la cour dans son arrêt précédent, le changement de fondement juridique de l'action de Mme Veysseyre, dont il convient de souligner qu'il a été relevé d'office par la cour, constitue non une demande nouvelle mais un moyen nouveau entrant dans les prévisions de l'article 563 du nouveau Code de procédure civile.
Que le silence des époux Aloin, que les circonstances rappelées ci-dessus amènent la cour à considérer comme volontaire, permet de retenir qu'ils ont agi de mauvaise foi, de sorte qu'ils ne sont pas fondés à se prévaloir de la clause de non-garantie qu'ils ont faite insérer spécialement dans leur acte de vente;
Attendu qu'ils n'établissent pas que le vice dont était atteint le terrain litigieux était un vice apparent dont Mme Veysseyre a pu se convaincre par elle-même;
Qu'au contraire, il a fallu que les travaux soient engagés et des sondages et fouilles soient effectués pour qu'il se révèle;
Attendu que, lorsqu'elle a assigné, le 11 février 1998, les époux Aloin alors qu'elle n'a pu se rendre compte du vice affectant le terrain qu'à partir du mois de mai 1997 et qu'elle a légitimement tenté de parvenir, avant de saisir la justice, à un arrangement amiable auquel l'inertie de ses vendeurs n'a pas permis d'aboutir, Mme Veysseyre se trouvait encore dans le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil;
Que l'article 2244 du Code civil modifié par l'article 37 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 édicte qu'une citation en justice interrompt la prescription ainsi que les délais pour agir ; que tel est le cas de l'assignation du 11 février 1998 ;
Qu'étant, encore une fois, rappelé que l'application de l'article 1641 est un moyen relevé d'office la cour considère qu'en sollicitant condamnation sur ce fondement, après avoir été invité à conclure sur ce terrain juridique, Mme Veysseyre ne peut se voir reprocher une violation de l'article 1648 du Code civil;
Que les époux Aloin seront donc tenus de garantir Mme Veysseyre sur le fondement des articles 1641, 1644 et 1645 du Code civil;
Que le jugement déféré, qui a statué sur un autre fondement juridique sera infirmé en toutes ses dispositions;
Attendu que Mme Veysseyre, qui n'est plus en état de demander la résolution de la vente du 9 décembre 1996, pour avoir, elle-même, revendu le terrain demande paiement d'une somme de 20 000 F correspondant à la perte, non contestable ni contestée, qu'elle a subi lors de cette revente par rapport au prix d'achat;
Qu'en l'état du changement de fondement juridique imposé par la cour, il y a lieu de lui allouer cette somme comme constituant restitution d'une partie du prix;
Que Mme Veysseyre est bien fondée, pour le surplus, à obtenir des dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1645 du Code civil, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des frais inutiles qu'elle a engagés, à savoir 13 941,36 F pour l'entreprise Arnaud (terrassement), 8 200,80 F pour l'entreprise de travaux publics Sicard, 5 427 F pour le bureau d'étude Rochard (étude béton armé), 20 000 F pour les frais de notaire, soit, au total, 47 569,16 F;
Que les époux Aloin seront donc condamnés à lui payer la somme totale de 10 300,85 euro (67 569,16 F);
Que l'équité commande d'allouer à l'intimée la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel;
Que les époux Aloin, qui succombent devront supporter les dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Vu son arrêt du 25 février 2002, Vidant sa saisine; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Statuant à nouveau, Dit que les époux Aloin, vendeurs, seront donc tenus de garantir leur acheteur, Madame Jeanine Creux épouse Veysseyre sur le fondement des articles 1641, 1644 et 1645 du Code civil; Les condamne, en conséquence, solidairement, à lui payer la somme de 10 300,85 euro (67 569,16 F); Les condamne, en outre, sous la même solidarité, à lui payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de 1re instance et d'appel; Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire; Condamne les époux Aloin aux dépens de première instance et d'appel dont distraction de ceux d'appel dont elle aura fait l'avance au profit de la SCP Guizard-Servais;