CA Lyon, 3e ch. civ., 14 avril 2005, n° 03-04574
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Partners Services (EURL)
Défendeur :
Vidalies & Fils (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon (faisant fonction)
Conseillers :
M. Santelli, Mme Miret
Avoués :
SCP Brondel-Tudela, SCP Junillon-Wicky
Avocats :
Mes Lopez, Biais
Exposé du litige - procédure et prétentions des parties:
Par déclaration du 16 juillet 2003, l'EURL Partners Services a relevé appel d'un jugement rendu le 14 mai 2003 par le Tribunal de commerce de Saint-Etienne qui a rejeté ses demandes fondées sur une rupture abusive de contrat et sur la concurrence déloyale - qui a ordonné une expertise et désigné comme expert Monsieur Philippe Bailly, demeurant à Lyon 6e aux fins d'examiner la comptabilité de la société Vidalies et de déterminer le solde des commissions éventuellement dues à elle par la société Vidalies.
Vu l'article 455 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 1998;
Vu les prétentions et les moyens développés par l'EURL Partners Services dans ses conclusions du 17 novembre 2003 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé tendant à faire juger que le contrat qui la liait à la société Vidalies est un contrat d'agent commercial et non de courtage - qu'elle était en effet le mandataire de cette dernière pour le compte de qui elle concluait des contrats - qu'elle avait une exclusivité de mandat et qu'il lui était attribué une zone d'activité déterminée - qu'elle n'avait aucune indépendance dans l'organisation de sa mission, puisqu'elle recevait de la société Vidalies des injonctions de faire et était tenue de s'y conformer à l'égard notamment de la concurrence - qu'elle organisait à l'occasion les transports et négociait les contrats - que son droit à commission était subordonné au paiement par la société Vidalies des marchandises acquises par elle et non du seul fait de son intervention - que leurs rapports étaient régis par une obligation de loyauté et d'information réciproque, de sorte que la rupture brusque et unilatérale du contrat par la société Vidalies lui donne droit à une indemnité compensatrice en réparation de son préjudice égale à deux ou trois années de commissions, sauf faute grave de sa part - qu'elle aurait les mêmes droits en cas de contrat de courtage - que l'indemnité doit tenir compte de la durée de la relation imposant un préavis d'une durée suffisante - que l'abus a consisté à ne pas lui accorder le moindre délai de préavis - que la cause de la rupture par la société Vidalies résulterait de la différence de tonnages inscrits sur les factures des fournisseurs et les tonnages figurant sur le relevé pour le calcul de ses commissions - que n'ayant comme mandant que la société Vidalies et ayant perdu son seul salarié ensuite embauché par la société Vidalies, les conséquences de la rupture ont été pour elle catastrophiques, puisqu'elle s'est trouvée privée de tout chiffre d'affaires depuis lors - qu'elle réclame une indemnité compensatrice de préavis de 50 034 euro (3 mois de commissions) et une indemnité de clientèle de 600 405 euro (3 années de commissions) - que s'il devait être retenu le contrat de courtage, elle serait fondée à demander la somme de 650 439 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive - qu'elle a été en outre victime de concurrence déloyale du fait du débauchage de son salarié Monsieur Guy Penaud qui a eu pour effet de désorganiser et de déstabiliser son entreprise, même s'il n'était pas tenu par une clause de non-concurrence, ne serait-ce que par l'exploitation des connaissances qu'il a acquises et des relations qu'il a nouées dans ses fonctions, entraînant l'accaparement des fournisseurs démarchés par elle au profit de la société Vidalies - qu'elle est en droit de réclamer une somme de 198 184 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice - que le jugement déféré doit être infirmé, sauf sur la désignation de l'expert judiciaire pour chiffrer les commissions qui lui sont dues.
Vu les prétentions et les moyens développés par la société Vidalies dans ses conclusions du 11 mai 2004 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé tendant à faire juger que tous les documents versés aux débats (registre du commerce de l'EURL Partners Services, contrat de travail de Monsieur Guy Penaud, factures émises par l'EURL, comptabilité de l'EURL, procès-verbal de constat du 29 mars 2001, écrits de l'EURL à propos des commissions dues à Monsieur Guy Penaud au titre de son contrat de travail) attestent d'opérations de courtage réalisées par l'EURL Partners Services et ne font à aucun moment référence à un contrat d'agent commercial liant cette société à la société Vidalies - que le courtier a pour mission de rapprocher un vendeur et un acheteur pour leur permettre de conclure une opération et n'est pas un mandataire puisqu'il ne passe aucun acte au nom et pour le compte d'autrui - qu'un écrit n'est pas exigé - que l'appelante n'était qu'un intermédiaire entre elle qui achetait de la ferraille et un fournisseur sans s'entremettre dans les modalités de l'opération - que l'EURL Partners Services lui facturait en qualité de donneur d'ordre son intervention - qu'elle n'avait aucun objectif à réaliser d'elle - qu'elle ne lui a consenti la prospection de clientèle sur aucun secteur - qu'elle était indépendante d'elle - qu'elle ne bénéficiait d'aucune exclusivité à son égard, pouvant intervenir pour d'autres donneurs d'ordre, comme le montre son bilan faisant état d'un chiffre d'affaires de plus de la moitié en dehors d'elle - que le fait que l'appelante soit réglée de son entremise qu'une fois la vente menée à bonne fin ne démontre pas l'agence commerciale - que le fait que l'appelante ait assuré le transport des marchandises n'a été qu'épisodique, puisque c'est elle qui se chargeait du transport - qu'il n'y avait pas de mandat d'intérêt commun entre elles, puisque l'appelante ne prouve pas avoir développé une clientèle propre qui serait attachée à la société Vidalies à l'issue du contrat - qu'au surplus cette dernière ne vend pas de produits à ses clients acheteurs, mais les achète à des fournisseurs conformément aux exigences de ses clients sidérurgistes - par l'intermédiaire de l'EURL Partners Services qui peut continuer à se fournir auprès d'eux - qu'il n'y a pas eu brusque rupture des relations, puisque c'est l'appelante qui n'a pas satisfait à ses demandes d'offre d'achat en lui communiquant des lots disponibles, désorganisant ainsi son approvisionnement - que s'il y a eu désaccord avec l'appelante en décembre 2000, elle lui a transmis un fax le 1er février 2001 pour lui dire "que les prix étaient reconduits de décembre à janvier", ce qui prouve la poursuite des relations - que par une lettre du 6 février 2001, l'appelante lui indiquait qu'il y avait rupture par sa faute alors qu'elle n'avait pas cessé de travailler avec elle - qu'elle n'a pas débauché Monsieur Guy Penaud, lequel voulait quitter son employeur - que c'est l'appelante qui a refusé de collaborer - qu'aucune indemnité n'est due, même pas pour une rupture abusive, qui n'est pas démontrée - que si ce sont ses fournisseurs qui lui facturent la ferraille en tant qu'acquéreur, l'appelante facture elle ses commissions de courtage, en fonction de ces achats dont elle a nécessairement connaissance - qu'il ne lui est donc rien dû à ce titre - qu'enfin elle n'a commis en employant Monsieur Guy Penaud aucun acte de concurrence déloyale à l'égard de l'appelante, lequel était disponible, ayant quitté l'EURL Partners Services de sa propre initiative et n'ayant aucune clause de non-concurrence - que les dommages et intérêts réclamés ne sont ni fondés ni justifiés - que l'appelante doit être déboutée de ses demandes, mais condamnée à lui payer 40 000 euro pour procédure abusive et vexatoire.
Motifs et décision:
I°) Sur la qualification des relations ayant existé entre les parties:
Attendu que pour retenir, comme le soutient l'EURL Partners Services, que les relations qu'elle entretenait avec la société Vidalies s'inscrivaient dans le cadre d'un contrat d'agent commercial qu'elle aurait conclu avec elle, il appartient alors à l'EURL Partners Services de démontrer que, contrairement au courtier dont la mission se limite à rapprocher un vendeur et un acquéreur en vue de leur permettre de conclure entre eux des opérations commerciales, elle a agi à l'égard de la société Vidalies comme son mandataire en se chargeant de négocier et de conclure en son nom et pour son compte des achats ou des ventes - que force est de constater que malgré ses allégations contraires, l'EURL Partners Services, ne fournit aucun élément établissant qu'elle a elle-même traité auprès de fournisseurs de déchets métallurgiques des opérations d'achat de ces marchandises pour le compte de la société Vidalies et en son nom comme l'aurait fait un agent commercial, et que si l'inscription au registre des agents commerciaux ne constitue pas une condition pour bénéficier de ce statut, l'inscription au Registre du Commerce et des Sociétés de l'EURL Partners Services qui indique que son activité est l'achat et la vente de matériaux et matières, est celle d'un commerçant, ce qui exclut qu'il ait la qualité d'un mandataire - qu'en outre les factures émises par l'EURL Partners Services en faveur de la société Vidalies font état de courtages au titre des interventions réalisées - qu'enfin les comptes de résultat de l'EURL Partners Services font état pour chacune des années 1998, 1999 et 2000 d'une mention "courtage" au chapitre "production vendue" - qu'il résulte de ces éléments que l'EURL Partners Services est intervenue à la demande de la société Vidalies qui était son donneur d'ordre en son nom propre et en toute indépendance, mais sans s'engager ni pour l'une ni pour l'autre des parties - que le contrat qui la liait à la société Vidalies était par conséquent un contrat de courtage et en tant que tel n'était soumis à aucune règle de forme ou de fond propre;
Attendu que le premier juge a fait dans ces conditions une exacte appréciation des relations qui existaient entre les parties en qualifiant le contrat qui régissait leurs rapports de courtage, l'EURL Partners Services n'ayant fait que mettre en relation les parties;
II°) Sur les conséquences de la fin des relations contractuelles
1°) Sur une indemnité de rupture:
Attendu que l'indépendance du courtier conduit à lui refuser toute indemnité en fin de relations contractuelles quelles que soient l'ancienneté et l'importance financière des marchés conclus avec le même donneur d'ordre - que le courtier n'agit pas, sauf convention contraire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, en vertu d'un mandat d'intérêt commun - que dès lors, il ne peut invoquer l'existence d'une clientèle propre à l'essor de laquelle il aurait contribué et qui serait attachée au donneur d'ordre à l'issue de leurs relations, alors même qu'en l'occurrence les personnes que l'EURL Partners Services recherchait en vue de conclure avec la société Vidalies, n'étaient pas ses clients, mais ses fournisseurs, auprès desquels l'EURL Partners Services pouvait d'ailleurs continuer de se fournir à la demande d'autres donneurs d'ordre;
Attendu que l'EURL Partners Services doit en conséquence être déboutée d'une demande d'indemnité de fin de contrat, laquelle est dépourvue de tout fondement - que le jugement déféré doit être confirmé de ce chef;
2°) Sur la brusque rupture:
Attendu que l'EURL Partners Services soutient qu'elle a été l'objet de la part de la société Vidalies d'une rupture brutale des relations qu'elle entretenait avec la société Vidalies;
Attendu que s'il est dans la nature du contrat de courtage de ne pas nécessairement s'inscrire dans la durée et de n'imposer aucun préavis à sa rupture à la charge du donneur d'ordre, les conditions dans lesquelles cette rupture intervient donnent droit à des dommages et intérêts, lorsque le donneur d'ordre a agi de mauvaise foi, d'une manière imprévisible soudaine et violente, à l'égard du courtier avec lequel [il] entretenait des relations suivies;
Attendu qu'il appartient donc à l'EURL Partners Services qui incrimine l'intimée de tels agissements de rapporter la preuve que la société Vidalies lui aurait laissé envisager la poursuite de leurs relations et que leurs relations étaient anciennes et qu'en ne lui transmettant plus d'offres d'achat à partir de février 2001 elle aurait alors cherché à lui nuire en interrompant brusquement ses relations avec elle;
Attendu que les explications que donne l'EURL Partners Services comme cause de la rupture, lorsqu'elle prétend que le différend qui se serait élevé avec la société Vidalies proviendrait du refus de celle-ci de lui fournir les factures des fournisseurs afin de lui permettre de vérifier si le tonnage de marchandises inscrit correspondait bien à celui indiqué sur les relevés de tonnage, ne peuvent être retenues comme pertinents, dès lors que l'EURL Partners Services ne pouvait ignorer en tant qu'intermédiaire les quantités de ces marchandises vendues par les fournisseurs à la société Vidalies et que les factures étaient émises par les fournisseurs à la société Vidalies sur la base des bordereaux d'achat qu'elle-même établissait;
Attendu que l'EURL Partners Services dans ces conditions ne démontre pas l'abus dans la rupture - qu'elle doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts à ce titre - que le jugement déféré doit être confirmé de ce chef;
III°) Sur la demande au titre d'une concurrence déloyale:
Attendu que l'EURL Partners Services incrimine la société Vidalies du débauchage de son unique salarié Monsieur Guy Penaud et l'embauche corrélative qu'elle a fait de ce salarié estimant cet acte comme un acte de concurrence déloyale à son égard - qu'il est constant que Monsieur Guy Penaud a démissionné le 21 décembre 2000 de l'EURL Partners Services, laquelle l'a libéré par courrier du 23 janvier 2001 de son préavis - que Monsieur Guy Penaud, qui n'était tenu par aucune clause de non-concurrence à l'égard de son employeur au titre de son contrat de travail, était donc libre de tout engagement et par conséquent de conclure un contrat avec qui bon lui semblait - que la société appelante ne démontre pas l'existence d'un acte positif de débauchage qui résulterait des circonstances du départ de Monsieur Guy Penaud de l'EURL Partners Services, ni d'une utilisation frauduleuse par ce salarié d'un fichier- clientèle lui appartenant - qu'il n'y a eu à cet égard aucune manœuvre déloyale qui aurait eu pour but ou pour effet de désorganiser l'entreprise ;
Attendu que l'EURL Partners Services qui ne rapporte pas la preuve d'un acte de concurrence déloyale imputable à la société Vidalies à l'occasion de l'embauche de Monsieur Guy Penaud doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts qu'elle n'aurait été fondée à faire qu'au titre d'un acte de concurrence déloyale - que le jugement déféré doit être confirmé;
IV°) Sur la demande de commissions formées par l'EURL Partners Services:
Attendu que le jugement, qui a ordonné une expertise comptable pour examiner la comptabilité de la société Vidalies et déterminer les commissions éventuellement dues à l'EURL Partners Services sur la base des ventes conclues par la société Vidalies avec les clients démarchés par l'EURL Partners Services, n'est pas assortie de l'exécution provisoire - qu'il convient de maintenir cette expertise qui doit être réalisée dans les termes du dispositif du jugement, le rapport d'expertise devant être déposé au greffe du Tribunal de commerce de Saint-Etienne - qu'il convient de confirmer de ce chef;
V°) Sur la demande de l'EURL Partners Services d'ordonner la publication de l'arrêt:
Attendu que l'EURL Partners Services, ayant vu toutes ses prétentions rejetées, n'est pas fondée à réclamer la publication du présent arrêt - qu'il convient donc de la débouter de cette demande;
VI°) Sur la demande de la société Vidalies en dommages et intérêts:
Attendu que la société Vidalies n'établit pas que la procédure diligentée à son encontre par l'EURL Partners Services ait un caractère abusif ou vexatoire à son égard - que par conséquent elle doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts formée à ce titre - que le jugement déféré doit être confirmé de ce chef;
VII°) Sur les autres demandes:
Attendu qu'il serait inéquitable que la société Vidalies supporte la charge de ses frais irrépétibles et qu'il convient ainsi de lui allouer une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qui s'ajoutera à celle accordée par le premier juge;
Attendu que l'EURL Partners Services, qui succombe, doit être condamnée aux dépens;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Dit que le rapport d'expertise devra être déposé au greffe du Tribunal de commerce de Saint-Etienne, Y ajoutant, Déboute l'EURL Partners Services de sa demande de publication du présent arrêt, Condamne l'EURL Partners Services à payer à la société Vidalies la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que les dépens qui seront recouvrés par la SCP Junillon & Wicky, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.