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Décisions

CJCE, 5e ch., 7 mars 2002, n° C-145/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Von Bahr

Avocat général :

Mme Stix-Hackl

Juges :

MM. Edward, La Pergola, Wathelet, Timmermans

Avocat :

Me Quadri

CJCE n° C-145/99

7 mars 2002

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 avril 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que :

- en maintenant, contrairement à l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), l'interdiction générale faite aux avocats établis dans les autres États membres, qui exercent en Italie dans le cadre de la libre prestation des services, de disposer dans cet État de l'infrastructure nécessaire à l'accomplissement de leurs prestations,

- en soumettant, contrairement à l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), l'inscription comme avocat à un barreau italien à la possession de la nationalité italienne et de qualifications acquises exclusivement en Italie, ainsi qu'au maintien d'une résidence dans un arrondissement judiciaire italien,

- en appliquant de façon discriminatoire aux avocats d'autres États membres les "mesures de compensation" (épreuve d'aptitude) prévues à l'article 4 de la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), et

- en transposant d'une manière incomplète la directive 89-48, en l'absence d'une réglementation fixant les modalités de l'épreuve d'aptitude pour les avocats d'autres États membres, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité ainsi que de la directive 89-48.

2. Par ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 1999, la demande en intervention au soutien des conclusions de la Commission présentée par Me J. Lau a été rejetée comme manifestement irrecevable.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. La directive 89-48 établit un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans.

4. Aux termes de l'article 1er, sous g), premier alinéa, de la directive 89-48, une "épreuve d'aptitude" est définie comme étant "un contrôle concernant exclusivement les connaissances professionnelles du demandeur, qui est effectué par les autorités compétentes de l'État membre d'accueil et qui a pour but d'apprécier l'aptitude du demandeur à exercer dans cet État membre une profession réglementée."

5. Les deuxième, troisième et quatrième alinéas de la même disposition sont libellés comme suit :

"Pour permettre ce contrôle, les autorités compétentes établissent une liste des matières qui, sur la base d'une comparaison entre la formation requise dans leur État et celle reçue par le demandeur, ne sont pas couvertes par le diplôme ou le ou les titres dont le demandeur fait état.

L'épreuve d'aptitude doit prendre en considération le fait que le demandeur est un professionnel qualifié dans l'État membre d'origine ou de provenance. Elle porte sur des matières à choisir parmi celles figurant sur la liste et dont la connaissance est une condition essentielle pour pouvoir exercer la profession dans l'État membre d'accueil. Cette épreuve peut également comprendre la connaissance de la déontologie applicable aux activités concernées dans l'État membre d'accueil. Les modalités de l'épreuve d'aptitude sont déterminées par les autorités compétentes dudit État dans le respect des règles du droit communautaire.

Le statut dont jouit dans l'État membre d'accueil le demandeur qui souhaite se préparer à l'épreuve d'aptitude dans cet État est fixé par les autorités compétentes de cet État."

6. L'article 3 de la directive 89-48, qui précise les principes concernant l'accès à une profession réglementée et son exercice, dispose :

"Lorsque, dans l'État membre d'accueil, l'accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d'un diplôme, l'autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d'un État membre, pour défaut de qualification, d'accéder à cette profession ou de l'exercer dans les mêmes conditions que les nationaux :

a) si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l'y exercer et qui a été obtenu dans un État membre, ou bien

b) si le demandeur a exercé à plein temps cette profession pendant deux ans au cours des dix années précédentes dans un autre État membre qui ne réglemente pas cette profession au sens de l'article 1er point c) et de l'article 1er point d) premier alinéa en ayant un ou plusieurs titres de formation :

- qui ont été délivrés par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État,

- dont il résulte que le titulaire a suivi avec succès un cycle d'études postsecondaires d'une durée minimale de trois ans, ou d'une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou un établissement d'enseignement supérieur ou dans un autre établissement du même niveau de formation d'un État membre et, le cas échéant, qu'il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d'études postsecondaires, et

- qui l'ont préparé à l'exercice de cette profession.

Est assimilé au titre de formation visé au premier alinéa tout titre ou ensemble de titres qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre, dès lors qu'il sanctionne une formation acquise dans la Communauté et qu'il est reconnu comme équivalent par cet État membre, à condition que cette reconnaissance ait été notifiée aux autres États membres et à la Commission."

7. L'article 4 de la directive 89-48 autorise l'État membre d'accueil à subordonner l'accès à une profession réglementée à certaines conditions. Ainsi, aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, l'article 3 de ladite directive ne fait pas obstacle à ce que l'État membre d'accueil exige du demandeur :

"[...]

b) qu'il accomplisse un stage d'adaptation pendant trois ans au maximum ou se soumette à une épreuve d'aptitude :

- lorsque la formation qu'il a reçue, selon l'article 3 points a) et b), porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme requis dans l'État membre d'accueil, ou

- lorsque, dans le cas prévu à l'article 3 point a), la profession réglementée dans l'État membre d'accueil comprend une ou plusieurs activités professionnelles réglementées qui n'existent pas dans la profession réglementée dans l'État membre d'origine ou de provenance du demandeur et que cette différence est caractérisée par une formation spécifique qui est requise dans l'État membre d'accueil et qui porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme dont le demandeur fait état, ou

- lorsque, dans le cas prévu à l'article 3 point b), la profession réglementée dans l'État membre d'accueil comprend une ou plusieurs activités professionnelles réglementées qui n'existent pas dans la profession exercée par le demandeur dans l'État membre d'origine ou de provenance et que cette différence est caractérisée par une formation spécifique qui est requise dans l'État membre d'accueil et qui porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le ou les titres dont le demandeur fait état.

[...]"

8. L'article 4, paragraphe 1, sous b), second alinéa, de la directive 89-48 dispose en outre que, "[p]our les professions dont l'exercice exige une connaissance précise du droit national et dont un élément essentiel et constant de l'activité est la fourniture de conseils et/ou d'assistance concernant le droit national, l'État membre d'accueil peut, par dérogation à ce principe, prescrire soit un stage d'adaptation, soit une épreuve d'aptitude. [...]"

9. L'article 4, paragraphe 2, de la directive 89-48 interdit aux États membres d'exiger cumulativement du demandeur qu'il apporte la preuve de son expérience professionnelle et qu'il accomplisse un stage d'adaptation ou se soumette à une épreuve d'aptitude.

La réglementation italienne

10. Les dispositions essentielles concernant l'accès à la profession d'avocat et l'exercice de celle-ci en Italie se trouvent dans le Regio Decreto Legge n° 1578, Ordinamento delle professioni di avvocato e procuratore (décret-loi royal n° 1578 portant organisation des professions d'avocat et d'avoué), du 27 novembre 1933 (GURI n° 281, du 5 décembre 1933, p. 5521, ci-après le "décret-loi n° 1578-33").

11. L'article 17, paragraphe 1, du décret-loi n° 1578-33 dispose :

"Pour l'inscription au tableau des avocats, il est nécessaire :

1. d'être citoyen italien ou Italien appartenant à des régions non unies politiquement à l'Italie ;

[...]

4. d'être porteur d'un diplôme en droit ('laurea in giurisprudenza') délivré ou confirmé par une université de la République italienne ;

5. d'avoir accompli, en donnant satisfaction et avec profit, un stage dans un cabinet d'avocat et en assistant aux audiences civiles et pénales de la Cour d'appel ou du tribunal pendant au moins deux années consécutives, après l'obtention du diplôme, selon des modalités qui seront déterminées par les dispositions à promulguer conformément à l'article 101 ; ou bien d'avoir plaidé, durant la même période, auprès des tribunaux de première instance au sens de l'article 8.

[...]

7. d'avoir sa résidence dans l'arrondissement du Tribunal dont dépend le barreau auquel la demande d'inscription est adressée."

12. La legge n° 31, Libera prestazione di servizi da parte degli avvocati cittadini di altri Stati membri della Comunità europea (loi n° 31 relative à la libre prestation de services par les avocats ressortissants d'autres États membres de la Communauté européenne), du 9 février 1982 (GURI n° 42, du 12 février 1982, p. 1030, ci-après la "loi n° 31-82"), vise à transposer la directive 77-249-CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO L 78, p. 17). L'article 2 de la loi n° 31-82 dispose :

"Prestation de services professionnels.

Les personnes visées à l'article premier [les ressortissants des États membres habilités dans l'État membre de provenance à exercer la profession d'avocat] sont admises à exercer les activités professionnelles d'avocat, dans le domaine judiciaire et extrajudiciaire, pour une durée temporaire et suivant les modalités fixées dans le présent titre.

Pour l'exercice des activités professionnelles visées à l'alinéa précédent, il n'est pas permis d'établir sur le territoire de la République italienne ni un cabinet ni un siège principal ou secondaire."

13. Le decreto legislativo n° 115, du 27 janvier 1992 (GURI n° 40, du 18 février 1992, p. 6, ci-après le "décret législatif n° 115-92"), vise à transposer la directive 89-48. L'article 6, paragraphe 2, de celui-ci prévoit :

"La reconnaissance (du titre de formation professionnelle) est subordonnée à la réussite à une épreuve d'aptitude, pour ce qui concerne les professions d'avocat, d'expert-comptable et de conseil en matière de propriété industrielle."

14. L'article 8, paragraphes 1 et 2, du décret législatif n° 115-92 énonce :

"1. L'épreuve d'aptitude consiste en un examen destiné à contrôler les connaissances professionnelles et déontologiques du demandeur et à évaluer sa capacité à exercer la profession, en tenant compte du fait que le demandeur est un professionnel qualifié dans son État d'origine ou de provenance.

2. Les matières sur lesquelles porte l'examen doivent être choisies en fonction de leur importance capitale pour l'exercice de la profession."

15. L'article 9 du décret législatif n° 115-92 est libellé comme suit :

"Par décrets du ministre compétent, au sens de l'article 11 [dans le cas présent : le ministre de la Justice], de concert avec le ministre pour la coordination des politiques communautaires et le ministre des Universités et de la Recherche scientifique et technologique, sur avis du Conseil d'État, des dispositions et directives générales sont promulguées aux fins de l'application des articles 5, 6, 7 et 8, en référence aux différentes professions et aux formations professionnelles y afférentes."

16. L'article 12, paragraphes 1, 3, 5, 6 et 7, du décret législatif n° 115-92 prévoit :

"1. La demande de reconnaissance est présentée au ministère compétent, accompagnée de la documentation relative aux diplômes à reconnaître conformément aux conditions indiquées à l'article 10.

[...]

3. Dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, le ministère s'assure que la documentation fournie est complète et, au besoin, informe l'intéressé des documents complémentaires éventuellement requis.

[...]

5. Le ministre compétent procède à la reconnaissance en prenant un décret dans les quatre mois qui suivent la présentation de la demande ou des documents complémentaires requis, conformément au paragraphe 3 ci-dessus.

6. Dans les cas visés à l'article 6 ('mesures compensatoires'), le décret établit les conditions du stage d'adaptation ou de l'épreuve d'aptitude, en précisant l'organisme ou l'organe compétent conformément à l'article 15.

7. Les décrets visés au paragraphe 5 ci-dessus sont publiés au Journal officiel.

[...]"

17. Quant à l'article 15, paragraphe 1, du décret législatif n° 115-92, il dispose :

"Les modalités d'exécution et d'évaluation du stage d'adaptation et de l'épreuve d'aptitude relèvent de la compétence des organismes et organes qui président à la tenue des ordres, listes ou registres professionnels.

[...]"

18. La legge n° 146, Disposizioni per l'adempimento di obblighi derivanti dall'appartenenza dell'Italia alla Comunità europea, legge comunitaria 1993 (loi n° 146 portant dispositions pour l'accomplissement des obligations découlant de l'appartenance de l'Italie à la Communauté européenne, loi communautaire 1993), du 22 février 1994 (Supplemento ordinario n° 39 de la GURI n° 52 du 4 mars 1994, p. 1, ci-après la "loi n° 146-94"), prévoit à son article 10 :

"Les ressortissants des États membres de la Communauté européenne sont assimilés aux citoyens italiens aux fins de l'inscription à l'ordre des avocats visé à l'article 17 du décret-loi royal n° 1578, du 27 novembre 1933, [...] établissant les modalités d'organisation de la profession d'avocat."

La procédure précontentieuse

19. Conformément à la procédure prévue à l'article 169, premier alinéa, du traité, la Commission, après avoir mis la République italienne en mesure de présenter ses observations, a, par lettre du 8 octobre 1998, adressé un avis motivé à cet État membre, l'invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations résultant des articles 52 et 59 du traité ainsi que de la directive 89-48 dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. N'ayant pas été convaincue par la réponse du Gouvernement italien audit avis, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

Sur le premier grief

20. Par son premier grief, la Commission soutient que l'article 59 du traité est violé par l'article 2, second alinéa, de la loi n° 31-82, en ce que cette disposition nationale interdit aux avocats établis dans d'autres États membres et souhaitant fournir des prestations de services en Italie de disposer d'une certaine infrastructure dans cet État membre.

21. Le Gouvernement italien fait valoir en substance que cette interdiction vise à éviter que la liberté d'établissement ne soit contourné. Sans l'existence d'une telle interdiction, les avocats exerçant leur droit à la libre prestation des services pourraient en fait créer, sous le couvert d'une certaine structure, un établissement. Il ajoute toutefois que, afin de dissiper tout doute à propos de la compatibilité de l'article 2, second alinéa, de la loi n° 31-82 avec l'article 59 du traité, un projet de loi prévoyant l'abrogation de ladite disposition nationale a été soumis à l'examen du Parlement italien.

22. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que le caractère temporaire d'une prestation de services n'exclut pas la possibilité pour le prestataire de services, au sens du traité, de se doter, dans l'État membre d'accueil, d'une certaine infrastructure (y compris un bureau, un cabinet ou une étude) dans la mesure où cette infrastructure est nécessaire aux fins de l'accomplissement de la prestation en cause (arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 27).

23. Il s'ensuit que l'interdiction générale, figurant à l'article 2, second alinéa, de la loi n° 31-82, faite à un avocat établi dans un État membre autre que la République italienne et exerçant en Italie son droit à la libre prestation des services de créer un cabinet ou un siège principal ou secondaire dans ce dernier État membre est incompatible avec l'article 59 du traité.

24. Le premier grief de la Commission doit donc être accueilli.

Sur le deuxième grief

Sur la première branche

25. Par la première branche de son deuxième grief, la Commission soutient que l'obligation pour l'avocat de résider dans l'arrondissement du tribunal dont dépend le barreau auquel il est inscrit, mentionnée à l'article 17, paragraphe 1, point 7, du décret-loi n° 1578-33, est contraire à la liberté d'établissement consacrée à l'article 52 du traité.

26. Le Gouvernement italien rétorque que l'obligation de résidence répond à des exigences d'organisation judiciaire en ce sens qu'elle facilite les contrôles inhérents à l'existence d'un ordre professionnel local. Il souligne toutefois que, dans la pratique, il n'est plus exigé des avocats ressortissants des États membres autres que la République italienne de s'acquitter de cette obligation, ainsi qu'il ressort de l'avis n° 6-1994 du Conseil national des avocats. Ledit gouvernement ajoute que le projet de loi de réforme de la profession d'avocat prévoit de remplacer la condition de résidence par celle de domicile professionnel, ce qui implique la possibilité pour l'intéressé de fixer ou de maintenir sa résidence officielle dans un État membre et son domicile professionnel dans un autre État membre.

27. La Cour a itérativement jugé que le droit d'établissement consacré à l'article 52 du traité comporte la faculté de créer et de maintenir, dans le respect des règles professionnelles, plus d'un centre d'activité sur le territoire de la Communauté (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 1984, Klopp, 107-83, Rec. p. 2971, point 19; du 20 mai 1992, Ramrath, C-106-91, Rec. p. I-3351, points 20 à 22 ainsi que 28, et du 18 janvier 2001, Commission/Italie, C-162-99, Rec. p. I-541, point 20).

28. L'obligation de résidence critiquée par la Commission est donc incompatible avec l'article 52 du traité en ce sens qu'elle fait obstacle à ce qu'un avocat établi dans un État membre autre que la République italienne maintienne un établissement en Italie.

29. L'argumentation du Gouvernement italien selon laquelle il n'y a pas violation dudit article 52, étant donné que l'obligation de résidence n'est pas appliquée dans la pratique, ne saurait être retenue.

30. En effet, il est de jurisprudence constante que l'incompatibilité d'une législation nationale avec les dispositions communautaires, mêmes directement applicables, ne peut être définitivement éliminée qu'au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui doivent être modifiées. De simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité (voir, notamment, arrêts du 13 mars 1997, Commission/France, C-197-96, Rec. p. I-1489, point 14, et du 9 mars 2000, Commission/Italie, C-358-98, Rec. p. I-1255, point 17).

31. La première branche du deuxième grief de la Commission est donc fondée.

Sur la seconde branche

32. Par la seconde branche de son deuxième grief, la Commission demande à la Cour de constater que les dispositions de l'article 17, paragraphe 1, points 1, 4 et 5, du décret-loi n° 1578-33 violent la liberté d'établissement au motif que l'accès à la profession d'avocat y est subordonné à la possession de la nationalité italienne et d'un diplôme italien de droit ("laurea in giurisprudenza"), ainsi qu'à l'accomplissement d'un stage de deux ans auprès des juridictions italiennes.

33. À cet égard, il est constant que la condition de nationalité a été supprimée par l'article 10 de la loi n° 146-94, selon lequel les ressortissants des États membres autres que la République italienne sont assimilés aux citoyens italiens aux fins de l'inscription à l'ordre des avocats. De même, les dispositions relatives à la possession d'un diplôme italien de droit et à l'accomplissement d'un stage ont été abrogées par le décret législatif n° 115-92, qui prévoit une procédure de reconnaissance du titre professionnel d'avocat obtenu dans un autre État membre.

34. La Commission considère néanmoins que les exigences de sécurité juridique ne sont pas respectées étant donné que les modifications apportées à l'article 17, paragraphe 1, du décret-loi n° 1578-33 n'ont pas été transcrites dans cette disposition. L'existence de deux normes contradictoires rendrait plus difficile pour un particulier la connaissance des règles juridiques applicables et compliquerait donc l'exercice des droits communautaires dont jouissent les avocats ressortissants des autres États membres.

35. Le Gouvernement italien se réfère à cet égard au principe de la primauté, en cas de succession de lois dans le temps, de la norme postérieure sur celle antérieure lorsque celles-ci sont incompatibles entre elles.

36. À cet égard, il est constant, d'une part, que les dispositions modificatives figurant dans la loi n° 146-94 et dans le décret législatif n° 115-92 sont contraignantes et, d'autre part, qu'elles ont pour effet l'abrogation des obligations, figurant à l'article 17, paragraphe 1, du décret-loi n° 1578-33, relatives à la possession de la nationalité italienne et d'un diplôme de droit italien, ainsi qu'à l'accomplissement d'un stage de deux ans auprès des juridictions italiennes, pour avoir accès à la profession d'avocat.

37. Or, lesdites dispositions modificatives satisfont aux deux conditions exigées par la Cour pour que le droit national soit compatible avec le droit communautaire primaire, conditions selon lesquelles l'incompatibilité d'une législation nationale avec les dispositions communautaires, même directement applicables, ne peut être définitivement éliminée qu'au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui doivent être modifiées (voir, notamment, arrêt du 9 mars 2000, Commission/Italie, précité, point 17).

38. En l'espèce, l'abrogation des dispositions pertinentes du décret-loi n° 1578-33 par la loi n° 146-94 et le décret législatif n° 115-92 résulte automatiquement de l'application du principe de la primauté des lois postérieures, principe qui est commun aux traditions juridiques des États membres.

39. Il y a donc lieu de constater que, en l'espèce, les exigences relatives à la sécurité juridique n'ont pas été violées.

40. En conséquence, la seconde branche du deuxième grief de la Commission ne saurait être accueillie.

Sur les troisième et quatrième griefs

41. Les troisième et quatrième griefs de la Commission, qu'il convient d'examiner ensemble, portent sur la transposition et l'application, dans la pratique, de l'article 4 de la directive 89-48 concernant l'épreuve d'aptitude prévue par cette disposition.

Argumentation des parties

42. Par son quatrième grief, la Commission reproche à la République italienne d'avoir transposé de manière incomplète la directive 89-48, puisqu'elle n'a pas élaboré de réglementation établissant les modalités d'application de l'épreuve d'aptitude telle que définie à l'article 1er, sous g), premier alinéa, de ladite directive.

43. La Commission fait valoir que le décret législatif n° 115-92, qui vise à transposer les articles 1er, sous g), et 4 de la directive 89-48, prévoit, à ses articles 9 et 11, que "des dispositions et directives générales" pour l'application de l'épreuve d'aptitude doivent être promulguées par le ministre de la Justice italien. Or, de telles mesures n'auraient pas été adoptées.

44. Dans la pratique, les articles 1er, sous g), et 4 de la directive 89-48 seraient mis en œuvre par les autorités italiennes au moyen de décrets ministériels individuels, un test d'aptitude personnel étant élaboré pour chaque candidat. Selon la Commission, cette pratique administrative place les candidats dans une situation d'insécurité juridique qui ne leur permet pas de prévoir les matières sur lesquelles portera l'épreuve d'aptitude ni le nombre de celles-ci, la manière dont cette épreuve sera répartie entre examen écrit et examen oral, les critères d'évaluation des examens et autres aspects essentiels du déroulement de ladite épreuve.

45. Par son troisième grief, la Commission conteste l'application concrète faite par les autorités italiennes de l'épreuve d'aptitude prévue à l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-48 pour les avocats en provenance d'autres États membres.

46. Selon la Commission, au vu des informations en sa possession, à savoir le texte des décrets ministériels individuels de reconnaissance des titres professionnels, visés à l'article 12, paragraphe 5, du décret législatif n° 115-92, ainsi que des informations reçues dans le cadre de plaintes d'avocats en provenance d'États membres autres que la République italienne dont elle avait été saisie, il ressort que l'épreuve d'aptitude peut porter sur dix matières ainsi que sur l'organisation judiciaire et la déontologie de l'avocat et qu'elle est composée d'un examen écrit et d'un examen oral. L'examen écrit, qui consiste en la rédaction d'un acte judiciaire ou d'un avis, porte sur trois matières choisies par la commission d'examen parmi les dix possibles ainsi que sur l'organisation judiciaire et la déontologie de l'avocat, tandis que l'examen oral, qui consiste à répondre à de brèves questions pratiques, porte sur l'ensemble des matières ainsi que sur l'organisation judiciaire et la déontologie de l'avocat.

47. La Commission reproche aux autorités italiennes une pratique discriminatoire en raison de la difficulté excessive de l'épreuve d'aptitude par rapport à l'examen d'habilitation auquel sont soumis les avocats italiens. Ce dernier examen comporterait également une partie écrite et une partie orale. Toutefois, l'examen écrit ne porterait que sur trois matières, dont une est choisie par le demandeur, et l'examen oral uniquement sur cinq matières, toutes choisies par le demandeur, auxquelles viennent s'ajouter des questions sur l'organisation judiciaire et la déontologie de l'avocat.

48. Selon les statistiques de l'année 1998 fournies par la Commission dans sa réplique, sur vingt-neuf avocats ressortissants des autres États membres ayant demandé et obtenu la reconnaissance de leur titre professionnel en Italie, dix-huit ont passé une épreuve d'aptitude portant sur une seule matière. La Commission relève néanmoins que, pour les onze autres demandeurs, l'épreuve d'aptitude portait respectivement, dans un cas, sur sept matières, dans un autre, sur neuf matières et, en ce qui concerne huit autres cas, sur l'ensemble des matières ainsi que sur l'organisation judiciaire et la déontologie de l'avocat.

49. Le Gouvernement italien soutient que le décret législatif n° 115-92 transpose de manière complète la directive 89-48.

50. S'agissant du contenu détaillé de l'épreuve d'aptitude, ledit gouvernement souligne que l'existence d'un certain pouvoir d'appréciation est nécessaire, étant donné que les compétences professionnelles des avocats acquises dans chaque État membre diffèrent. Il fait valoir en outre que l'épreuve d'aptitude prend en considération la qualification professionnelle acquise par un avocat dans un État membre autre que la République italienne et que le décret législatif n° 115-92 et son application répondent aux prescriptions du droit communautaire.

Appréciation de la Cour

51. L'article 1er, sous g), deuxième alinéa, de la directive 89-48 prévoit que, pour permettre l'organisation de l'épreuve d'aptitude, les autorités compétentes de l'État membre d'accueil "établissent une liste des matières qui, sur la base d'une comparaison entre la formation requise dans leur État et celle reçue par le demandeur, ne sont pas couvertes par le diplôme ou le ou les titres dont le demandeur fait état".

52. Ainsi, le contenu précis de l'épreuve d'aptitude doit être déterminé au cas par cas, après avoir procédé à une comparaison ponctuelle des qualifications et de l'expérience du demandeur, qui, comme le relève le neuvième considérant de la directive 89-48, "est une personne déjà formée professionnellement dans un autre État membre", avec la liste des matières considérées comme indispensables à la formation de la profession concernée.

53. S'il est vrai que l'article 1er, sous g), de la directive 89-48 n'exige pas que les États membres réglementent en détail tous les aspects de l'épreuve d'aptitude, il ne les exonère toutefois pas de l'obligation de préciser et de publier les matières considérées comme indispensables pour l'exercice de la profession et les modalités de ladite épreuve d'aptitude, afin que les demandeurs puissent connaître, de manière générale, la nature et le contenu de l'épreuve à laquelle, le cas échéant, ils seront soumis. En l'absence d'une telle réglementation, la mise en œuvre, au cas par cas, de la comparaison prévue à l'article 1er, sous g), deuxième alinéa, de la directive 89-48 risque d'être arbitraire, voire discriminatoire.

54. Or, il est constant que le décret législatif n° 115-92 ne détermine ni les matières considérées comme indispensables pour l'exercice de la profession d'avocat en Italie ni les modalités de l'épreuve d'aptitude, créant ainsi une situation d'incertitude, voire d'insécurité juridique. Ledit décret législatif ne peut donc pas être considéré comme ayant transposé de manière complète la directive 89-48.

55. Il y a donc lieu de constater que la République italienne n'a pas complètement transposé la directive 89-48, de sorte que le quatrième grief de la Commission est fondé.

56. Quant aux cas d'espèce invoqués par la Commission à l'appui de son troisième grief, s'ils peuvent à tout le moins accréditer l'impression que, dans la pratique, la mise en œuvre de l'épreuve d'aptitude manque de cohérence et de transparence, il convient toutefois de relever qu'il n'a pas été fourni à la Cour d'éléments suffisants de nature à établir un manquement aux obligations découlant de la directive 89-48 dans la mise en œuvre, au cas par cas, de ladite épreuve d'aptitude. Dans ces conditions, le troisième grief de la Commission ne saurait être accueilli.

57. Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que :

- en maintenant, contrairement à l'article 59 du traité, l'interdiction générale faite aux avocats établis dans les autres États membres, qui exercent en Italie dans le cadre de la libre prestation des services, de disposer dans cet État de l'infrastructure nécessaire à l'accomplissement de leurs prestations,

- en obligeant, contrairement à l'article 52 du traité, les avocats à résider dans l'arrondissement du tribunal dont dépend le barreau auquel ils sont inscrits, et

- en transposant de manière incomplète la directive 89-48, en l'absence d'une réglementation fixant les modalités de l'épreuve d'aptitude pour les avocats en provenance d'autres États membres,

La République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu desdits articles 52 et 59 du traité ainsi que de ladite directive 89-48.

58. Il y a lieu de rejeter le recours pour le surplus.

Sur les dépens

59. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La République italienne et la Commission ayant partiellement succombé en leurs moyens, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Déclare et arrête :

1. - en maintenant, contrairement à l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), l'interdiction générale faite aux avocats établis dans les autres États membres, qui exercent en Italie dans le cadre de la libre prestation des services, de disposer dans cet État de l'infrastructure nécessaire à l'accomplissement de leurs prestations,

- en obligeant, contrairement à l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), les avocats à résider dans l'arrondissement du tribunal dont dépend le barreau auquel ils sont inscrits, et

- en transposant de manière incomplète la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, en l'absence d'une réglementation fixant les modalités de l'épreuve d'aptitude pour les avocats en provenance d'autres États membres,

La République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu desdits articles 52 et 59 du traité ainsi que de ladite directive 89-48.

2. Le recours est rejeté pour le surplus.

3. La République italienne et la Commission des Communautés européennes supportent leurs propres dépens.