Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 11 janvier 2001, n° C-464/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Westdeutsche Landesbank Girozentrale

Défendeur :

Friedrich Stefan

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

MM. La Pergola

Avocat général :

M. Léger

Juges :

M. Wathelet, M. Edward, M. Jann, M. Sevón

Avocats :

Mes Fabian, Witt

CJCE n° C-464/98

11 janvier 2001

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par ordonnance du 28 octobre 1998, parvenue à la Cour le 18 décembre suivant, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Westdeutsche Landesbank Girozentrale, une banque allemande, à Me Stefan, notaire, auquel la première reproche d'avoir inscrit une hypothèque en marks allemands à une époque où la loi autrichienne imposait l'inscription des hypothèques en monnaie nationale.

Le cadre juridique

A - Le droit communautaire

3. Les articles 67 à 73 du traité CEE, qui prévoyaient une libéralisation progressive de la circulation des capitaux, ont été remplacés à compter du 1er janvier 1994, en vertu de l'article 73 A du traité CE (abrogé par le traité d'Amsterdam), par les articles 73 B à 73 G du traité CE (les articles 73 C et 73 D du traité CE sont devenus les articles 57 CE et 58 CE, l'article 73 E du traité CE a été abrogé par le traité d'Amsterdam et les articles 73 F et 73 G du traité CE sont devenus les articles 59 CE et 60 CE). Aux termes de l'article 73 B du traité :

"1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites."

4. L'article 73 D du traité dispose :

"1. L'article 73 B ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres :

a) [...]

b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique.

2. [...]

3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 73 B."

5. La notion de mouvements de capitaux n'est pas définie par le traité CE. Dans la mesure toutefois où l'article 73 B du traité a repris en substance le contenu de l'article 1er de la directive 88-361-CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité (JO L 178, p. 5), la nomenclature des mouvements de capitaux qui figure à l'annexe I de cette directive conserve la valeur indicative qui était la sienne avant l'entrée en vigueur des articles 73 B et suivants du traité pour définir la notion de mouvements de capitaux, étant entendu que, conformément à son introduction, la liste qu'elle contient ne présente pas un caractère exhaustif (voir arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222-97, Rec. p. I-1661, point 21).

6. Compte tenu des circonstances de l'espèce au principal, il convient de citer les points VII et IX de cette annexe :

"VII. Crédits liés à des transactions commerciales ou à des prestations de services auxquelles participe un résident [...]

1) À court terme (moins d'un an)

2) À moyen terme (de un à cinq ans)

3) À long terme (cinq ans et plus)

A. Crédits accordés par des non-résidents à des résidents

B. Crédits accordés par des résidents à des non-résidents

[...]

IX. Cautionnements, autres garanties et droits de gage

A. Accordés par des non-résidents à des résidents

B. Accordés par des résidents à des non-résidents".

B - Les dispositions de droit national

7. L'article 3, paragraphe 1, de la Verordnung über wertbeständige Rechte (règlement relatif aux droits à valeur constante, dRGBl. I, p. 1521) du 16 novembre 1940, tel que modifié par l'article 4 du Schillinggesetz (loi relative au schilling, StGBl. 1945, n° 231), prévoit que :

"Dans le champ d'application du Grundbuchgesetz [loi relative au livre foncier, ci-après le GBG], les hypothèques ne peuvent être constituées, après l'entrée en vigueur du présent règlement, outre en schillings, que de telle manière que la somme à payer pour le bien immeuble soit déterminée par référence au prix de l'or fin."

8. L'article 130, paragraphe 1, première phrase, du GBG est libellé comme suit :

"S'il ressort d'une inscription que, du fait de sa teneur, la loi interdit son inscription au livre foncier, il y a lieu de procéder d'office à sa radiation pour invalidité."

Le litige au principal

9. Le 16 décembre 1991, la demanderesse au principal a accordé à la Grundstücks - und Bauprojektentwicklungs GmbH un prêt de 20 millions de DEM. En garantie du prêt, une hypothèque a été inscrite en DEM, par un acte notarié exécutoire dressé par le défendeur au principal. Elle portait sur deux biens immeubles, sis à Vienne, qui appartenaient à la débitrice.

10. Le 7 juin 1995, une procédure de faillite a été ouverte à l'égard de cette dernière. La demanderesse au principal a tenté d'exercer son droit d'hypothèque et a engagé à cet effet une procédure de réalisation. Le curateur, représentant de la débitrice, a contesté l'efficacité de la garantie hypothécaire devant l'Oberster Gerichtshof (Autriche), en invoquant le caractère illicite de l'inscription au livre foncier d'une hypothèque en monnaie étrangère. L'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice sur la portée de l'article 73 B du traité (Westdeutsche Landesbank Girozentrale, C-167-98). Il a cependant retiré sa question par décision du 21 octobre 1998.

11. La demanderesse au principal s'est finalement ralliée à l'analyse du curateur et a accepté, notamment pour des raisons liées à la réduction du dommage, que la garantie hypothécaire soit radiée.

12. Elle a introduit ensuite devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien un recours visant à obtenir du défendeur au principal une indemnité, au motif que celui-ci, au mépris des obligations lui incombant lors de l'établissement d'un contrat, ne l'aurait pas informée de l'inefficacité de la garantie hypothécaire.

13. Le défendeur au principal conteste le caractère irrégulier de l'hypothèque libellée en DEM en invoquant entre autres l'article 73 B du traité.

14. Le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien expose que l'Oberster Gerichtshof a jugé à plusieurs reprises, avant l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne, que l'article 3 de la Verordnung über wertbeständige Rechte s'oppose à l'inscription d'une hypothèque en monnaie étrangère. Les inscriptions opérées en violation de cette règle seraient irrémédiablement dépourvues d'efficacité et ne produiraient aucun effet juridique. En application de l'article 130 du GBG, elles devraient être radiées d'office.

15. Selon la juridiction de renvoi, l'ordre juridique autrichien ignore, sauf disposition légale expresse, la régularisation rétroactive d'actes juridiques nuls. En l'espèce au principal, l'inapplicabilité de la Verordnung über wertbeständige Rechte ne pourrait dès lors résulter que de l'interdiction, énoncée à l'article 73 B du traité, de toutes restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. La juridiction de renvoi estime à cet égard que, si, d'une part, l'article 73 B du traité interdit les entraves à l'inscription d'hypothèques en monnaie étrangère et si, d'autre part, il s'applique à des hypothèques dépourvues d'efficacité en vertu du droit national tout en étant inscrites au livre foncier à la date de l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne, la demanderesse au principal a acquis avant l'ouverture de la faillite une garantie hypothécaire efficace.

16. Les questions préjudicielles posées par le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien sont les suivantes :

" 1) Le refus d'admettre la constitution d'une hypothèque pour une dette libellée dans une devise étrangère (en l'occurrence, le mark allemand) est-il une restriction aux mouvements de capitaux et aux paiements, compatible avec l'article 73 B du traité CE?

2) a) L'article 73 B du traité CE rétroagit-il au point de régulariser des hypothèques entachées d'une nullité irrémédiable pour avoir été inscrites en mark allemand avant l'adhésion de l'Autriche à la Communauté européenne?

ou

b) Du fait de la demande d'adhésion de l'Autriche, du 17 juillet 1989, ainsi que de l'avis du 31 juillet 1991, les règles de droit européen relatives à la libre circulation des capitaux, en particulier l'article 73 B du traité CE, ont-elles déjà permis dès le 16 décembre 1991 d'inscrire en Autriche une hypothèque libellée dans une devise étrangère?"

Sur la première question

17. Par sa première question, la juridiction nationale demande en substance si l'article 73 B du traité s'oppose à la réglementation d'un État membre qui oblige à inscrire en monnaie nationale une hypothèque affectée à la garantie d'une créance payable dans la monnaie d'un autre État membre.

18. Dans l'arrêt Trummer et Mayer, précité, point 34, la Cour a jugé que l'article 73 B du traité s'oppose à une réglementation nationale qui oblige à inscrire en monnaie nationale une hypothèque affectée à la garantie d'une créance payable dans la monnaie d'un autre État membre.

19. La demanderesse au principal n'ayant fourni aucun élément de nature à reconsidérer cette jurisprudence, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui oblige à inscrire en monnaie nationale une hypothèque affectée à la garantie d'une créance payable dans la monnaie d'un autre État membre.

Sur la seconde question

20. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d'une part, si l'article 73 B du traité était d'application en Autriche avant même l'adhésion de cet État à l'Union européenne. Dans la négative, la juridiction de renvoi cherche à savoir, d'autre part, si l'article 73 B du traité est susceptible de régulariser une hypothèque inscrite avant l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne et affectée d'une nullité irrémédiable d'après le droit national applicable à l'époque.

Sur l'applicabilité de l'article 73 B du traité avant l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne

21. Conformément à l'article 73 A du traité, l'article 73 B du traité est entré en vigueur le 1er janvier 1994 dans les États qui faisaient alors partie de l'Union. La république d'Autriche n'ayant adhéré à celle-ci qu'à compter du 1er janvier 1995 et faute de disposition contraire dans l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1), l'article 73 B du traité n'a commencé à sortir ses effets dans cet État membre qu'à partir de cette dernière date.

22. Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à cette branche de la seconde question que l'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'appliquait pas en Autriche avant la date de l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne.

Sur l'applicabilité de l'article 73 B du traité à une inscription hypothécaire telle que celle en cause au principal

23. Il ressort de la description du cadre juridique national fournie par la juridiction de renvoi que la nullité affectant une inscription hypothécaire telle que celle en cause au principal est absolue et irrémédiable, agit ex tunc et est de nature à rendre inexistante ladite inscription.

24. Or, l'entrée en vigueur du droit communautaire dans un État membre ne saurait avoir pour effet de régulariser pareille inscription hypothécaire que dans la mesure où le droit national applicable lui reconnaîtrait une certaine valeur juridique aussi longtemps qu'une juridiction n'en aurait pas constaté la nullité.

25. Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à cette branche de la seconde question que l'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il n'est pas susceptible de régulariser, à compter de l'entrée en vigueur du traité CE en Autriche, une inscription hypothécaire affectée, dans le système juridique national en cause, d'une nullité absolue et irrémédiable, agissant ex tunc et de nature à rendre inexistante ladite inscription.

Sur les dépens

26. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien, par ordonnance du 28 octobre 1998, dit pour droit :

1) L'article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui oblige à inscrire en monnaie nationale une hypothèque affectée à la garantie d'une créance payable dans la monnaie d'un autre État membre.

2) L'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'appliquait pas en Autriche avant la date de l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne.

3) L'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il n'est pas susceptible de régulariser, à compter de l'entrée en vigueur du traité CE en Autriche, une inscription hypothécaire affectée, dans le système juridique national en cause, d'une nullité absolue et irrémédiable, agissant ex tunc et de nature à rendre inexistante ladite inscription.