CJCE, 23 septembre 2003, n° C-452/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Margarethe Ospelt
Défendeur :
Schlössle Weissenberg Familienstiftung
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Puissochet, Wathelet, Schintgen, Timmermans
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
MM. Gulmann, Edward, La Pergola, Jann, Skouris, Mmes Macken, Colneric, Von Bahr, Rodrigues, Rosas
Avocat :
Me Hopp
LA COUR,
1. Par ordonnance du 19 octobre 2001, parvenue à la Cour le 22 novembre suivant, le Verwaltungsgerichtshof a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE) ainsi que 73 B à 73 D, 73 F et 73 G du traité CE (devenus articles 56 CE à 60 CE).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure engagée par Mme Ospelt et la Schlössle Weissenberg Familienstiftung (ci-après la "fondation") à l'encontre d'une décision par laquelle la Grundverkehrslandeskommission des Landes Vorarlberg a refusé la cession à la fondation d'un terrain appartenant à Mme Ospelt au motif que les conditions d'acquisition de terrains agricoles et forestiers fixées par la législation du Land du Vorarlberg (Autriche) n'étaient pas remplies.
Le cadre juridique
Le droit communautaire et l'accord sur l'Espace économique européen
3. Aux termes de l'article 6, premier alinéa, du traité :
"Dans le domaine d'application du présent traité et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité."
4. L'article 73 B, paragraphe 1, du traité stipule :
"Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites."
5. Selon l'article 73 C, paragraphe 1, du traité :
"L'article 73 B ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers [...]."
6. L'article 40 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'"accord EEE"), stipule :
"Dans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de la CE ou dans les États de l'AELE, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont interdites. Les dispositions nécessaires à l'application du présent article figurent à l'annexe XII."
7. Ladite annexe XII déclare applicable à l'Espace économique européen (ci-après l'"EEE") la directive 88-361-CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité (JO L 178, p. 5). L'annexe I de cette directive, qui établit une nomenclature des mouvements de capitaux qui a conservé la valeur indicative qui était la sienne pour définir la notion de mouvement de capitaux (voir arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222-97, Rec. p. I-1661, point 21), précise que cette notion comprend les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d'un État membre.
8. L'article 6 de l'accord EEE prévoit notamment que, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité, les dispositions de cet accord "sont, pour leur mise en œuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de signature du présent accord".
La réglementation autrichienne
9. En vertu de l'article VII de la Bundes-Verfassungsgesetznovelle 1974 (loi de 1974 portant révision de la Constitution fédérale, BGBl. n° 444), les Länder sont habilités à introduire des restrictions administratives sur les transactions foncières dans l'intérêt général du maintien, du renforcement ou de la création d'une population agricole viable.
10. En ce qui concerne le Land du Vorarlberg, le Vorarlberger Grundverkehrsgesetz (loi sur la propriété foncière), du 23 septembre 1993 (LGBl. 1993-61), tel que modifié (LGBl. 1995-11, 1996-9, 1997-21 et 1997-85, ci-après le "VGVG"), dispose à son article 1er :
"1) Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux transactions portant sur :
a) les terrains agricoles et forestiers,
b) les terrains à bâtir,
c) les terrains sur lesquels des étrangers acquièrent des droits.
[...]
3) La présente loi a pour objectif :
a) de conserver les terrains agricoles et forestiers des exploitations agricoles familiales afin d'en améliorer les structures conformément aux caractéristiques naturelles du Land,
[...]
c) de conserver une répartition de la propriété foncière aussi large que possible, supportable socialement et correspondant à la taille du Land,
d) de soumettre à des restrictions l'acquisition de biens fonciers par des étrangers qui ne sont pas assimilés à des nationaux par des dispositions de droit communautaire."
11. L'article 3, paragraphe 1, du VGVG prévoit :
"Sous réserve des dispositions de l'article 2 et pour autant que cela ressorte des dispositions de l'Union européenne, les règles relatives aux acquisitions foncières par des étrangers ne s'appliquent pas :
[...]
e) aux personnes et aux sociétés ayant pour but de réaliser des investissements directs, des investissements immobiliers et d'autres opérations relevant de la libre circulation des capitaux."
12. L'article 4, paragraphe 1, du VGVG se lit comme suit :
"Les transactions portant sur des terrains agricoles ou forestiers sont subordonnées à l'autorisation de l'autorité compétente pour les transactions en matière foncière [...], lorsqu'elles portent sur les droits suivants :
a) la propriété,
b) le droit de construire [...],
c) le droit d'usage ou le droit d'usufruit,
d) le droit d'affermage d'exploitations agricoles
[...]"
13. L'article 5 du VGVG est ainsi libellé :
"1. L'acquisition est uniquement autorisée :
a) dans le cas de terrains agricoles, lorsqu'elle est conforme à l'intérêt général de la conservation d'une population agricole efficace et que l'acquéreur exploite lui-même le terrain dans le cadre d'une exploitation agricole dans laquelle il a aussi sa résidence ou, si tel n'est pas le cas, lorsque cette acquisition ne va pas à l'encontre de la conservation et de la création de propriétés foncières agricoles saines, de petites et moyennes dimensions,
b) dans le cas de terrains forestiers, lorsqu'elle ne va pas à l'encontre des intérêts de la sylviculture en particulier et des intérêts économiques généraux,
[...]
2. Les conditions visées au paragraphe 1 ne sont en particulier pas remplies lorsque :
a) le terrain perdrait, sans raison importante, son affectation agricole ou forestière,
[...]
c) il faut supposer que le terrain est acquis uniquement en vue de constituer ou d'accroître une grande propriété foncière ou des zones de chasse,
d) il faut supposer que, à plus long terme, l'exploitation par le propriétaire lui-même n'est pas assurée ou que l'acquéreur ne possède pas les connaissances spécialisées nécessaires à cette exploitation autonome,
e) l'occupation favorable des sols obtenue dans le cadre d'un processus de remembrement rural serait remise en cause sans raison impérative,
[...]"
14. L'article 11 du VGVG prévoit une dispense d'autorisation pour toute une série d'acquisitions, notamment celles qui interviennent entre parents ou alliés en ligne directe ou qui sont faites par des héritiers légaux à la suite d'une succession ou d'un legs.
15. Selon l'article 25 du VGVG, en cas de refus d'autorisation, l'acte d'acquisition perd rétroactivement ses effets juridiques.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16. Mme Ospelt, ressortissante de la principauté de Liechtenstein, possède un terrain de 43 532 m2 sur lequel elle réside à Zwischenwasser, dans le Land du Vorarlberg. Cette propriété comprend un château où réside Mme Ospelt. La plupart des autres lots constituant cette propriété sont des terrains agricoles qui ont été affermés à des exploitants agricoles. D'autres lots sont des terrains forestiers.
17. Le 16 avril 1998, l'ensemble de la propriété a fait l'objet d'un acte notarié visant à affecter celle-ci au patrimoine de la fondation, qui est établie en principauté de Liechtenstein et dont Mme Ospelt est la bénéficiaire de premier rang. Ledit acte visait à empêcher le partage par héritage de ce patrimoine familial. La fondation déclarait avoir l'intention de continuer à donner les terrains agricoles à ferme aux mêmes exploitants que précédemment.
18. Le 22 avril 1998, l'autorisation requise par l'article 4, paragraphe 1, du VGVG (ci-après l'"autorisation préalable") a été demandée à la Grundverkehrslandeskommission des Landes Vorarlberg. Celle-ci a rejeté la demande, en considérant que les conditions d'acquisition par des étrangers n'étaient pas remplies.
19. L'Unabhängiger Verwaltungssenat (Autriche), saisi en appel par Mme Ospelt et la fondation, a également, par une décision du 19 octobre 1998, refusé de délivrer l'autorisation préalable, au motif que la fondation, tout comme Mme Ospelt, n'exerçait pas d'activité agricole ni n'envisageait un tel exercice à l'avenir et qu'une telle transaction était contraire aux objectifs d'intérêt public visés dans le VGVG quant au maintien et à la création de petites et moyennes exploitations agricoles économiquement viables. Il a considéré que ce motif de refus était applicable également lorsque le terrain en cause n'était, comme en l'espèce au principal, pas exploité par la personne qui en était jusque-là propriétaire.
20. Mme Ospelt et la fondation ont introduit un recours contre cette décision devant le Verfassungsgerichtshof (Autriche). Par décision du 26 septembre 2000, celui-ci s'est dessaisi de l'affaire pour la renvoyer devant le Verwaltungsgerichtshof.
21. Ce dernier a relevé dans l'ordonnance de renvoi que la Cour avait jugé, par son arrêt du 1er juin 1999, Konle (C-302-97, Rec. p. I-3099), s'agissant de terrains à bâtir, que des restrictions à la libre circulation des capitaux étaient permises au nom d'objectifs d'aménagement du territoire. Il a souligné, d'une part, que la Cour n'avait cependant pas encore apprécié si les objectifs poursuivis par un régime d'autorisation préalable tel que celui en cause au principal, relatif à des terrains agricoles et forestiers et institué dans l'intérêt du secteur agricole, pouvaient justifier des restrictions à la liberté des mouvements de capitaux. D'autre part, il a considéré que la Cour n'avait pas davantage examiné dans son arrêt Konle, précité, si un tel régime d'autorisation préalable, jugé depuis toujours nécessaire par le législateur du Land du Vorarlberg et appliqué de manière non discriminatoire, pouvait être regardé comme nécessaire au regard desdits objectifs.
22. C'est dans ces conditions que le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) L'article 12 CE (anciennement article 6 du traité CE) ainsi que les articles 56 CE et suivants (anciennement articles 73 B et suivants du traité CE) doivent-ils être interprétés en ce sens que les règles qui soumettent à des restrictions administratives les transactions portant sur des terrains agricoles et forestiers dans l'intérêt général du maintien, du renforcement ou de la création d'une population agricole viable sont aussi valables à l'égard d'États membres de l'EEE en tant que pays tiers' en vertu de l'article 56, paragraphe 1, CE [...] eu égard aux libertés fondamentales garanties par une disposition de droit communautaire applicable, en particulier à la libre circulation des capitaux?
2) Dans l'hypothèse où la première question appelle une réponse affirmative, l'article 12 CE [...] et les articles 56 CE et suivants [...] doivent-ils être interprétés en ce sens que le fait pour les demanderesses de devoir se soumettre, en vertu [du VGVG], à une procédure d'autorisation avant même l'inscription du droit de propriété dans le registre foncier en cas de transaction portant sur des terrains agricoles entraîne une violation du droit communautaire ainsi que d'une liberté fondamentale des demanderesses garantie par une disposition de droit communautaire qui est aussi applicable à l'égard des États membres de l'EEE en tant que pays tiers' en vertu de l'article 56, paragraphe 1, CE [...]?"
Sur la première question
23. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si des règles telles que celles du VGVG qui soumettent à des restrictions administratives les transactions portant sur des terrains agricoles et forestiers pourraient, dans l'hypothèse où les articles 6 ainsi que 73 B à 73 D, 73 F et 73 G du traité ne feraient pas obstacle à leur application à de telles transactions entre les ressortissants d'États membres, être également admises, au regard des mêmes articles, pour les transactions entre les ressortissants d'États membres et ceux d'un pays tiers. Compte tenu des données factuelles du litige au principal et du libellé des questions préjudicielles, la juridiction de renvoi paraît ainsi considérer implicitement la principauté de Liechtenstein, membre de l'Association européenne de libre-échange (ci-après l'"AELE"), comme un pays tiers au sens de l'article 73 B du traité.
24. À titre liminaire, il convient de rappeler que, si l'article 222 du traité CE (devenu article 295 CE) ne met pas en cause la faculté des États membres d'instituer un régime d'acquisition de la propriété foncière prévoyant des mesures spécifiques aux transactions portant sur des terrains agricoles et forestiers, un tel régime n'échappe pas aux règles fondamentales du droit communautaire, notamment celles de non-discrimination, de liberté d'établissement et de liberté des mouvements de capitaux (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 1984, Fearon, 182-83, Rec. p. 3677, point 7, et Konle, précité, points 7 et 22). Plus particulièrement, la Cour a jugé que la portée des mesures nationales qui réglementent l'acquisition de la propriété foncière devait être appréciée au regard des dispositions du traité relatives aux mouvements de capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2002, Reisch e.a., C-515-99, C-519-99 à C-524-99 et C-526-99 à C-540-99, Rec. p. I-2157, points 28 à 31).
25. Par ailleurs, l'accord EEE, auquel sont parties notamment la République d'Autriche depuis le 1er janvier 1994 et la principauté de Liechtenstein depuis le 1er mai 1995 (décision n° 1-95 du Conseil de l'EEE, du 10 mars 1995, relative à l'entrée en vigueur de l'accord sur l'Espace économique européen pour la principauté de Liechtenstein, JO L 86, p. 58), stipule, à son article 40, que "[d]ans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de la CE ou dans les États de l'AELE, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont interdites".
26. L'annexe XII de l'accord EEE, qui contient les dispositions nécessaires à l'application de son article 40, déclare applicables à l'EEE la directive 88-361 et l'annexe I de cette directive.
27. Les stipulations de l'article 40 et de l'annexe XII de l'accord EEE sont applicables dans le litige au principal qui porte sur une transaction entre ressortissants d'États parties à cet l'accord. La Cour peut les interpréter dans la mesure où elle est saisie par une juridiction d'un État membre de la portée dans ce même État d'un accord qui fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire (voir arrêts du 15 juin 1999, Andersson et Wåkerås-Andersson, C-321-97, Rec. p. I-3551, points 26 à 31, et du 15 mai 2003, Salzmann, C-300-01, non encore publié au Recueil, point 65).
28. Or, il résulte de ces stipulations que les règles interdisant les restrictions aux mouvements de capitaux et la discrimination qu'elles énoncent sont, s'agissant des relations entre les États parties à l'accord EEE, qu'ils soient membres de la Communauté ou membres de l'AELE, identiques à celles que le droit communautaire impose dans les relations entre les États membres. Les mesures nationales relatives aux acquisitions de terrains agricoles et forestiers ne sont donc pas davantage qu'en droit communautaire soustraites à l'application desdites règles.
29. En outre, l'un des principaux objectifs de l'accord EEE est de réaliser de la manière la plus complète possible la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux dans l'ensemble de l'EEE, de sorte que le marché intérieur réalisé sur le territoire de la Communauté soit étendu aux États de l'AELE. Dans cette perspective, plusieurs stipulations dudit accord visent à garantir une interprétation aussi uniforme que possible de celui-ci sur l'ensemble de l'EEE (voir avis 1-92, du 10 avril 1992, Rec. p. I-2821). Il appartient à la Cour, dans ce cadre, de veiller à ce que les règles de l'accord EEE identiques en substance à celles du traité soient interprétées de manière uniforme à l'intérieur des États membres.
30. Il serait contraire à cet objectif d'uniformité d'application des règles relatives à la liberté des mouvements de capitaux dans l'EEE qu'un État comme la République d'Autriche, qui est partie à cet accord, entré en vigueur le 1er janvier 1994, puisse, après son adhésion à l'Union européenne, le 1er janvier 1995, maintenir une législation restrictive de cette liberté à l'égard d'un autre État partie à cet accord en se fondant sur l'article 73 C du traité.
31. Dans ces conditions, depuis le 1er mai 1995, date de l'entrée en vigueur de l'accord EEE à l'égard de la principauté de Liechtenstein, et dans les secteurs couverts par celui-ci, les États membres ne peuvent plus invoquer l'article 73 C à l'égard de la principauté de Liechtenstein. Par suite et contrairement à ce que soutient le Gouvernement autrichien, la Cour n'a pas à examiner, sur le fondement de cette disposition, si les restrictions aux mouvements de capitaux entre l'Autriche et le Liechtenstein résultant du VGVG étaient déjà en substance en vigueur le 31 décembre 1993 et si, de ce fait, elles pouvaient, en application du même article, être maintenues.
32. Dès lors, il y a lieu de répondre à la première question que des règles telles que celles du VGVG, qui soumettent à des restrictions administratives les transactions portant sur des terrains agricoles et forestiers, doivent, s'agissant d'une transaction entre ressortissants d'États parties à l'accord EEE, être appréciées au regard de l'article 40 et de l'annexe XII dudit accord, stipulations qui revêtent la même portée juridique que celle des dispositions, identiques en substance, de l'article 73 B du traité.
Sur la seconde question
33. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si les articles 6 ainsi que 73 B à 73 D, 73 F et 73 G du traité s'opposent à une procédure d'autorisation préalable telle que celle que le VGVG institue en cas de transaction portant sur des terrains agricoles.
34. Des mesures qui, telles que celles en cause au principal, restreignent par leur objet même la liberté de circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt Konle, précité, point 39) peuvent néanmoins être admises si, d'une part, elles poursuivent de manière non discriminatoire un objectif d'intérêt général et si, d'autre part, elles respectent le principe de proportionnalité, c'est-à-dire si elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir, en ce sens, arrêts précités Konle, point 40, et Salzmann, point 42). En outre, s'agissant de l'octroi d'une autorisation préalable, ces mesures doivent être fondées sur des critères objectifs, connus à l'avance, permettant à toute personne frappée par une mesure restrictive de ce type de disposer d'une voie de recours (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 2001, Analir e.a., C-205-99, Rec. p. I-1271, point 38).
35. En premier lieu, en ce qui concerne la condition de non-discrimination, il ressort de l'article 3 du VGVG que les règles relatives aux acquisitions foncières par des étrangers ne s'appliquent pas, "pour autant que cela ressorte des dispositions de l'Union européenne", "aux personnes et aux sociétés ayant pour but de réaliser [...] des investissements immobiliers et d'autres opérations relevant de la libre circulation des capitaux". Ces dispositions respectent l'exigence d'identité de traitement entre les acquéreurs autrichiens et les personnes qui n'ont pas cette nationalité et qui, résidant dans l'un des États membres, font usage des libertés garanties par le traité (voir, en ce sens, arrêt Reisch e.a., précité, point 34).
36. Toutefois, lesdites dispositions ne visent explicitement ni l'accord EEE ni l'exercice de la libre circulation des capitaux par les résidents des États parties à cet accord. Elles paraissent ainsi limiter aux seuls résidents des États membres l'assimilation aux nationaux. Il n'est donc pas certain qu'elles puissent s'opposer à des pratiques discriminatoires à l'encontre de résidents d'États de l'AELE, qui sont parties à l'accord EEE et ne sont pas membres de la Communauté. En l'absence d'autres éléments produits devant la Cour, il revient à la juridiction de renvoi d'apprécier si cette législation, à la lumière des autres dispositions de l'article 3 et de l'ensemble du VGVG, peut, sur ce point, être interprétée d'une manière compatible avec l'article 40 de l'accord EEE.
37. S'agissant, en revanche, de l'exigence de résidence fixée à l'article 5, paragraphe 1, sous a), du VGVG, il est constant qu'elle a été instituée dans le cadre d'une législation sur la propriété foncière agricole qui poursuit des objectifs spécifiques de maintien d'une population agricole et d'exploitations viables. Contrairement à ce que font valoir Mme Ospelt et la fondation, elle n'effectue aucune distinction entre les nationaux et les ressortissants d'autres États membres de la Communauté ou, plus largement, d'États parties à l'accord EEE. Elle ne revêt donc pas, a priori, un caractère discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt Fearon, précité, point 10).
38. En second lieu, en ce qui concerne la condition tenant aux finalités des mesures nationales en cause, il ne fait aucun doute que le VGVG poursuit des objectifs d'intérêt général qui sont de nature à justifier des restrictions à la liberté des mouvements de capitaux.
39. D'une part, maintenir la population agricole, conserver une répartition de la propriété foncière permettant le développement d'exploitations viables et l'entretien harmonieux de l'espace et des paysages ainsi que favoriser un usage raisonnable des terres disponibles en luttant contre la pression foncière et en prévenant les risques naturels sont des objectifs sociaux.
40. D'autre part, ainsi que le soutiennent le Gouvernement autrichien et la Commission, ces objectifs correspondent à ceux de la politique agricole commune, politique qui vise, en vertu de l'article 39, paragraphe 1, sous b), du traité CE [devenu article 33, paragraphe 1, sous b), CE], à "assurer [...] un niveau de vie équitable à la population agricole" et dont l'élaboration doit tenir compte, selon le paragraphe 2, sous a), de cet article, "du caractère particulier de l'activité agricole, découlant de la structure sociale de l'agriculture et des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles".
41. En troisième lieu, s'agissant de la condition de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu'un régime d'autorisation préalable peut, dans certains cas, être nécessaire et proportionnel aux buts poursuivis si les mêmes objectifs ne sauraient être atteints par des mesures moins restrictives, notamment par un système de déclarations (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a., C-163-94, C-165-94 et C-250-94, Rec. p. I-4821, points 23 à 28; Konle, précité, point 44, et du 4 juin 2002, Commission/France, C-483-99, Rec. p. I-4781, point 46).
42. Tel est le cas lorsque les autorités nationales cherchent à maîtriser l'évolution des structures foncières agricoles en se fixant des objectifs tels que ceux du VGVG.
43. En effet, l'objectif de soutien et de développement d'une agriculture viable, au nom de considérations sociales et d'aménagement du territoire, implique le maintien de la destination agricole des terrains affectés à cet usage et la continuité de leur exploitation dans des conditions satisfaisantes. Dans ce cadre, le contrôle préalable exercé par les autorités compétentes ne répond pas simplement à un besoin d'information, mais vise à garantir que la cession des terrains agricoles n'aura pas pour conséquence l'arrêt de leur exploitation ou une utilisation qui présenterait un risque d'incompatibilité avec leur affectation durable aux besoins de l'agriculture.
44. Un contrôle des autorités nationales qui s'effectuerait postérieurement à la cession de ces terrains ne présenterait pas les mêmes garanties. Il ne pourrait faire obstacle à une cession qui serait contraire à cette finalité de continuité d'exploitation, et ne serait donc pas en adéquation avec ledit objectif. En outre, des interventions a posteriori, telles que des mesures d'annulation de la transaction, des sanctions ou des décisions d'expulsion, ne pourraient relever que des juridictions et occasionneraient des délais peu compatibles avec les exigences de continuité de l'exploitation et de bonne gestion foncière. La sécurité juridique serait ainsi altérée, alors qu'elle constitue l'une des préoccupations essentielles de tout régime de transfert de propriété immobilière.
45. À la différence des mesures de contrôle visant à interdire l'édification de résidences secondaires à la suite de la cession de terrains à bâtir, qui peuvent intervenir après la transaction sans nuire à cet objectif (voir, en ce sens, arrêt Reisch e.a., précité, points 37 à 39), des dispositions nationales telles que celles du VGVG ne peuvent donc parvenir aux buts fixés que si des atteintes irrémédiables ne sont pas portées à la vocation agricole des terrains. Dans ces conditions, le principe même d'un régime d'autorisation préalable ne saurait être contesté. La Cour a d'ailleurs déjà admis qu'un tel régime en matière d'acquisition de la propriété n'est pas nécessairement contraire au droit communautaire (voir arrêt Konle, précité, point 45).
46. Toutefois, le mécanisme d'autorisation préalable retenu ne doit pas, par ses modalités et les conditions de fond qu'il prévoit, aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l'objectif poursuivi soit atteint.
47. Or, l'une des conditions fixées par le VGVG ne répond pas pleinement à ces exigences.
48. En effet, si le VGVG repose sur des critères qui permettent aux investisseurs concernés de connaître les circonstances spécifiques et objectives dans lesquelles il sera accédé à leur demande (voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, point 50), son article 5, paragraphe 1, sous a), subordonne l'acquisition de terrains agricoles à une condition restrictive qui n'est pas dans tous les cas nécessaire au regard des buts qu'il poursuit.
49. Dans le litige au principal, la transaction entre Mme Ospelt et la fondation a été refusée, en application de l'article 5, paragraphe 1, sous a), du VGVG, aux motifs que la fondation n'exerçait pas d'activité d'exploitant agricole, qu'elle n'avait pas davantage l'intention de le faire et que l'acquisition de terrains agricoles en vue de les donner à nouveau en location à des agriculteurs était contraire à l'objectif du VGVG visant à garantir que les acquéreurs de terrains agricoles soient eux-mêmes exploitants. L'Unabhängiger Verwaltungssenat a précisé que ces motifs étaient également applicables lorsque les terrains concernés étaient, comme en l'espèce au principal, exploités avant la transaction par d'autres personnes que le propriétaire. En statuant ainsi, l'autorité compétente paraît s'être fondée sur la circonstance que la condition énoncée à l'article 5, paragraphe 1, sous a), du VGVG, selon laquelle l'acquéreur doit exploiter lui-même le terrain dans le cadre d'une exploitation dans laquelle il a aussi sa résidence, n'était pas remplie.
50. Or, si le VGVG était interprété par les autorités nationales en ce sens qu'il subordonne, en toute circonstance, la délivrance de l'autorisation préalable au transfert de propriété au respect de cette condition, il irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d'intérêt général qu'il poursuit et devrait, dans cette mesure, être regardé comme incompatible avec la liberté des mouvements de capitaux.
51. Ainsi, lorsque, dans une situation telle que celle du litige au principal, le terrain sur lequel porte la cession est, au moment de la vente, exploité non par le propriétaire mais par un agriculteur preneur d'un bail, une telle condition fait obstacle à une transaction opérant cette cession au profit d'un nouveau propriétaire qui ne serait pas davantage exploitant du fonds et qui ne résiderait pas sur le terrain, mais qui se serait engagé à maintenir les conditions d'exploitation de ce terrain par le même preneur. En réservant les possibilités d'acquisition et d'exploitation aux agriculteurs disposant des ressources leur permettant d'être propriétaires des terrains concernés, cette condition a ainsi pour conséquence de limiter les possibilités d'affermage proposées aux agriculteurs ne disposant pas de telles ressources. Elle a par ailleurs pour effet d'exclure que des personnes morales, y compris celles ayant pour finalité l'exploitation agricole, puissent acquérir un terrain agricole. Elle fait donc obstacle à des projets de cession qui ne remettent nullement en cause par eux-mêmes l'affectation agricole et la continuité d'exploitation de terrains par des agriculteurs ou des personnes morales telles que des groupements d'exploitants.
52. En outre, comme le fait valoir le Gouvernement de la principauté de Liechtenstein, d'autres mesures moins attentatoires à la liberté des mouvements de capitaux pourraient contribuer au même objectif de maintien d'une population agricole viable. La cession de terrains agricoles à une personne morale pourrait, par exemple, être assortie d'obligations particulières, telles que l'affermage du terrain à long terme. Pourraient être également envisagés des mécanismes de préemption au profit des preneurs de baux qui admettraient, dans l'hypothèse où ces derniers ne se porteraient pas acquéreurs, des possibilités d'acquisition par des propriétaires non exploitants qui s'engageraient à maintenir l'affectation agricole du terrain.
53. Toutefois, le VGVG prévoit à l'article 5, paragraphe 1, sous a), que l'acquisition peut être autorisée, alors même que la condition visée aux points 48 à 52 du présent arrêt ne serait pas remplie, si cette acquisition "ne va pas à l'encontre de la conservation et de la création de propriétés foncières agricoles saines, de petites et moyennes dimensions". Si, compte tenu de cette disposition, le VGVG était interprété par les autorités nationales en ce sens que l'autorisation préalable peut être délivrée, en fonction des circonstances, à des personnes qui ne sont pas des exploitants résidant sur les terrains concernés mais qui donnent les garanties nécessaires au maintien de l'affectation agricole desdits terrains, le VGVG ne restreindrait pas la liberté des mouvements de capitaux au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs.
54. Il y a donc lieu de répondre à la seconde question que les articles 73 B à 73 D, 73 F et 73 G du traité ne s'opposent pas à ce que l'acquisition de terrains agricoles soit subordonnée à la délivrance d'une autorisation préalable telle que celle instituée par le VGVG. Toutefois, ils font obstacle à ce que cette autorisation soit en toute circonstance refusée au motif que l'acquéreur n'exploite pas lui-même les terrains concernés dans le cadre d'une exploitation agricole et n'a pas sa résidence dans celle-ci.
Sur les dépens
55. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien, de la principauté de Liechtenstein et norvégien, ainsi que par la Commission et l'Autorité de surveillance AELE, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Verwaltungsgerichtshof, par ordonnance du 19 octobre 2001, dit pour droit:
1) Des règles telles que celles du Vorarlberger Grundverkehrsgesetz (loi sur la propriété foncière), du 23 septembre 1993, tel que modifié, qui soumettent à des restrictions administratives les transactions portant sur des terrains agricoles et forestiers, doivent, s'agissant d'une transaction entre ressortissants d'États parties à l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992, être appréciées au regard de l'article 40 et de l'annexe XII dudit accord, stipulations qui revêtent la même portée juridique que celle des dispositions, identiques en substance, de l'article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE).
2) L'article 73 B du traité ainsi que les articles 73 C, 73 D, 73 F et 73 G du traité CE (devenus articles 57 CE à 60 CE) ne s'opposent pas à ce que l'acquisition de terrains agricoles soit subordonnée à la délivrance d'une autorisation préalable telle que celle instituée par ladite loi. Toutefois, ils font obstacle à ce que cette autorisation soit en toute circonstance refusée au motif que l'acquéreur n'exploite pas lui-même les terrains concernés dans le cadre d'une exploitation agricole et n'a pas sa résidence dans celle-ci.