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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 22 mars 2005, n° 04-05000

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lambert

Défendeur :

Marcade, Javogue

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Debû

Conseillers :

MM. Grellier, Savatier

Avoués :

SCP Verdun-Seveno, SCP Naboudet-Hatet

Avocats :

Mes Simoni, Manciet

TGI Paris, 5e ch., 1re sect., du 10 juil…

10 juillet 2002

Le 4 novembre 1984, M. Jean-Claude Marcade a écrit au dos de la reproduction photographique en noir et blanc d'une œuvre : "Je soussigné ... certifie que cette gouache (32 x 25 cm) est bien de Malévitch et peut être datée de 1915 ".

Le 31 juillet 1998, M. Emmanuel Javogue a vendu pour le prix de 225 000 F à M. Jacques Lambert une œuvre ainsi décrite sur la facture:

Casimir Malévitch

"Composition Suprématiste"

Gouache on paper

Circa 1915

32 x 25 cm

Certicifate by Mr Marcadé, 1984,

Il est aussi indiqué une bibliographie mentionnant que l'œuvre est reproduite dans deux catalogues d'expositions qui se sont tenues eu 1993, ainsi que des renseignements sur sa provenance.

M. Lambert a confié, en août 2000, cette œuvre à la société Philips pour qu'elle soit vendue lors d'une vente publique organisée le 7 novembre 2000. Elle figure au catalogue avec une estimation de prix de 100 000 - 150 000 $.

Elle a été retirée de la vente au vu d'une expertise de Mme Alexandra Shatskikh qui a conclu que l'œuvre a été réalisée par un artiste inconnu de la deuxième moitié du 20e siècle.

Cet avis a été suivi d'une analyse technique réalisée à la demande de M. Lambert par Mme Sylvaine Brans qui a identifié un pigment, du bleu phtalocyanine, qui, selon elle, n'a été introduit pour la première fois qu'en novembre 1935 et n'est devenu courant chez les artistes qu'après la seconde guerre mondiale.

M. Lambert a assigné M. Javogue et M. Marcade en nullité de la vente et pour les voir condamner à réparer le préjudice qu'il invoque.

Par jugement du 10 juillet 2002, le Tribunal de grande instance de Paris statuant par jugement réputé contradictoire, M. Javogue n'ayant pas comparu, a débouté M. Lambert de ses demandes et l'a condamné à payer à M. Marcade la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel formé par M. Lambert;

Vu les conclusions du 1er décembre 2004 par lesquelles celui-ci poursuivant l'infirmation du jugement demande de :

- annuler la vente du 31 juillet 1998 pour erreur sur la qualité substantielle de l'œuvre;

- lui donner acte de ce qu'il offre de restituer celle-ci à M. Javogue ;

- condamner celui-ci à lui payer la somme de 34 301 euro en restitution du prix avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001;

- condamner in solidum M. Javogue et M. Marcade à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 31 mars 2003 par lesquelles M. Marcade, poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté M. Lambert de ses prétentions, demande la condamnation de celui-ci à lui payer la somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu l'assignation du 21 août 2003 et la réassignation du 4 mars 2004 de M. Javogue ;

Sur ce:

Considérant que M. Javogue n'a pas constitué avoué bien que régulièrement assigné et réassigné ; qu'il n'est pas établi que ces actes ont été délivrées à sa personne; que la demande d'annulation de la vente n'a pas le même objet que celle dirigée contre M. Marcade; que l'arrêt doit donc être rendu par défaut à son égard conformément aux dispositions de l'article 473 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que si l'affaire a été rétablie à la demande de M. Lambert après avoir fait l'objet d'un retrait du rôle par mention au dossier lors de l'audience du 8 décembre 2003, l'ordonnance de clôture rendue le 2 décembre 2003 n'a pas été révoquée;

Qu'il y a donc lieu de déclarer d'office irrecevable les conclusions déposées par M. Lambert le 16 mars 2004, postérieurement à la clôture de l'instruction de l'affaire, ainsi que les pièces communiquées le même jour numérotées 51 et 52;

Considérant que les conclusions déposées par M. Lambert le 1er décembre 2003 n'ont pas portées atteintes à la loyauté des débats dès lors qu'elles ne contiennent aucun moyen nouveau ou demande nouvelle et que dans ses conclusions M. Marcade avait par avance réfuté les arguments repris par ces conclusions;

Que ce dernier n'explique pas en quoi les pièces qui lui ont été communiquées à cette date portent atteinte au principe de la contradiction et à ses droits, alors que pour l'essentiel il s'agit d'ouvrages qu'il a écrit ou auxquels il a participé, de sorte qu'il ne peut prétendre en ignorer la teneur, ou d'exemples de certificats d'authenticité destinés à justifier qu'il est d'usage de rédiger ceux-ci art dos d'une photographie de l'œuvre;

Que la demande de rejet des débats de ces conclusions et pièces formée le 4 décembre 2003 ne sera donc pas accueillie;

Sur la nullité de la vente:

Considérant qu'il ressort des pièces produites, notamment de la lettre de la société de vente Philips, de l'avis de l'expert Mme Shatskikh, et du compte rendu d'analyse technique, qu'il existe un doute sérieux sur l'authenticité de l'œuvre acquise le 31 juillet 1998 par M. Lambert;

Considérant que la certitude de cette authenticité constituait une qualité substantielle de cette gouache de petit format représentant une composition de rectangles de couleurs, M. Lambert n'ayant contracté que dans la conviction, erronée, qu'il s'agissait d'une œuvre de Malévitch comme le démontre d'une part le prix payé et d'autre part la précision de la facture qui détaille les éléments accréditant cette attribution;

Considérant que l'erreur commise par l'acquéreur sur une telle qualité autorise celui-ci à poursuivre la nullité de la vente comme le prévoient les articles 1110 et 1117 du Code civil;

Qu'il y a donc lieu de condamner le vendeur, M. Javogue à restituer le prix qu'il a reçu, soit la somme de 34 301 euro, à. l'acquéreur M. Lambert qui, en contrepartie, devra lui restituer l'œuvre en cause; que cette somme produit intérêt au taux légal à compter du 3 avril 2001, date à laquelle le vendeur a été mis en demeure de restituer le prix;

Sur la demande de dommages-intérêts:

Considérant que pour prétendre obtenir la condamnation de son vendeur, in solidum avec M. Marcade, M. Lambert se borne à lui faire grief de n'avoir pas donné de suite à ses lettres l'informant de la découverte de l'absence d'authenticité de l'œuvre vendue;

Que, cependant, aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'inertie de M. Javogue est fautive et que cette prétendue faute a causé un préjudice à M. Lambert, étant observé que la condamnation à des intérêts courant à compter de la réclamation, compense le délai dans lequel lui sera restitué le prix qui lui est dû;

Considérant que M. Lambert fait grief à M. Marcade d'avoir délivré le 4 novembre 1984 le certificat d'authenticité reproduit ci-dessus, sans émettre aucune réserve, de sorte qu'il l'a induit en erreur et a engagé sa responsabilité envers lui;

Que pour nier celle-ci, M. Marcade prétend, d'abord, qu'il n'est pas établi que l'œuvre acquise par M. Lambert est celle qu'il a certifié authentique, ensuite, qu'il n'est pas un expert mais un simple sachant, historien d'art et qu'il n'aurait, en tout état de cause, qu'une obligation de moyen, encore, que M. Lambert a commis une faute inexcusable en se contentant d'un tel certificat et qu'il aurait dû être alerté par le prix demandé qui serait selon lui trop faible pour une telle œuvre si elle était authentique, enfin, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute qui lui est reprochée et le préjudice invoqué, dés lors que le certificat n'a pas été déterminant dans la décision de M. Lambert d'acheter l'œuvre litigieuse;

Considérant que M. Marcade ne produit aucune pièce et ne donne aucune explication de fait de nature à justifier l'allégation selon laquelle l'œuvre vendue ne serait pas celle qu'il a certifiée authentique; qu'au contraire, M. Lambert produit l'original du certificat ; qu'aucune des personnes qui ont été eu possession de ce certificat et de l'œuvre n'a émis de réserve sur leur concordance ; que la société de vente Phillips, professionnelle de la vente d'objets d'art, a cité ce certificat dans le catalogue de la vente à laquelle elle entendait présenter l'œuvre, ce qu'elle n'a pu faire qu'après avoir examiné les deux pièces ; que l'œuvre a été présentée entre 1984 et 1998 dans plusieurs expositions ce qui montre qu'elle n'est pas demeurée cachée ; que personne ne s'est présenté pour prétendre qu'il s'agissait d'une copie de l'œuvre authentifiée par M. Marcade en 1984; que M. Lambert établit donc qu'il est en possession de l'œuvre certifiée par

M. Marcade;

Considérant que la discussion entretenue par ce dernier sur sa qualité d'expert est vaine, dés lors qu'il n'existe aucune réglementation de cette activité applicable à l'espèce et que celui qui certifie sans réserve l'authenticité d'une œuvre d'art, qu'il se prétende expert ou pas, engage sa responsabilité sur cette seule affirmation; que s'il n'avait pas la compétence nécessaire, ce qu'il suggère, il lui appartenait de plus fort de ne pas prendre parti sur l'authenticité de l'œuvre qui lui a été présentée;

Qu'il n'est pas fondé à prétendre ne pas avoir commis de faute alors qu'il est établi que son avis est erroné;

Considérant que M. Marcade ne caractérise pas la faute inexcusable qu'il reproche à l'acquéreur; que celui-ci était fondé à porter foi au certificat qui lui a été présenté émanant d'un spécialiste de l'auteur de l'œuvre, comme en témoignent les ouvrages qu'il a écrit avant et après 1984 ; que la présentation de celle-ci telle qu'elle ressort de la facture qu'il a obtenu du vendeur démontre le soin qu'il a pris dans l'identification de l'œuvre, son authentification et son origine;

Considérant, enfin, qu'il est mal fondé à soutenir que le certificat d'authenticité n'a eu aucune part dans la décision de M. Lambert d'acquérir l'œuvre alors que la garantie de celle-ci constituait pour ce marchand une qualité substantielle lui garantissant la valeur de ce qu'il achetait et lui assurant une revente en toute sécurité;

Considérant que la responsabilité de M. Marcade est donc engagée;

Considérant que pour réclamer une somme de 500 000 euro, M. Lambert se borne à invoquer les frais qu'il a exposé (frais payés à la société Phillips, frais d'expertise, temps passé pour faire valoir ses droits), le manque à gagner, et un préjudice moral, cette affaire ayant mis à mal la réputation de sa galerie d'art;

Que s'il ne verse aux débats aucune pièce justifiant les frais exposés, il est certain au regard des circonstances de la cause qu'il a supporté le coût de l'analyse technique à laquelle il a fait procéder;

Que son manque à gagner doit être apprécié au regard de la nature particulière du marché de l'art, de ce qu'il est spéculatif et que la valeur des pièces est difficile à déterminer en dehors de leur passage en vente publique, ce qui n'a pas été le cas de l'œuvre en cause;

Que son préjudice moral est minime, les différents acteurs du marché connaissant les risques courus et M. Lambert ne justifiant pas de ce que sa bonne foi aurait été mise en doute;

Considérant qu'en l'état de l'ensemble de ces éléments, la cour estime que le préjudice causé à M. Lambert par la faute ci-dessus caractérisée à la charge de M. Marcade sera intégralement réparé par l'allocation d'une indemnité de 10 000 euro;

Considérant que le sens de la décision prive de fondement la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par M. Marcade;

Par ces motifs, Statuant par défaut à l'encontre de M. Javogue; Déclare irrecevables les conclusions déposées par M. Lambert le 16 mars 2004; Ecarte des débats les pièces communiquées par celui-ci le 16 mars 2004 sous les numéros 51 et 52; Déclare recevables les conclusions déposées par M. Lambert le 1er décembre 2003 et dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats les pièces visées par celles-ci; Infirme le jugement en toutes ses dispositions; Statuant à nouveau : Annule la vente de la gouache sur papier intervenue le 31 juillet 1988 entre

M. Javogue et M. Lambert; Condamne M. Javogue à payer à M. Lambert la somme de 34 301 euro en restitution du prix, laquelle produit intérêt au taux légal à compter du 3 avril 2001, en contrepartie de la restitution de l'objet vendu ; Condamne M. Marcade à payer à M. Lambert la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts; Rejette toute autre demande; Condamne M. Marcade à payer à M. Lambert la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne in solidum M. Javogue et M. Marcade aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers seront recouvrés comme il est prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.