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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 7 juillet 1993, n° 91-025.138

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kerchaoui

Défendeur :

Anoumom, Nepka

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Serre

Conseillers :

M. Bouché, Mmes Garnier, Jaubert, Albertini

Avoués :

SCP Jobin, SCP Dauthy Naboudet

Avocats :

Mes Demay, Benizri

T. com. Pontoise, du 15 nov. 1988

15 novembre 1988

LA COUR statuant comme Cour de renvoi se réfère à son précédent arrêt du 30 septembre 1992 par lequel, dans l'instance d'appel poursuivie par M. Habib Kerchaoui, défendeur à une action en résolution de la vente d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, elle a ordonné la réassignation des intimés, M. Anoumom Aka et Melle Nepka Gbo; ceux-ci ont constitué avoué.

L'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Versailles du 30.3.1989, qui a été cassé par la Cour de cassation le 12.11.1991, a été rendu dans les circonstances suivantes, sur appel du jugement du Tribunal de commerce de Pontoise du 15.11.1988.

La cession du fonds litigieux, sis à Argenteuil, consentie par Kerchaoui, aux intimés a été conclue le 10.6.1988 pour le prix de 200 000 F dont 20 000 payés comptant et le sol de par un prit consenti aux acquéreurs par l'Union Bancaire du Nord (UBN);

Le 19.7.1988 le four a explosé et les acquéreurs, prétendant avoir appris à cette occasion qu'un incident de même nature s'était produit avant la vente, le 14.5.1988, ont assigné leur vendeur en résolution de la vente sur le fondement notamment du vice caché;

Par jugement du 15.11.1988, le Tribunal de commerce de Pontoise a fait droit à leur demande a ordonné que le séquestre du prix Me Benayoun restitue les fonds reçus de leur part et de celle de l'UBN et a condamné M. Kerchaoui, outre aux dépens, à payer aux demandeurs diverses sommes tenant compte de leurs débours, des intérêts réglés de leur préjudice et de leurs frais irrépétibles de procédure.

Par l'arrêt cassé du 30.3.1989, la Cour de Versailles a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions, majorant toutefois les frais d'acte, réactualisant celui des intérêts et allouant une somme supplémentaire en vertu de l'article 700 NCPC et condamnant M. Kerchaoui aux dépens d'appel.

La Cour de cassation a annulé cette décision pour défaut de base légale au motif que la cour s'était abstenue de rechercher, comme elle était invitée à le faire par les conclusions de

M. Kerchaoui, si la clause de non garantie figurant à l'acte de cession était opposable aux acquéreurs qualifiée de professionnels;

M. Kerchaoui, déniant à titre principal toute qualité aux intimés pour demander la résolution de la vente, fait valoir que ceux-ci ont procédé à la revente des fonds, postérieurement à l'arrêt de la Cour de Versailles, et ont ainsi implicitement abandonné leurs prétentions.

Subsidiairement, reprenant ses moyens de première instance, il soutient que s'agissant de professionnels dans le domaine de la boulangerie ayant renoncé dans l'acte de cession à toute garantie, ils sont irrecevables en leur action rédhibitoire;

Il souligne, en tout cas, qu'ils ont participé à l'exploitation du ronds pendant trois mois et demi avant la vente, et que, par suite, ils connaissaient parfaitement l'état du four; que le feu de cheminée est la conséquence d'un défaut de ramonage et que lui-même a fait exécuter à ce moment-là toutes les vérifications utiles; que d'autre part, l'explosion dont ils font état provient, non pas d'un prétendu vice caché, mais des conditions défectueuses dans lesquelles les travaux d'aménagement ont été effectués par eux-mêmes postérieurement à la vente.

Concluant à l'infirmation du jugement, il prie la cour de les débouter de l'ensemble de leurs demandes.

Par ailleurs, il indique leur avoir consenti des avances de démarrage pour un montant de 5 000 F et avoir remboursé a leur place le prêt de 35 000 F qu'ils avaient contracté auprès de Me Muntener, et dont lui-même s'était porté garant;

Il précise qu'en règlement de ces sommes, les intimés lui ont remis six chèques, dont 4, de 6 000 F chacun, sont restés impayée; il se prétend fondé à demander leur condamnation in solidum à lui payer le solde de 24 000 F avec les intérêts à compter de la date d'émission de ces chèques ainsi que 30 000 F en vertu de l'article 700 NCPC.

M. Anoumom et Mme Nepka Gbo qui indiquent avoir été contraints de céder le four en cause le 17.2.1990 en raison de leur passif d'exploitation, déclarent renoncer à leur demande de résolution du contrat, devenue sans objet, mais prédisent former dans le cadre de leur appel incident une demande en paiement de dommages-intérêts à l'encontre du vendeur qui leur a sciemment dissimulé l'existence d'un vice caché affectant le four de la boulangerie;

Ils contestent la qualité de professionnels que Kerchaoui leur attribue indûment pour leur rendre opposable la clause de non garantie figurant dans l'acte de cession du 10.6.1988 et réfutant les attestations mensongères qu'il a versées aux débats pour tenter de démontrer qu'ils avaient travaillé dans le fonds dès le début du mois de février 1988.

Ils soutiennent que les défectuosités du four n'étaient pas détectables et que leur vendeur ne saurait s'affranchir de son obligation de garantie;

Ils dénient contrairement aux prétentions de l'appelant (qui y voit la cause de l'explosion du 19.7.1988) avoir procédé, postérieurement à la vente, à des travaux modifiant les tuyaux d'eau du système de refroidissement et font observer que ce dernier était si conscient du mauvais état de l'appareil que le 14.3.1988 il en avait commandé un nouveau;

Ils font valoir que l'incident du 19.7.1988 est révélateur d'un vice caché et avait été précédé d'un incendie le 14.5.1988 que Kerchaoui ne leur avait pas signalé ; qu'au surplus, après cet incident, il n'a fait procéder à aucune vérification par un spécialiste comme les services de police le lui avaient recommandé;

Ils prient en conséquence la cour de sanctionner le comportement déloyal de ce dernier en le condamnant à leur payer à titre de dommages-intérêts les sommes de :

- 50 466,88 F en remboursement des frais d'acquisition;

- 83 794,99 F en remboursement des intérêts bancaires ;

- 250 000 F au titre de leur préjudice commercial;

- 30 000 F en vertu de l'article 700 NCPC.

Considérant qu'il convient de donner acte aux intimés, qui ont revendu le fonds, de leur renonciation à demander la résolution de la vente ;

Que toutefois la revente du fonda ne les prive pas, en cas de vice caché, de l'option ouverte par l'article 1644 du Code civil; qu'ils conservent le droit, qui n'est pas attaché à la chose elle-même, et qui ne passe pas au sous-acquéreur, d'opter pour l'action estimatoire et de demander la restitution d'une partie du prix et éventuellement le paiement de dommages-intérêts;

Considérant sur la clause de non garantie, que Kerchaoui soutient, attestations à l'appui, que les intimés, qui avaient pris la décision d'acheter le fonds étaient venus participer à son exploitation dès le début du mois de février 1988, plus de deux mois avant la signature de la promesse de vente du 13.4.1988;

Que cependant Anoumom verse aux débats ses fiches de paye, comme agent de surveillance, relatives aux cinq premiers mots de 1988; que les affirmations de El Yahiaoui sur la participation de celui-ci à l'exploitation du fonds et à la fabrication du pain dès le mois de février 1988, paraissent en conséquence dénuée de crédibilité;

Que, d'autre part, les intimés produisent l'indicateur du commerce -ICF) n° 163 du mois d'avril 1988 comportant en page 107 l'annonce relative à la mise en vente du fonds litigieux : "cause santé - urgent - 250 000 F " ;

Qu'ils précisent que c'est au vu de cette insertion qu'ils ont visité les lieux et passé la promesse de vente du 13.4.1988.

Qu'il est invraisemblable que l'appelant qui, selon ses dires, aurait trouvé des acquéreurs dès le début de février, ait estimé nécessaire de faire paraître une annonce au mois d'avril ; que ces faits incontournables sont de nature à ruiner le crédit pouvant être attaché aux diverses attestations de El Yahiaoui (établie au nom de El Yahyaoui (avec deux Y.) produites par Kerchaoui au soutien de ses prétentions ;

Que d'autre part, s'il est vrai que Nepka Gbo est titulaire d'un CAP de pâtisserie, il n'en ressort pas pour autant qu'elle ait exercé de façon suivie cette activité ni qu'elle puisse se voir attribuer la qualité de professionnelle dans le domaine de la cuisson du pain;

Qu'aucun élément ne démontre que les intimés avaient été informés de l'incendie du 14.5.1988 ; que compte tenu du manque de fiabilité des attestations émanant de El Yahiaoui, celles de Saïd Ben Mhida ne saurait, à elle seule, en l'absence de tout élément confortatif, établir que "ils (les acquéreurs) sont au courant que les pompiers (sic) sont intervenues le 14 mai à cause d'une fumée" ..; que le contrat de vente ne fait aucune mention de cet incident;

Que par suite, à supposer établie l'existence d'un vice caché allégué par les intimée, Kerchaoui, qui, pour sa part, avait exploité le fonds depuis cette date, est réputé avoir connu en se qualité de professionnel les vices de ce matériel;

Que dans ces conditions, il n'est pas en droit de se prévaloir à l'égard des acquéreurs de la clause de non garantie figurant dans l'acte de cession du 10.6.1988.

Considérant, sur le vice caché, que le four a explosé le 19.7.1988, un mois et neuf jours après la cession et 2 mois et 5 jours après l'incendie;

Que les Sapeurs-pompiers intervenus à l'occasion de cet incendie "dans une cheminée mal ramonée" ont conseillé de faire vérifier l'appareil avant sa réutilisation ;

Que Kerchaoui qui, dès le 14 mars 1988, ayant décidé de le remplacer, en avait commandé un nouveau, G. 23.T., au prix de 165 000 F HT, ne démontre ni que cette commande avait porté sur un modèle plus grand, ni qu'il ait annulé cette commande, ni encore moins qu'il l'ait annulée à la demande des intimés, lesquels le contestent et indiquent que le fournisseur, la société Pavailler, avait tenté de procéder à la livraison du matériel neuf le 15 juin 1988;

Qu'il est à relever que ce fournisseur avait accepté de prendre en charge les frais de démolition du four en cause et que l'appelant n'allègue pas que le matériel ait représenté une quelconque valeur de reprise;

Qu'en tout cas, après l'incendie du 14 mai 1988, son état était tel que Kerchaoui a du faire effectuer pendant deux jours les opérations de cuisson dans une boulangerie voisine;

Que les réparations auxquelles il a fait procéder ont simplement porté sur le remplacement de deux électrodes et d'un gicleur pour une dépense globale (déplacement et main d'œuvre compris) de 535 F TTC ; qu'il ne soutient pas avoir recouru à une entreprise spécialisée en mesure de réaliser une révision de l'appareil pour le mettre en état d'être utilisé sans nouvel incident;

Que les déclarations de El Yahiaoui (celles du 15.1.1989) indiquant que les 11, 12 et 13 juin 1988 les acquéreurs ont changé la plage de la pâtisserie ainsi que les tuyaux d'eau "dont le système de refroidissement " (travaux qui selon l'appelant seraient à l'origine de l'explosion et qui sont formellement démentis par les intimés) sont insuffisants, à défaut de tout autre élément de nature a les corroborer, à entrainer la conviction de la cour ;

Qu'il ressort des faits de la cause qu'au moment de la vente, le four dont Kerchaoui avait décidé le remplacement, était atteint d'une défectuosité indécelable sans un examen approfondi par des professionnels, qui le mettait hors d'état de fonctionner normalement et qui a été mise en évidence le 19.7.1988 par une explosion, sans qu'aucune faute ou erreur de manipulation soit établie à la charge des intimés;

Que sur le fondement de l'action estimatoire exercée à l'encontre d'un vendeur réputé avoir connu les vices de la chose, les intimés sont en droit de se faire restituer une partie du prix et de réclamer la réparation de leur préjudice;

Que ceux-ci, qui ont acquis le fonds, dont le four est un des éléments essentiels au prix de 200 000 F, l'ont revendu le 17.2.90 pour 130 000 F; que bien qu'essentiel, le four litigieux représente qu'une partie de la valeur du fonds ; que compte tenu de la brièveté des services qu'il a rendus aux acquéreurs, la restitution du prix doit porter sur la somme de 60 000 F;

Que par ailleurs, du fait de l'excédent de prix versé, ces derniers ont eu à supporter des frais d'acte et des agios bancaires plus important que s'ils avaient acquis à un prix moindre et contracté un emprunt moins élevé ; qu'ils ont également subi des troubles d'exploitation consécutifs à l'explosion du four ; que le préjudice subi à ce titre doit être évalué à 80 000 F.

Considérant, sur la demande reconventionnelle de Kerchaoui en paiement de quatre chèques, que celui-ci produit les 4 originaux, de 6 000 F chacun datés deux du 30.7.1988 et les deux autres des 30.9. et 30.10.88; que ces chèques ont été émis par les intimés à son ordre ; qu'il précise que leur montant était destiné à lui permettre de rembourser Me Muntener des 35 000 F que celui-ci avait avancés aux acquéreurs, à condition que lui-même s'en porte garant ; que les intimés n'élèvent aucune objection a l'encontre de ces prétentions et que leurs conclusions n'y font même aucune allusion ; qu'il convient par suite de faire droit à la réclamation de l'appelant sur ce point, les intérêts ne pouvant lui être accordés qu'à compter de la dignification de ses conclusions par acte du 11.5.92.

Qu'il doit être fait application de l'article 700 NCPC, au seul profit des intimés.

Par ces motifs, et ceux non contraire des premiers juges ; Statuant comme cour de renvoi désigné par arrêt de la Cour de cassation du 12.11.1991; Donne acte à Aka Anoumom et à Nepka Gbo de leur renonciation à demander l'annulation de la vente du 10.6.1988. - Réformant le jugement entrepris ; Les déclare fondée en leur action estimatoire en restitution de partie du prix de vente et en paiement de dommages-intérêts. Condamne Habib Kerchaoui à leur payer à ces titres respectivement les sommes de 60 000 F et de 80 000 F ainsi que 15 000 F en vertu de l'article 700 NCPC pour les deux degrés de juridiction. Condamne Aka Anoumom et Nepka Gbo à payer à ce dernier la somme de 24 000 F avec les intérêts à compter du 11.5.1992. Déboute celui-ci de se demande pour ses frais irrépétibles de procédure. Le condamne aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Dauthy Naboudet au bénéfice de l'article 699 NCPC.