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Décisions

CJCE, 1re ch., 12 septembre 2002, n° C-431/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Philippe Mertens

Défendeur :

État belge

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

MM. Jann

Avocat général :

M. Alber

Juges :

M. Wathelet, M. Rosas

CJCE n° C-431/01

12 septembre 2002

LA COUR (première chambre),

1. Par arrêt du 2 novembre 2001, parvenu à la Cour le 7 novembre suivant, la Cour d'appel de Mons a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 48 et 52 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 43 CE).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Mertens à l'État belge au sujet de la cotisation à l'impôt des personnes physiques qui lui a été assignée pour l'exercice d'imposition de 1990, relatif aux revenus de l'année 1989.

Le cadre juridique

3. L'article 5 du code belge des impôts sur les revenus de 1964, dans sa version résultant de l'arrêté royal du 26 février 1964, portant coordination des dispositions légales en matière d'impôts sur les revenus (Moniteur Belge du 10 avril 1964, p. 3809, ci-après le "CIR de 1964"), dispose :

"Les habitants du Royaume sont soumis à l'impôt des personnes physiques en raison de tous leurs revenus imposables visés au présent Code, alors même que certains de ces revenus auraient été produits ou recueillis à l'étranger."

4. L'article 43, premier alinéa, du CIR de 1964, qui régit la détermination du montant net des revenus professionnels, prévoit :

"1. le montant brut des revenus de chacune des activités professionnelles est diminué des dépenses ou charges professionnelles qui grèvent ces revenus ;

2. les pertes professionnelles éprouvées pendant la période imposable, en raison d'une activité professionnelle quelconque, sont imputées sur les revenus des autres activités ;

3. des revenus professionnels déterminés conformément au 1° et 2° du présent article, sont déduites les pertes professionnelles éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures ; cette déduction s'opère successivement sur les revenus professionnels de chacune des périodes imposables suivantes, sans cependant qu'elle puisse être opérée sur la quotité de revenus professionnels relative à toute période imposable ou fraction de période imposable qui se situe au-delà d'un terme de cinq ans prenant cours au lendemain de la période imposable au cours de laquelle a été éprouvée la perte professionnelle ;

[...]"

5. L'article 13 quater de l'arrêté royal du 4 mars 1965, d'exécution du code des impôts sur les revenus de 1964 (Moniteur Belge du 30 avril 1965, p. 4722), précise :

"La perte professionnelle éprouvée au cours de la période imposable dans une activité professionnelle déterminée est imputée suivant la règle proportionnelle sur les revenus professionnels des autres activités professionnelles qui sont imposés globalement ou qui sont exonérés en vertu de l'article 87 quater du Code des impôts sur les revenus ; le solde éventuel est imputé suivant la règle proportionnelle sur les revenus professionnels qui sont imposés distinctement."

6. L'article 87 quater du CIR de 1964, qui insère dans la législation fiscale le principe de l'exonération des revenus obtenus par un résident belge dans un pays avec lequel le royaume de Belgique a conclu une convention en vue d'éviter la double imposition, est libellé comme suit :

"Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l'impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus."

7. Le royaume de Belgique a conclu avec tous les autres États membres des conventions bilatérales en vue d'éviter les doubles impositions. Toutes ces conventions sont calquées sur un modèle établi par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La convention entre le royaume de Belgique et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions a été signée à Bruxelles le 11 avril 1967 et approuvée par la loi du 9 juillet 1969 (Moniteur Belge du 30 juillet 1969, ci-après la "convention").

8. Aux termes de l'article 15, paragraphe 1, de la convention, "[l]es salaires [...] qu'un résident d'un État contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'emploi salarié ne soit exercé dans l'autre État contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État."

9. D'après l'article 23, paragraphe 2, point 1, de la convention, les revenus provenant d'Allemagne, qui sont imposables dans cet État contractant en vertu de ladite convention, sont exemptés d'impôts en Belgique. La même disposition précise que cette exemption ne limite pas le droit du royaume de Belgique de tenir compte, lors de la détermination du taux des impôts, des revenus ainsi exemptés.

Le litige au principal et la question préjudicielle

10. Le requérant au principal, M. Mertens, est conseiller en informatique et il a son domicile en Belgique. Au cours des années 1988 et 1989, il a exercé simultanément une activité professionnelle en Allemagne, en tant que salarié, et une activité professionnelle en Belgique, en qualité de travailleur indépendant.

11. Pour l'exercice d'imposition de 1989, son activité de travailleur indépendant en Belgique s'est soldée par une perte de 297 105 BEF, due en grande partie à l'acquisition de matériel informatique qui a fait l'objet d'amortissements fiscaux non contestés.

12. Dans sa déclaration de revenus relative à l'année suivante, M. Mertens a mentionné l'existence de la perte qu'il avait subie lors de l'exercice d'imposition précédent et a souhaité la déduire des bénéfices générés par son activité professionnelle en Belgique. Toutefois, à la réception de l'avis d'imposition relatif à l'impôt des personnes physiques qui lui a été notifié pour l'exercice d'imposition de 1990, il a constaté que la perte reportée n'avait pas été prise en considération par les autorités fiscales belges.

13. La Direction régionale des contributions directes de Liège (Belgique) a rejeté la réclamation introduite à l'encontre dudit avis d'imposition par M. Mertens. Par décision notifiée à ce dernier le 16 décembre 1991, elle a relevé que la perte en question avait déjà été prise en considération pour l'exercice d'imposition de 1989 et que, conformément aux dispositions combinées des articles 43, premier alinéa, 2°, du CIR de 1964 et 13 quater de l'arrêté royal du 4 mars 1965, ladite perte avait été imputée sur les rémunérations de source allemande perçues pendant la même période. La convention n'empêcherait pas l'État belge de tenir compte, en ce qui concerne la base imposable, des revenus imposables en Allemagne et exonérés d'impôts en Belgique. Par conséquent, le report de la perte professionnelle subie à raison des activités exercées dans ce dernier État contractant ne serait possible que dans la mesure où cette perte n'aurait pas été couverte par des revenus provenant de l'étranger.

14. Le 24 janvier 1992, M. Mertens a formé un recours contre cette décision devant la Cour d'appel de Liège (Belgique).

15. Par arrêt interlocutoire du 20 avril 1994, cette dernière juridiction a ordonné la réouverture des débats et a demandé des éclaircissements sur le point de savoir si le droit fiscal allemand permet la prise en considération en Allemagne de la perte professionnelle subie en Belgique.

16. Le 2 novembre 1994, la Cour d'appel de Liège a rendu un arrêt déclarant fondé le recours de M. Mertens et disant pour droit que la perte subie en Belgique ne pouvait être imputée sur les revenus exemptés d'impôts par la convention. Elle a jugé que l'article 87 quater du CIR de 1964 ne permettait la prise en compte des revenus exonérés qu'au regard de la détermination du taux de l'impôt et que la réintroduction de tels revenus dans la base imposable "pourrait déboucher sur un problème de discrimination entre Belges exerçant ou non une partie de leurs activités dans certains pays étrangers".

17. Le 3 février 1995, l'État belge s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Par arrêt du 27 octobre 1995, la Cour de cassation a confirmé la thèse de l'administration fiscale et a cassé l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Liège. L'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Mons.

18. Devant cette juridiction, M. Mertens a alors soulevé la question de la conformité de la législation en cause avec les articles 48 et 52 du traité, en s'appuyant plus particulièrement sur l'arrêt de la Cour de justice du 14 décembre 2000, AMID (C-141-99, Rec. p. I-11619). Dans ces conditions, la Cour d'appel de Mons a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

"Les articles 39 et/ou 43 du Traité instituant la Communauté européenne font-ils obstacle à la législation d'un État membre aux termes de laquelle, pour les avis d'imposition à l'impôt des personnes physiques, la perte professionnelle éprouvée dans cet État membre par une personne physique résidant dans cet État membre au cours d'une période imposable antérieure ne peut être déduite du bénéfice de cette personne physique afférent à une période imposable ultérieure que dans la mesure où cette perte professionnelle ne peut être imputée sur les rémunérations afférentes à cette période imposable antérieure provenant d'une activité salariée exercée par la personne physique dans un autre État membre et que cela a pour effet que la perte professionnelle ainsi imputée ne peut pas être déduite, ni dans cet État membre ni dans l'autre État membre, du revenu imposable de cette personne physique pour l'avis d'imposition à l'impôt des personnes physiques, alors que si la personne physique avait exercé son activité de salarié dans le même État membre que celui dans lequel elle se livre à l'activité d'indépendant, lesdites pertes professionnelles pourraient bel et bien être déduites du revenu imposable de cette personne physique?"

Sur la question préjudicielle

19. Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 48 et/ou 52 du traité s'opposent à une réglementation d'un État membre en vertu de laquelle une personne physique, qui réside dans cet État membre et y exerce une activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant, ne peut déduire du bénéfice imposable d'une année, au titre de l'impôt sur les personnes physiques, une perte subie l'année précédente qu'à la condition que cette perte n'ait pas pu être imputée sur les rémunérations perçues en tant que salarié dans un autre État membre, au cours de la même année antérieure, dans la mesure où une perte ainsi imputée ne peut être déduite du revenu imposable dans aucun des États membres concernés, alors qu'elle serait déductible si ladite personne physique avait exercé ses activités de travailleur indépendant et de salarié exclusivement dans l'État membre où elle a sa résidence.

20. Considérant que la réponse à la question préjudicielle peut être clairement déduite de sa jurisprudence, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et invité les intéressés visés à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.

21. Seule la Commission a déposé des observations dans le délai imparti. Elle a exprimé son accord quant à l'intention de la Cour de statuer par voie d'ordonnance motivée.

22. Il y a lieu de relever que, dans son arrêt AMID, précité, la Cour a déjà eu à interpréter le droit communautaire, notamment l'article 52 du traité, relatif à la liberté d'établissement, dans le cadre d'un litige mettant en cause la réglementation fiscale belge dans une situation semblable à celle de l'affaire au principal. En effet, ladite réglementation ne permettait à une société établie en Belgique de déduire du bénéfice imposable d'une année, au titre de l'impôt sur les sociétés, une perte qu'elle avait subie l'année précédente qu'à la condition que cette perte n'ait pas pu être imputée sur le bénéfice réalisé, au cours de la même année antérieure, par l'un de ses établissements stables situé dans un autre État membre. À cet égard, la Cour a dit pour droit que l'article 52 du traité s'oppose à une telle réglementation, dans la mesure où la perte ainsi imputée - en l'espèce, sur le bénéfice réalisé par un établissement stable de la société requérante situé au Luxembourg - ne pouvait être déduite du revenu imposable dans aucun des États membres concernés, alors qu'elle aurait été déductible si les établissements de ladite société avaient été situés exclusivement dans l'État membre où cette société avait son siège.

23. Selon le libellé même de la question posée, la réglementation nationale en cause dans l'affaire au principal, relative à la déduction des pertes professionnelles du bénéfice imposable au titre de l'impôt sur les personnes physiques, comporte une condition semblable à celle examinée par la Cour dans l'arrêt AMID, précité. Il ressort, en outre, de ladite question que l'imputation de la perte subie dans l'État de résidence sur les revenus professionnels perçus par le requérant au principal dans un autre État membre a également pour effet que la perte ainsi imputée ne peut être déduite du revenu imposable dans aucun des États membres concernés, alors qu'elle serait déductible si les activités de salarié et de travailleur indépendant étaient exercées par cette personne physique exclusivement dans l'État membre de sa résidence.

24. Il y a lieu de constater que, dans l'affaire au principal, la situation de M. Mertens, qui subit un traitement fiscal défavorable en raison du fait qu'il exerce un emploi salarié dans un État membre autre que celui de sa résidence, relève de l'article 48 du traité, relatif à la libre circulation des travailleurs, et non pas de l'article 52 du même traité, relatif à la liberté d'établissement. Il convient, en tout état de cause, de tenir compte des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour en matière de libre circulation des personnes puisque celle-ci vise à la fois la liberté d'établissement et la liberté de circulation des travailleurs.

25. Il échet ainsi de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, il n'en reste pas moins que ces derniers doivent l'exercer dans le respect du droit communautaire (arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279-93, Rec. p. I-225, point 21 ; du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 19 ; du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 32 ; AMID, précité, point 19, et du 15 janvier 2002, Gottardo, C-55-00, Rec. p. I-413, point 32).

26. Dans l'exercice de leur compétence en matière de fiscalité directe, les États membres ne doivent dès lors pas contrevenir aux articles 48 et 52 du traité, relatifs à la libre circulation des personnes. Ces dispositions garantissent aux ressortissants communautaires une liberté fondamentale, laquelle comprend l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur l'ensemble du territoire de la Communauté. Lesdites dispositions s'opposent donc à toute réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités, à titre salarié ou indépendant, hors du territoire d'un seul État membre (voir arrêts du 7 juillet 1988, Stanton et "L'Étoile 1905", 143-87, Rec. p. 3877, point 13 ; du 7 juillet 1992, Singh, C-370-90, Rec. p. I-4265, point 16, et du 19 mars 2002, Hervein e.a., C-393-99 et C-394-99, non encore publié au Recueil, point 47).

27. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, même si, selon leur libellé, les dispositions relatives à la libre circulation des personnes visent notamment à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil, elles s'opposent également à ce que l'État d'origine entrave l'exercice de cette liberté (arrêt AMID, précité, point 21 ; voir, en ce qui concerne la liberté de prestation des services, arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384-93, Rec. p. I-1141, points 29 à 31).

28. Il y a lieu de constater que, s'agissant du calcul du revenu imposable d'une personne physique, la réglementation du royaume de Belgique limite, pour les personnes physiques résidant sur son territoire qui exercent à la fois une activité professionnelle indépendante sur celui-ci et une activité salariée dans un autre État membre, la possibilité de reporter les pertes subies dans l'État membre de résidence au cours d'une période imposable antérieure. En effet, lorsque ces personnes se trouvent dans la même situation que celle de M. Mertens, c'est-à-dire quand elles ont, durant la même période imposable, subi une perte en Belgique et perçu des salaires au titre d'un emploi salarié en Allemagne, ladite perte ne peut être déduite ni de leur revenu imposable en Allemagne au titre de cette année ni de leur revenu imposable en Belgique, au titre des années ultérieures. En revanche, si la personne ayant subi une perte en raison de son activité de travailleur indépendant en Belgique avait exercé son activité salariée dans cet État membre, ladite perte aurait été imputée sur les autres revenus perçus et déduite de son revenu imposable.

29. La réglementation en cause au principal instaure donc, par le jeu de l'imputation des pertes subies en Belgique sur les revenus professionnels provenant d'autres États membres et exonérés d'impôts en vertu de conventions conclues en vue d'éviter la double imposition, un traitement fiscal différencié entre les contribuables qui exercent l'ensemble de leurs activités exclusivement sur le territoire belge et ceux qui, ayant une activité indépendante en Belgique, exercent également une activité salariée dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt AMID, précité, point 23).

30. Certes, ladite réglementation s'applique indistinctement à tous les contribuables qui ont subi des pertes au titre d'une activité professionnelle indépendante, étant donné que, conformément à l'article 43, premier alinéa, 2°, du CIR de 1964, les pertes professionnelles éprouvées pendant une période imposable en raison d'une activité professionnelle quelconque sont toujours imputées sur les revenus des autres activités, y compris donc les rémunérations perçues au titre d'un travail salarié en Belgique.

31. Toutefois, les contribuables qui, à l'instar de M. Mertens, exercent leur droit de libre circulation et occupent simultanément une activité de travailleur indépendant en Belgique et un emploi de salarié dans un autre État membre ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle de contribuables qui exercent l'ensemble de leurs activités professionnelles exclusivement en Belgique. En vertu des conventions destinées à éviter la double imposition, telles que la convention, les rémunérations perçues au titre d'un emploi salarié sont imposables dans l'État contractant où l'emploi est exercé, même si le travailleur réside dans l'autre État contractant. En outre, il a été établi au cours de la procédure au principal que la perte subie en Belgique ne pouvait pas être prise en considération dans la détermination du revenu imposable en Allemagne, compte tenu du caractère salarié de l'activité exercée dans cet État membre.

32. Or, il est de jurisprudence constante qu'une inégalité de traitement peut être constatée tant lorsque deux catégories de personnes, dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différence essentielle, se voient traiter de manière différente que lorsque des situations non comparables sont traitées de manière identique (voir, en ce sens, arrêts du 23 février 1983, Wagner, 8-82, Rec. p. 371, point 18 ; du 14 novembre 1984, Racke, 283-83, Rec. p. 3791, point 7 ; du 14 septembre 1999, Gschwind, C-391-97, Rec. p. I-5451, point 21, et du 31 mai 2001, D et Suède/Conseil, C-122-99 P et C-125-99 P, Rec. p. I-4319, point 48).

33. Par conséquent, la réglementation en cause au principal aboutit, tout comme la réglementation nationale examinée par la Cour dans l'arrêt AMID, précité, à une inégalité de traitement. Elle est susceptible de dissuader un contribuable, se trouvant dans la situation du requérant au principal, d'entreprendre ou de poursuivre une activité salariée dans un autre État membre. Cette réglementation crée ainsi une entrave à la liberté de circulation des travailleurs garantie par l'article 48 du traité (voir, en ce qui concerne la liberté d'établissement, arrêt AMID, précité, point 27).

34. Dans la mesure où une activité salariée se solde, en règle générale, par un bénéfice et non pas par une perte, il y a lieu d'écarter l'argumentation du gouvernement belge selon laquelle les effets restrictifs de la réglementation fiscale sur la liberté de circulation sont trop aléatoires et trop indirects pour que cette mesure puisse être qualifiée d'entrave.

35. En tout état de cause, à supposer même que, comme le soutient le gouvernement belge, la réglementation en cause au principal soit globalement favorable ou, à tout le moins, neutre pour les personnes physiques qui font usage de leur liberté communautaire d'établissement ou de circulation, il n'en reste pas moins qu'elle s'avère désavantageuse pour les personnes se trouvant dans une situation telle que celle de M. Mertens en raison du seul fait qu'elles exercent une activité salariée dans un autre État membre.

36. S'agissant de l'argument du gouvernement belge selon lequel le désavantage subi par M. Mertens ne résulterait que des inévitables disparités entre législations nationales et de l'exercice des compétences fiscales par les autorités d'États membres différents, il importe de constater que le traitement fiscal défavorable dont se plaint le requérant au principal découle directement de l'application de la réglementation belge et non pas d'une disparité inévitable entre les législations fiscales belge et allemande.

37. Quant à l'objection selon laquelle seules les mesures ouvertement ou clairement discriminatoires peuvent être qualifiées de restrictions aux libertés garanties par les articles 48 et 52 du traité, il convient de rappeler que, pour qu'une mesure nationale soit considérée comme contraire à la liberté de circulation garantie aux ressortissants communautaires, il n'est pas nécessaire qu'elle soit ouvertement discriminatoire. Il suffit que la mesure soit susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice de cette liberté fondamentale (voir, en ce sens, arrêt du 31 mars 1993, Kraus, C-19-92, Rec. I-1663, point 32).

38. Pour justifier la restriction à la liberté de circulation des travailleurs garantie par l'article 48 du traité, le gouvernement belge se limite à invoquer le principe d'imposition des revenus mondiaux par l'État de résidence du contribuable, auquel fait référence l'article 5 du CIR de 1964, et le fait que la convention n'empêche pas de tenir compte des revenus obtenus en Allemagne lors de la détermination de la base imposable en Belgique.

39. Il convient cependant de constater que ces arguments, tirés du droit national et de la convention, ne sont pas de nature à établir que la réglementation nationale en cause au principal poursuit un objectif légitime, compatible avec le traité, ni que l'application de celle-ci ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

40. Compte tenu de ce qui précède, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur l'interprétation de l'article 52 du traité au vu des faits du litige au principal, il convient de répondre à la question posée que l'article 48 du traité s'oppose à une réglementation d'un État membre en vertu de laquelle une personne physique, qui réside dans cet État membre et y exerce une activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant, ne peut déduire du bénéfice imposable d'une année, au titre de l'impôt sur les personnes physiques, une perte subie l'année précédente, qu'à la condition que cette perte n'ait pu être imputée sur les rémunérations perçues en tant que salarié dans un autre État membre, au cours de la même année antérieure, dans la mesure où une perte ainsi imputée ne peut être déduite du revenu imposable dans aucun des États membres concernés, alors qu'elle serait déductible si ladite personne physique avait exercé ses activités de travailleur indépendant et de salarié exclusivement dans l'État membre où elle a sa résidence.

Sur les dépens

41. Les frais exposés par le gouvernement belge et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Mons, par arrêt du 2 novembre 2001, dit pour droit :

L'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) s'oppose à une réglementation d'un État membre en vertu de laquelle une personne physique, qui réside dans cet État membre et y exerce une activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant, ne peut déduire du bénéfice imposable d'une année, au titre de l'impôt sur les personnes physiques, une perte subie l'année précédente qu'à la condition que cette perte n'ait pu être imputée sur les rémunérations perçues en tant que salarié dans un autre État membre, au cours de la même année antérieure, dans la mesure où une perte ainsi imputée ne peut être déduite du revenu imposable dans aucun des États membres concernés, alors qu'elle serait déductible si ladite personne physique avait exercé ses activités de travailleur indépendant et de salarié exclusivement dans l'État membre où elle a sa résidence.