CA Aix-en-Provence, 1re ch. civ. B, 3 juillet 2002, n° 98-00463
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Jullien
Défendeur :
Billaud (SARL), Alphonse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roudil
Conseillers :
M. Djiknavorian, Mme Charpentier
Avoués :
SCP Martelly-Maynard-Simoni, SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier, SCP Jourdan-Wattecamps
Avocats :
Mes Escalon, Donneaud, Brunet
Faits et procédure
Vu le jugement du Tribunal de grande instance de Digne en date du 10 juillet 1997 statuant en matière commerciale qui a :
- sur le fondement de la garantie des vices cachés ordonné la résolution de la vente par Monsieur Jullien à Madame Alphonse d'un camion Mercedes ;
- condamné Monsieur Jullien à en rembourser le prix soit 237 000 F et dit que Madame Alphonse devra lui restituer le véhicule ;
- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur Alphonse ;
- débouté Monsieur Jullien de "l'action en garantie" formée par celui-ci contre la SARL Billaud ;
- condamné Monsieur Jullien à payer à Madame Alphonse une somme de 4 000 F pour frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens ;
Vu l'appel interjeté le 28 novembre 1997 par Monsieur Jullien ;
Vu les dernières conclusions de Monsieur Jullien en date du 28 mars 2002 ;
Vu les dernières conclusions de Madame Alphonse en date du 27 mars 2002 ;
Vu les dernières conclusions de la SARL Billaud en date du 15 mars 2002 ;
La vente du camion par Monsieur Jullien exploitant forestier a été constatée par l'émission d'une facture du 29 juin 1994 ;
Le véhicule était initialement équipé d'une grue qui a été démontée par la SARL Billaud :
- Le camion s'est trouvé immobilisé le 14 octobre 1994, la boîte de vitesses bloquée après que Madame Alphonse, transporteur, lui eût fait parcourir 400 km environ après la vente ;
- Ce blocage résulte d'une insuffisance de lubrification dont Monsieur Jullien soutient que la cause principale est l'insuffisance de l'intervention de la SARL Billaud qui n'aurait pas assuré correctement l'étanchéité, après enlèvement de la grue, de la prise de force de cette dernière située environ 2/3 sous le niveau normal d'huile dans la boîte, ni recomplété la quantité de lubrifiant nécessaire ;
Une expertise judiciaire, à laquelle les parties ont participé, figure au dossier ;
L'expert a chiffré à 84 225,83 F TTC (valeur 1996) le coût de remise en état de la boîte de vitesses ;
Monsieur Jullien conclut au dispositif ci-après :
"1°) A titre principal :
a) de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente ;
b) de dire mal dirigée l'action de Madame Alphonse et de l'en débouter ;
2°) A titre subsidiaire et pour le cas où la cour confirmerait la résolution de la vente :
a) de déclarer bien fondé l'appel en cause formé par Monsieur Jullien à l'encontre de la SARL Billaud et de la condamner à l'indemniser de l'entier préjudice résultant de la résolution de la vente ;
b) de fixer le montant de son préjudice au même montant que les sommes éventuellement allouées à Madame Alphonse ;
c) à défaut :
- de condamner la SARL Billaud à payer à Monsieur Jullien une provision d'un montant de 100 000 F soit 15 244,91 euro à valoir sur le préjudice qu'il subit ;
- de désigner tel expert qu'il plaira avec mission :
* Examiner le véhicule litigieux actuellement entreposé au central garage à Sisteron,
* Prenant en considération les conclusions du précédent rapport d'expertise de Monsieur Chazotte, d'évaluer le coût actuel de la remise en état de la boite de vitesse ;
* D'évaluer le coût de la remise en état complémentaire rendue nécessaire par la durée de l'immobilisation en vue de sa remise à la disposition de Monsieur Jullien ;
* D'évaluer la perte de la valeur marchande du véhicule de la date de la vente à la date de sa remise à disposition de Monsieur Jullien ;
* D'évaluer tous autres éléments de préjudices subis par Monsieur Jullien ;
* De déposer un pré-rapport de ses opérations ;
* Les observations des parties une fois recueillies, de déposer son rapport définitif ;
3°) De débouter la SARL Billaud de toutes ses demandes ;
4°) De condamner Madame Alphonse et la SARL Billaud ou qui d'entre eux mieux le devra en tous les dépens qui comprendront notamment ceux de référé, d'expertise et de première instance ;"
A l'appui de son recours Monsieur Jullien fait valoir :
- que Madame Alphonse devait elle-même remplacer la grue enlevée du camion par une autre, ce qu'elle n'a pas fait ;
- qu'elle a attendu trois mois après la livraison du camion avant de l'utiliser et, bien qu'elle n'ait pas fait rééquiper le camion d'une nouvelle grue, a omis de vérifier le niveau d'huile dans la boite ;
- que la SARL Billaud a été négligente en obturant la prise de force à l'aide d'une plaque mal conçue ce qui a entraîné une fuite ;
- que l'action de Madame Alphonse est mal dirigée car elle aurait dû agir contre la SARL Billaud plutôt qu'à son encontre ;
- qu'il est en tout état de cause vendeur de bonne foi ;
- que la SARL Billaud, en cas de résolution de la vente, lui doit garantie de son préjudice à raison de la faute qu'elle a commise dans l'exécution des travaux qui lui avaient été confiés, tant sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil que des articles 1382 et 1383 du même Code ;
Madame Alphonse a conclu comme suit :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Digne statuant en matière commerciale en date du 10 juillet 1997 et prononcer la résolution de la vente pour vice caché sur le fondement de l'article 1641 du Code civil ;
- ordonner la restitution du prix de vente, soit 237 200 F TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la date d'acquisition soit le 29 juin 1994 :
- réformer le jugement et condamner Monsieur Christian Jullien à payer à Madame Martine Alphonse à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi ;
Frais entretien ancien camion: 86 696 F
Dépannage et remorquage : 2 894,40 F
Gardiennage du véhicule du 15/10/94 au 14/10/96 : 52 822,80 F
Gardiennage à compter du 15/10/96 à 72,36 F TTC par jour : mémoire
Frais liés à l'acquisition du véhicule et à la procédure : 40 878,00 F
Frais expertise Ayme au contradictoire de Monsieur Jullien : 1 423,20 F
TOTAL sauf mémoire : 184 714,40 F
Soit : 28 159,53 euro
- Statuer ce que de droit sur l'appel en garantie de Monsieur Jullien à l'encontre de la SARL Billaud ;
- Condamner Monsieur Christian Jullien au paiement de la somme de 3 050 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et frais d'expertise de Monsieur Joël Ayme et aux entiers dépens y compris les frais d'expertise judiciaire ;
Madame Alphonse soutient :
- que l'expert a noté qu'il ne restait plus que 1,8 litres d'huile dans la boîte au lieu des 16,5 litres nécessaires et désigné la cause de cet état de fait à savoir le caractère non jointif de la plaque obstruant l'orifice de la prise de force de la grue ;
- qu'il s'agit d'un vice caché présent au moment de la vente car la prise de force a été obstruée 600 km avant le sinistre ;
- que la précédente vidange étant récente elle n'a pas commis de faute en ne vérifiant pas le niveau d'huile dans la boite avant de parcourir 438 km ;
- que le vice était caché pour un non-professionnel de la mécanique et n'aurait pu être autrement décelé qu'à l'occasion d'une vidange de la boite ;
- qu'elle n'a pu se servir du camion pendant les trois premiers mois suivant la vente parce que Monsieur Jullien avait omis de lui remettre le carnet d'entretien et de visites, si bien qu'elle a dû demander un double à l'administration des mines ;
- qu'elle n'a aucun lien de droit avec la SARL Billaud dont l'intervention a été défectueuse, peu important à cet égard qu'elle ait elle-même eu l'intention de faire remonter ultérieurement une grue sur le camion ;
- qu'en aucune manière il ne saurait être tiré argument d'un prétendu caractère "provisoire" de la pose de la plaque non jointive car, d'une part, elle conteste ce caractère et, d'autre part, soutient, sans être démentie, avoir ignoré que l'orifice n'avait pas été obturé à l'aide d'une plaque parfaitement adaptée ;
La SARL Billaud conclut à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de Monsieur Jullien aux dépens avec condamnation de celui-ci à lui payer 1 000 euro pour frais irrépétibles ;
La SARL Billaud fait valoir :
- que la pose d'une plaque en tôle à laquelle elle a procédé relevait d'une solution provisoire motivée par le fait que Madame Alphonse devait faire remonter une grue sur le camion ;
- qu'elle avait pour simple portée que de permettre que le camion soit conduit jusqu'aux établissements de Madame Alphonse, ce qui s'analyse en un simple dépannage ;
- qu'elle est étrangère au litige relatif à l'annulation de la vente ;
- qu'elle ne saurait être reprochée qu'au titre de la prestation qu'elle a fournie et d'une éventuelle faute contractuelle ce que Monsieur Jullien ne fait pas puisqu'il l'a assignée qu'en garantie des condamnations pouvant être prononcées contre lui au titre de la garantie des vices cachés ;
- qu'en tout état de cause, et à titre subsidiaire, elle conteste toute faute pour les motifs énoncés plus haut quant à la nature de la réparation qui lui a été demandée (simple dépannage de circonstance) ;
- qu'au surplus il n'est nullement établi de manière certaine l'existence d'une fuite importante car il n'en a pas été retrouvé de traces apparentes si bien qu'il n'est pas prouvé :
- que l'huile était à son niveau normal lors de la vente ;
- que l'huile s'est échappée par la plaque où une pâte à joint avait été posée ;
- que le manque d'huile procède de son intervention ;
Étant à cet égard rappelé que Madame Alphonse a précisé à l'expert avoir procédé à une vidange moteur sans vérifier, à cette occasion, le niveau de la boîte ;
Motifs de la décision
1. La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et rien au dossier ne conduit la cour à le faire d'office ;
Régulier en la forme, l'appel principal sera déclaré recevable et, à sa suite, l'appel incident de Madame Alphonse ;
2. La recevabilité de l'action en garantie des vices cachés n'est plus discutée en cause d'appel ;
3. Le rapport d'expertise a permis de vérifier et de déterminer ;
- que l'intervention de la SARL Billaud précède la vente et qu'elle a été opérée avant la livraison du camion à Madame Alphonse ;
- que la plaque apposée n'assurait pas l'étanchéité de la boîte ;
- que l'intervenant n'a pas remis à niveau la boîte alors que l'huile s'était nécessairement écoulée pendant cette intervention, et que le camion a repris la route avec une boite qui ne contenait plus que le restant d'huile non vidangée ;
- que ce fait et le caractère fuyard de la plaque d'obturation sont à l'origine du blocage ultérieur de la boîte qui ne contenait plus que le restant d'huile non vidangée ;
- qu'ils sont constitutifs d'un vice caché lors de la vente car un non-mécanicien ne pouvait pas les déceler sauf à procéder à la vidange de la boîte ce que Madame Alphonse n'avait pas à effectuer, la précédente vidange étant récente ;
- que le véhicule est depuis immobilisé dans un état impropre à sa destination et à tout usage ;
Monsieur Jullien en affirmant que Madame Alphonse devait faire remonter une grue sur le camion soutient implicitement qu'elle avait connaissance du caractère "provisoire" de l'obturation de la prise de force en sorte qu'elle aurait dû, aucune grue nouvelle n'ayant été montée, s'assurer du niveau d'huile dans la boîte avant d'utiliser le camion ;
Cette argumentation ne peut être retenue car rien n'établit que Madame Alphonse aurait été informée du fait que la prise de force n'avait pas été obturée par une plaque d'origine constructeur mais par une plaque sommairement découpée et, encore moins, que cette dernière n'assurait pas une réelle et suffisante étanchéité de la boîte ;
Il ne peut donc pas être soutenu utilement que Madame Alphonse avait connaissance d'un risque d'insuffisance de lubrification ni qu'elle aurait dû, et pu, déceler ce dernier ;
S'agissant d'un vice caché rédhibitoire dont doit répondre le vendeur, fût il de bonne foi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la résolution de la vente et précisé les conséquences de cette dernière ;
4. L'appel incident de Madame Alphonse sera rejeté, sauf sur un point qui sera précisé plus loin, en l'absence de preuve du fait que Monsieur Jullien connaissait l'existence du vice dont le camion était affecté et cette preuve ne pouvant pas être tirée du seul fait qu'il soutient que Madame Alphonse, qui devait remplacer la grue et ne l'a pas fait, aurait dû selon lui vérifier le niveau d'huile de la boîte ;
En effet aux termes de l'article 1646 du Code civil le vendeur qui ignorait les vices de la chose ne sera tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente, ce qui s'entend exclusivement des dépenses directement liées à la conclusion du contrat dans lesquelles n'entrent pas, sauf à étendre la portée de ce texte par violation de celui-ci, les frais de dépannage et de gardiennage du camion et a fortiori l'indemnisation d'un préjudice économique incluant le coût d'un crédit ;
La restitution du prix ne saurait, pour la même raison, être assortie d'intérêts ayant un point de départ antérieur à la date du jugement prononçant la résolution de la vente ici confirmée ;
Enfin s'agissant des frais que Madame Alphonse évalue à 40 878 F, en y excluant les frais de procédure, ils doivent être retenus pour la somme de 4 895 F montant des frais d'immatriculation ;
5. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Jullien de sa demande en garantie à l'encontre de la SARL Billaud car cette demande n'avait pas à être rejetée au fond mais devait seulement être déclarée irrecevable ;
En effet Monsieur Jullien ne saurait demander garantie à cette société du chef de toutes les conséquences pécuniaires de la résolution d'une vente à laquelle elle est étrangère au titre de sa responsabilité de garagiste réparateur car, d'une part, cette demande excède l'étendue de la responsabilité contractuelle telle que prévue par l'article 1150 du Code civil et, d'autre part, prise en tant qu'elle vise des conséquences directes de l'insuffisance ou de la défectuosité de l'intervention de cette société sur le camion, elle s'avère prématurée dès lors que Monsieur Jullien n'a pas encore exécuté les obligations lui incombant dans le cadre de la remise en état des parties à la vente, à savoir particulièrement la restitution du prix à laquelle est liée celle du camion, alors que cette exécution effective est seule à même de le replacer dans l'état antérieur à la vente et de lui faire retrouver la qualité de créancier, exclusif, de la SARL Billaud du chef des conséquences de son intervention ;
6. Monsieur Jullien, défendeur à l'action et succombant en ses prétentions, sera condamné aux entiers dépens de première instance, en ceux compris les frais de référé et expertise judiciaire, et d'appel ;
Il sera en outre condamné à payer à Madame Alphonse une somme supplémentaire de 900 euro pour frais irrépétibles ;
Par considération d'équité il n'y a pas lieu de condamner Monsieur Jullien à une indemnité de cette nature au profit de la société Billaud ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Reçoit en la forme l'appel principal et l'appel incident. - Confirme la décision entreprise en ses dispositions relatives à la résolution de la vente. - Y ajoutant, - Dit que la somme de 36 130,42 euro (trente six mille cent trente euro et quarante deux centimes soit 237 000 F) à restituer portera intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 1997. - Dit que les dépens de première instance s'entendent frais de référés et d'expertise judiciaire compris. - Condamne Monsieur Jullien à rembourser à Madame Alphonse la somme de 746,24 euro (sept cent quarante six euros et vingt quatre centimes soit 4 895 F) au titre des frais annexes de la vente. - L'infirmant en ses dispositions relatives à l'action en garantie de Monsieur Jullien contre la SARL Billaud, déclare cette action irrecevable en l'état. - Condamne Monsieur Jullien à payer à Madame Alphonse une somme supplémentaire de 900 euro (neuf cents euro) pour frais irrépétibles. - Rejette les autres demandes des parties plus amples ou contraires. - Condamne Monsieur Jullien aux entiers dépens d'appel et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.