CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 7 mai 2003, n° 2002-00799
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Citroën Automobiles (Sté), Citroën Sud Auto (SA)
Défendeur :
Carles
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulquie
Conseillers :
MM. Grimaud, Baby
Avoués :
Me de Lamy, SCP Château-Passera, SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
Mes Labadie, Lagrange, Darmais
La société Automobiles Citroën a relevé appel le 21 février 2002 du jugement rendu le 17 janvier 2002 par le Tribunal de grande instance de Castres qui a déclaré recevable l'action de M. Carles et qui a institué un complément d'expertise confié à M. Noclain.
Le 30 juillet 19971 M. Carles a acquis de la société Sud Auto Citroën un véhicule neuf de marque Citroën modèle Jumper 35 MS, 2,5 TDI pour le prix de 171 252 F. Ce véhicule bénéficiait d'une garantie constructeur pour un an. Il a connu de nombreuses pannes qui ont été réparées dans le cadre de la garantie. M. Carles a sollicité le juge des référés par acte du 11 décembre 1998 pour obtenir une expertise. M. Noclain désigné par ordonnance du 2 février 1999 a déposé la 7 février 2000 un rapport concluant à l'existence de vices cachés et spécifiquement à un vice caché au niveau de la conception du système de climatisation, système sur lequel une modification a été effectuée dont l'efficacité resterait à prouver.
La société Automobiles Citroën déclare que M. Carles a saisi le tribunal sur le fondement d'un défaut de conformité mais que la non-conformité de la chose à sa destination normale relève en réalité de la garantie des vices cachés. Elle soulève la tardiveté de l'action en justice car l'achat est du 30 juillet 1997 et l'assignation en référé est du 11 décembre 1998 de sorte que le bref délai de l'article 1648 du Code civil n'a pas été respecté. Elle estime que les nombreuses réparations effectuées pendant l'année de garantie, y compris sur la climatisation, ont révéré à M. Carles l'existence de vices cachés et elle considère qu'il a préféré bénéficier de la garantie plutôt que d'agir en résolution de la vente d'autant que le véhicule portait 63 754 km le 23 mars 1999 lors de l'expertise et 96 957 km le 24 janvier 2001 ce qui démontre une utilisation normale. Sur les quatre griefs élevés par M. Carles lors des opérations d'expertise, et qui n'auraient pas compris la climatisation, elle conteste qu'ils soient imputables à des vices cachés lors de la vente. Sur la climatisation, elle relève que l'expert n'a pas établi de dysfonctionnement et que M. Carles ne s'en plaignait pas. Enfin elle critique le montant du préjudice allégué. Elle s'oppose à l'appel en garantie de la société Sud Auto Citroën au motif que celle-ci avait une obligation de résultat qu'elle ne démontre pas avoir remplie. La société Automobiles Citroën conclut à l'irrecevabilité de l'action de M. Carles, en toute hypothèse au débouté, au paiement par qui le devra de 2 300 euro pour frais irrépétibles, à la distraction des dépens au profit de Me de Lamy.
La société Sud Auto Citroën soulève également le moyen d'irrecevabilité tiré de la tardiveté de l'action de M. Carles car le vice serait découvert dès que le mauvais fonctionnement de la chose apparaît ce qui, en l'espèce, s'est produit quasiment dès l'achat. De plus l'impropriété du véhicule à son usage n'est pas établie puisque le compteur affichait 96 957 km au 24 janvier 2001. La société Sud Auto Citroën reproche à l'expert d'affirmer l'existence de vices sans opérer aucune démonstration. A titre subsidiaire elle demande la garantie de la société Automobiles Citroën car le véhicule était neuf et les vices qui seraient établis relèvent donc du fabricant. A titre encore plus subsidiaire, elle conteste les postes de préjudice détaillés par M. Carles et elle argue de sa bonne foi car elle a fait à M. Carles des propositions commerciales très avantageuses pour lui. La société Sud Auto Citroën conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement à l'absence de preuve d'un vice caché, au paiement par M. Carles de 3 000 euro pour frais irrépétibles, à titre subsidiaire à la garantie de la société Automobiles Citroën et au paiement par celle-ci de 3 000 euro pour frais irrépétibles, très subsidiairement à ce que le préjudice de M. Carles soit réduit à la somme de 24 086,94 euro représentant le prix de vente. Elle sollicite la distraction des dépens au profit de la SCP Boyer Lescat Merle.
M. Carles expose qu'il a acquis le véhicule pour les besoins de son activité professionnelle de commerçant itinérant en articles électroménagers, que dans les jours qui ont suivi la livraison du véhicule il a connu des pannes qui n'ont pas cessé, que la garantie d'un an dont il bénéficiait avait été reportée jusqu'en décembre 1998 en raison de changements de pièces (dont le moteur), qu'il a agi en justice au mois de décembre 1998 en prenant conscience que les anomalies persistaient; il estime que son action en garantie des vices cachés est recevable car en faisant procéder à des réparations il pouvait penser que les désordres allaient disparaître. Il considère que le délai de garantie doit être exclu du délai d'action et qu'il a agi à bref délai dès qu'il s'est aperçu que les interventions répétées du vendeur demeuraient sans effet. Il argue du rapport d'expertise selon lequel les vices cachés existent et la climatisation est d'une qualité médiocre dont l'efficacité reste à prouver. Il fait valoir qu'il entretenait parfaitement le véhicule ce que l'expert a constaté. Il se plaint tout particulièrement de difficultés de transmission. Il estime inutile le recours à un complément d'expertise et il demande à la cour d'évoquer le fond et d'accueillir son action rédhibitoire ou, subsidiairement, estimatoire, il demande paiement par la société Sud Auto Citroën de 26 107,20 euro en remboursement du prix, 27 440,82 euro correspondant aux frais d'utilisation d'un véhicule équivalent sauf à parfaire, 4 061,85 euro pour perte d'exploitation à parfaire à dire d'expert, 1 662,33 euro pour frais de remise en état d'un véhicule de remplacement, 738,77 euro pour primes d'assurance inutiles sauf à parfaire, 193,61 euro au titre des vignettes 1998 et 1999, 314,30 euro au titre des frais de réparation du véhicule restés à sa charge, 68,60 euro pour frais de remorquage, 283,85 euro pour les frais de remplacement d'un cardan, 37,08 euro pour le remplacement d'une durite, 70,13 euro pour les frais d'un second remorquage. Pour le cas où la cour jugerait d'une action estimatoire, il demande la désignation de M. Noclain aux fins d'évaluation. Il sollicite de la société Sud Auto Citroën 3 000 euro pour frais irrépétibles et il conclut à la distraction des dépens au profit de la SGP Chateau Passera.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 janvier 2003. M. Carles a déposé le 23 janvier 2003 des conclusions de procédure tendant au rabat de l'ordonnance de clôture pour pouvoir produire un courrier de la société Sud Auto Citroën du 23 janvier 2003 faisant état d'une modification nécessaire des brides sur les tubes d'injecteurs.
Sur quoi
Attendu que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il survient une cause grave depuis qu'elle a été rendue; que la production d'une pièce nouvelle n'est pas par elle-même une cause grave; qu'il n'y aura lieu de réouvrir les débats que si la cour ne trouve pas, dans les pièces déjà produites, les éléments nécessaires à sa décision;
Attendu, sur la recevabilité de l'action engagée par M. Carles, que l'article 1648 du Code civil impose à l'acquéreur d'agir à bref délai suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite; qu'il appartient au juge du fond d'apprécier le bref délai en considération des circonstances de la cause;
Attendu que le premier juge a caractérisé, par des motifs pertinents que la cour adopte, que le retard de M. Carles à agir en justice trouvait sa cause dans les réparations qu'il obtenait au titre de la garantie contractuelle ; que ces réparations qui se sont succédées d'août 1997 à juin 1998 lui permettaient de penser qu'il serait mis fin sans instance judiciaire aux désordres qui se produisaient; que seule une persistance des désordres, après de multiples interventions, a révélé l'existence de vices graves ; que l'action de M. Carles, qui a agi en justice 5 mois après la dernière intervention de son vendeur et lorsque de nouveaux désordres sont apparus, sera déclarée recevable;
Attendu que l'article 1641 du Code civil impose au vendeur de garantir les défauts cachés de la chose qui rendent celle-ci impropre à son usage ; que l'usage normal d'un véhicule professionnel neuf nécessite que ce dernier soit en état de marche;
Attendu qu'il est constant que le véhicule acquis par M. Carles le 30 juillet 1997 a présenté une panne d'huile au bout de 500 km début août 1997 et des désordres d'huile et de climatisation le 25 août 1997; que des réparations ont été effectuées sur la climatisation les 5 et 12 septembre 1997, le 15 septembre 1997 pour les phares et le bouchon du vase d'expansion, les 24, 26 et 29 septembre 1997 pour un problème de freinage et une nouvelle fuite d'huile; que les 18 et 23 décembre 1997 le moteur a été changé après constat d'une nouvelle fuite d'huile et le groupe de chauffage a été modifié; que le 28 avril 1998 sont apparus de nouveaux désordres sur la climatisation; que le 5 mai 1998 il a été constaté que le soufflet de transmission gauche était percé; que les 11, 16 et 19 mai 1998 de nouvelles interventions ont été effectuées sur la climatisation et le soufflet de transmission a été remplacé;
Attendu que par la suite M. Carles n'a plus utilisé son véhicule car la transmission gauche était cassée et l'embrayage se bloquait;
Attendu qu'il résulte des constatations de l'expert que le fourgon de M. Carles était parfaitement entretenu et dans un état exceptionnel; qu'il présentait une fuite d'huile mineure; que selon l'expert la transmission gauche est sur le point de céder, le soufflet est de nouveau percé, des craquements impressionnants accompagnent chaque mouvement de roue, le problème constaté sur la transmission est indiscutable; que l'expert prend note de la difficulté de passer les vitesses signalée par M. Carles (la pédale d'embrayage reste enfoncée par moments) mais qu'il ne procède pas à la vérification de cette anomalie;
Attendu que l'expert tire de ces constatations l'existence de vices cachés constatés par M. Carles à l'utilisation; qu'en effet si ces vices n'ont pas été décrits avec la précision souhaitable par l'expert, force est de constater que les désordres sont survenus dès l'achat; que M. Carles ayant parfaitement entretenu son véhicule et l'expert ayant exclu une mauvaise utilisation, les désordres ne peuvent avoir pour origine que des vices existant lors de la vente;
Attendu que M. Carles a effectivement roulé un nombre important de kilomètres avec le fourgon litigieux; que néanmoins la multiplicité des désordres, leur fréquence, l'anomalie constatée sur la transmission lors des opérations d'expertise n'ont pas permis l'usage normal d'un véhicule neuf dont la présence chez le garagiste n'est justifiée que pour des opérations d'entretien ou de révision périodique ; que l'action rédhibitoire de M. Carles sera accueillie sans qu'il soit nécessaire de révoquer l'ordonnance de clôture pour communication d'une pièce nouvelle;
Attendu que M. Carles demande en premier lieu la restitution du prix; que cette demande sera accueillie par application de l'article 1644 du Code civil et que la société Sud Auto Citroën devra payer à ce titre la somme de 26 107,20 euro (171 252 F)
Attendu que par application de l'article 1645 du même Code, le vendeur est tenu en sus de tous dommages et intérêts envers l'acquéreur s'il connaissait les vices de la chose; que tel est le cas du vendeur professionnel; que l'acquéreur doit chiffrer exactement son préjudice sans porter des sommes pour mémoire qui sont indéterminées et que la cour ne peut donc allouer;
Attendu que M. Carles demande 27 440,82 euro pour les frais d'utilisation d'un véhicule de remplacement; que cette somme est déduite de l'estimation par l'expert d'une somme de 10 000 F par mois pour un véhicule équivalent à celui immobilisé ; que cependant les dommages et intérêts doivent correspondre à un préjudice effectivement subi; que M. Carles ne justifie pas d'une location, à l'exception d'une facture Avis de septembre 1999 qui porte la somme de 542 F soit 82,63 euro; que M. Carles demande par ailleurs les frais de remise en état d'un fourgon; que les dépenses de location n'étant pas justifiées au-delà de 82,63 euro, elles ne seront retenues que pour ce montant;
Attendu que M. Carles argue d'un préjudice commercial justifié par une baisse de son chiffre d'affaires; que selon l'attestation de l'expert comptable, le chiffre d'affaires a diminué de 25 644 F; que les causes de cette baisse peuvent être multiples alors que la société Sud Auto Citroën n'est tenue que de la baisse imputable à la perte d'utilisation du véhicule; que cette imputabilité existe nécessairement, M. Carles n'ayant pas disposé pendant la durée des réparations (4 mois) de l'usage du fourgon qui est nécessaire à son activité; qu'il a disposé par la suite d'un fourgon de taille plus réduite et donc moins performant pour la présentation de ses produits; que le montant de l'indemnisation pour le préjudice de perte d'exploitation sera arrêté à 2 500 euro;
Attendu que M. Carles a remis en état un autre fourgon ce qui a évité la location beaucoup plus coûteuse d'un véhicule de remplacement; que la société Sud Auto Citroën devra l'indemniser de ces frais s'élevant à 1662,33 euro ;
Attendu que M. Carles a acquitté inutilement les frais d'assurance et les frais de crédit pendant la période de 4 mois d'immobilisation pour réparations; qu'il lui sera alloué de ce chef 164,46 euro et 1 552,89 euro soit au total 1 717,05 euro;
Attendu, sur les frais de vignette, que celle-ci se paye pour l'année entière et que l'utilisation du véhicule par M. Carles justifie qu'il ait acquitté ces frais;
Attendu enfin qu'il est produit une série de factures, pour la plupart illisibles, qui devraient justifier les demandes de 314,30 euro pour frais de réparations, 68,60 euro pour des frais de remorquage, 283,85 euro pour des frais de changement de cardan, 37,08 euro pour le remplacement d'une durite, 70,13 euro pour un second remorquage nécessité pour les réparations du cardan et de la durite ; que ces pièces ne permettent pas à la cour de distinguer à quel véhicule se rapportent ces demandes, étant précisé que le véhicule objet de la procédure a cessé d'être utilisé à partir de l'expertise et qu'il est alloué par ailleurs 1 662,33 euro pour la remise en état d'un autre fourgon ; que ces demandes insuffisamment justifiées seront rejetées;
Attendu enfin qu'il convient d'allouer à M. Carles 3 000 euro pour frais irrépétibles;
Attendu, sur l'appel en garantie de la société Sud Auto Citroën à l'encontre de la société Automobiles Citroën, que la cour juge fondée la demande de M. Carles au titre de la garantie des vices cachés en raison de vices existant dès l'origine; que la société Automobiles Citroën, fabricant et vendeur originaire, devra indemniser la société Sud Auto Citroën de l'intégralité des condamnations mises à la charge de celle-ci; qu'elle devra en outre lui payer 3 000 euro pour les frais irrépétibles de la procédure qui a nécessité une expertise;
Par ces motifs, Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par M. Carles, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. Carles, Réformant pour le surplus et évoquant sur le fond, Prononce la résolution pour vices cachés rédhibitoires de la vente du véhicule Citroën Jumper conclue le 30 juillet 1997 entre la société Sud Auto Citroën et M. Carles, Condamne la société Sud Auto Citroën à payer à M. Carles vingt six mille cent sept euro vingt centimes (26 107,20 euro) en restitution du prix, Condamne la société Sud Auto Citroën à payer à M. Carles quatre vingt deux euro soixante trois centimes (82,63 euro) en remboursement de frais de location, Condamne la société Sud Auto Citroën à payer à M. Carles deux mille cinq cent euro (2 500 euro) pour perte d'exploitation, Condamne la société Sud Auto Citroën à payer à M. Carles mille six cent soixante deux euro trente trois centimes (1 662,33 euro) pour frais de remise en état d'un autre fourgon, Condamne la société Sud Auto Citroën à payer à M. Carles mille sept cent dix sept euro cinq centimes (1 717,05 euro) pour frais financiers frustratoires, Déboute M. Carles de ses autres demandes en dommages et intérêts, Condamne la société Sud Auto Citroën à payer à M. Carles trois mille euro (3 000 euro) pour frais irrépétibles, Condamne la société Automobiles Citroën à relever et garantir la société Sud Auto Citroën de l'intégralité des condamnations qui précédent, Condamne la société Automobiles Citroën à payer à la société Sud Auto Citroën trois mille euro (3 000 euro) pour frais irrépétibles, Condamne la société Automobiles Citroën aux dépens en ce compris les frais d'expertise, Autorise la SCP Boyer Lescat Merle et la SCP Chateau Passera à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.