Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-12.339
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Thésée (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, Mes Bouthors
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 2 décembre 2002), que par acte du 8 décembre 1987, M. X a cédé les actions qu'il détenait dans la société Usines Dehousse à la société Thésée ; que cette dernière était une société holding créée et dirigée par M. Y qui était aussi le dirigeant de la société Usines Dehousse ; que, par la suite, soutenant que les actions vendues avaient été sous-évaluées M. X a assigné la société Thésée en nullité pour dol de la cession ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Thésée fait grief à l'arrêt d'avoir annulé la cession des actions de M. X, alors, selon le moyen : 1°) qu'aucune obligation d'information au profit du cédant ne pèse sur l'acquéreur de parts sociales, quant à la valeur des parts cédées ; qu'il appartient au cédant de se renseigner sur la valeur des parts de la société qu'il cède, quand bien même le cessionnaire serait le dirigeant de la société cédée, ou encore une société dirigée et contrôlée par ce dernier ; qu'en annulant néanmoins pour dol la cession par M. X de ses actions de la société Usines Dehousse à la société Thésée, après avoir relevé que M. Y qui, du fait de sa qualité de président directeur général de la société Usines Dehousse, était tenu envers les actionnaires en exécution de son obligation de loyauté de les renseigner le plus exactement possible sur la valeur des titres et ne pouvait ignorer la valeur des actions, ou que ce soit de la part de la société Thésée, qui en tant que personne morale, émanation des époux Y, connaissait l'obligation à laquelle M. Y était tenu et la finalité de l'opération frauduleuse qu'elle réalisait, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1116 du Code civil ; 2°) que le dol par réticence suppose que l'auteur du dol a eu connaissance d'une information qu'il na pas révélée à son cocontractant, ce qu'il appartient à ce dernier de démontrer ; que lorsque le dirigeant d'une société acquiert les parts de celle-ci auprès de ses associés, il ne peut commettre de dol que s'il dispose d'informations privilégiées lui permettant de savoir que la valeur des parts qu'il acquiert est supérieure au prix de la cession, informations qu'il ne révèle pas au cédant ; que tel n'est pas le cas lorsque le cessionnaire de parts d'une société, fût-il le dirigeant de celle-ci, ne dispose, au jour de la cession, que d'informations évaluant les parts de la société au prix effectivement fixé pour la cession, voire à un prix inférieur ; que l'arrêt attaqué qui, après avoir constaté qu'à la date de la cession, les seules informations dont disposait M. Y, à la fois président de la société Usines Dehousse et de la société Thésée, établissaient que les actions de la société Usines Dehousse étaient évaluées, au mieux, à 125 francs par action, prix auquel la cession est intervenue, a néanmoins annulé pour dol la cession survenue le 8 décembre 1987, au seul motif que M. Y "ne pouvait ignorer" que la valeur réelle des actions était très supérieure au prix effectivement convenu, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1116, alinéa 2, du Code civil ; 3°) que le vendeur ne peut se prévaloir de la réticence dolosive de l'acheteur quant à la valeur de la chose vendue que s'il établit n'avoir pu accéder à l'information qui lui aurait été dissimulée par l'acheteur ; qu'en relevant que M. X ne produisait aucune pièce sur les circonstances dans lesquelles il a cédé ses actions à la société Thésée et en s'abstenant de rechercher les diligences effectuées par le vendeur pour vérifier la valeur de l'action proposée, correspondant à celle estimée pour la donation, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, d'un côté, que le manque de transparence manifesté par la société Usines Dehousse et la société Thésée, dans le cadre de l'acquisition par la seconde de la totalité des actions de la première, contribue à démontrer que la valeur réelle de l'action était nettement supérieure à celle proposée et que les deux sociétés en avaient pleinement conscience, de l'autre, que la cession des actions de M. X a été traitée directement avec M. Y, en sa double qualité de "président directeur général" des deux sociétés, lequel ne pouvait ignorer que les actions avaient une valeur très supérieure à celle à laquelle elles ont été cédées ; que l'arrêt rappelle que la cession litigieuse s'est inscrite dans le cadre d'une opération destinée à faire acquérir par les époux Y, au moyen de la société Thésée, la totalité des titres de la société Usines Dehousse et que si les époux Y n'apparaissaient pas comme directement propriétaires des actions rachetées, ils en tiraient tout le profit puisqu'ils contrôlaient entièrement la société Thésée ; que l'arrêt retient, enfin, que la société Thésée représentée dans le cadre de la cession par son "président directeur général", M. Y, connaissait la finalité frauduleuse de l'opération qu'elle réalisait ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que des manœuvres dolosives ont été commises par M. Y en tant que représentant de la société Thésée, pour conduire M. X à céder ses actions de la société Usines Dehousse à la société Thésée à un prix inférieur à leur valeur réelle, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante énoncée par la troisième branche, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen : - Vu l'article 1234 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Thésée à payer à M. X la somme correspondant au prix de vente des actions à un tiers en 1993 et aux dividendes qu'il aurait dû percevoir entre 1987 et 1992, la cour d'appel retient que celui-ci doit être replacé dans la même situation que celle où il se serait trouvé si la vente annulée n'avait pas eu lieu et s'il avait bénéficié des conditions de la vente des actions à ce tiers ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n'est plus possible, le droit d'en obtenir la remise en valeur au jour de l'acte annulé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Thésée à payer à M. X la somme de 1 697 884,47 euro, ainsi que les dividendes des exercices 1987 à 1992, l'arrêt rendu le 2 décembre 2002, entre les parties, par la Cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Toulouse.