CA Nancy, 2e ch. com., 14 septembre 2005, n° 02-00006
NANCY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Costet (SARL)
Défendeur :
Guyon, Arlet, MMA IARD, Foricom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moureu
Conseillers :
Mme Desplan, M. Ruff
Avoués :
SCP Merlinge-Bach-Wassermann, SCP Bonet Leinster Wisniewski, SCP Millot Logier Fontaine, Me Gretere
Avocats :
Mes Knittel, Cousin, Roussel, Gaucher
Bases contractuelles du litige - Faits constants et procédure
Le 18 février 1997, M. Michel Guyon a acquis auprès de la SARL Costet un tracteur forestier articulé d'occasion de marque John Deere type 540 D (mis en circulation en 1990) au prix de 385 920 F TTC.
Ce tracteur était auparavant la propriété de M. Jean-Jacques Arlet qui l'avait acheté à la SA Foricom (société de droit belge), laquelle avait exécuté plusieurs réparations.
Fin janvier 1998, l'engin est tombé en panne. Il a été remis à la SARL Mat for service pour établissement d'un devis.
M. Michel Guyon a obtenu en référé la désignation de M. André Parmentier en qualité d'expert qui a déposé son rapport daté du 4 mars 2000.
Par ordonnance du 14 juin 2000, le président du Tribunal de commerce de Saint-Dié des Vosges s'est déclaré incompétent pour statuer en référé sur l'octroi de provisions au titre de la réparation de l'engin et des pertes d'exploitation.
Présentement la SA Foricom est en liquidation judiciaire.
Vu la demande introduite par M. Michel Guyon contre la SARL Costet, la Compagnie d'assurance Winterthur (assureur de la SARL Costet), M. Jean-Jacques Arlet, et la SA Foricom, selon assignation du 26 avril 2000 tendant, dans le dernier état de ses conclusions, au paiement de 180 347 F HT, coût de la réparation, de 302 412 F au titre des pertes d'exploitation arrêtées au 31 décembre 1999, de 100 000 F de dommages-intérêts et de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions de la SARL Costet, défenderesse, tendant à l'irrecevabilité et au mal fondé de la demande de M. Michel Guyon et à l'allocation de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, subsidiairement, à la condamnation de M. Jean-Jacques Arlet, de la SA Foricom et de la Compagnie Winterthur assurances à la garantir de toutes sommes mises à sa charge,
Vu les conclusions de M. Jean-Jacques Arlet, défendeur, tendant au débouté de M. Michel Guyon et à l'allocation de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions de la Compagnie Winterthur assurances, assureur de la SARL Costet, tendant au débouté de M. Michel Guyon et à l'allocation de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions de la SA Foricom, défenderesse, tendant au débouté de M. Michel Guyon et à l'allocation de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Saint-Dié des Vosges le 14 novembre 2001, exécutoire par provision à hauteur de 180 347 F (coût des réparations) qui a condamné solidairement la SARL Costet et la SA Foricom à payer à M. Michel Guyon 482 759 F et 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à payer à M. Jean-Jacques Arlet 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, "dit que la Compagnie Winterthur assurances interviendra à hauteur de 11 488 F pour le compte de la SARL Costet" et débouté les parties de leurs plus amples conclusions,
Vu l'appel de ce jugement interjeté par la SARL Costet le 28 décembre 2001.
Vu les moyens et prétentions de la société appelante exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 6 avril 2004 tendant à l'irrecevabilité, subsidiairement, au mal fondé de la demande de M. Michel Guyon, plus subsidiairement, à la condamnation de la SA Foricom et de M. Jean-Jacques Arlet à la garantir de toutes condamnations et à la condamnation de la SA MMA IARD, venant aux droits de Compagnie Winterthur assurances, à garantir la SARL Costet et à la condamnation de M. Michel Guyon au paiement de 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les moyens et prétentions de M. Michel Guyon, demandeur et intimé, exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 19 mai 2004 tendant au rejet de l'appel principal et, sur appel incident,
* à la condamnation de la SARL Costet, de M. Jean-Jacques Arlet et à la fixation de la créance de la SA Foricom à :
- réparation de l'engin HT 27 493,72 euro (180 347 F)
- pertes d'exploitation au 46 102,41 (302 412 F) 31 décembre 1999
- pertes d'exploitation au 12 026,70 euro titre de l'exercice 2000
- dommages-intérêts 15 244,90 euro (100 000 F)
* à la condamnation de la Compagnie Winterthur Assurances à garantir la SARL Costet dans la limite de sa garantie,
* à la condamnation in solidum de la SARL Costet, de M. Jean-Jacques Arlet, de la SA Foricom à 1 525 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les moyens et prétentions de M. Jean-Jacques Arlet, défendeur et intimé, exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 26 février 2004 tendant à la confirmation du jugement déféré, subsidiairement à la diminution dans de larges proportions de l'indemnisation demandée au titre de la réparation du véhicule et à l'exonération du remboursement des pertes d'exploitation alléguées par M. Michel Guyon, en tout cas, à la condamnation de la SA Foricom à garantir M. Jean-Jacques Arlet de toutes condamnations intervenant à son encontre et à la condamnation des autres parties au paiement de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les moyens et prétentions de la SA MMA IARD, venant aux droits de la Compagnie Winterthur assurances, défenderesse et intimée, exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 5 octobre 2004 tendant à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de la Compagnie Winterthur assurances à 11 488 F (1 751,33 euro), au rejet de toutes conclusions plus amples ou contraires des parties et à l'allocation de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SARL Costet fait valoir que :
- M. Michel Guyon a engagé son action en garantie en méconnaissance du bref délai prescrit par l'article 1648 du Code civil,
- dès février 1998, M. Michel Guyon a eu connaissance de la nature du vice affectant le tracteur qui avait été confié aux Etablissements Mat For,
- or l'assignation en référé (expertise) n'a été délivrée que le 18 novembre 1998,
- la SARL Costet n'est intervenue dans la transaction entre M. Jean-Jacques Arlet et M. Michel Guyon qu'en stipulant l'exclusion de sa garantie sur la facture,
- les clauses limitatives de responsabilité sont valables entre professionnels,
- M. Michel Guyon ne peut se prévaloir de la délivrance d'un objet non conforme à la commande,
- il n'a émis aucune protestation ni réserve à la livraison du tracteur et l'a utilisé pendant "32 mois" (sic),
- les frais de réparation estimés par Mat For à 180 347 F sont excessifs, compte tenu de la durée d'utilisation 950 heures en 32 mois et des travaux réellement nécessaires,
- l'indemnité pour perte d'exploitation doit être écartée, s'agissant d'un vendeur de bonne foi,
- le sapiteur interrogé par l'expert était l'expert-comptable de M. Michel Guyon,
- M. Michel Guyon ne justifie d'aucun préjudice d'exploitation puisque ses résultats ont progressé en 1998,
- subsidiairement, M. Jean-Jacques Arlet et la SA Foricom, vendeurs successifs du tracteur, doivent être tenus à garantir les vices antérieurs à la vente,
- la SA MMA IARD doit garantir la SARL Costet des conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile.
M. Michel Guyon réplique que :
- SARL Costet ne peut contester être le vendeur du tracteur qu'elle a acheté le 10 février 1997 à M. Jean-Jacques Arlet et facturé à M. Michel Guyon le 18 février 1997,
- elle a adressé à la Compagnie Winterthur assurances une déclaration de sinistre,
- M. Michel Guyon n'a pas été mis en possession du tracteur qu'il avait commandé mais d'un engin moins performant par suite de la substitution de la boîte de vitesse par une boîte équipant les tracteurs 540 B,
- l'expert judiciaire a caractérisé des vices cachés qui n'étaient pas décelables par M. Michel Guyon au moment de l'achat ni même par la SARL Costet,
- le bref délai de l'article 1648 du Code civil a été respecté puisque la demande d'expertise judiciaire a été engagée le 19 novembre 1998 à la suite des expertises amiables diligentées en avril et juin 1998 et des négociations infructueuses tentées auprès de la SARL Costet,
- le rapport de M. Parmentier a été déposé en mars 2000 tandis que le juge du fond était saisi en avril 2000,
- la mention "sans garantie" ne figure que sur la facture du 18 février 1997, sans qu'il soit établi que M. Michel Guyon ait donné son accord,
- entre professionnel et non-professionnel, une clause de non-garantie est réputée non écrite,
- le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose,
- la SARL Costet n'est pas de bonne foi car elle ne s'est pas assurée de la conformité du matériel vendu,
- la clause d'exclusion de garantie est inopposable,
- la SARL Costet a omis d'informer l'acquéreur de 2 pannes résultant d'une "suppression d'huile" (sic) qui avaient entraîné le changement de boîte de vitesse, ce que M. Jean-Jacques Arlet aurait signalé au vendeur,
- le sous-acquéreur jouit des droits et actions appartenant à son auteur et dispose d'une action directe contre le fabricant ou le vendeur intermédiaire,
- la SA Foricom a engagé sa responsabilité en procédant aux réparations sans respecter les règles de l'art et en remettant un tracteur non conforme au modèle 540 D,
- M. Jean-Jacques Arlet n'a pas remédié au vice caché résultant de l'intervention fautive de la SA Foricom et a, par là-même, engagé sa responsabilité,
- la Compagnie Winterthur assurances doit garantir le dommage imputable à la SARL Costet,
- l'expert a dûment estimé la remise en état de l'engin à 180 347 F,
- les conclusions du sapiteur sur les pertes d'exploitation ne sont pas sérieusement remises en cause par le rapport de M. Galland qui n'est pas contradictoire,
- le tracteur n'ayant été restitué qu'en juillet 2000, il y a lieu de tenir compte des pertes d'exploitation pendant 6 mois supplémentaires,
- la tromperie dont M. Michel Guyon a été victime justifie l'allocation de dommages-intérêts supplémentaires de 15 244,90 euro,
- l'article 1646 du Code civil n'est applicable qu'à la garantie des vices cachés et non aux manquements à l'obligation de délivrance,
- le vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose, surtout si sa mauvaise foi est établie.
M. Jean-Jacques Arlet réplique que :
- la SARL Costet a bien vendu le tracteur à M. Michel Guyon, même si elle n'a pas pris de marge ; elle a trouvé son intérêt dans la vente d'un tracteur neuf à M. Jean-Jacques Arlet,
- la prétendue non-conformité de la chose vendue ne peut être imputée qu'à la SARL Costet,
- au surplus, M. Michel Guyon qui a reçu livraison du tracteur sans réserve et l'a utilisé pendant 11 mois est forclos pour se prévaloir du défaut de délivrance,
- connaissant la nature du vice de l'engin depuis le démontage effectué courant février 1998, M. Michel Guyon a attendu le 18 novembre 1998 pour solliciter une expertise judiciaire,
- il résulte de l'attestation de M. Charlier (SARL Costet) que M. Jean-Jacques Arlet avait avisé la SARL Costet du changement de boîte de vitesse,
- M. Jean-Jacques Arlet n'a pas négocié directement avec M. Michel Guyon,
- le tracteur ayant été utilisé sans inconvénient de janvier 1996 à janvier 1998, n'était pas affecté d'un vice le rendant impropre à son usage,
- le devis de réparation validé par l'expert est exorbitant,
- entant que non-professionnel de la mécanique, M. Jean-Jacques Arlet ne pourrait être tenu aux pertes d'exploitation.
La SA MMA IARD, venant aux droits de la Compagnie Winterthur assurances, cite les dispositions de la police d'assurance concernant la responsabilité civile après livraison ou travaux et fait valoir que les pertes d'exploitation, revêtant le caractère de dommage immatériel non consécutif à un dommage matériel garanti, ne sont pas couvertes par la police d'assurance souscrite par la SARL Costet.
Motifs
Attendu qu'il apparaît que la SA Foricom - qui n'a pas interjeté appel - a fait l'objet d'une procédure collective d'insolvabilité entraînant son dessaisissement ;
Que la société appelante et les intimés, qui ont pris des conclusions contre elle, n'ont pas mis en cause le syndic ayant le pouvoir de la représenter ;
Qu'elles n'ont d'ailleurs pas justifié de leur production au passif de la SA Foricom ;
Qu'il y a lieu de disjoindre l'instance dans les rapports entre, d'une part, M. Michel Guyon, la SARL Costet et M. Jean-Jacques Arlet et, d'autre part, la SA Foricom ;
Sur la demande dirigée par M. Michel Guyon contre la SARL Costet
Attendu qu'il est constant que la SARL Costet a facturé à M. Michel Guyon le tracteur litigieux le 18 février 1997 au même prix qu'elle l'avait acquis de M. Jean-Jacques Arlet 8 jours plus tôt, le 10 février 1997 (pièces n° 1 et 2 de la SARL Costet, en première instance) ;
Que la SARL Costet affirme, sans être démentie, que l'engin n'a pas transité physiquement par son établissement et que cette transaction opérée par son intermédiaire avait pour seul objet de permettre à M. Michel Guyon d'obtenir un crédit auprès d'un établissement financier ;
Attendu, en outre, que la facture établie par la SARL Costet mentionne "matériel d'occasion (sans garantie)" ;
Attendu qu'il est constant que M. Michel Guyon a accepté sans réserve la livraison du tracteur litigieux après avoir procédé à des essais ;
Attendu que la SARL Costet ne conteste pas avoir vendu le tracteur à M. Michel Guyon ;
Que la prise d'un bénéfice n'est pas une condition de validité de la vente ;
Que, d'ailleurs, la déclaration de sinistre effectuée par la SARL Costet auprès de son assureur constitue un aveu supplémentaire de l'existence d'une relation contractuelle directe entre elle et M. Michel Guyon :
Que M. Michel Guyon a utilisé cet engin jusqu'à janvier 1998 sans incident notable et sans justifier de la moindre réclamation pendant cette période ;
Attendu qu'il résulte de l'expertise de M. André Parmentier et des éléments de la cause, d'une part, que la panne survenue en janvier 1998 affectant le circuit hydraulique est consécutive au remplacement par la SA Foricom de la boîte de vitesse par une autre qui avait été remise en état en méconnaissance du cahier des charges du constructeur et des règles de l'art ;
Que les ressorts du clapet d'ouverture du filtre et du clapet de régulation de pression sont de longueur insuffisante ;
Que des surplus de pâte d'étanchéité (de couleur bleue) se sont détachés de la plaque de fermeture du carter pour former des dépôts anormaux et des boulettes qui ont pénétré dans les conduits hydrauliques internes, provoquant la surpression hydraulique au niveau du filtre à huile et la détérioration de certains éléments mécaniques ;
Qu'enfin, dans la mesure où elle impute les désordres au grippage de la pédale d'approche, la SA Foricom a omis d'y remédier ;
Attendu, d'autre part, que le montage par la SA Foricom sur le tracteur 540 D d'une boîte de vitesse correspondant au modèle 540 B, munie d'un seul manocontact au lieu de deux, a entraîné une perte de puissance de l'engin réduisant notablement ses performances ;
Qu'ainsi la boîte de vitesse du tracteur 540 D développe normalement une puissance de 75 kw à 2 200 tours/minute et un couple de 393 nm à 1 300 t/mn alors que la boîte de vitesse du tracteur 540 B développe 67 kw à 2 200 t/mn et un couple de 366 nm à 1 400 t/mn ;
La non-conformité de la chose livrée
Attendu que le montage sur le tracteur John Deere 540 D d'une boîte de vitesse inadaptée réduisant sa puissance et le rendant moins performant était de nature à caractériser la non-conformité de la chose livrée à l'objet de la commande, notamment désigné sur la facture établie par la SARL Costet le 18 février 1997 ;
Mais attendu que M. Michel Guyon n'est pas fondé à se prévaloir de la non-conformité de la chose vendue car la vente a été stipulée "sans garantie" ;
Attendu que la facture émanant de la SARL Costet, datée du 18 février 1997, est concomitante à la vente ;
Qu'il n'est pas allégué et encore moins établi qu'elle aurait été adressée à M. Michel Guyon après la formation du contrat ;
Qu'elle est l'unique document contractuel matérialisant les obligations respectives des parties ;
Qu'elle n'a fait l'objet d'aucune restriction ni réclamation de la part de M. Michel Guyon ;
Et attendu que, dans l'hypothèse où le vendeur professionnel entend limiter sa responsabilité non à raison des vices cachés de la chose vendue mais des défauts de conformité de la chose livrée, la juridiction n'a pas à rechercher, pour déclarer la clause opposable à l'acheteur, si ce dernier est un professionnel de la même spécialité que le vendeur (en ce sens, Cass. civ. 1re 20 décembre 1988, JCP 1989 II 21354 et 24 novembre 1993 JCP 1994, II, 22334) ;
Qu'en l'espèce la transaction s'est opérée entre deux professionnels ;
Que M. Michel Guyon, débardeur forestier, même s'il n'est pas professionnel de la mécanique, apparaît comme un professionnel averti en matière d'utilisation d'engins forestiers et ne saurait se prévaloir du statut de particulier ou de consommateur pour bénéficier d'une protection renforcée ;
Attendu, à titre surabondant, que jusqu'à la révélation par les experts et techniciens du montage d'une boîte de vitesse inadaptée au tracteur 540 D, M. Michel Guyon n'avait émis aucune plainte se rapportant à une puissance insuffisante ;
Attendu qu'il s'ensuit que la demande de M. Michel Guyon n'est pas fondée ;
La garantie des vices cachés
- Le bref délai
Attendu que M. André Parmentier et les autres techniciens consultés imputent la panne survenue au tracteur en janvier 1998 à des anomalies qui sont de nature à caractériser un défaut caché, au sens de l'article 1641 du Code civil ;
Attendu qu'il résulte, notamment, du rapport du cabinet Barth daté du 22 avril 1998, consulté par M. Michel Guyon, que ce dernier a été précisément informé de la cause de l'avarie affectant le tracteur courant avril 1998 ;
Que ce rapport mentionne, comme le rapport ultérieur de M. André Parmentier, expert judiciaire, le montage d'une boîte de vitesse non conforme au modèle 540 D et la surpression à l'intérieur de la boîte de vitesse imputée à l'obstruction du circuit ;
Attendu que M. Michel Guyon a engagé, le 18 novembre 1998 une action en référé pour obtenir la désignation d'un expert ;
Attendu que, dans le contexte particulier d'un tracteur forestier d'occasion ayant fait l'objet de trois ventes successives et affecté d'un vice caché résultant d'une malfaçon causée par le premier vendeur, la période de 7 mois qui s'est écoulée entre la connaissance du vice et l'introduction de l'action n'excède pas le bref délai imposé par l'article 1648 du Code civil ;
Qu'en effet, l'expertise du cabinet Barth organisée à l'amiable à la requête de M. Michel Guyon, en présence de la SARL Costet, a donné lieu à trois réunions, les 9, 16 mars et 20 avril 1998 ;
Qu'après rédaction du rapport du 22 avril 1998, la SARL Costet a fait intervenir son propre expert, M. Ruggiero, du cabinet Guichaoua ;
Que le 22 juin 1998, MM. Ruggiero et Vaxelaire (cabinet Barth) se sont réunis à Molsheim, aux Etablissements Mat For chargés de la réparation ;
Que, toutefois, en l'absence des représentants de M. Jean-Jacques Arlet et de la Compagnie Winterthur assurances, aucun accord amiable n'a pu être conclu ;
Que M. Vaxelaire du cabinet Barth a rédigé un rapport complémentaire en date du 29 juin 1998 ;
Qu'en outre la SA Foricom, responsable de la réparation incriminée a son siège en Belgique ;
Que l'importance des dommages justifiait de tenter un règlement amiable ;
Que, dans ces conditions et compte tenu de la complexité du litige résultant du nombre de parties en cause, les pourparlers engagés pour y parvenir n'ont évidemment pas pu être rapidement menés à leur terme ;
- L'application des articles 1641 et suivants du Code civil
Attendu que les avaries décrites par les experts constituent des défauts cachés au sens de l'article 1641 du Code civil;
Que, pour caractériser le vice caché, M. Vaxelaire (cabinet Barth) a retenu les circonstances suivantes :
"1° De visu et extérieurement, M. Michel Guyon ne pouvait se rendre compte de la non-conformité de la boîte de vitesse de son tracteur, celle-ci ne comportant pas de plaque numéro d'identification constructeur et ne présentant pas de différence notoire de forme de carter".
"2° Il ne pouvait pas non plus se rendre compte de la surpression hydraulique interne, celle-ci n'affectant pas, aux dires du réparateur Mat For, le fonctionnement de l'engin."
Attendu que, bien plus, le propre expert mandaté par l'assureur de la SARL Costet, M. Ruggiero (SA CEJ Guichaoua) a également conclu à l'existence d'un vice caché, se bornant à émettre des objections sur le coût de la réparation ;
Qu'enfin M. Parmentier, expert, a également conclu que ledit tracteur était entaché de vice caché ;
Attendu que le vendeur professionnel ne peut ignorer les vices de la chose vendue, même à un professionnel (en ce sens, Cass. com. 27 novembre 1991 Bull. IV, n° 367, Cass. civ. 2e 30 mars 2000, Bull. II, n° 57) et même si la chose a été livrée directement au client sans transiter par son établissement (en ce sens, Cass. civ. 1re 8 juin 1999, Bull. I, n° 198) ;
Qu'il s'ensuit que, tenu de les connaître, le vendeur professionnel ne peut se prévaloir d'une clause exclusive de garantie des vices cachés (en ce sens, Cass. civ. 3e 3 janvier 1984, bull. III, n° 4 et Cass. com. 17 décembre 1973, Bull. IV, n° 367, solution conforme à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, arrêt du 24 janvier 1991, D. 1991, 273) ;
Et attendu, au surplus, qu'il résulte de plusieurs éléments que la SARL Costet était informée de l'installation, sur ce tracteur, d'une boîte de vitesse non-conforme ;
Que, d'une part, M. Vaxalaire (cabinet Barth) estime que "l'engin revendu n'est pas conforme au cahier des charges du constructeur", la boîte de vitesse ayant été remontée de façon hybride empruntant des pièces à la boîte 540 D et à la boîte 540 B (rapport du 22 avril 1998, p. 4) ;
Que, d'autre part, il résulte de l'attestation de M. Hubert Charlier, à l'époque représentant de la SARL Costet, que cette dernière était informée du remplacement de la boîte de vitesse du tracteur et du "problème de pression sur boîte" rencontré par M. Jean-Jacques Arlet et qui avait entraîné l'intervention de M. Huet (annexe de M. Jean-Jacques Arlet) ;
Qu'enfin, M. Ruggiero (SA CEJ Guichaoua) expert mandaté par la Compagnie Winterthur assurances, considère que la SARL Costet "a commis une faute professionnelle en omettant de contrôler le matériel avant la vente" ;
Qu'il résulte de ces circonstances, en application de l'article 1645 du Code civil, que le vendeur est tenu de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ;
Sur le montant de l'indemnité due par la SARL Costet
Les frais de réparation
Attendu que les premiers juges ont valablement retenu le montant estimé par l'expert, conformément au devis de la SARL Mat For services, qui tient compte, non seulement du prix des pièces et du temps passé à la réparation proprement dite, mais encore du temps passé à rechercher les causes de la panne, à prendre connaissance de la documentation, à vérifier et contrôler les circuits hydrauliques ;
Que les estimations du temps de réparation produites par la société appelante, émanant respectivement de la SARL Forêt matériel assistance (82 heures, 131 372,97 F TTC) et de la SA Dromson (80 heures, sans indication de prix) ne sont pas de nature à remettre en cause le chiffre adopté par l'expert car elles ne tiennent pas compte du temps passé à la recherche de la panne ;
Qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à M. Michel Guyon de ce chef 180 347 F soit 27 493,72 euro ;
La perte d'exploitation
Attendu que M. Michel Guyon demande 381 202 F, soit 58 113,87 euro pour compenser les pertes résultant de l'impossibilité d'utiliser le tracteur litigieux de février 1998 à juin 2000, soit 17 mois ;
Attendu qu'aucune des parties n'a versé aux débats l'intégralité du rapport établi le 31 décembre 1999 par M. Victoor, en qualité de sapiteur ;
Que M. Michel Guyon s'est borné à fournir les pages 7 et 8 de ce rapport, comportant notamment la conclusion ;
Que la cour se trouve donc dans l'impossibilité d'apprécier la pertinence du raisonnement du sapiteur ;
Qu'il y a lieu d'observer que la perte alléguée de 302 412 F + 78 890 F = 381 202 F, soit 58 113,87 euro aurait été réduite si M. Michel Guyon avait loué un engin de même nature ;
Attendu que la comparaison de bénéfices imposables des années 1998 et 1999 permet de constater une progression ;
Que la société appelante a fait réaliser par la société d'expertise comptable SADEC une étude qui conclut à une perte de résultat de 27 255 F, en tenant compte des économies de cotisations sociales ;
Qu'en l'état des éléments soumis à son appréciation, la cour est en mesure de fixer la perte d'exploitation à 150 000 F, soit 22 867,35 euro toutes causes confondues ;
Les dommages-intérêts complémentaires
Attendu que M. Michel Guyon ne justifie pas d'un préjudice distinct qui ne soit pas couvert par l'indemnisation des frais de réparation et des pertes d'exploitation ;
Sur la demande en garantie de M. Michel Guyon et de la SARL Costet contre la SA MMA IARD venant aux droits de la Compagnie Winterthur assurances
Attendu que la SA MMA IARD ne conteste pas sérieusement la garantie des vices cachés due par sa cliente la SARL Costet ;
Que, d'ailleurs, tel était le sens de l'expertise réalisée par M. Ruggiero (SA CEJ Guichaoua), expert mandaté par la Compagnie Winterthur assurances ;
Attendu que, selon les conventions spéciales versées aux débats par la SA MMA IARD, l'assureur garantit, au titre du paragraphe 5 - 2° "La responsabilité civile après livraison ou travaux", "les dommages causés par les produits livrés, vendus ou servis ou les travaux exécutés lorsque ces dommages ont pour fait générateur soit un vice propre du produit ou une erreur commise notamment dans sa conception, sa fabrication, son conditionnement, ses instructions d'emploi ou de livraison, soit une malfaçon des travaux exécutés et survenus après leur livraison ou après leur achèvement" ;
Qu'au paragraphe 7 "les garanties facultatives", sont prévus : "2° - Les dommages aux véhicules des clients après livraison ou travaux" dans les termes suivants :
"La garantie prévue au paragraphe 5 - 2 est étendue aux conséquences pécuniaires de la responsabilité civile pouvant vous incomber en raison des dommages subis par les véhicules des clients et survenus après leur remise ou livraison.
"Cette garantie s'applique [...] pour les dommages mécaniques, c'est à dire ceux qui ne résultent pas de tels événements" [incendie, explosion, choc, versement]
Attendu que l'exclusion prévue au paragraphe 8-12° concernant "le coût de la réfection des travaux, de la remise en état ou du remplacement des produits livrés ou ouvrages exécutés, qui ont été à l'origine des dommages" est inapplicable à l'extension de garantie du paragraphe 7-2° sans la priver de tout effet ;
Qu'il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte ;
Attendu que les conditions particulières versées aux débats par la SA MMA IARD (pièce N° 3) - dont l'application n'est pas contestée par M. Michel Guyon et la SARL Costet - fixent à 40 000 F la limite de garantie pour les dommages mécaniques après livraison ;
Qu'il ne résulte d'aucun document contractuel que cette limite s'applique par année d'assurance ;
Qu'il y a donc lieu de considérer qu'elle s'applique par sinistre déclaré ;
Qu'enfin, un avenant du 3 avril 1995 prévoit une franchise de 10 % (minimum 1 000 F, maximum 5 000 F) (pièce n° 4 de la SA MMA IARD) ;
Qu'il reste ainsi à la charge de l'assureur :
40 000 F - 4 000 F = 36 000 F soit 5 488,16 euro
Sur la demande de M. Michel Guyon et de la SARL Costet dirigée contre M. Jean-Jacques Arlet,
Attendu qu'il est établi, notamment, par l'attestation de M. Hubert Charlier, que la SARL Costet avait connaissance du remplacement de la boîte de vitesse du tracteur et du "problème de pression sur boîte" rencontré par M. Jean-Jacques Arlet ;
Qu'il en résulte que ces anomalies ne constituaient pas, à l'égard de la SARL Costet, des défauts cachés, au sens de l'article 1641 du Code civil avec toutes conséquences de droit ;
Qu'aucun recours ne peut donc être exercé par M. Michel Guyon et la SARL Costet à l'encontre de M. Jean-Jacques Arlet ;
Attendu que l'équité justifie de couvrir M. Michel Guyon de ses frais de procédure non compris dans les dépens, à hauteur de 700 euro, respectivement à la charge de la SARL Costet et de la SA MMA IARD ;
Qu'en revanche l'équité ne justifie aucune application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur de M. Jean-Jacques Arlet ;
Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Ordonne la disjonction de l'instance dans les rapports entre, d'une part, M. Michel Guyon, la SARL Costet et M. Jean-Jacques Arlet et, d'autre part, la SA Foricom, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Costet à payer à M. Michel Guyon cent quatre vingt mille trois cent quarante sept francs (180 347 F), soit vingt sept mille quatre cent quatre vingt treize euro et soixante douze centimes (27 493,72 euro) au titre des frais de réparation, Infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne la SARL Costet à payer à M. Michel Guyon vint deux mille huit cent soixante sept euro et trente cinq centimes (22 867,35 euro) au titre de la perte d'exploitation, Condamne la SA MMA IARD, venant aux droits de la Compagnie Winterthur assurances, à garantir la SARL Costet de ses condamnations, à hauteur de cinq mille quatre cent quatre vint huit euro et seize centimes (5 488,16 euro), Déboute M. Michel Guyon et la SARL Costet de leurs demandes dirigées contre M. Jean-Jacques Arlet, Déboute les parties de leurs plus amples conclusions, Condamne conjointement la SARL Costet et la SA MMA IARD à payer à M. Michel Guyon chacune la somme de sept cents euro (700 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SARL Costet et la SA MMA IARD aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise, Autorise la SCP d'avoués Bonet, Leinster & Wisniewski et la SCP d'avoués Millot-Logier-Fontaine à recouvrer directement les dépens d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.