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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 24 mars 2005, n° 04-00392

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Solliec

Défendeur :

Simon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

Me Garnier, SCP Desplanques-Devauchelle

Avocats :

Me Pierre, SCP Wedrychowski

T. com. Orléans, du 12 nov. 2003

12 novembre 2003

Par jugement du 12 novembre 2003, le Tribunal de commerce d'Orléans a notamment débouté Patrick le Solliec de sa demande en réduction de prix, fondée sur les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil, et l'a condamné à payer à la société Simon la somme de 2 000 euro pour procédure abusive, ainsi qu'une indemnité de procédure de 1500 euro, outre les dépens.

Patrick le Solliec a interjeté appel de cette décision ;

Vu les dernières écritures signifiées à la requête Patrick le Solliec le 7 janvier 2005, de la SA Simon le 13 janvier 2005.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision entreprise et aux conclusions déposées ;

Qu'il sera seulement rappelé que, le 4 janvier 2000, Patrick le Solliec, transporteur, a acheté à la société Simon un tracteur routier d'occasion ayant roulé 579 468 km, pour le prix hors taxes de 25 916,33 euro, supérieur à la cote "argus" ; que, se plaignant de différents désordres, Patrick le Solliec a obtenu la désignation de M. Jacquot en qualité d'expert par ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Lorient du 16 Février 2000, lequel a déposé son rapport le 13 juin 2001;

Attendu que le fait que la facture afférente à cette vente mentionne que celle-ci est intervenue " en l'état ", n'exonère pas le vendeur de son obligation de garantie au titre des vices cachés ;

Que, par ailleurs, Patrick le Solliec, en sa qualité de transporteur, est un professionnel averti qui pouvait, et surtout, devait découvrir un certain nombre des défectuosités affectant le camion acheté ; qu'il a, d'ailleurs, tiré les conséquences de sa propre carence sur ce point en renonçant devant la cour à l'indemnisation des vices apparents ou devant être qualifiés comme tels ; que cependant des vices indécelables constituent des vices cachés, même pour un acheteur professionnel ;

Attendu qu'il est établi par les éléments du dossier qu'immédiatement après l'achat, effectué dans le Loiret, Patrick le Solliec a ramené le camion dans le Morbihan où est installé son établissement ; que, dès le 22 janvier 2000, le garage 7/7, auquel il avait confié le véhicule, lui faisait connaître que celui-ci était atteint d'un certain nombre de défectuosités et ne pouvait repartir sans qu'il ait été procédé aux réparations nécessaires sur les organes de sécurité comme le freinage avant et arrière ; que le devis de remise en état joint à ce courrier s'élevait à 21 837,46 F hors taxes ; qu'au jour de la première réunion d'expertise, soit le 18 avril 2000, le véhicule était toujours immobilisé dans ce garage depuis le mois de janvier précédent ;

Qu'à partir du début de l'année 2001, alors que l'expertise était toujours en cours, Patrick le Solliec confiait son véhicule pour un certain nombre de travaux au garage le Nahedic ; qu'à l'occasion de la troisième réunion d'expertise, le 21 mai 2001, l'expert a constaté que le compteur du camion indiquait que celui-ci avait parcouru 5 038 km, depuis le début de ses opérations ;

Que l'expert a entendu les deux garagistes ayant eu à connaître de l'état du camion, lesquels ont rapporté les observations et les réparations qu'ils avaient effectuées ;

Attendu qu'après examen du véhicule, l'expert, soulignant qu'il comptait près de 600 000 km au moment de la vente, kilométrage laissant toujours des stigmates et des traces indélébiles, rapporte que celui-ci présente un état général somme toute correct et ne s'écartant pas outre mesure des standards habituels de ce type de poids-lourd ; qu'en particulier la structure est saine malgré une corrosion de surface du châssis arrière, et les organes principaux composants la chaîne cinématique de propulsion présentent un état apparent normal ;

Que, compte tenu de ses propres constatations telles que décrites dans son rapport, ainsi que des constatations et déclarations circonstanciées des garagistes, que rien ne permet de remettre en cause, M. Jacquot relève que "certains désordres étaient en revanche difficiles à découvrir et demandaient des investigations spécifiques, inhabituelles lors de l'achat d'un tracteur routier d'occasion. Il s'agit de l'endommagement des flexibles de ralentisseur, du réservoir de carburant et du ventilateur de refroidissement moteur" ; qu'il retient également l'absence de thermostat, soulignée par Monsieur le Nahedic, avec des précisions établissant son antériorité à la vente ;

Qu'eu égard à la nature des désordres sus-visés, à la date de leur constatation, ainsi qu'aux éléments rapportés par les garagistes, notamment quant à l'état des pièces sur lesquelles ils sont intervenus, ou de leur support, il est manifeste que ceux-ci étaient antérieurs à la vente du 4 janvier 2000 ;

Attendu qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui diminuent tellement l'usage auquel on la destine que l'acheteur n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ;

Qu'en l'espèce les flexibles de liaison du ralentisseur hydraulique étaient hors d'usage, le réservoir de carburant percé et le ventilateur de refroidissement du moteur inopérant par suite d'une intervention extérieure ancienne ; que le dysfonctionnement du ralentisseur, ajouté au fait que les systèmes de freinage étaient également hors d'usage, ont conduit le garage 7/7 à refuser de laisser rouler le véhicule en l'état ; qu'il est incontestable que de tels désordres ont diminué l'usage attendu du véhicule, étant souligné que le kilométrage parcouru pendant l'expertise ne correspond pas à celui attendu pour l'exploitation d'une entreprise de transport ;

Que le véhicule a été vendu 170 000 F hors taxes à Patrick le Solliec, prix dont il n'est contesté par personne qu'il est très supérieur à la cote "argus "; que l'expert précise que cette cote ne revêt qu'un caractère indicatif et se trouve, pour ce type de matériel assez recherché, assez en dessous des conditions réelles du marché dont, après enquête, il est apparu qu'il se situe dans une fourchette de prix oscillant entre 142 000 et 180 000 F hors taxes, "en fonction du kilométrage et de l'état des véhicules" ; que le prix du tracteur litigieux se trouve dans la partie haute de la fourchette, et n'a manifestement été accepté par Patrick le Solliec qu'en raison de son bon état apparent, tel que d'ailleurs relevé par l'expert ;

Attendu qu'il résulte des motifs sus-visés que le tracteur routier Scania acheté le 4 janvier 2000 par Patrick le Solliec à la société Simon, était bien, au jour de la vente, atteint de vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil, fondant l'action estimatoire introduite par l'appelant ; qu'en application de l'article 1645 du Code civil, la société Simon, qui n'a pas contesté disposer d'une flotte de 30 à 40 camions et effectuer de nombreuses transactions sur cette sorte de véhicule, ce qui lui confère la qualité de professionnelle en la matière, est tenue de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ;

Attendu que Patrick le Solliec demande la condamnation de son adversaire à lui verser les sommes de :

* 7 622,45 euro, au titre de la réduction du prix de vente,

* 2 669,05 euro hors taxes, au titre des frais de remise en état des vices non apparents,

* 3 049 euro, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance,

Qu'en ce qui concerne la réduction du prix de vente, l'expert, qui a effectué une enquête sur le marché afin de trouver des véhicules similaires, et a examiné le tracteur litigieux, estime que sa valeur au jour de la vente s'établissait à 140 000 F hors taxes au regard de son état ; que l'appelant fonde sa demande sur un rapport d'expertise par lui versé au dossier, mais insuffisant à contredire sérieusement les opérations de l'expert dont le sérieux et l'objectivité ne sont pas contestables ; que, dès lors, c'est une somme de 30 000 F soit 4 573,47 euro qui doit être allouée à Patrick le Solliec au titre de la réduction du prix de vente ;

Que le montant des frais de remise en état du véhicule à raison des vices cachés est justifié par les éléments du dossier et les constatations de l'expert, et n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté par la SA Simon ; qu'il y a donc lieu de faire droit à ce chef de demande à hauteur de la somme de 2 669,05 euro hors taxes ;

Que Patrick le Solliec prétend n'avoir pu utiliser son camion pendant 14 mois ; qu'il est cependant établi par le rapport d'expertise qu'une grande partie de cette immobilisation est imputable à une réparation inadéquate de la société 7/7, relative à des éléments du véhicule sans rapport avec les vices cachés retenus ; que l'expert a fixé à 30 jours le temps nécessaire aux réparations en lien avec le litige ; que toutefois, ce n'est que lors de la réunion du 7 septembre 2000 qu'il informait Patrick le Solliec de ce que rien ne s'opposait à la remise en état de son camion, de sorte qu'il ne peut être reproché à ce dernier l'immobilisation du camion jusqu'à cette date, à laquelle s'ajoute le mois de réparations nécessaire ; qu'ainsi, le tracteur litigieux n'a pu être valablement exploité pendant neuf mois, période pendant laquelle Patrick le Solliec démontre avoir dû régler les mensualités afférentes au prêt souscrit pour l'acquisition du camion, et ce, sans bénéfice d'exploitation en contrepartie, alors qu'il n'est pas contesté qu'il ne possède que deux véhicules ; que la réalité de son préjudice de jouissance est avérée ; qu'eu égard aux éléments de la cause, il convient de lui allouer à ce titre une indemnité de 2 000 euro ;

Attendu que la décision déférée sera donc infirmée en toutes ses dispositions, et la société Simon, qui succombe, déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Que les sommes ci-dessus allouées produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, à titre de dommages-intérêts complémentaires, en réparation du préjudice financier subi par Patrick le Solliec, indûment privé de ces sommes, ou de leur contrepartie, depuis cette date ; qu'il convient d'ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil et ce, à compter du jour de la demande en justice de ce chef, formée le 12 mai 2004 ;

Qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l'appelant la totalité des frais irrépétibles par lui exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ; que la société Simon devra lui verser à ce titre une indemnité de 2 000 euro ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Infirme en toutes ses dispositions la décision déférée et, statuant à nouveau, Reçoit Patrick le Solliec en sa demande fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil, l'y déclare bien-fondé, Condamne en conséquence la SA Simon à payer à Patrick le Solliec les sommes de : * 4 573,47 euro, au titre de la réduction du prix de la vente du camion Scania conclue le 4 janvier 2000 entre la SA Simon et Monsieur le Solliec, * 2 669,05 euro au titre des frais de remise en état des vices non apparents, * 2 000 euro en réparation du préjudice de jouissance, Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 20 février 2002, Ordonne, à compter du 12 mai 2004, l'anatocisme des intérêts échus dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Condamne la SA Simon à payer à Patrick le Solliec une indemnité de procédure de 2 000 euro, Déboute les parties de toute demande plus ample au contraire, Condamne la SA Simon aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la Maître Garnier titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.