Livv
Décisions

CA Paris, 19e ch. B, 10 janvier 2002, n° 2000-07558

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Axa Assurances IARD (SA)

Défendeur :

Compagnie Continent, Varsol (Sté), Rocland (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Paloque

Conseillers :

M. Froment, Mme Jacomet

Avoués :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, Me Ribaut, SCP Hardouin

Avocats :

Mes Pechere, Apstein, Sebag

TGI Paris, 7e ch., 1re sect., du 11 janv…

11 janvier 2000

La SCI Gounod Gémenos a fait construire à Gémenos une usine de fabrication et de stockage de produits alimentaires, louée ensuite à la société Fralib.

Une police de dommages à l'ouvrage a été souscrite auprès de la compagnie Axa Assurances.

Les travaux ont été confiés à la société Colas Midi-Méditerranée. Celle-ci a sous-traité à la société Varsol, applicateur agréé de la société Rocland, les travaux de revêtement de sol par un produit Roc-Chape de Rocland.

Les travaux ont été reçus le 8 décembre 1989, sans réserve en ce qui concerne le revêtement de sol.

Des désordres étant apparus sur ce revêtement de sol, l'expertise de l'assurance de dommages à l'ouvrage a été mise en œuvre et a donné lieu à un rapport préliminaire de l'expert Heam du 20 février 1995, puis à un rapport définitif du 1er avril 1996. L'assureur de dommages à l'ouvrage a acquitté, pour des désordres, à la SCI Gounod Gémenos, au titre de la police de dommages à l'ouvrage, une indemnité de 813 000 F, suivant quittance du 29 juillet 1996.

Par acte des 20 décembre 1997 et 5 janvier 1998, l'assureur de dommages à l'ouvrage a donné assignation au sous-traitant Varsol, à la société Rocland et à la compagnie Le Continent qui les assure, en paiement de la somme de 813 000 F, outre intérêts à compter du 9 juillet 1996 et indemnité pour frais non taxables, en se prévalant de la subrogation de l'article L. 121-12 du Code des assurances.

Par jugement du 11 janvier 2000, le Tribunal de grande instance de Paris, saisi de ce litige:

- a jugé irrecevable la demande de l'assureur de dommages à l'ouvrage à l'encontre de la SA Rocland, pour non-respect du bref délai de l'article 1648 du Code civil,

- a débouté cet assureur de sa demande dirigée contre le sous-traitant Varsol et son assureur, en application de l'article 1382 du Code civil,

- a débouté les parties de leurs autres demandes,

- a condamné l'assureur de dommages à l'ouvrage aux dépens.

Appel de ce jugement a été interjeté par cet assureur contre les sociétés Rocland et Varsol ainsi que leur assureur Le Continent.

Les dernières conclusions d'appel des parties, visées par le présent arrêt, sont celles:

- de la société Varsol et de la compagnie Le Continent, du 2 novembre 2001,

- de la société Rocland du 17 octobre 2001,

- de la compagnie Axa Assurances, du 24 septembre 2001.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 15 novembre 2001.

Sur quoi,

Sur la procédure:

Considérant que la société Rocland allègue que la société Varsol ne serait pas in bonis, alors que celle-ci conclut avec la compagnie Le Continent; que cette allégation n'est justifiée par aucune pièce, notamment la production d'un extrait K bis du registre du commerce et des sociétés de la société Varsol ; qu'elle est ainsi inopérante;

Sur les faits:

Considérant que la société Varsol, en tant que sous-traitant de la société Colas, pour l'exécution du revêtement de sol à laquelle cette dernière société s'était obligée envers la SCI Gounod Gémenos, maître d'ouvrage, dans le cadre de la construction d'une usine de produits alimentaires, a acquis, en 1989, de la société Rocland, dont elle était un applicateur agréé, du produit Roc-Chape pour la réalisation de ce revêtement et que ce revêtement a été affecté de désordres, après la réception de l'ouvrage en décembre 1989; qu'à la suite de ces désordres l'assureur de dommages à l'ouvrage a indemnisé le propriétaire de l'usine du coût de réfection par remplacement du revêtement, le 29 juillet 1996;

Considérant qu'en outre la société Rocland a souscrit, auprès de la compagnie Le Continent, d'une part, une police de responsabilité civile n° 521.020.242, la couvrant notamment au titre "du risque exploitation" et du risque de responsabilité civile pour des dommages causés aux tiers, y compris les clients, après "livraison", au sens de la police, lorsque le dommage a pour fait générateur un vice propre du produit, d'autre part, une police de responsabilité civile n° 521 066 363, qui, la couvrant au titre de l'assurance obligatoire pour des " EPERS", la couvre également des conséquences de sa responsabilité résultant du vice caché des produits, incorporés à des "constructions" ou des "existants", au sens de la police, produits figurant en annexe, au rang desquels se trouve le produit litigieux, que ce vice provienne d'une erreur dans la conception du produit, dans sa fabrication, dans ses instructions d'emploi ou sa préconisation, la garantie étant limitée à 2 000 000 F par "sinistre", au sens de la police, et à 2 000 000 F par année d'assurance;

Considérant qu'enfin il n'est pas discuté que la compagnie Le Continent assure également la société Varsol, en tant que sous-traitant, pour sa responsabilité au titre de dommages de la nature de ceux qui sont visés à l'article 1792 et 1792-2 du Code civil;

Sur l'appel de la compagnie Axa Assurances contre la société Varsol et la compagnie Le Continent, en tant qu'assureur de cette société:

Considérant que la responsabilité du sous-traitant Varsol envers le maître d'ouvrage, aux droits et actions duquel la compagnie Axa Assurances est subrogée, au titre des désordres affectant le revêtement de sol réalisé avec le produit litigieux, ne peut être fondée que sur la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de ce sous-traitant, par preuve que sa faute a causé les dommages;

Considérant qu'il y a lieu de relever que le sous-traitant n'est pas tenu d'une obligation de résultat envers le maître d'ouvrage et que la simple constatation que le résultat auquel il est tenu à l'égard de son donneur d'ordre Colas n'a pas été atteint, si elle est susceptible d'établir sa responsabilité contractuelle envers ce dernier, sauf force majeure, n'établit pas, en revanche, que cette responsabilité repose sur une faute, dont les tiers pourraient également se prévaloir, en ce qu'elle leur serait préjudiciable;

Considérant qu'en l'espèce il n'est nullement établi, par les productions, que Varsol a commis des fautes dans la mise en œuvre du produit litigieux; que si, initialement, il avait été prévu un "surfaçage quartz", ce surfaçage a été remplacé, avec l'accord du donneur d'ordre, par un surfaçage avec le produit litigieux et qu'il n'est pas prouvé que le sous-traitant a eu connaissance ou pouvait avoir connaissance, lors de l'achat de ce produit ou à l'occasion de sa mise en œuvre, du vice dont il était atteint et qui est à l'origine des dommages du revêtement de sol qu'il a réalisé; qu'il s'ensuit qu'à bon droit les premiers juges ont débouté la compagnie Axa Assurances de ses prétentions dirigées contre ce sous-traitant et son assureur, la compagnie Continent;

Sur l'appel en ce qu'il est dirigé contre la société Rocland et la compagnie Le Continent, en tant qu'assureur de cette société:

Considérant que la compagnie Axa Assurances se fonde sur la garantie des vices cachés et, subsidiairement, sur la responsabilité contractuelle de la société Rocland au titre de l'obligation de délivrance conforme à la commande et de l'obligation de sécurité;

Considérant que cet assureur fait grief au jugement déféré d'avoir retenu qu'était prescrite l'action engagée contre Rocland, au titre d'un vice caché du produit appliqué, alors que le bref délai de l'article 1648 du Code civil n'était pas expiré à la date de l'assignation en justice, dès lors que le point de départ de ce délai est retardé par la recherche d'un règlement amiable entre les parties et qu'en toute hypothèse ce délai aurait été interrompu par la reconnaissance de responsabilité de la société Rocland, dans une lettre à l'expert Heam du 19 juillet 1995, de sorte qu'à compter de cette date, en raison de l'effet interversif de l'interruption de la prescription de l'article 1648 du Code civil, c'est le délai de prescription de droit commun qui a commencé de courir;

Considérant toutefois, sur ce dernier point, que, si l'interruption de la prescription de l'article 1648 du Code civil a un effet interversif et que la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrit est interruptive et n'est soumise à aucune condition de forme, il reste que cette reconnaissance doit être faite sans équivoque par le débiteur à celui contre lequel il prescrit; que, pour soutenir que l'action, fondée sur le vice caché du produit vendu, qu'il tiendrait du maître d'ouvrage, dans les droits duquel il est subrogé depuis le 29 juillet 1996, se prescrit selon le droit commun, trentenaire en matière contractuelle, du fait de l'interversion de la prescription de l'article 1648 du Code civil par une reconnaissance de responsabilité du vendeur du produit, l'assureur de dommages à l'ouvrage se fonde sur une lettre du 19 juillet 1995 qui a été adressée à l'expert, chargé de l'expertise prévue dans les clauses-types de l'assurance obligatoire de dommages à l'ouvrage en matière de construction, lettre par laquelle ce vendeur a, après avoir admis que la majeure partie du dallage litigieux était affectée de multiples cratères superficiels, indiqué à cet expert que "sous réserve des recherches auxquelles nous procédons pour vérifier la réalité de la commande à laquelle nous sommes contraints à la suite de la disparition de la société Varsol, ce phénomène s'apparente à une série de désordres que nous avons rencontrée à la suite d'un vice caché d'un matériau entrant dans la composition de certains de nos produits. Cela fait l'objet d'une expertise judiciaire nationale et se poursuit au travers de plusieurs procédures judiciaires"; qu'il ne s'agit pas là d'une reconnaissance sans équivoque de responsabilité mais de l'indication à l'expert d'un certain nombre de faits, même s'ils sont de nature à engager la responsabilité de celui qui les reconnaît, et qu'en toute hypothèse, cette lettre ayant été adressée à l'expert d'assurance et non au maître d'ouvrage, que l'assureur subrogé affirme être venu aux droits de la société Varsol au titre du produit Roc-Chape litigieux, société contre laquelle le vendeur de ce produit prescrivait, il s'ensuit qu'aucun effet interruptif et interversif de la prescription de l'article 1648 du Code civil ne peut être tiré de ce document;

Considérant que, sur le premier point, si, relativement à un différend quant à des vices de la chose vendue, le point de départ du bref délai de prescription de l'article 1648 du Code civil est différé, lorsque des pourparlers s'engagent entre le vendeur du produit et l'acheteur ou ceux tenant leurs droits de celui-ci, et si la compagnie Le Continent et la compagnie Axa Assurances ont été en pourparlers, à la suite du dépôt du rapport définitif d'expertise de dommages à l'ouvrage, pourparlers aux termes desquels le premier de ces assureurs a fait une proposition qui a été rejetée par le second le 28 janvier 1997, il reste qu'il n'est pas établi que le vendeur Rocland a été associé à ces pourparlers et qu'il n'est pas de plus, établi que les pourparlers ainsi engagés l'ont été spécialement au titre de la police garantissant Rocland, alors que la compagnie Le Continent, qui assure également Varsol en tant que sous-traitant de l'entrepreneur, avait fait connaître à la société Rocland, au plus tard le 19 avril 1996, que la limite du plafond de garantie du contrat d'assurance les liant, susceptible de couvrir le produit litigieux était dépassée ; qu'en toute hypothèse force est de constater que, la proposition faite par la compagnie Le Continent de prendre en charge la moitié du sinistre ayant été rejetée par lettre de la compagnie Axa Assurances du 28 janvier 1997, il n'est nullement établi que des pourparlers se seraient ensuite poursuivis, en raison de ce que la compagnie Axa Assurances offrait, dans cette lettre, de renoncer seulement à une somme de 100 000 F sur ses prétentions d'un montant de plus de 800 000 F; que, s'il n'est pas discuté qu'à la date à laquelle l'assureur de dommage à l'ouvrage a été subrogé, le 29 juillet 1996, la prescription de l'action contre Rocland au titre des vices cachés n'était pas acquise, en revanche, cet assureur, qui avait alors pleine connaissance du vice du produit, au regard des diverses investigations qu'il avait fait faire dans le cadre de l'expertise de dommages à l'ouvrage, a été en possession de tous les éléments pour agir contre le vendeur Rocland et son assureur, après, en toute hypothèse, l'échec des pourparlers, au plus tard début février 1997 et que, n'ayant engagé cette action qu'à la fin de l'année 1997, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la prescription de l'article 1648 du Code civil, le bref délai étant expiré à la date de l'assignation;

Considérant que la Compagnie Axa Assurances fonde également son action contre la société Rocland et la compagnie Le Continent, en tant que son assureur, pour manquement aux obligations contractuelles au titre d'un défaut de conformité du produit fabriqué; que le jugement déféré n'a pas statué sur ce point dans son dispositif;

Considérant que, d'une part, il n'est pas établi que le produit vendu à la société Varsol pour l'application litigieuse devait avoir une composition précise, sans laquelle la vente ne se serait pas faite, le versement sur ce point, même si elles concernent le même fabricant à propos du même produit, de décisions de justice intervenues dans d'autres causes avec d'autres utilisateurs et prescripteurs n'étant pas probante et la seule circonstance que, dans le contrat d'assurance, liant la compagnie Le Continent à la société Rocland, le produit est indiqué être composé de grains de coridon et non de scories n'étant pas, à cet égard, de nature à rapporter la preuve d'un manquement dans l'obligation de délivrance conforme, au titre de la composition du produit; qu'en outre, comme il ressort d'une note technique, non démentie, du Cabinet Puyo et associés du 31 juillet 1995 (pièce n° 21 du bordereau de communication annexée aux conclusions de la compagnie Axa Assurances), c'est, en l'espèce, un désordre évolutif, caractérisé par des éclats superficiels du dallage constatés en 1991 et qui se sont depuis étendus, qui a révélé que le produit employé était effectivement en cause, non du fait qu'il contient des scories comme composants et non du coridon, mais en raison d'un vice, pour ces scories n'avoir pas été stabilisées sur parc avant emploi et contenir anormalement de la chaux vive, dont le volume, s'accroissant au contact de l'eau, a provoqué les contraintes à l'origine des désordres (page 5 du document du Cabinet Puyo); qu'il s'ensuit que c'est à tort que la société Axa Assurances fonde son action sur un manquement aux obligations contractuelles de la société Rocland, alors que le produit est affecté d'un vice, dont rien n'étaye que cette société, agissant par tromperie, avait effectivement connaissance; que l'action, en ce qu'elle est dirigée contre la société Rocland pour manquement à son obligation contractuelle touchant à la délivrance d'un produit conforme à la commande n'est pas fondée, ni, en toute hypothèse, par voie de conséquence, l'action directe contre la compagnie Le Continent, indépendamment du moyen soulevé par cet assureur concernant le dépassement du plafond de sa garantie;

Considérant que la compagnie Axa Assurance fonde également son action contre la société Rocland et la compagnie Le Continent, en tant que son assureur, en ce que le produit livré présenterait un danger pour les personnes et les biens, ce qui caractériserait un manquement à l'obligation contractuelle de sécurité à laquelle est tenu le fabricant;

Considérant, toutefois, que, si l'usine de produits alimentaires, affectée par les désordres résultant de la dégradation de la surface de son revêtement de sol constitué du produit litigieux, est une usine soumise à une réglementation spécifique d'hygiène alimentaire proscrivant que ce revêtement puisse être maintenu, dès lors qu'il est affecté de criques d'une profondeur telle qu'il n'est pas possible de procéder à un nettoyage de l'intérieur, comme il ressort du rapport définitif de l'expertise de dommages à l'ouvrage, ce fait concerne une impropriété de cet ouvrage à sa destination, en raison des règles d'hygiène spécifiques concernant ledit ouvrage, sans que, pour autant, le vice du produit livré, dont est fait ce revêtement de sol, soit de nature à créer par lui-même un danger pour les personnes ou les biens, la dangerosité alléguée ne pouvant se déduire du simple fait que les scories qui composent ce produit, faute d'avoir été stockées, contiennent de la chaux vive qui, se dilatant au contact de l'eau exerce des contraintes rendant ledit produit impropre à son usage; que, dès lors qu'il ne ressort d'aucune des productions que le produit litigieux, qui constitue le revêtement de sol, est, en raison du vice l'affectant, de nature à causer des dommages aux personnes ou aux biens, l'action, en ce qu'elle est dirigée, sur le fondement d'un manquement par la société Rocland à son obligation contractuelle de sécurité n'est pas fondée, ni, en toute hypothèse, par voie de conséquence, l'action directe contre la compagnie Le Continent, indépendamment du moyen soulevé par cet assureur concernant le dépassement du plafond de garantie;

Considérant qu'ainsi le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu à bon droit que l'action engagée par la compagnie Axa Assurances, en ce qu'elle est fondée sur des vices cachés du produit litigieux, est prescrite, cet assureur étant, en outre, débouté de ses prétentions fondées sur des manquements de la société Rocland à ses obligations contractuelles de délivrance conforme et de sécurité;

Sur les autres demandes:

Considérant que les demandes de garantie dirigées par Varsol et son assureur Le Continent contre la société Rocland n'ont pas d'objet, dès lors que les actions dirigées contre eux par la compagnie Axa Assurances ne prospèrent pas;

Considérant que l'équité ne commande pas que soit mise à la charge d'une quelconque des parties une indemnité pour les frais non taxables exposés dans le procès; que les dépens de 1re instance et d'appel incombe à la compagnie Axa Assurances qui succombe;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel principal de la compagnie Axa Assurances, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la compagnie Axa Assurances de ses prétentions pour manquement de la société Rocland à ses obligations contractuelles de délivrance conforme et de sécurité, Dit n'y avoir lieu à indemnité pour frais non taxables, Condamne la compagnie Axa Assurances aux dépens d'appel, avec, pour les avoués adverses, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.