CA Douai, 1re ch. sect. 2, 18 mai 2005, n° 04-04672
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hansart
Défendeur :
Datacep (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Froment
Conseillers :
Mmes Courteille, Degouys
Avoués :
SCP Masurel-Thery-Laurent, Me Quignon
Avocats :
Mes Metairie, Duquesne
La société Datacep, ayant pour activité la fourniture de prestations de conseil et de réalisation de logiciels dans le domaine de l'ingénierie des systèmes d'information industriels, a embauché Monsieur Hansart à compter du 21 mai 2002, par contrat à durée indéterminée, en qualité de " responsable marketing opérationnel et recrutement " ; ce dernier a exercé son activité au sein de l'établissement de Lille jusqu'au 9 février 2004, date de sa mise à pied à titre conservatoire.
Le 5 février 2004, la SA Datacep, faisant état de la découverte fortuite par le directeur de l'établissement de la photocopie d'un message électronique échangé le 16 janvier 2004 entre Monsieur Hansart, Monsieur Isaac et une personne dont l'adresse électronique est [email protected], lui laissant suspecter le fait que Monsieur Hansart se rende coupable de manœuvres déloyales, a saisi le Président du Tribunal de grande instance de Lille d'une requête aux fins d'autoriser un huissier à accéder au disque dur de l'ordinateur lui appartenant et utilisé par Monsieur Hansart sur son lieu de travail, en la présence de ce dernier, à lui demander d'ouvrir ou à ouvrir l'ordinateur portable mis à sa disposition de telle sorte que l'huissier puisse avoir accès à l'ensemble des données qu'il contient et de procéder à la saisie réelle de l'ordinateur de le placer sous scellé.
Monsieur le Président du Tribunal de grande instance de Lille a fait droit à cette requête, en autorisant la SCP Geesen Glorieux à faire procéder aux opérations suivantes:
se rendre au sein de l'établissement de Lille de la société Datacep,
en présence de Monsieur Hansart, où, en son absence, ce dernier ayant été préalablement sommé d'assister aux constatations, autoriser l'huissier de justice à demander à Monsieur Hansart d'ouvrir, ou à ouvrir l'ordinateur portable mis à sa disposition par la société Datacep, de telle sorte que l'huissier puisse avoir accès à l'ensemble des données qu'il contient,
effectuer toute recherche et constatation utile afin de découvrir la provenance, la destination et le contenu du message électronique suivant, adressé sur la messagerie électronique professionnelle de Monsieur Hansart, " message de Jean-François Isaac à Lionel Hansart et Philippe Chrétien du 16 janvier 2004 à 9:23 ", ainsi que le fichier joint,
et de manière générale, rechercher tous les messages électroniques provenant de ce même destinataire ou de l'adresse électronique suivante : jean-franç[email protected], ainsi que tous les messages électroniques envoyés par Monsieur Hansart depuis l'adresse [email protected] vers Monsieur Isaac à l'adresse jean-franç[email protected], et vers Monsieur Chrétien à l'adresse echré[email protected], et en tout état de cause tous les messages échangés jusqu'au jour du constat à intervenir, à l'aide des adresses électroniques précitées,
reproduire et, au besoin, copier ou photocopier ou faire reproduire tout élément en lien avec son constat,
procéder à la saisie réelle de l'ordinateur portable appartenant à la société Datacep et utilisé par Monsieur Hansart, l'huissier plaçant cet ordinateur portable sous scellé et constituant gardien la société Datacep.
Maître Glorieux, huissier de justice, a procédé à ses opérations le 9 février 2004, assisté d'un informaticien et en présence de Monsieur Hansart; il a dressé procès-verbal de ses opérations.
Par assignation du 23 février 2004, Monsieur Hansart a saisi le Président du Tribunal de grande instance de Lille statuant en la forme des référés afin de voir rétracter l'ordonnance rendue sur requête ; par ordonnance du 11 mai 2004, le Président du Tribunal de grande instance de Lille a débouté Monsieur Hansart de ses demandes et rejeté toutes autres demandes.
Monsieur Hansart a interjeté appel par déclaration au greffe du 13 juillet 2004.
Vu les conclusions de Monsieur Hansart signifiées le 13 janvier 2005, par lesquelles il demande à la cour, vu l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, de:
réformer l'ordonnance du 11 mai 2004 en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes et l'a condamné aux dépens,
rétracter l'ordonnance en date du 5 février 2004,
déclarer nul et de nul effet le procès-verbal établi par l'huissier requis par la SA Datacep,
dire qu'il n'a aucun valeur probante,
condamner la société Datacep au paiement de la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les conclusions de la SA Datacep signifiées le 13 janvier 2005, par lesquelles elle demande à la cour de confirmer l'ordonnance rendue le 11 mai 2004, de débouter Monsieur Hansart de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 février 2004.
Motifs
Aux termes de l'ordonnance rendue sur requête de la société Datacep, dont la rétractation a été refusée par l'ordonnance déférée, le Président du Tribunal de grande instance de Lille a autorisé l'huissier de justice requis à:
avoir accès à l'ensemble des données que contient l'ordinateur que cette société a remis à Monsieur Hansart pour l'exercice de ses fonctions,
effectuer toute recherche et constatation utile afin de découvrir la provenance, la destination et le contenu du message électronique suivant, adressé sur la messagerie électronique professionnelle de Monsieur Hansart, " message de Jean-François Isaac à Lionel Hansart et Philippe Chrétien du 16 janvier 2004 à 9:23 ", ainsi que le fichier joint,
de manière générale, rechercher tous les messages électroniques provenant de ce même destinataire ou de l'adresse électronique suivante :[email protected],
ainsi que tous les messages électroniques envoyés par Monsieur Hansart depuis l'adresse : [email protected] vers Monsieur Isaac à l'adresse [email protected],
et vers Monsieur Chrétien à l'adresse echré[email protected],
et en tout état de cause tous les messages échangés jusqu'au jour du constat à intervenir, à l'aide des adresses électroniques précitées,
reproduire et, au besoin, copier ou photocopier ou faire reproduire tout élément en lien avec son constat;
Il ressort de l'exposé des motifs de la requête que la société requérante sollicitait cette mesure en raison du fait qu'elle suspectait son salarié d'entretenir, en dehors de ses activités professionnelles, une correspondance avec des personnes étrangères au réseau des contacts de l'entreprise, en vue de la création d'une autre société dont ils seraient tous les trois associés.
Contrairement à ce qui est affirmé par le premier juge, il se déduit de ces éléments que la visite de l'ordinateur, qui avait pour objet de rechercher les messages échangés entre Lionel Hansart, Jean-François Isaac et Philippe Chrétien, en dehors des activités professionnelles du premier, était donc destinée à la découverte et à la prise de connaissance par l'employeur de messages qui revêtent un caractère personnel, la circonstance qu'ils aient été reçus ou envoyés, au temps et au lieu de travail, sur et à partir d'un ordinateur mis à la disposition de Monsieur Hansart par son employeur et à partir d'une messagerie électronique professionnelle n'ôtant pas le caractère personnel et privé de ces messages, et le fait qu'ils aient été ou non conservés dans un fichier intitulé " documents personnels " étant indifférent, puisque l'objet même de la recherche était celle de documents ayant un tel caractère personnel et privé.
La mesure d'instruction sollicitée par l'employeur, destinée à lui permettre de prendre connaissance de tels messages émis par le salarié et reçus par lui, en ce qu'elle entraîne une violation du secret des correspondances, porte ainsi atteinte au droit pour l'employé, même au temps et au lieu de travail, que soit respectée l'intimité de sa vie privée.
A cet égard, c'est à tort que la société Datacep fait observer que Monsieur Hansart était présent lors de la réalisation de sa mission par l'huissier et a d'ailleurs communiqué son mot de passe, dès lors que le fait que le juge ait prescrit la présence du salarié, ou, en son absence, sa sommation préalable d'assister aux constatations, puis que celui-ci ait effectivement assisté aux opérations, n'est pas de nature à conférer à la mesure, ordonnée en matière civile, le caractère d'une mesure d'instruction légalement admissible, visée à l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, caractère dont elle est dépourvue par l'atteinte portée au secret des correspondances et, par voie de conséquence, à l'intimité de la vie privée de l'employé.
La société Datacep n'est pas non plus fondée à prétendre que l'appréciation de la recevabilité de la preuve que constitue le constat dressé par l'huissier relèverait de la seule compétence de la juridiction prud'homale, par ailleurs saisie, dès lors :
- que le juge, qui a fait droit sur requête à une mesure d'instruction avant tout procès, a notamment, sur recours en rétractation, le pouvoir, mais également le devoir, de vérifier le caractère légalement admissible de la mesure ordonnée,
- que la cour, saisie de l'appel de l'ordonnance ayant refusé la rétractation, a le même pouvoir et le même devoir,
- que le constat, effectué par l'huissier en exécution de la requête, est nul en conséquence de la rétractation de celle-ci.
Il s'induit de ces motifs que c'est à tort que le juge des référés du Tribunal de grande instance de Lille n'a pas fait droit aux demandes de Monsieur Hansart en rétractation de l'ordonnance et en annulation du procès-verbal.
L'ordonnance du 11 mai 2004 sera donc infirmée, celle du 5 février 2004, rétractée, et le procès-verbal établi par l'huissier requis par la SA Datacep, qui en est la conséquence, déclaré nul et de nul effet.
L'équité commande d'allouer à Monsieur Hansart la somme de 800 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Datacep, qui succombe, sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme l'ordonnance du 11 mai 2004. Statuant à nouveau, Rétracte l'ordonnance en date du 5 février 2004. Déclare nul et de nul effet le procès-verbal établi par l'huissier requis par la SA Datacep. Condamne la société Datacep à payer à Monsieur Hansart la somme de 800 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Déboute la société Datacep de sa demande formulée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société Datacep aux dépens avec dis fraction au profit de Maître Quignon, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.