CA Toulouse, 4e ch. soc. sect. 2, 9 septembre 2005, n° 04-03688
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pollatz
Défendeur :
Rey (ès qual.), France Acheminement (SARL), France Acheminement exploitation (SA), Vinceneux (ès qua.), CGEA Midi Pyrénées
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dardé
Conseillers :
MM. Pesso, Rimour
Avocats :
Mes Rivière, Baudelot, SCP Saint Geniest-Guerot
Les faits et la procédure
La SARL France Acheminement, créée en 1983 à Toulouse, a entrepris la livraison de courrier, puis de colis express, développant la souscription de plus de 900 contrats de "franchise" et structurant ses répartitions autour de 15 plateformes régionales "HUB".
Parallèlement étaient créées:
- La SA France Acheminement Exploitation, chargée de la prospection des clients dont les contrats étaient co-signés avec le franchisé, de la gestion et de la publicité (Document MAQ-D, page 10/27).
- La SARL Exploitation Logistique Service (ELS), chargée d'assister les franchisés dans la gestion de leurs charges communes.
Le siège social des trois sociétés était à Toulouse, Parc Technologique de la Plaine, 4, impasse Henri Pitot, et elles constituaient le "groupe France Acheminement", "qui précisait notamment dans un document "MAQ-D" du 18.12.2001 que la SA France Acheminement Exploitation effectuait au nom des franchisés la facturation des livraisons et prestations réalisées aux clients, dont les règlements étaient adressés à cette même société qui les encaissait et les traitait, notamment en comptabilité, ajoutant que "le franchiseur assurait pour le franchisé l'essentiel du traitement des dossiers litiges et du recouvrement des impayés." (Page 24/27).
Les dépôts des plateformes régionales étaient acquis en propriété ou pris en location par le groupe France Acheminement qui fixait les tarifs de vente et proposait aux clients des offres uniques de services.
(Pages 14 à 21 du document "France Acheminement, bienvenue dans le monde du transport express").
Le Tribunal de commerce de Toulouse a prononcé:
- le 17.12.2002 le redressement judiciaire de la SA France Acheminement Exploitation, désignant Me Rey en qualité de représentant des créanciers, Me Caviglioli et Me Vigreux en qualité d'administrateurs.
- le 22.04.2003, la liquidation judiciaire de cette société, désignant Me Rey et Me Vinceneux en qualité de co-liquidateurs.
- le 07.01.2003, le redressement judiciaire de la SARL France Acheminement, avec les mêmes représentant des créanciers et administrateurs que pour la SA France Acheminement Exploitation.
- le 04.06.2003, la liquidation judiciaire de la SARL France Acheminement, désignant Me Rey en qualité de liquidateur.
- le 07.01.2003, le redressement judiciaire de la SARL ELS, puis le 11.02.2003 sa liquidation judiciaire.
- le 08.08.2003, la confusion des patrimoines des trois sociétés susvisées, a ordonné la jonction de leurs procédures de liquidation judiciaire et a désigné Me Rey et Me Vinceneux en qualité de co-liquidateurs de ces trois sociétés.
La SARL France Acheminement a souscrit le 26.04.1993 avec effet à compter du 10 mai 1993 un contrat dit "de franchise" avec Monsieur Pollatz Christophe né le 17.02.1960, suivant lequel il devait être comme personne physique inscrit au registre du commerce en qualité de travailleur indépendant commerçant, disposer des véhicules et matériels annexes nécessaires à son activité, en propriété ou en location, étant chargé de rechercher des clients, d'assurer en toutes circonstances les enlèvements et les distributions les jours ouvrables suivant des tournées dans un secteur géographique et les plages horaires négociées avec les clients, dont les règlements encaissés par France Acheminement lui seraient reversés après déduction de royalties et de frais annexes, le contrat étant conclu pour une durée de trois ans avec reconduction tacite sauf dénonciation, avec une exclusivité territoriale, une clause de non-concurrence, tout manquement du franchisé à ses obligations étant sanctionné par la rupture du contrat et la reprise par le franchiseur du secteur et des moyens affectés à celui-ci, outre des indemnités pour atteinte à l'image de marque et perte de clientèle.
Le secteur qui lui était attribué était, sur le secteur de Mulhouse, "la tournée direction Belfort".
Les royalties et redevances à sa charge étaient fixées à 12 % du chiffre d'affaires HT réalisé par le franchisé, et celui-ci a dû payer au franchiseur un droit d'entrée de 55 000 F HT soit 65 230 F TTC le jour de la conclusion du contrat.
M. Pollatz a cessé de travailler pour les sociétés France Acheminement le 27 janvier 1998.
Saisi le 18.09.2003 par M. Pollatz de demandes de requalification en contrat de travail salarié à durée indéterminée, de son contrat de franchise, d'annulation de la clause de non-concurrence, de fixation de sommes in solidum dans la liquidation judiciaire des sociétés SARL France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation, à titre de rappels de salaires et d'indemnités et de dommages et intérêts pour licenciement abusif, le Conseil de prud'hommes de Toulouse, par jugement du 8 juin 2004, a mis hors de cause la SA France Acheminement Exploitation, a requalifié le contrat de franchise en contrat de travail à durée indéterminée, a dit que la rupture de ce contrat de travail équivalait à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a fixé aux sommes suivantes la créance de M. Pollatz dans la liquidation judiciaire de la "société France Acheminement" :
- 9 496,23 euro, soit six mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- 3 165,33 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
l'a débouté de ses autres demandes et a dit que le jugement était opposable à l'AGS dans les limites légales.
M. Pollatz a relevé appel de cette décision.
Demandes et moyens des parties:
Christophe Pollatz demande la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a requalifié le contrat de franchise en contrat de travail à durée indéterminée, dit que la rupture de ce contrat de travail équivalait à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qui concerne la somme allouée à titre d'indemnité de préavis, la réformation de ce jugement pour le surplus, l'annulation de la clause de non-concurrence, la fixation in solidum aux sommes suivantes de sa créance dans les liquidations judiciaires de la SARL France Acheminement et de la SA France Acheminement Exploitation,
- 10 823,88 euro à titre de remboursement du droit d'entrée,
- 18 846,09 euro à titre de rappel de salaires,
- 8 464,97 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
- 36 212,66 euro à titre d'indemnité de repos compensateur,
- 40 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail équivalant à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
- 30 000 euro à titre de dommages-intérêts pour les conditions de travail illégales et abusives,
- les intérêts au taux légal sur les sommes susvisées à compter de la date de la demande jusqu'à celles respectives des jugements de redressement judiciaire,
- 4 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
la condamnation à cette même somme du CGEA in solidum avec les sociétés France Acheminement,
la condamnation des liquidateurs à lui remettre les documents salariaux correspondants et à acquitter les cotisations sociales, et qu'il soit dit que l'arrêt à intervenir sera opposable à l'AGS.
A titre subsidiaire et en cas d'expertise sur les droits de M. Pollatz, une provision de 20 000 euro.
L'appelant fait plaider:
que l'EURL qu'il a créée n'a constitué qu'une structure pour servir de cadre à son activité pour France Acheminement et que cette circonstance ne s'oppose pas à la requalification demandée.
que la requalification du contrat de franchise en contrat de travail à durée indéterminée résulte de la réalisation des conditions prévues à l'article L. 781-1, 2e du Code du travail, la SARL France Acheminement et la SA France Acheminement Exploitation constituant une seule et même entreprise au sens de ce texte.
que la clause de non-concurrence, n'avait pas de contrepartie financière et était illimitée dans l'espace du territoire national, donc illicite.
Que la prescription quinquennale invoquée concernant les demandes de sommes salariales n'a pas couru à son encontre, car il s'est trouvé dans l'impossibilité d'agir par la crainte de représailles, et n'étant pas juriste il était dans l'ignorance de ses droits du fait de la dissimulation de sa qualité de salarié.
Que la réalité des heures supplémentaires résulte d'attestations et des conditions de travail imposées.
Que des rappels de salaire sont dus pour les années 1993 et 1997 et prennent en compte les résultats de son activité.
Qu'il a été privé de congés payés par son travail incessant.
Que la rupture du contrat de travail est imputable aux deux sociétés visées qui étaient en fait son employeur, dont les manquements ont été importants et nombreux à la législation du travail.
Me Rey et Me Vinceneux, en leur qualité de co-liquidateurs de la SARL France Acheminement et de la SA France Acheminement Exploitation s'opposent à la requalification sollicitée en faisant valoir son irrecevabilité du fait que M. Pollatz exerçait son activité de franchisé dans le cadre d'une EURL.
A titre subsidiaire, ils s'en rapportent à justice sur la demande de requalification du contrat de franchise en contrat de travail sous réserve que soient réunies les trois conditions cumulatives de l'article L. 781-1,2e invoqué.
Les intimés invoquent la prescription quinquennale des salaires.
Ils font valoir par ailleurs que la demande de rappel de salaires doit être appréciée en fonction de la rémunération brute garantie à la convention collective nationale des transports routiers invoquée, afin de permettre l'application de la garantie aux cotisations sociales.
Qu'ensuite il convient de comparer les salaires nets de cotisations sociales par l'application d'un taux de 23 %, avec les résultats nets obtenus afin de déterminer si un rappel de salaire est dû.
Que la réalité des heures supplémentaires n'est pas établie, non plus que le fait que le salarié ait été empêché de prendre des congés.
Que le contrat de travail n'a pas été rompu en raison de la poursuite par le demandeur de l'exploitation d'une activité de transport; qu'à titre subsidiaire seul un manquement de l'employeur à ses obligations essentielles permet de lui imputer la responsabilité de la rupture du contrat de travail; alors que M. Pollatz n'a jamais pris acte de la rupture.
L'AGS représentée par le CGEA de Toulouse, conclut aux mêmes fins et suivant les mêmes moyens que les co-liquidateurs et par ailleurs demande que soient exclues de sa garantie les sommes éventuellement allouées à titre de salaire au-dessus du minimum conventionnel, à titre de remboursement d'un déficit comptable, à titre de dommages intérêts pour paiement indû d'un droit d'entrée ou pour conditions de travail abusives ou pour absence de cotisation aux organismes sociaux, d'une manière générale au titre d'une responsabilité de l'employeur étrangère au contrat de travail, ou encore au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Attendu qu'il résulte des documents versés au dossier et des débats que Christophe Pollatz a constitué une EURL, destinée à servir à son activité de franchisé pour les sociétés France Acheminement.
Qu'en souscrivant le contrat de franchise en cause, Christophe Pollatz avait l'intention d'exercer cette activité de façon indépendante dans le cadre de l'EURL qu'il avait créée à cet effet.
Attendu qu'il ne saurait à présent au mépris de ces engagements prétendre avoir exercé cette activité à titre purement personnel considéré comme sa personne physique.
Que dès lors, sa demande de requalification du contrat de franchise en contrat de travail salarié à durée indéterminée doit être rejetée, de même que ses autres prétentions consécutives.
Que partie succombante, il doit supporter les entiers dépens.
Par ces motifs, Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Toulouse du 8 juin 2004, Déboute Christophe Pollatz de l'ensemble de ses demandes, Condamne Christophe Pollatz à payer les entiers dépens.