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Décisions

CA Paris, 2e ch. A, 4 février 1997, n° 94-19321

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Serre (SCI), Serre (Consorts)

Défendeur :

Corsim (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Honorat

Conseillers :

Mmes Timsit, Dintilhac

Avoués :

SCP Duboscq Pellerin, SCP Gaultier Kistner

Avocats :

Mes Gottvalles, Bejat

TGI Evry, 1re ch., sect. A, du 3 févr. 1…

3 février 1992

LA COUR statue sur l'appel relevé par Mme Suzanne Serre et la société civile immobilière Serre le 10 mars 1992 à l'encontre de la société Corsim du jugement rendu le 3 février 1992 par le Tribunal de grande instance d'Evry qui :

- a condamné la société Corsim à payer aux époux Vernet : 330 273 F comprenant les provisions allouées en référé avec intérêts au taux légal, pour les sommes non réglées, à compter de la présente décision,

- a condamné in solidum la société Corsim et la société Maisons Bell à payer aux époux Vernet 45 000 F de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- a ordonné l'exécution provisoire de ces condamnations,

- a condamné la société Corsim à payer aux époux Vernet 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- a condamné solidairement Mme Serre et la SCI Serre à garantir la société Corsim de 80 % de toutes les condamnations prononcées contre elle,

- les a condamnées en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à payer à la société Corsim 8 000 F et à la commune de Saint Cheron 8 000 F,

- s'est déclaré incompétent pour dire si le Maire de Saint-Chéron a commis une faute en autorisant le lotissement sans avertissement préalable, et renvoyé les parties à se pourvoir sur ce point devant le Tribunal administratif de Versailles,

- a rejeté toutes les autres demandes,

- a fait masse des dépens comprenant les frais d'expertise et d'hypothèque prise par les époux Vernet, et dit qu'ils seront supportés pour 20 % par la société Corsim, pour 80 % par Mme Serre et la SCI Serre.

Aux termes de leurs conclusions d'appel Mme Veuve Serre et la SCI Serre ont poursuivi l'infirmation de cette décision à l'exception des dispositions concernant la responsabilité de la société Corsim dans le préjudice subi par les époux Vernet.

Ils ont demandé :

- de débouter la société Corsim de son appel en garantie,

- de dire qu'elle devra répondre seule de sa carence,

- subsidiairement, vu la transaction intervenue le 4 juin 1988, de déclarer irrecevables ses demandes,

- de condamner la société Corsim à leur payer une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour mauvaise foi et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions postérieures elles ont demandé, vu l'article 1644 du Code civil sur le fondement de la demande principale, de déclarer celle-ci irrecevable et de désigner des experts avec pour mission de donner tous éléments lui permettant de déterminer la réduction du prix que l'acquéreur aurait réglé s'il avait eu connaissance du vice du terrain.

Mme Serre étant décédée le 2 novembre 1993, ses héritiers, à savoir : Mme Anne-Marie Serre épouse Spit, Mme Martine Serre, M. Jean-Louis Serre et Mme Marie-Thérèse Serre épouse Mergott ont repris l'instance et demandent le bénéfice des écritures antérieures.

Intimée la société Corsim demande la confirmation du jugement entrepris et de dire en tant que de besoin que les appelants devront la garantir de toutes les condamnations en principal et intérêts et frais qui pourront être prononcées à son encontre tant sur la demande principale que sur les appels en garantie dont elle fait l'objet et lui payer la somme de 20 000 F pour ses frais non taxables.

Ceci exposé, LA COUR

qui se réfère expressément au jugement entrepris pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure ainsi qu'aux écritures d'appel,

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que le terrain acquis par acte du 20 novembre 1987 par les époux Vernet de la société Corsim afin d'y construire leur maison d'habitation était impropre à la destination et qu'ancienne glaisière, la coupe verticale du terrain consistait en une fine couche de terre végétale (20 à 30 cm) puis d'un ensemble de déchets de sacs plastiques imputrescibles pour 70 %, d'ordures diverses ménagères et de matériaux de construction pour le reste soit 30 %, la profondeur réelle des déchets atteignant 3 m sous le niveau du terrain naturel ;

Considérant que le tribunal a estimé que la société Corsim était tenue, en application des articles 1644 et 1645 du Code civil, non seulement de restituer la moins-value de l'immeuble mais encore de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ;

Qu'en l'espèce elle devait donc être obligée d'assumer le coût des travaux nécessaires pour rendre le terrain constructible et à réparer le retard ;

Qu'elle a été ainsi condamnée à verser aux époux Vernet la somme de 330 273 F, coût des travaux d'assainissement et des fondations évalué par l'expert ainsi que celle de 45 000 F montant auquel leur préjudice a été évalué du fait du retard pris dans la construction ;

Considérant que la SCI Serre et les consorts Serre font grief au tribunal d'avoir fait droit à la demande de garantie de la société Corsim alors que la SCI et leur mère étaient de bonne foi ;

Qu'à l'origine ce terrain était une glaisière et non constructible, que la SCI et leurs auteurs avaient entrepris son comblement et qu'à ce titre un dépôt de gravats avait été autorisé par la mairie avant que le site ne soit fermé ;

Qu'en 1982 la ville de Saint-Chéron s'est portée acquéreur de cette parcelle et de plusieurs autres et les a transformées en terrains constructibles ;

Qu'ils sont redevenus propriétaires de cette parcellae en 1986 à la suite d'un échange avec la commune et qu'il appartient à la société Corsim d'agir à l'encontre de la mairie ;

Considérant qu'ils font ainsi valoir que le caractère constructible du terrain et l'autorisation de lotir résultat de décisions administratives pour lesquelles leur responsabilité ne saurait être engagée ;

Que la clause de non-garantie du sous-sol insérée à l'acte de vente est valable ;

Que la société Corsim revêt la qualité de professionnel spécialisé dans les opérations immobilières et qu'à l'occasion de l'opération de lotissement du terrain le pétitionnaire avait été dûment averti de ce que la nature du sous-sol exigeait des fondations spéciales ;

Considérant que la société Corsim allègue que l'expertise désignait clairement les " propriétaires " Serre comme seuls responsables de leur préjudice et qu'il n'y a eu ni accord ni pourparlers entre elle et Mme Serre en 1988 comme elle avait pris soin de le préciser à l'époque en soulignant que la SCI Serre était également une professionnelle de l'immobilier ;

Considérant que l'acte du 23 septembre 1987 par lequel Mme Serre et la société civile immobilière Serre, "SIS", société civile, ont cédé à la SARL Corsim un terrain de 85 a 64 ca, qui fera ensuite l'objet d'un lotissement de 12 lots, l'acquisition des époux Vernet portant sur le lot n° 2, comporte une clause de non-garantie à savoir que l'acquéreur s'oblige à prendre l'immeuble dans son état actuel sans garantie soit de l'état du sol, du sous-sol ou des clôtures, fouilles, carrières ou excavations qui pourraient exister ;

Considérant que le vendeur professionnel est réputé connaitre les vices de la chose vendue et que la société Corsim a été condamnée à verser les sommes susindiquées aux époux Vernet ;

Considérant que les appelants ne peuvent, contrairement à ce qu'ils soutiennent, se prévaloir de la clause de non-garantie insérée à l'acte de vente ;

Considérant en effet que la SIS et Mme Serre, bien que n'ayant pas été des vendeurs professionnels, connaissaient parfaitement l'état du sous-sol vendu ;

Considérant que l'expert a noté dans ses conclusions que seuls à son avis les propriétaires Serre avaient pu avoir la connaissance réelle et le contrôle de cette connaissance pour ce qui concerne la qualité des décharges qui ont eu lieu et surtout de l'élimination in fine des déchets de cette décharge ;

Considérant que les "propriétaires" Serre avaient confié à la société travaux publics et matériels le comblement de l'ancienne glaisière et que les appelants exposent d'ailleurs dans leurs écritures qu'un dépôt de gravats avait été autorisé par la Mairie ;

Que des difficultés sont cependant survenues avec la commune de Saint-Chéron qui un temps avait fait apposer des scellés sur la décharge ainsi qu'en témoigne l'échange de correspondance en 1974 avec la société TPEN qui s'engageait à ne pas mettre sur la décharge d'autres produits que inertes et la lettre de M. Serre au Maire, le 8 avril 1976, par laquelle il imputait à ladite société la mauvaise exploitation de la décharge en faisant observer qu'il y avait aussi des dépôts de ses administrés contre lesquels il ne pouvait rien ainsi que celle du 17 avril 1986 par laquelle il l'informait de l'extinction de l'incendie qui enfumait les abords ;

Considérant que même si la commune de Saint-Chéron a connu elle-même des difficultés entre 1982 et 1986 pour éviter la transformation de cette décharge en décharge publique et a procédé elle-même au transfert du talus, il est néanmoins établi que la SIS et Mme Serre ont vendu en toute connaissance de cause un terrain ayant constitué une ancienne décharge avec toutes les conséquences qui en découlent puisqu'ils avaient en grande partie eux-mêmes procédé au comblement de l'ancienne glaisière et connu des difficultés entrainées par des dépôts divers, sans donner aucune information à ce sujet à leur acquéreur ;

Considérant qu'ils ont ainsi fait preuve de réticence dolosive et qu'ayant été de mauvaise foi ils ne peuvent invoquer la clause de non-garantie pour se soustraire à leur responsabilité même en arguant de la qualité de vendeur professionnel de leur cocontractant, ni se prévaloir du caractère constructible qui sera accordé audit terrain par la commune ou de l'autorisation de lotissement ultérieur, pour faire écarter leur propre responsabilité, étant observé que l'expert avait noté que même la Corsim pouvait ne pas découvrir le vice caché malgré son caractère professionnel, le problème des ordures n'ayant atteint que 3 ou 4 lots sur 12 ;

Considérant que les appelants ne peuvent davantage soutenir qu'une transaction serait intervenue le 4 juin 1988 entre la société Corsim et Mme Serre ;

Considérant que Me Chanson notaire avait adressé le 4 juin 1988 à la société Corsim un chèque de 50 000 F de Mme Serre représentant sa participation forfaitaire à la suite des difficultés rencontrées pour la réalisation du lotissement en indiquant dans la lettre de transmission que cette participation valait transaction forfaitaire et définitive au titre de l'article 2044 du Code civil ;

Considérant que la société Corsim a certes encaissé ce chèque mais qu'elle a dans sa réponse du 22 juin fait toutes réserves pour l'avenir et déclaré ne pas accepter de considérer ce règlement comme participation forfaitaire et définitive, estimant qu'il n'y avait pas eu de transaction ni écrite ni verbale ;

Considérant que compte tenu de cette réponse très explicite, les premiers juges ont à bon droit retenu que l'encaissement du chèque ne pouvait être considéré comme une acceptation de l'accord proposé ;

Considérant que le tribunal a ainsi à bon droit déclaré fondé l'appel en garantie de la société Corsim ;

Considérant que la SIS Serre et les consorts Serre ne peuvent, alors que l'appel n'a pas été formé à l'encontre des époux Vernet qui ne sont pas parties à l'instance en cause d'appel, critiquer le montant de la condamnation en principal soit 330 273 F en faisant valoir que la réduction trouve sa limite extrême dans le montant total de ce qu'a payé l'acquéreur soit en l'espèce 307 000 F et doit être arbitrée par experts ;

Que d'ailleurs un acquéreur est en droit, tout en conservant la chose, de demander une indemnisation qui dépasse le montant du prix notamment pour couvrir des dépenses engagées sur la chose afin de remédier au vice, étant observé que l'expert commis a estimé le coût des travaux nécessaires ;

Considérant cependant que le tribunal a dit que Mme Serre et la SIS Serre seraient tenus de garantir la société Corsim des condamnations prononcées contre elle diminuées de 20 % ;

Considérant que dans les motifs de ses écritures la SARL Corsim indique qu'il est donc normal que le Tribunal de grande instance d'Evry ait condamné les appelants à la garantir de 80 % de ses condamnations et que la cour ne pourra que confirmer le jugement entrepris ;

Qu'au dispositif de ses conclusions elle demande la confirmation de la décision déférée ;

Considérant en conséquence que la SARL Corsim n'a pas critiqué le jugement dont appel en ce qu'il a condamné solidairement Mme Serre et la SIS Serre à la garantir de toutes les condamnations prononcées contre elle à hauteur de 80 % seulement et qu'il n'en a pas demandé la réformation sur ce point ;

Considérant dans ces conditions que le jugement entrepris sera confirmé dans toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser supporter à l'intimée les frais non taxables qu'elle a exposés et qu'il lui sera alloué la somme de 5000 F ;

Par ces motifs, Statuant dans les limites de l'appel, Confirme le jugement entrepris ; Condamne la SIS Serre et les consorts Serre aux dépens d'appel et à payer à la société Corsim une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Admet la SCP Gaultier au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.