CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 27 mars 2002, n° 99-19805
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
RAPT (SARL)
Défendeur :
Gillard, Advanced Concepts and Technology (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin (faisant fonction)
Conseillers :
M. Jacquot, Mme Acquaviva
Avoués :
SCP Ermeneux-Champly-Levaique, Me Jauffres
Avocats :
Mes Rabany, Auda
Exposé du litige:
- Monsieur Gaétan Gillard vendait le 01/01/1990, vente confirmée le 01/11/1993, à la SARL Advanced Concepts and Technology le logiciel Heaven qu'il avait créé et dont il était seul propriétaire et ce "sans autre garantie que celle de l'existence du produit".
Le 20/04/1994 la SARL RAPT, centre serveur qui offre de nombreux services aux utilisateurs de minitels, achetait la licence d'utilisation de ce logiciel Heaven, un logiciel d'animation électronique Sabine, une carte 8 ports séries, une carte x 25 64 voies et Pass x 25 E pour un prix total de 98 141,50 F.
Par acte en date du 10/05/1996 la SARL RATP assignait la SARL Advanced Concepts and Technology devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Digne pour voir désigner un expert aux motifs qu'elle était dans l'impossibilité d'exploiter le logiciel Heaven et que les problèmes rencontrés rendaient impropre l'utilisation de ce logiciel.
Après le dépôt du rapport, la SARL RAPT assignaient par acte du 20/08/1997 Monsieur Gaétan Gillard tant personnellement en sa qualité de concepteur du logiciel qu'en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL Advanced Concepts and Technology devant le Tribunal de grande instance de Digne, statuant en matière commerciale.
- Par jugement du 02/06/1999, ce tribunal a:
Rejeté le moyen soulevé d'office tiré de l'article 6 du Code civil.
Déclaré recevable l'action diligentée par la SARL RAPT à l'encontre de Monsieur Gaétan Gillard tant en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL Advanced Concepts and Technology qu'en sa qualité de concepteur du logiciel Heaven.
Déclaré que l'action en garantie des vices cachés a été engagée tardivement par la SARL RAPT et que la garantie conventionnelle n'est pas due.
Débouté la SARL RAPT de l'ensemble de ses demandes.
Condamné la SARL RAPT à payer à Monsieur Gaétan Gillard ès qualité de liquidateur amiable de la SARL Advanced Concepts and Technology les sommes de:
176,08 F au titre d'une facture impayée,
5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 21/06/1999, la SARL RAPT a relevé appel de cette décision.
- La SARL RAPT conclut à la réformation du jugement entrepris et demande à la cour de condamner Monsieur Gaétan Gillard tant en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL Advanced Concepts and Technology qu'en sa qualité de concepteur du logiciel Heaven à lui payer les sommes suivantes:
21 713,78 euro outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11/01/1996,
79 192,23 euro outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11/03/1996,
le montant des frais d'expertise,
2 286,74 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'il y a identité entre Monsieur Gaétan Gillard et la SARL Advanced Concepts and Technology.
Elle soutient que les dysfonctionnements constatés sur le logiciel résultent du défaut de délivrance et de conseil défini par les articles 1604 et 1135 du Code civil de sorte que le le juge ne pouvait déclarer sa demande forclose par application des dispositions de l'article 1641 du Code civil relatif aux vices cachés.
Elle ajoute subsidiairement que la garantie conventionnelle a été mise en jeu par elle dans les délais contractuels.
Monsieur Gaétan Gillard tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL Advanced Concepts and Technology conclut à la confirmation de la décision déférée et demande à la cour de condamner la SARL RAPT à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Gaétan Gillard sollicite sa mise hors de cause à titre personnel aux motifs qu'il a vendu, sans garantie, le logiciel Heaven à la SARL Advanced Concepts and Technology en sorte que sa responsabilité ne peut plus être recherchée en application de la théorie de l'opposabilité des exceptions aux ayants cause dans les chaînes de contrat.
Il ajoute que l'action en garantie des vices cachés est irrecevable dans la mesure où la SARL RAPT n'a pas agi à bref délai.
En ce qui concerne l'action dirigée contre la SARL Advanced Concepts and Technology, il fait valoir qu'aucune garantie contractuelle ne peut être mise en œuvre par la SARL RAPT dans la mesure où celle-ci était un professionnel et qu'en outre les problèmes se sont manifestés alors que la garantie n'était plus due.
Motifs de la décision:
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée et qu'en l'absence de moyen constitutif de fin de non-recevoir susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer cet appel recevable.
Attendu que les articles 1604 et suivants du Code civil mettent à la charge du vendeur une obligation de délivrance à l'acheteur de la chose vendue.
Attendu que l'article 1641 du même Code dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Attendu que la livraison d'une chose conforme à la chose convenue mais atteinte de défauts qui la rendent impropre à l'usage auquel elle est destinée, est un manquement à son obligation de garantie ouvrant droit à l'action en garantie des vices cachés, laquelle constitue l'unique fondement possible pour l'action introduite par l'acheteur.
Attendu qu'en l'espèce, dans l'assignation en référé du 10/05/1996, la SARL RAPT fait valoir "qu'elle est dans l'impossibilité d'exploiter le logiciel Heaven au motif que :
ce dernier se bloque,
en 3614, le curseur va dans tous les sens,
problème dans l'affichage des statistiques : différences de résultat entre les choix proposés."
Attendu qu'elle ajoute " tout ceci rend impropre l'utilisation de ce logiciel ".
Attendu que ces termes sont, après le dépôt du rapport d'expertise, repris dans l'assignation au fond par la SARL RAPT qui ajoute que "le rapport d'expertise ne fait que confirmer les désordres qu'avait soulevés la SARL RATP dans son acte introductif d'instance ".
Attendu que Monsieur Raymond Costa, expert désigné par le tribunal, dans son rapport déposé le 11/06/1997 conclut que " le logiciel Heaven actuel que la SARL Advanced Concepts and Technology a installé chez la SARL RATP n'est pas utilisable normalement ".
Que dans le corps de son rapport il fait état, selon les vices constatés " d'un défaut du logiciel ", " d'une erreur dans le logiciel "...
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le logiciel Heaven vendu par la SARL Advanced Concepts and Technology à la SARL RAPT était impropre à l'usage auquel il était destiné en sorte que le seul fondement de l'action ouverte à la SARL RAPT est l'action en garantie des vices cachés.
Attendu que cette action en garantie se transmet avec la chose vendue au sous-acquéreur, la SARL RAPT, de sorte que cette action est en principe ouverte à celui-ci contre son vendeur, la SARL Advanced Concepts and Technology et contre le vendeur originaire, Monsieur Gaétan Gillard personnellement.
Attendu cependant que l'article 1643 du Code civil prévoit que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que dans ce cas il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
Attendu que Monsieur Gaétan Gillard fait valoir que sa responsabilité personnelle ne saurait être recherchée en l'état d'une clause exclusive de sa garantie.
Qu'effectivement l'article 1-2 du contrat de vente du logiciel Heaven par Monsieur Gaétan Gillard à la SARL Advanced Concepts and Technology dispose que "la présente cession est consentie et acceptée sans autre garantie que celle de l'existence du produit ".
Attendu qu'aucune des parties ne discute cette exclusion de garantie contractuelle de sorte que la responsabilité de Monsieur Gaétan Gillard ne peut être recherchée ni par l'acquéreur ni par le sous acquéreur et qu'il convient donc de prononcer sa mise hors de cause à titre personnel.
Que le jugement déféré sera donc réformé de ce chef.
- Attendu que l'article 1648 du Code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un bref délai.
Qu'en l'espèce, le logiciel Heaven a été vendu à la SARL RAPT le 20/04/1994.
Attendu que dès le 18/07/1994 la SARL RAPT écrivait à la SARL Advanced Concepts and Technology " Le 16/04/1994 notre société vous a acheté une licence Heaven ainsi qu'un logiciel d'animation... nous permettant d'exploiter un centre serveur (messagerie, BAL). Malgré nos efforts nous constatons à ce jour que votre système est difficilement exploitable... ".
Attendu que dans son assignation en référé la SARL RAPT elle-même indique que " depuis l'acquisition du logiciel Heaven elle n'a cessé d'avoir des imperfections et notamment d'incessantes coupures ".
Que l'expert lui-même dans son rapport fixe la date l'apparition des différents dysfonctionnements au 4e trimestre 1994 pour les coupures de ligne, au 3e trimestre 1994 pour les différences facturation-statistiques...
Attendu que l'action en garantie des vices rédhibitoires n'a été intentée par la SARL RAPT que par l'assignation du 20/01/1997.
Attendu cependant que le bref délai a été interrompu par l'assignation en référé du 10/05/1996.
Attendu que néanmoins près de deux années se sont écoulées entre l'apparition des vices et l'interruption du délai de sorte qu'il convient de constater que la SARL RAPT a introduit son action tardivement et que par suite celle-ci est irrecevable.
Que le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
Attendu enfin et au surplus que la SARL RAPT ne saurait utilement invoquer les dispositions contractuelles contenues dans l'acte de vente de la licence du logiciel Heaven intitulées "limites de garantie ", par lesquelles la SARL Advanced Concepts and Technology garantit pendant une période de 90 jours suivant la date d'acquisition les vices cachés du logiciel par son remboursement ou son remplacement.
Qu'en effet l'examen de ces garanties conventionnelles pour vice caché ne peut que s'emplacer dans une action en garantie des vices cachés qui a été déclarée irrecevable car tardive.
Attendu qu'il convient de débouter la SARL RAPT de sa demande de condamnation des intimés à lui rembourser les frais d'expertise mis à sa charge par l'ordonnance de référé.
Attendu qu'en l'absence de faute caractérisée de la SARL RAPT, ayant fait dégénérer en abus le droit qu'elle avait de relever d'agir en justice, Monsieur Gaétan Gillard et la SARL Advanced Concepts and Technology seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Attendu que l'équité commande d'allouer à Monsieur Gaétan Gillard et à la SARL Advanced Concepts and Technology une somme complémentaire en cause d'appel de 800 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus de celle de 762,25 euro (5 000 F) équitablement fixée par les premiers juges.
Attendu que la SARL RAPT qui succombe supportera les dépens et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit l'appel; Réformant le jugement, prononce la mise hors de cause de Monsieur Gaétan Gillard personnellement; Confirme le jugement sur le surplus; Condamne la SARL RAPT à payer à Monsieur Gaétan Gillard et à la SARL Advanced Concepts and Technology la somme globale de 800 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel; Condamne la SARL RAPT aux dépens de l'appel et autorise Maître Jean-Marie Jauffres, avoué, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.