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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 2 décembre 2002, n° 96-04111

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pirotte

Défendeur :

Thésée

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Larque

Conseillers :

M. Petriat, Mme Forcade

Avoués :

SCP Longin, Me Marbot

Avocats :

SCP Montamat Chevallier Fillastre Larroze Gachassin, Mes Job, Piedbois

TGI Pau, du 15 oct. 1996

15 octobre 1996

Faits et procédure

M. Georges Pirotte père était Président Directeur général de la SA Usines Dehousse dont l'usine, à Pau, fabrique des pièces mécaniques ; il est décédé le 22 septembre 1962.

Sa veuve, Mme Françoise Rousseaux, est décédée le 21 décembre 1990.

Ils laissaient pour leur succéder leurs deux enfants, M. Georges Pirotte fils et Mme Jeanne Pirotte, épouse Graciet, dont le mari, M. Louis Graciet, a succédé à M. Georges Pirotte père à la tête de la société.

Les époux Graciet ont créé, suivant statuts du 30 novembre 1987 la société holding SA Thésée.

Le 8 décembre 1987 M. Georges Pirotte fils a cédé ses 6.264 actions de la SA Usines Dehousse à la SA Thésée au prix de 125 F l'action.

Le 18 mars 1992 il a assigné devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Pau sa soeur et son mari ainsi que la SA Usines Dehousse en soutenant notamment que les actions qu'il avait vendues avaient été sous-évaluées et que Mme Françoise Rousseaux avait fait don à Mme Graciet de 6 000 actions, devenues 9 000 par suite d'une augmentation de capital, qui devaient être rapportées à la succession.

Et il sollicitait une expertise.

Par ordonnance du 16 avril 1992 Mme Rosine Leborgne a été commise expert.

Par ordonnance du 16 novembre 1992 l'expertise a été étendue à la SA Thésée.

Mme Leborgne a déposé son rapport en date du 12 décembre 1994.

Le 28 février 1995 M. Pirotte a assigné devant le Tribunal de grande instance de Pau la SA Thésée en nullité pour dol de la cession de ses actions et en paiement de:

- 11 137 392 F d'indemnité au titre de la sous-évaluation des titres,

- 1 785 240 F au titre des dividendes, outre les intérêts au taux légal à compter de chaque distribution,

- 50 000 F pour frais irrépétibles.

Par jugement du 15 octobre 1996 le tribunal l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à payer à la SA Thésée 6 000 F pour frais irrépétibles, outre les dépens.

Il a interjeté appel le 4 novembre 1996.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. Pirotte expose que:

- l'action en nullité pour dol n'est pas prescrite car la prescription n'a commencé à courir qu'à compter du jour où il a eu connaissance de façon certaine du dol en décembre 1994 avec le rapport de Mme Leborgne qui évalue le prix de l'action au 31 décembre 1986 à 416 E, et de toute façon l'assignation en référé de la SA Thésée le 5 novembre 1992 a interrompu la prescription,

- dans le cadre d'une action successorale parallèle un autre expert comptable, M. Crampette, a été désigné par jugement du 8 février 2000, qui, dans son rapport, évalue l'action à 175 F;

Mais:

* M. Crampette fait partie d'un GIE au sein duquel est associé un avocat, Me Petit, qui exerce lui-même en association de moyens avec Me Piedbois, avocat de la SA Thésée et de Mme Graciet, lien ne permettant pas à l'expert de bénéficier de l'indépendance et de l'impartialité indispensables à sa mission, en violation de l'article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme,

* Mme Graciet lui a communiqué un dire à expert le 5 juin reçu le 7 juin 2001, et l'expert a déposé son rapport le 11 juin 2001, sans lui laisser le temps de répondre, en violation du contradictoire,

* l'expert n'explique pas comment le prix de l'action a pu passer de la valeur qu'il retient à 1 903 F l'action, prix auquel ont été cédées les actions par Thésée à une société SEP cinq ans après, alors que la consistance patrimoniale et économique de la société n'a pas changé sur cette période,

* M. Crampette a retenu les valeurs de l'actif immobilier figurant au bilan sans se soucier de la consistance de ces postes ; lui-même produit un rapport d'un autre expert comptable, M. Anglade, qui fait ressortir le prix de l'action au 30 novembre 1987 à 744 F,

* M. Crampette n'a pas répondu lorsqu'il lui a été demandé le détail de ses différentes valorisations,

* M. Crampette omet de prendre en compte les augmentations de capital survenues en 1976 et 1977, les 2 000 actions imputées à Mme Graciet 1973 étant devenues 3 000,

* M. Crampette procède à un abattement de 33 % en raison de l'absence de clause d'attribution de dividende prioritaire attachée aux titres transférés fin 1973, mais les actions à dividende prioritaire n'existaient pas à l'époque.

- pour obtenir son accord sur la valeur de l'action, M. Louis Graciet, ès qualité de Président Directeur général que la SA Usines Dehousse et de la SA Thésée, lui a communiqué un rapport de la Société Juridique et Fiscale de France, chargée des intérêts de M. et Mme Graciet, évaluant l'action au 31 décembre 1986 à 125 F ; cette évaluation est minorée car la Société Juridique et Fiscale de France laisse les immobilisations pour leur montant au bilan la SA Thésée connaissait la minoration car la Société Juridique et Fiscale de France a pris la précaution de signaler que cette évaluation des immobilisations était retenue en accord avec la direction de l'entreprise, et la SA Thésée a pris soin de ne pas laisser ce rapport entre les mains de M. Pirotte ; habitant en Belgique, ne pouvant se rendre fréquemment à Pau, notamment aux assemblées générales auxquelles il n'a d'ailleurs jamais été convoqué, il ne pouvait que faire confiance à sa soeur et à son beau-frère,

- les actionnaires ont été trompés sur la valeur des actions par la famille Graciet : de 1981 à 1986 la seule distribution de bénéfices a été de 10 F par action en 1986 ; lin 1987 la société Thésée a été présentée aux actionnaires par une lettre circulaire comme une société d'investissement disposée à acheter un nombre limité d'actions au prix de 100 F l'action, alors qu'elle a racheté l'ensemble des actions et qu'il n'était pas dit qu'il s'agissait du rachat par la famille Graciet ; le prix de 125 F offert à M. Pirotte semblait dans ces conditions attractif; puis de 1987 à 1992 il a été distribué un total de 280 F par action, et courant 1994 la SA Thésée a revendu les actions au prix de 1 903 F l'action ; soit une plus value de 203 % par an,

- il est fondé à obtenir réparation sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil ; selon le rapport de Mme Leborgne, il a été lésé de 3 160 689 F lors de la cession ; cependant, les actions ayant été revendues à une Société Européenne de Propulsion, dite SEP, au prix de 1 903 F l'action, il les aurait revendues lui-même à ce prix, si bien qu'il doit être replacé dans la situation où il se serait trouvé s'il n'avait pas cédé ses actions à Thésée, soit :

* valeur de cession à SEP - valeur de cession à Thésée : 11 137 392 F,

* dividendes de ses actions de 1987 à 1994 : 1 785 240 F,

* intérêts légaux à compter des dates de perception des dividendes : mémoire,

Et il demande à la cour:

- de prononcer la nullité de la cession du 8 décembre 1987, et en conséquence,

- de condamner la SA Thésée à lui payer :

* 11 137 392 F, soit 1 697 884,47 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

* 1 785 240 F, soit 272 158,08 euro avec intérêts au taux légal à compter de chaque perception de dividendes,

* 7 622,45 euro pour frais irrépétibles,

- subsidiairement, au cas où le rapport de Mme Leborgne ne serait pas jugé opposable à la SA Thésée d'ordonner une nouvelle expertise.

La SA Thésée répond que:

- le délai de prescription court à compter de la signature du contrat, et la prescription était acquise lors de l'assignation au fond l'assignation en référé n'avait pas le même objet que la présente action, puisqu'il s'agissait d'une affaire de succession, et n'a donc pas pu interrompre ce délai,

- elle n'a pas communiqué le rapport de la Société Juridique et Fiscale de France à M. Pirotte avant les opérations d'expertise de Mme Leborgne,

- les actions ont été évaluées par l'expert Crampette à 175 F au 30 novembre 1987,

- M. Crampette a été membre d'un GIE il y a presque 10 ans, en 1993, dans lequel figurait Me Petit, lequel a créé une société civile de moyens avec Me Piedbois pour réduire les frais, la clientèle demeurant distincte,

- M. Pirotte avait déjà adressé un dire à M. Crampette le 17 avril 2001,

- M. Pirotte a demandé à M. Anglade d'évaluer le patrimoine immobilier des Usines Dehousse ; elle fournit elle-même un rapport de MM Acquier géomètre expert foncier et Espel Carricart, géomètre expert, qui démontre le défaut de raisonnement, sinon de M. Anglade, en tous cas de M. Pirotte,

- en réalité, la valeur de 125 F l'action correspond à celle d'une donation par Mme Pirotte à chacun de ses deux enfants le 24 septembre 1987, et lors de la constitution de la SA Thésée le 30 novembre 1987 le commissaire aux apports, M. Dorleac, a évalué les actions de la SA Usines Dehousse à 125 F,

- il existait un marché de l'action puisque fin 1987 la SA Thésée a acheté auprès de 16 personnes 6.330 actions au prix de 100 F ; parmi ces petits porteurs figurait l'ancien directeur financier de la société,

- elle n'avait aucun élément lui permettant de penser que la valeur de 125 F était fausse,

Et elle demande à la cour:

- de constater la prescription de l'action pour dol,

- subsidiairement, de confirmer le jugement,

- de condamner M. Pirotte à lui payer 16 000 euro pour frais irrépétibles.

DISCUSSION

Sur la prescription

Selon l'article 1304 alinéa 2 du Code civil le délai de prescription de cinq ans de l'action en nullité pour dol ne court qu'à compter de la découverte du dol.

Il n'est pas établi que M. Pirotte ait été en possession d'indices sérieux lui laissant présumer une sous-évaluation du prix auquel il avait cédé ses actions antérieurement au dépôt du rapport de l'expert Leborgne du 12 décembre 1994.

Aucune prescription n'était donc acquise lors de l'assignation de la SA Thésée devant le tribunal le 28 février 1995.

Au demeurant, l'assignation en référé interrompt la prescription conformément à l'article 2224 du Code civil.

Or son assignation devant le juge des référés est du 18 mars 1992, soit moins de cinq ans après la vente du 8 décembre 1987.

Cette assignation portait bien sur les faits susceptibles de recevoir la qualification de dol puisqu'il y était spécifié dans les motifs que M. Graciet avait racheté ses parts à M. Pirotte pour une valeur de 125 F pièce, mais qu'il s'était avéré par la suite que ces parts valaient 430 F (évaluation 31.12.86) et le dispositif sollicitait qu'il soit demandé à l'expert de fixer la valeur des parts au 31.12.86 pour rectification du prix de la vente du 9 décembre 1987 permettant d'établir la valeur du remboursement qui lui était dû.

L'ordonnance désignant l'expert est du 16novembre 1992 et l'assignation au fond du 28 février 1995, si bien qu'à aucun moment la prescription n'a pu être acquise.

Sur les liens entre l'expert Crampette et la SA Thésée

L'expert Crampette, commis par jugement du 8 février 2000 par le Tribunal de grande instance de Pau dans une instance successorale opposant les parties, notamment pour évaluer au 30 novembre 1987, 2000 actions données par Mme Pirotte mère à Mme Jeanne Graciet, avait constitué, notamment avec l'avocat Michel Petit, un GIE le 23 septembre 1992 ayant pour objet les missions de conseils et d'audit de diagnostic, organisation d'entreprises et toutes organisations.

Me Piedbois, conseil de la SA Thésée, est associé au sein d'une société civile professionnelle de moyens depuis le 2 juillet 1997 avec Me Michel Petit.

Ces relations professionnelles entre l'expert et l'associé de l'avocat de l'une des parties ne démontrent pas l'existence d'une communauté d'intérêts entre l'expert et l'avocat de la partie concernée, susceptible d'entraîner un manque d'indépendance de l'expert vis-à-vis de cette partie, qui contreviendrait au droit à un procès équitable de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Sur la violation du contradictoire par l'expert Crampette

M. Pirotte reproche à l'expert Crampette d'avoir déposé son rapport sans lui avoir laissé le temps de répondre à un dire de la SA Thésée.

Le dire a effectivement été transmis à l'expert par un courrier daté du 29 mai 2001. Il a été transmis à l'avocat de M. Pirotte par l'avocat de la SA Thésée par courrier du 5 juin 2001 et le rapport a été déposé le 11 juin 2001.

M. Pirotte, s'il ne pouvait pas répondre au dire en raison du temps trop bref écoulé entre le moment où il a pu prendre connaissance du dire et le dépôt du rapport, ne démontre cependant pas un préjudice effectif : il avait déjà déposé un dire par courrier du 17 avril 2001 sur les points abordés par celui de la SA Thésée, qui ne faisait que lui répondre, et il ne fait valoir aucun argument complémentaire qu'il aurait été privé d'exprimer devant l'expert.

Pour l'essentiel, le dire de la SA Thésée répondait à la critique de M. Pirotte selon laquelle l'expert, dans son pré-rapport, ne procédait à aucune revalorisation de l'actif immobilier par rapport au bilan alors qu'il s'agissait d'un terrain situé à Pau, en ville, proche de la gare. La SA Thésée argumentait que ce terrain nécessitait une dépollution qui viendrait grever son prix.

L'expert quant à lui a répondu qu'il ne retenait pas de plus-values latentes car il s'agissait d'un immobilier industriel qui ne permet pas d'en escompter.

M. Pirotte ne faisant pas état d'arguments supplémentaires qu'il aurait été en mesure de faire valoir dans un temps compatible avec l'expertise susceptible d'avoir modifié le point de vue de l'expert, il ne démontre pas l'existence d'un préjudice résultant de la brièveté du délai.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter ce rapport des débats de ces chefs.

Sur la valeur des actions de M. Pirotte au 8 décembre 1987

Le 24 septembre 1987, par acte de Me Dupin, notaire associé à Pau, Mme Pirotte et ses deux enfants avaient procédé à une donation partage des actions qui étaient alors en possession de Mme Pirotte, sur la base de 125 F l'action.

A chaque enfant étaient ainsi échues 6 264 actions. Le prix visé à l'acte ne peut être retenu comme référence, car il répond essentiellement à des impératifs fiscaux. De plus. le fait qu'il ait été accepté par M. Pirotte n'a pas de signification particulière d'autant qu'il n'est pas démontré que l'intéressé ait eu en sa possession des éléments d'information lui permettant de penser que la valeur réelle pouvait être différente, puisqu'il a cédé ses titres quelques semaines plus tard à ce même prix, et n'exclut pas qu'il ait pu être induit en erreur.

M. Pirotte fait grief à l'expert Crampette de n'avoir pas tenu compte d'augmentations de capital en 1976 et 1977.

De fait, le rapport Crampette fait bien apparaître ces augmentations de capital, le nombre des actions passant de 24 520 en 1975 à 30 650 en 1976 et à 36 780 en 1977.

A propos des 2 000 actions détenues par Mme Graciet depuis 1973, il fait même observer qu'elles sont devenues 3 000 du fait de ces augmentations de capital.

Il est vrai que dans l'Annexe C de son rapport, fournissant le calcul des dividendes perçus sur ces 2 000 actions de 1973 à 1986, il a omis d'en tenir compte car, lors de l'augmentation de capital réalisée en 1977 par incorporation des réserves, s'il indique bien, dans la colonne du nombre total des actions composant le capital, le nouveau chiffre de 36 780 à partir de 1977, le nombre d'actions affectées à Mme Graciet, qui était de 2 000 jusque là, demeure inchangé alors que l'incorporation des réserves au coefficient 1,5 faisait passer ce nombre, comme il l'observe par ailleurs dans son rapport, à 3 000. Cette erreur est cependant évidente et comme le montant total des dividendes distribués à l'ensemble des actionnaires figure sur une autre colonne, il est aisé de rétablir le compte exact des sommes revenant à ces actions.

Le rapport Crampette n'aborde pas l'évolution de la valeur des titres entre le 31 décembre 1987 et 1994, mais cela n'était pas demandé à l'expert par le jugement du 8 février 2000 : il devait évaluer les titres lors d'un don en décembre 1973 et lors de leur apport en société le 30 novembre 1987. L'expert pour cela s'est tenu à la période de 1983 à 1987, ce qui ne constitue pas une faute particulière, car, pour évaluer un bien au jour de la cession, il convient de se placer à cette date, avec les éléments d'appréciation dont disposaient les parties à ce moment-là.

M. Crampette a fourni une évaluation à partir de 12 méthodes. Il donne l'économie générale de chaque méthode, ainsi que les critères, tels que taux de capitalisation et de rendement, mais ne donne pas le détail de ses calculs, alors que l'expert Leborgne fournit également le détail de ses calculs, sur seulement trois méthodes différentes sur les 12 utilisées par l'expert Crampette.

L'expert Leborgne a fait porter ses calculs sur l'exercice clos le 31 décembre 1986, comme lui était demandé dans l'ordonnance de référé la commettant, ainsi que sur les exercices clos les 31 décembre 1989 et 1990.

L'expert Crampette a fait porter ses calculs sur les exercices clos les 31 décembre 1983, 1984, 1985, 1986 et 1987.

Une troisième évaluation est fournie par un rapport de la SA Société Juridique et Fiscale de France de Levallois-Perret à partir de l'exercice 1986 et des deux exercices précédents que la SA Dehousse avait commandé pour déterminer un prix des actions.

Ce rapport utilise les trois méthodes de l'expert Leborgne.

Un quatrième rapport est également produit c'est celui du commissaire aux apports daté du 4 novembre 1987 lors de la création de la SA Thésée à laquelle Mme Graciet a apporté 14 738 actions de la SA Usines Dehousse. Le commissaire aux apports s'est manifestement contenté de reprendre les calculs de la Société Juridique et Fiscale de France. Ce rapport n'ajoute donc rien au débat, et l'expert Leborgne rappelle, de plus, que le rapport d'un commissaire aux apports est destiné à éviter que les actions soient surévaluées.

Les méthodes employées consistent en des calculs qui tendent à cerner le prix que pourrait consentir un acquéreur, tenant compte à la fois de la valeur des biens de la société et de ses résultats. Ce prix ne peut être approché qu'en effectuant une moyenne pondérée entre les différentes méthodes privilégiant chacune un des éléments pris en compte par l'acquéreur.

Les parties produisent aussi deux autres documents M. Pirotte un rapport du géomètre-expert Anglade, du 12 novembre 2001, qui s'est attaché à rechercher une estimation des immeubles, et la SA Thésée un rapport des géomètres-experts Acquier et Espel-Carricart du 4 février 2002 portant une appréciation critique sur celui de M. Anglade.

Les trois méthodes employées par la Société Juridique et Fiscale de France, Mme Leborgne et M. Crampette sont la valeur de l'actif net corrigé, la valeur de rendement et la valeur de productivité.

- la valeur de l'actif net corrigé elle consiste à évaluer la société à partir des éléments du bilan en les rectifiant compte tenu de la distorsion qu'entraînent les impératifs comptables au niveau des immobilisations. L'expert Leborgne souligne la minoration très forte à laquelle conduit l'amortissement dégressif utilisé, qui ne correspond pas à la réalité économique.

Le rédacteur du rapport de la Société Juridique et Fiscale de France prend soin de souligner "qu'en l'absence de dossier d'évaluation en valeur vénale préalablement établi pour les immeubles et le matériel, d'un commun accord avec la Direction de l'Entreprise ces éléments seront retenus pour leur valeur résiduelle comptable ".

De même l'expert Crampette n'a procédé à aucune réévaluation de l'immobilier ni des matériels et outillages expliquant que l'immobilier était un immobilier industriel qui ne permet pas d'escompter de plus-value latentes au niveau des actionnaires et que les matériels et outillages sont spécifiques à l'activité industrielle et ne peuvent être reconvertis sur d'autres secteurs d'activité.

La spécificité de l'immobilier et du matériel industriel n'exclut cependant pas l'existence d'un marché, et l'acquéreur d'une entreprise saine ne se situe pas dans une perspective de démembrement précipité conduisant à brader les biens dont s'agit mais de continuation de l'activité qui le conduit, le cas échéant, à des redéploiements de sites entraînant des cessions ou des acquisitions immobilières dans des conditions normales et à renouveler le matériel, et donc à tenir compte de sa valeur vénale selon son amortissement réel.

Mme Leborgne a approché la valeur du matériel en vérifiant sa valeur d'acquisition, en le réévaluant selon l'indexation du franc et après amortissement pendant un nombre d'années correspondant autant que possible à la réalité économique. Elle a pris soin d'écarter de ses évaluations le matériel présent dans l'usine n'appartenant pas à la société mais pris en location par celle-ci à d'autres entreprises.

Ainsi les postes "Matériel et Outillages" et "Autres Immobilisations corporelles" figurant au bilan 1986 tel que donné par le rapport Crampette pour au total 7 012 183 F passent à 15 082 967 F.

La cour retient cette estimation.

Mme Leborgne a de même évalué les terrains pour 4 050 000 F et les constructions pour 5 958 857 F.

Pour ce qui est des constructions, elle a réévalué les prix d'acquisition et a calculé leur valeur résiduelle après amortissement selon une durée plus réaliste que celle utilisée pour calculer les amortissements fiscaux.

Pour ce qui est des terrains, elle a retenu une surface de 27 000 m2 à partir des déclarations du directeur administratif et financier de la SA Usines Dehousse au cours de l'expertise, à 150 F le m2, prix d'une négociation récente de terrains attenants.

Les terrains figurent au bilan pour 98 533 F et les constructions pour 861 828 F.

Rien ne vient démontrer que des travaux de dépollution des terrains soient nécessaires. Ces terrains sont bien situés, en ville à cheval sur Pau et Bizanos, et leur revente n'apparaît pas, compte tenu de cette situation, devoir faire de difficulté.

Le rapport Anglade, produit par M. Pirotte, fait apparaître une surestimation de la surface du terrain par l'expert Leborgne les terrains ne mesuraient pas à la période litigieuse 27 000 m2. Suivant le rapport de M. Anglade, intervenant dans l'intérêt de M. Pirotte, non critiqué sur ce point par le rapport adverse, le terrain en 1986 était en réalité d'une contenance de 20 057 m2, dont 5 357 m2 pris à bail à une SCI Pour l'Industrie, filiale à 99 % de la SA Usines Dehousse.

D'autres acquisitions immobilières sont intervenues, mais en novembre 1991.

L'évaluation des terrains par Mme Leborgne devrait être rectifiée en fonction de l'erreur sur la surface à 3 008 550 F en ajoutant les constructions à 5 958 857 F, soit au total 8 967 407 F, soit encore 447,09 F le m2.

Cependant, dans le rapport Acquier et Espel-Carricart, produit par la SA Thésée, il est fait mention de la revente le 14 décembre 1983 à proximité, par une société Castelvin à une société Aigrefeuille, d'un immeuble de 8 280 m2 sur lequel sont érigés les anciens entrepôts d'une société de distribution, pour le prix de 1 727 496 F, soit 208,63 F le m2, ou encore, à partir de la variation de l'indice du coût de la construction de fin 1983 à fin 1986, 235,04 F en 1986.

De même le rapport Anglade produit par M. Pirotte fait état d'aliénations, à titre de termes de comparaison, estimées bien choisies par le rapport adverse Acquier Espel-Carricart, en particulier un apport en société de 1983 d'un immeuble supportant des bâtiments industriels vétustes à proximité, de 5 092 m2 pour 1 780 025 F, soit 349,57 F le m2 en 1986.

D'autres exemples, cités par M. Anglade, mais sur des transactions plus anciennes, donnent des évaluations actualisées du même ordre, de 279 F le m2 à 361 F le m2.

Il s'agit d'un marché relativement homogène, où les transactions s'établissent donc autour de 300 F environ le m2 de terrains industriels bâtis.

L'évaluation de Mme Leborgne ne correspond pas à ce niveau de prix, et c'est donc une évaluation à 300 F le m2 que la cour retient pour le terrain et les constructions.

A cette correction il faut en ajouter une autre car retenir la valeur du terrain de la SCI pour l'industrie revient à faire partiellement double emploi avec le poste de l'actif participation qui compte les 99 % des parts de cette SCI.

Selon le rapport de la Société Juridique et Fiscale de France, seul à donner le détail de ce poste, celui-ci, au bilan de 1986 compte essentiellement les parts de cette SCI, le surplus représentant une valeur négligeable de 9 400 F.

En réduisant l'actif net corrigé du montant du poste participations mais en ajoutant 9 400 F, le dit actif net se trouve ramené à 24 653 466F, soit 670,29 F l'action au 31 décembre 1986.

Mme Leborgne ne fournit pas d'évaluation au 31 décembre 1987.

Néanmoins, l'examen des bilans permet de constater de 1986 à 1987 une nette augmentation des postes "Matériels et Outillages - Autres Immobilisations corporelles" de 2 969 748 F, et du poste "Constructions" de 738 547 F.

Ces augmentations correspondent à des travaux et à des équipements supplémentaires, procurant une plus-value.

Les annexes des comptes annuels, susceptibles de fournir les taux d'amortissement employés, ne sont pas fournies. Néanmoins l'impact de la différence entre l'amortissement comptable et l'amortissement réel n'est guère significatif sur une seule année. De plus. en reprenant les évaluations de l'année précédente sans tenir compte de l'érosion monétaire et en les majorant du montant de l'accroissement, lequel prend en compte l'amortissement comptable des postes réévalués à hauteur de leur valeur au bilan de 1986, et en appliquant la même réduction sur le poste "Participations" que sur l'exercice précédent, on obtient une estimation suffisamment fiable pour être retenue de 26 491 624 F, soit 720,27 F l'action au 31 décembre 1987.

<emplacement tableau>

- la valeur de rendement : elle consiste à déterminer le capital représentatif d'un investissement à un taux déterminé procurant un bénéfice égal aux dividendes versés par l'entreprise.

Cette évaluation en grande partie de la politique adoptée par les dirigeants de la société. Et, de fait, alors que la société avait réalisé des bénéfices importants en 1984 et 1985, aucun dividende n'avait été distribué sur ces deux exercices, alors que pour des bénéfices comparables, le dividende net a été de 10 F sur 1986.

Selon les rapports de l'expert Leborgne et de la Société Juridique et Fiscale de France, la pratique est de calculer la capitalisation à partir de la moyenne des dividendes bruts des trois dernières années si la politique de distribution est constante.

C'est ce qu'a fait la Société Juridique et Fiscale de France en relevant qu'en 1984 et 1985 il n'y avait pas eu de distribution de dividende et en considérant qu'il y avait absence durable de distribution.

Mais en 1986 des dividendes ont été distribués, susceptibles de marque un changement de politique des dirigeants.

Pour corriger la distorsion dans l'estimation qu'entraîne le changement de politique des dirigeants, l'expert Leborgne propose de s'en tenir au dividende brut de l'année.

Cette méthode apparaissant adaptée au cas d'espèce, la cour s'y tiendra.

Tant la Société Juridique et Fiscale de France que Mme Leborgne ont retenu un taux de capitalisation de 8 %.

Le dividende brut en 1986 étant de 15 F. la valeur de l'action ressort à:

15 x 100/8 = 187,50 F.

En 1987 elle ressort à 30 x 100/8 = 375 F.

L'expert Crampette a calculé les valeurs de rendement des cinq exercices de 1983 à 1987. Pour une raison non précisée, celle de 1986 est égale à 0.

Pour 1987 il donne une valeur de la société de 7 356 000 F, soit 200 F l'action. Il ne fournit pas le détail de son calcul, mais indique qu'il a été fait à partir d'un taux de capitalisation de 5 %, ce qui donne un dividende de 10 % correspondant à la moyenne sur trois ans des dividendes nets de 1986 et 1987.

La méthode n'est pas adaptée au changement de politique des dirigeants à partir de 1986. Le taux n'est pas non plus en concordance avec les taux pratiqués à l'époque. Enfin, pour 1987, il propose de retenir, non pas celle qu'il a précisément calculée sur cet exercice, mais une moyenne des valeurs des cinq exercices. Compte tenu de ce que les valeurs de 1983 et de 1986 sont égales à 0, la moyenne aboutit à une très forte minoration, et elle ne sera pas retenue.

- la valeur de productivité:

Selon le rapport d'expertise de M. Crampette, la valeur de productivité de l'entreprise est égale au bénéfice moyen capitalisé à un taux compris entre 12 et 20 % ; plus le risque apparaît élevé, plus le taux choisi sera élevé.

Mme Leborgne a calculé cette valeur en retenant le taux de 12.

Elle obtient une valeur de 14 350 000 F en 1986, soit 390,15 F l'action.

Les chiffres qu'elle donne et les modalités de calcul détaillées dans son rapport permettent à la Cour de calculer elle-même une valeur de 17 575 000 F en 1987, soit 477,84 F l'action.

Après avoir indiqué un taux de capitalisation maximum de 20 % M. Crampette indique avoir utilisé un taux de 25 %, ce qui n'est pas en cohérence.

Il donne pour 1986 une valeur de la société de 8 731 693 F et pour 1987 de 10 934 708 F. Ses calculs n'étant pas fournis, à partir du détail des calculs de Mme Leborgne, qui sont pourtant conformes à la méthode énoncée par M. Crampette, la cour est en mesure de constater qu'en réalité il a utilisé en 1986 un taux de 19,72 % et en 1987 de 19,29 % soit presque le maximum, sans pour autant s'expliquer sur les risques encourus, alors que rien dans les comptes ne permettait de discerner une quelconque fragilité de l'entreprise, et qu'aucun élément n'est fourni sur le contexte.

De plus, il propose de retenir, de nouveau, la moyenne des valeurs des cinq exercices, ce qui aboutit à une minoration supplémentaire, même par rapport à la valeur de 1986 telle qu'il la calcule.

La Société Juridique et Fiscale de France a de même retenu un taux de 18 % soit une valeur de la société de 9 566 000 F, soit 260,08 F l'action.

Ce coefficient élevé ne correspond pas à la société des Usines Dehousse qui apparaît à ce moment-là en pleine santé financière et économique.

Les évaluations telles qu'elles résultent de l'expertise Leborgne sur cette méthode seront donc retenues par la cour.

M. Crampette utilise en outre 9 autres méthodes, dont il donne une définition, mais il ne fournit pas le détail de ses calculs, bien que cela lui ait été demandé à juste titre par M. Pirotte. Aucun control par la cour n'étant possible sur ces autres méthodes, il n'en sera pas tenu compte. Au demeurant, Mme Leborgne fournit la méthode de calcul de la moyenne pondérée permettant de croiser les différentes évaluations, et la différence entre la moyenne des 12 méthodes telle que la donne M. Crampette d'avec la moyenne de ses résultats des 3 méthodes retenues n'est pas significative : pour 1987 la valeur moyenne de l'action selon les trois méthodes est de 260,40 F et celle des 12 méthodes de 262 F.

En effectuant une moyenne pondérée entre les trois méthodes pour leurs valeurs ci-dessus retenues par la cour, la valeur de l'action ressort à :

[670,29 + ((187,50 + 390,15) x 3) : 2] : 4 = 384,19 F au 31 décembre 1986,

[720,27 + ((375 + 477,84) x 3) : 2] : 4 = 499,88 F au 31 décembre 1987,

L'expert Crampette propose un abattement de 33,33 % parce que les 3 000 actions de Mme Graciet n'étaient pas assorties d'une clause de dividende prioritaire et n'atteignaient ni la majorité de gestion, ni la minorité de blocage, celle-ci étant de 1/3 du capital social plus une action selon l'article L. 225-96 du Code de commerce.

De même la Société Juridique et Fiscale de France propose un abattement

- de 48,31 % si les actions cédées donnent la minorité de blocage avec distribution, pour non cotation, contraintes éventuelles de cession et importance de participation,

- de 81,39 % si les actions ne donnent pas la minorité de blocage avec distributions aléatoires.

Contrairement aux affirmations de M. Pirotte, les actions à dividende prioritaire ne datent pas de 1983, car l'article 269 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 dans sa rédaction initiale permettait un dividende prioritaire, et la loi n° 78-741 du 13 juillet 1978 a autorisé la création d'actions à dividende prioritaire sans droit de vote.

Cependant un abattement au titre de la minorité de blocage ne s'impose pas car la SA Thésée ne visait pas seulement à prendre le contrôle de la SA Dehousse ou à s'assurer la minorité de blocage, mais à acheter purement et simplement la quasi totalité des actions, comme en atteste la revente intervenue ultérieurement au profit de la SA Européenne de Propulsion : ce document n'est pas daté, mais il prévoit une cession de titres d'autres sociétés pour le 30 juin 1994 au plus tard et le protocole d'intention qui l'a précédé, daté lui du 7 juillet 1993, prévoyait que la signature serait précédée d'un audit terminé avant le 1er octobre 1993, ce qui date l'acte de cession de fin 1993-début 1994. Et cet acte organise la vente par Thésée de 36 595 actions sur les 36 780 composants le capital social, soit 99,5 % de la totalité des actions.

Pour la même raison, aucun abattement pour importance de participation n'a lieu d'être applique.

D'autre part il n'est pas justifié de ce qu'une partie des actions donnaient droit à un dividende prioritaire, si bien qu'aucun élément ne milite, en l'espèce, pour des valeurs différenciées.

Enfin aucun abattement ne saurait intervenir en l'espèce pour contrainte de cession, non cotation, ou distribution aléatoire. Aucun des deux experts judiciaires n'en fait état et rien ne le justifie.

La SA Thésée invoque aussi l'existence d'un marché de l'action car elle a racheté 6 330 actions auprès de 16 autres porteurs pour le prix de 100 F l'action.

Effectivement, la SA Usines Dehousse a fait parvenir à ses petits porteurs une lettre circulaire datée du 11 décembre 1987 les informant qu'une société d'investissements serait disposée à acquérir un nombre limité d'actions sur la base de cette valeur. Cette opération supposait, selon ce courrier, un aboutissement rapide des négociations.

En réalité les statuts de la SA Thésée, produits par M. Pirotte, révèlent que Mme Graciet s'est vue attribuer 17 593 actions de cette société en contrepartie de ses apports en nature, et M. Graciet 12 115 actions, soit à eux deux 31 708 actions sur les 31 720 du capital social, représentant donc 99,96 % de ce capital social.

L'opération était donc destinée à faire acquérir par les époux Graciet, au moyen de la société Thésée, la totalité des actions de la SA Usines Dehousse. S'ils n'apparaissaient pas comme directement propriétaires des actions rachetées, ils en retiraient tout le profit puisqu'ils contrôlaient entièrement la SA Thésée.

C'est donc à l'occasion d'une opération unique, même s'il y a eu plusieurs porteurs, que la valeur de 100 F a été négociée, et dans des conditions de nature à fausser l'appréciation des faits par les cédants, car la rédaction du courrier du 11 décembre 1987 ne laissait pas deviner que c'était le Président Directeur général de la SA Usines Dehousse lui-même et son épouse qui rachetaient les actions, ce qui aurait pu éveiller leur curiosité et accroître leurs exigences. Le manque de transparence recherché par la SA Usines Dehousse et la SA Thésée lors de cette opération fait d'ailleurs à lui seul présumer que la valeur réelle de l'action était nettement supérieure à celle proposée et que les deux sociétés en avaient pleinement conscience.

Il ne peut donc en aucun cas s'agir d'un marché ni d'une valeur de référence.

Il importe peu que parmi les petits porteurs concernés l'ancien directeur financier de la SA Usines Dehousse, M. Creusefond, ait cédé ses 19 actions et son épouse ses 233 actions au prix proposé, car aucun élément n'est fourni sur l'époque à laquelle M. Creusefond a quitté la société et il n'est pas justifié que son épouse et lui-même aient eu en leur possession les informations nécessaires pour approcher la valeur réelle de l'action., alors qu'ils n'avaient par ailleurs aucune raison de se méfier en raison de la loyauté que doivent les dirigeants d'une société à leurs actionnaires qui leur fait obligation de les renseigner exactement dès lors qu'ils se présentent à eux comme intermédiaires auprès d'acquéreurs tiers ou qu'ils sont, comme en l'espèce, les véritables acquéreurs.

La valeur des actions doit être arrêtée en tenant compte des éléments d'appréciation disponibles lors de leur négociation. Si l'on disposait des comptes clôturés au 31 décembre 1986, ceux de l'exercice clôturé le 31 décembre 1987, marqué par une nette progression de la valeur de la société, n'étaient bien évidemment pas arrêtés, mais, compte tenu de la progression qui ressort à la clôture, il était possible de déterminer au 8 décembre 1987 à tout le moins que l'entreprise n'avait pu que s'apprécier depuis la clôture du précédent exercice.

En cet état la cour est suffisamment éclairée pour arrêter à 400 F le prix de l'action de la SA Usines Dehousse au 8 décembre 1987.

Sur le dol

La valeur réelle des actions lors de leur cession par M. Pirotte à la SA Thésée était donc très supérieure au prix effectivement convenu.

M. Graciet, qui était à la fois le Président Directeur général de la SA Thésée et celui de la SA Usines Dehousse, ne pouvait pas l'ignorer, et il est certain que si M. Pirotte avait connu la valeur réelle de ses actions, il ne les aurait pas vendues au prix de 125 F l'unité.

M. Pirotte ne produit aucune pièce sur les circonstances dans lesquelles il a cédé ses actions à la SA Thésée.

Il qualifie dans ses écritures d'acte sous seing privé du 8 décembre 1987 portant cession ce qui n'est qu'un ordre de mouvement par lequel, sous sa seule signature, il ordonne la transmission de la propriété de ses actions au profit de la SA Thésée.

Il indique lui-même dans ses conclusions avoir traité directement avec M. Graciet en sa double qualité de Président Directeur général des deux sociétés.

Il ne démontre pas avoir eu en mains le rapport de la Société Juridique et Fiscale de France, lequel évaluait l'action à 45 F et à 125 F suivant les abattements retenus.

La SA Thésée ne confirme ni ne conteste que M. Graciet ait directement traité avec M. Pirotte, se contentant de dénier avoir communiqué à celui-ci le rapport de la Société Juridique et Fiscale de France.

Quoi qu'il en soit, l'opération consistant à racheter la totalité des actions au profit des époux Graciet par l'intermédiaire d'une société holding s'analysait en une acquisition dolosive, que ce soit de la part M. Graciet, qui, du fait de sa qualité de Président Directeur général de la SA Usines Dehousse, était tenu envers les actionnaires, en exécution de son obligation de loyauté, de les renseigner le plus exactement possible sur la valeur des titres, ou que ce soit de la part de la SA Thésée, qui, en tant que personne morale, émanation des époux Graciet, connaissait l'obligation à laquelle M. Graciet était tenu et la finalité de l'opération frauduleuse qu'elle réalisait.

La vente étant dolosive de la part de la SA Thésée, elle doit être annulée.

M. Pirotte doit être replacé dans la même situation que celle où il se serait trouvé si la vente annulée n'avait pas eu lieu et s'il avait bénéficié des conditions de la vente des actions à la SA Société Européenne de Propulsion fin 1993 début 1994.

Le prix de vente unitaire des actions à cette société figurant à l'acte de cession est de 1 903,21 F, mais M. Pirotte ne revendique qu'un prix de 1 903 00 F.

C'est donc une somme de (1 903 - 125) x 6 264 = 11 137 392 F (1 697 884,47 euro) qui revient à M. Pirotte au titre du prix qu'il aurait perçu s'il avait pu vendre ses actions à la SA Société Européenne de Propulsion.

M. Pirotte a droit, sur cette somme, aux intérêts au taux légal à compter du 28 février 1995, date de son assignation.

S'il avait gardé ses actions jusque-là, il aurait perçu les dividendes correspondant à ses 6 264 actions.

Il ne produit pas d'autre justificatif que le rapport Leborgne qui fournit le montant du dividende sur les exercices de 1987 à 1992, soit:

- 1987 : 20 F x 6 264 = 125 280 F (19 098,81 euro),

- 1988 : 30 F x 6 264 = 187 920 F (28 648,22 euro),

- 1989 : 30 F x 6 264 = 187 920 F (28 648,22 euro),

- 1990 : 40 F x 6 264 = 250 260 F (38 151,89 euro),

- 1991 : 60 F x 6 264 = 375 840 F (57 296,44 euro).

- 1992 : 100 F x 6 264 = 626 400 F (95 494,06 euro).

Pour l'exercice 1993, dernier exercice sur lequel M. Pirotte aurait pu percevoir un dividende puisque la cession à la SA Société Européenne de Propulsion a eu lieu au plus tard courant 1994, Mme Leborgne, dont le rapport est daté du 12 décembre 1994, et qui produit les bilans de la SA Usines Dehousse de 1984 à 1993 en faisant apparaître le montant des dividendes pour chaque exercice, n'en fait pas apparaître sur ce dernier exercice.

La SA Thésée étant de mauvaise foi, M. Pirotte, conformément à l'article 1378 du Code civil, est fondé à réclamer les intérêts au taux légal à compter de chaque perception de dividendes.

Eu égard au temps nécessaire pour arrêter les comptes annuels et mettre en œuvre la répartition des dividendes, les intérêts courront à compter du 1er juillet de l'année suivante.

Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable que M. Pirotte garde à sa charge l'intégralité de ses frais tant de première instance que d'appel non compris dans ses dépens, et il y a lieu de condamner la SA Thésée à lui payer de ce chef la somme de 7 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort.

Reçoit l'appel en la forme. Au fond, réformant le jugement attaqué. Dit nulle la cession de ses 6 264 actions par M. Pirotte à la SA Thésée, Condamne en conséquence la SA Thésée à payer à M. Pirotte : - 1 697 884,47 euro avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 1995, - 19 098,81 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1988, - 28 648,22 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1989, - 28 648,22 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1990, - 38 151,89 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1991, - 57 296,44 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1992. - 95 494,06 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 1993, La condamne à payer à M. Pirotte 7 000 euro pour frais irrépétibles, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, y compris le coût de l'expertise de Mme Leborgne.