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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 20 janvier 1997, n° 93-4413

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boens (Epoux)

Défendeur :

Bardou, Lalau, Verdier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Berger

Conseillers :

Mmes Manier, Brenot

Avoués :

SCP Calas, Balayn, Me Ramillon

Avocats :

Mes Gourounian, Auzimour

TGI Gap, du 24 juin 1993

24 juin 1993

LES FAITS

Le 24 janvier 1990, les époux Boens ont acquis de Gérard Verdier et André Bardou, au prix de 50 000 F, 500 parts de la SARL "Sur l'Pouce", propriétaire d'un fonds de commerce de restauration, le passif repris étant évalué è la somme de 442 140,16 F. Les actes de cession ont été établis par Bernard Lalau, comptable de la société.

Toutefois, dès juin 1990, la SARL "Sur l'Pouce" s'est trouvée en cessation de paiement elle a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Gap rendu en novembre 1990.

La date de cessation des paiements a été fixée en septembre 1989.

LA PROCEDURE

Les 10 et 14 mai 1991 les époux Boens ont assigné Monsieur Verdier, Monsieur Bardou et Monsieur Lalau devant le Tribunal de grande instance de Gap en annulation de la cession des parts et en paiement, à titre principal, de la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.

Par jugement rendu le 24 juin 1993, le tribunal a débouté les époux Boens de leur action et sur demande reconventionnelle de Messieurs Verdier et Bardou, a condamné les époux Boens au paiement de la somme de 150 000 F.

LES PRETENTIONS DES PARTIES EN APPEL ET LA MOTIVATION DE LA COUR

Monsieur Lalau a été vainement assigné et réassigné devant la cour et n a donc pas constitué avoué.

- Sur la validité de la cession des parts sociales

Les époux Boens soutiennent qu'ils ont été victimes d'un dol commis par Monsieur Verdier et Monsieur Bardou, dès lors que ceux-ci avaient affirmé que la société "Sur l'Pouce" n'était pas en état de cessation des paiements et avait réglé ses dettes fiscales et sociales, que le passif s'élevait en réalité è la somme de 700 000 F, et qu'ils avaient omis de les informer de la déchéance du terme d'un prêt accordé par le CEPME, pour non-paiement des échéances.

Les époux Boens sollicitent donc la nullité de la cession des parts sociales de la société "Sur l'Pouce".

Pour leur part, Monsieur Verdier et monsieur Bardou font valoir que :

- les époux Boens ont signé le 24 janvier 1990 une garantie de passif à laquelle étaient annexés les statuts de la société, les relevés des comptes courants arrêtés au 30 novembre 1988 et le détail du passif inventorié et chiffré (en particulier dettes fiscales et sociales),

- le passif arrêté au 15 janvier 1990 ne s'élevait qu'à la somme de 442 140,16 F HT. Par la suite ce passif, selon l'état prévisionnel des créances, a été porté è la somme de 624 119,02 F par intégration de leur propre créance de 270 443,24 F au titre d'un nantissement sur les parts sociales qu'ils avaient vendues,

- par un acte du 13 février 1990 intitulé "additifs au contrat de prêt du 24 janvier 1990", eu égard è l'exigibilité de l'arriéré dû au CEPME (inclus dans l'état du passif de la société), les époux Boens se sont engagés è rembourser en priorité cette dette avant de procéder au remboursement du prêt qu'ils leur avaient consenti.

Mais il été établi que le Tribunal de commerce de Gap, par jugement rendu le 29 juin 1990, a prononcé le redressement judiciaire de la société "Sur l'Pouce" après avoir constaté que celle-ci se trouvait dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et qu'elle était donc "en état de cessation des paiements" depuis au moins le 30 septembre 1989 (bordereau d'inscription de privilège de l'URSSAF pour cotisations du deuxième trimestre 1989 impayées).

Par un second jugement rendu le 14 décembre 1990, le Tribunal de commerce de Gap a prononcé la liquidation judiciaire de la société après avoir constaté qu'è l'issue de la poursuite d'exploitation autorisée pendant quatre mois, il n'existait aucune possibilité de présenter un plan de redressement permettant d'apurer le passif.

De l'ensemble de ces faits judiciairement constatés et non contestés, il ressort que Messieurs Verdier et Bardou ont vendu aux époux Boens une société commerciale inapte à répondre à son objet social même en apurant son passif.

Certes Messieurs Verdier et Bardou ont cru se prémunir de toute action de la part des époux Boens en les informant de l'état des dettes échues et en leur imposant une "garantie de passif", mais ils ont manqué è leurs obligations contractuelles en omettant de les informer sur la situation financière réelle de la société, à savoir l'impossibilité d'apurer son passif exigible malgré son actif existant au moment de sa vente aux époux Boens et celui susceptible d'être généré par son exploitation.

La cour constate que le consentement des époux Boens a été vicié par le dol "par réticence" commis par Messieurs Verdier et Bardou et prononce donc la nullité de la cession des parts sociales de la société "Sur l'Pouce".

- Sur la responsabilité de Monsieur Lalau

Les époux Boens estiment que Monsieur Lalau doit être reconnu responsable, au moins in solidum, de la nullité du contrat de cession des parts sociales puisqu'il devait en sa qualité de conseil juridique et fiscal, établir ce contrat et qu'il avait, en sa qualité de responsable de la comptabilité de la société, une connaissance de la réelle situation financière de cette dernière. Les époux Boens soutiennent donc que Monsieur Lalau a donné force et crédit aux éléments fournis par Messieurs Verdier et Bardou.

Mais Monsieur Lalau n'est pas intervenu personnellement dans la vente des parts sociales de la société "Sur l'Pouce". Il n'est pas contractuellement tenu è l'égard des époux Boens, lesquels ne caractérisent, par ailleurs, aucune faute dont ils pourraient se prévaloir en application de l'article 1382 du Code civil.

L'action des époux Boens n'est donc pas fondée.

- Sur la demande en dommages-intérêts présentée par les époux Boens

Ceux-ci réclament 100 000 F à titre de dommages-intérêts en faisant valoir le préjudice moral et financier qu'ils ont subi. Le préjudice est réel puisque de février è novembre 1990 les époux Boens n'ont perçu aucun salaire malgré l'exploitation de la société "Sur l'Pouce". La cour estime que la somme de 60 000 F répare justement ce préjudice.

- Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Les époux Boens sollicitent 5 000 F. La cour fait droit è leur demande.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément è la loi, Reçoit partiellement l'appel des époux Boens. Reformant Le jugement, Prononce l'annulation de la cession des parts sociales de la société "Sur l'Pouce" établie le 27 janvier 1990 entre les époux Boens d'une part et Monsieur Verdier et Monsieur Bardou d'autre part. Déboute les époux Boens de leur action contre Monsieur Lalau. Condamne Monsieur Verdier et Monsieur Bardou solidairement è payer aux époux Boens la somme de soixante mille francs (60 000 F) è titre de dommages-intérêts et la somme de cinq mille francs (5 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne Monsieur Verdier et Monsieur Bardou aux dépens. Dit que la SCP d'avoués Calas et Balayn pourra recouvrer directement contre la partie condamnée aux dépens ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.