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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 12 septembre 1997, n° 95-00004197

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lallemode (Epoux)

Défendeur :

BPC Coopératif (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sempere

Conseillers :

Mmes Simonnot, Prager Bouyala

Avoués :

Me Treynet, SCP Lambert Debray Chemin

Avocats :

Mes Gagey, Gisserot

TGI Pontoise, 3e ch., du 29 mars 1995

29 mars 1995

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 19 septembre 1989, la société Lallemode Industrie dont le gérant était Monsieur Derre a ouvert un compte courant dans les livres de la Banque Parisienne de Crédit (BPC), Monsieur Claude Lallemode étant habilité à faire fonctionner le compte.

L'assemblée générale des associés, qui s'est tenue le 28 juin 1990, a pris acte de la démission de ses fonctions de gérant de Monsieur Derre et a nommé à sa place à compter du 1er juillet 1990 Monsieur Lallemode.

Auparavant, suivant acte du 23 mai 1990, ce dernier s était porté caution solidaire des engagements de la société Lallemode Industrie envers la BPC à hauteur de 300 000 F en principal, plus intérêts, frais et commissions.

Par acte du 16 avril 1991, son épouse avec laquelle il est marié sous le régime de la séparation de biens s'est elle aussi portée caution des engagements de la société Lallemode Industrie à l'égard de la BPC à hauteur de 1 500 000 F en principal, plus intérêts, frais et commissions.

Un jugement du 5 mai 1992 du Tribunal de commerce de Nanterre a ouvert le redressement judiciaire de la société Lallemode Industrie à la suite de quoi la BPC a déclaré une créance de 4 227 559,93 F, finalement réduite à 1 716 579,39 F, entre les mains du représentant des créanciers, puis s'est retournée contre les époux Lallemode.

Par jugement contradictoire du 29 mars 1995, le Tribunal de grande instance de Pontoise a condamné les époux Lallemode à payer solidairement à la BPC 1 716 579,39 F, montant de sa créance déclarée dans la limite chacun de leurs engagements, 300 000 F pour le mari et 1 500 000 F pour l'épouse, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 1992, a débouté la BPC pour le surplus, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et a condamné les époux Lallemode solidairement aux dépens.

Les époux Lallemode ont interjeté appel de cette décision.

Monsieur Lallemode a conclu à sa réformation, à la responsabilité de la BPC dans le montant du découvert bancaire et au rejet de tout ou partie de ses demandes dirigées contre lui. Il a reproché à la banque de lui avoir permis de poursuivre l'activité d'une entreprise qui était structurellement déficitaire.

Madame Lallemode a conclu à la réformation du jugement entrepris, à titre principal à la nullité, sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, de son engagement de caution, à titre subsidiaire, à la condamnation de la banque, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à lui payer des dommages-intérêts d'un montant équivalent au montant des sommes dues au titre de l'acte de caution, et à titre plus subsidiaire, à l'organisation d'une expertise. Elle a sollicité une indemnité de 25 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle a essentiellement souligné qu'elle n'était pas au fait des affaires sociales et qu'aucune information particulière ne lui avait été donnée par la BPC sur la situation irrémédiablement compromise de la société Lallemode Industrie.

La BPC a demandé la confirmation de la décision déférée, la capitalisation des intérêts et la condamnation des époux Lallemode à lui payer 25 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et 25 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle a fait valoir que de, par leurs qualités et fonctions, les époux Lallemode avaient une parfaite connaissance de la situation de la société Lallemode Industrie.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 13 juin 1997.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Lallemode Industrie a été constituée le 6 juillet 1989 par Monsieur Bourcier de Carbon, Monsieur Lecou et par Monsieur Derre pour exploiter un fonds de commerce de métallerie et qu'elle a commencé son activité à partir de cette date;

Que les relevés bancaires versés aux débats font apparaître les soldes débiteurs suivants

- fin décembre 1989 : 637 953 F

- fin mars 1990 : 1 318 705 F

Qu'à l'examen des prévisions de trésorerie d'avril 1990, la BPC constatait, ainsi qu'il résulte d'une lettre du 4 avril 1990 adressée à Messieurs Derre et Lallemode, que lesdites prévisions faisaient ressortir des besoins très importants et anormaux, compte tenu de la mobilisation des créances auprès d'un factor ; qu'elle ajoutait qu'à défaut de documents comptables, elle ne pouvait trouver une explication à cette situation qui pouvait avoir plusieurs causes et précisait qu'elle restait disposée à apporter son concours tout en estimant indispensable que des garanties lui soient apportées

Qu'à la suite de ce courrier, Monsieur Lallemode se portait caution à hauteur de 300 000 F par acte du 23 mai 1990;

Qu'ultérieurement, par lettre du 21 juin 1990, adressée à Messieurs Derre, Lallemode et de Carbon, la BPC attirait de nouveau leur attention sur le fonctionnement à ses yeux anormal du compte et écrivait :

"Il est donc probable comme pourrait nous le confirmer l'examen d'une situation comptable récente, que nous finançons les pertes réalisées au cours des premiers mois de votre exploitations."

Qu'elle leur proposait, en conséquence, de mettre en place un plan d'amortissement dans le but de réduire le découvert à 500 000 F fin décembre 1990, la mise en œuvre de ce plan pouvant passer par l'octroi d'un crédit de restructuration

Qu'à la fin juin 1990, le solde du compte de la société Lallemode Industrie était débiteur de 1 597 090 F ;

Que le 19 juillet 1990, Monsieur Lallemode proposait à la banque, eu égard aux difficultés de trésorerie de la société, de lui consentir une hypothèque sur un appartement situé à Paris en garantie d'un crédit de restructuration de 600 000 F à 700 000 F à mettre en place ;

Que le débit du compte courant s'est ensuite accru, puisqu'il était de :

- 1 873 119,60 F fin octobre 1990,

- 2 395 492,00 F fin décembre 1990,

- 2 759 113 F fin mars 1991,

Que le 16 avril 1991, Madame Lallemode a cautionné les engagements de la société à hauteur de 1 500 000 F

Que le solde du compte courant était débiteur de 3 102 282 F fin juin 1991, de 3 137 399 F fin septembre 1991, et de 3 347 512 F fin décembre 1991 ;

Que le 4 février 1992, la BPC donnait son accord pour un crédit de restructuration de 1 500 000 F sur cinq ans, sous réserve de garanties ;

Qu'à la fin février 1992, la BPC rédigeait une note de laquelle il résultait que l'activité de l'entreprise avait fortement augmenté depuis le 1er janvier et qu'Eurodisney avait passé une commande importante ; qu'elle relevait l'existence d'une créance de l'URSSAF de 800 000 F et mentionnait que Monsieur Lallemode sollicitait l'élévation à 2 300 000 F du crédit de restructuration, offrant comme garantie supplémentaire la caution de la SCI Lame ;

Que la SCI Lame est la société propriétaire de l'immeuble dans lequel la société Lallemode Industrie exploitait son fonds de commerce;

Que, suivant assemblée générale extraordinaire du 28 février 1992, elle autorisait sa gérante, Madame Lallemode, à se porter caution d'un prêt de restructuration de 800 000 F sollicité par la société Lallemode Industrie ;

Que le redressement judiciaire était ouvert le 5 mai 1992 ensuite d'une assignation délivrée par l'URSSAF le 17 décembre 1991 ;

Considérant, en ce qui concerne Monsieur Lallemode que si une caution est recevable à mettre en œuvre la responsabilité du créancier, elle ne peut, hors du champ d'application de l'article 2037 du Code civil, invoquer une faute du créancier dans ses rapports avec le débiteur à titre d'exception pour se soustraire à l'exécution de l'obligation qu'elle a contractée ;

Que les prétentions de Monsieur Lallemode quant à la responsabilité imputée à la BPC ne peuvent être accueillies dès lors qu'il les invoque à titre de moyen de défense et non par voie de demande reconventionnelle ;

Qu'en tous cas, il ressort des pièces du dossier qu'il a été dès la formation de la société, avant d'être nommé gérant, l'interlocuteur de la banque ; que, le 3 avril 1990, il adressait à la BPC la situation prévisionnelle pour avril et que la réponse de la banque était adressée au gérant et à lui-même ;

Qu'au fait de la situation financière de la société Lallemode Industrie, il a toujours cru à l'amélioration des comptes, sollicitant même un crédit de restructuration de 2 300 000 F à la veille de l'ouverture du redressement judiciaire ;

Qu'il en résulte que Monsieur Lallemode, qui a toujours était parfaitement informé de la situation financière de la société et était désireux de maintenir l'activité de la société, ne peut reprocher à la BPC d'avoir soutenu inconsidérément la société Lallemode Industrie ;

Que le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il l'a condamné à payer à la BPC 300 000 F avec intérêts au taux légal à partir du 18 mai 1992 ;

Que les conditions d'application de l'article 1154 du Code civil étant réunies, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts à partir du 21 juin 1996, date des conclusions contenant une demande d'anatocisme ;

Considérant, en ce qui concerne Madame Lallemode, que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise, ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l'incitant ainsi à s'engager ;

Que, pour déterminer si la banque a eu une attitude dolosive, il y a lieu de se placer au jour de la conclusion de l'acte attaqué, soit le 16 avril 1991 ;

Qu'à cette date, la situation de la société Lallemode Industrie était lourdement obérée ;

Qu'en effet, le compte courant de la société était constamment débiteur depuis son ouverture, le débit s'aggravant continuellement dans des proportions importantes rappelées plus haut et le bilan afférent à l'année 1990 avait fait ressortir une perte d'exploitation de 1 685 791 F ;

Que Madame Lallemode n'était ni gérante, ni associée de la société Lallemode Industrie ; qu'elle était employée en qualité de chimiste dans un laboratoire ;

Que, mariée sous le régime de la séparation de biens, elle n'était pas directement intéressée aux affaires de son époux;

Que l'existence de relations familiales ne dispense pas le banquier de son obligation d'information et que la BPC ne démontre, ni même n'allègue, avoir attiré l'attention de Madame Lallemode sur l'accroissement considérable du découvert ;

Que le fait que postérieurement, le 28 février 1992, en tant que gérante de la SCI Lame, elle a sollicité et obtenu des associés l'autorisation de cautionner à hauteur de 800 000 F un prêt demandé à la BPC par la société Lallemode Industrie est impropre à établir que le 16 avril 1991 elle était personnellement informée de la situation de cette dernière société ;

Qu'il s'ensuit que les conditions d'application de l'article 1116 du Code civil sont réunies et qu'en conséquence, réformant sur ce point le jugement entrepris, il y a lieu de déclarer nu] l'acte de caution du 16 avril 1991 et de débouter la BPC de sa demande en ce qu'elle est dirigée contre Madame Lallemode;

Que l'échec partiel de la BPC prive de fondement sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur Lallemode à payer à la Banque Parisienne de Crédit 300 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 1992, Et y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts à partir du 21 juin 1996, Le réformant pour le surplus, Et statuant à nouveau, Déclare nul l'acte de caution du 16 avril 1991, Déboute la Banque Parisienne de Crédit de ses demandes dirigées contre Madame Lallemode, Rejette la demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Monsieur Lallemode aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement, pour ceux d'appel, par la SCP Lambert-Debray-Chemin, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.