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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 25 mars 2005, n° 03-01230

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoire CDD (SAS)

Défendeur :

Laboratoires Gynéas (SARL), Rimos (Sté), Prince Médical (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

Mes Huygue, Teytaud, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot

Avocats :

Mes Moatty, Bernier, Akaoui-Carnec

TGI Paris, du 29 oct. 2002

29 octobre 2002

LA COUR est saisie de l'appel formé par la société par actions simplifiée Laboratoires CDD (ci-après la société CDD) à l'encontre du jugement rendu contradictoirement par le Tribunal de grande instance de Paris le 29 octobre 2002 qui a :

- débouté la société CDD de ses demandes ;

- condamné la société CDD à payer :

- à la société Gynéas la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 4 500 euro en application de l'article 700 du NCPC,

- à la société Prince Médical la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du NCPC ;

- débouté la société Rimos et la société Prince Médical de leurs autres demandes ;

- condamné la société CDD aux entiers dépens.

Il convient de rappeler que la société CDD a été créée en 1964 et a comme activité la commercialisation de matériels médicochirurgicaux à usage unique destinés aux gynécologues-obstétriciens. Elle distribue notamment quatre gammes de produits : des dispositifs destinés aux prélèvements, des dispositifs destinés à l'insémination artificielle, des dispositifs destinés à la fécondation in vitro et des matériels divers destinés à l'exploration fonctionnelle.

Pour exercer son activité, la société CDD est notamment propriétaire :

- de la marque française Dome déposée le 22 octobre 1990 et enregistrée sous le n° 1 622 624 pour désigner différents produits de la classe 10 ;

- de la marque française Amniotic déposée le 14 mars 1991 et enregistrée sous le n° 1 649 920 pour désigner différents produits de la classe 10.

Estimant que les produits offerts sur son catalogue 2000 par la société Gynéas sont quasiment identiques aux siens, la société CDD a assigné celle-ci le 13 septembre 2000 en contrefaçon et concurrence déloyale ainsi qu'en indemnisation.

Les 18 et 19 avril 2001, la société Gynéas a assigné ses fournisseurs, la société Rimos et la société Prince Médical en garantie.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 8 décembre 2004, la société CDD, appelante, demande à la cour de :

- dire et juger que la société Gynéas en reproduisant et en faisant usage du signe Dome pour décrire un produit destiné aux inséminations artificielles, s'est rendue coupable de contrefaçon par reproduction de la marque Dome appartenant à la société CDD, déposée le 22 octobre 1990 et enregistrée sous le n° 1 622 624 ;

- dire et juger que ces actes tombent sous le coup des dispositions des articles L. 713-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

- dire et juger qu'en faisant usage de la dénomination Amnioper pour désigner un instrument d'obstétrique, la société Gynéas s'est rendue coupable de contrefaçon par imitation de la marque Amniopic appartenant à la société CDD, déposée le 14 mars 1991 et enregistrée sous le n° 1 649 920, dans les termes de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;

- dire et juger que ces actes tombent sous le coup des dispositions des articles L. 713-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

- faire interdiction à la société Gynéas de faire usage des dénominations Dome et Amnioper à quelque titre que ce soit, pour désigner les instruments médicaux à usage gynécologique ou d'obstétrique, et ce, sous astreinte de 500 euro par infraction constatée, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Gynéas en réparation du préjudice qu'elle a causé à la société CDD par les actes de contrefaçon de marque dont elle s'est rendue coupable à son égard, au paiement d'une indemnité de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

- dire et juger que la société Gynéas s'est également rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaires au préjudice de la société CDD, dans les termes des dispositions de l'article 1382 du Code civil, en mettant sur le marché des produits dont l'apparence et les caractéristiques imitent des dispositifs précédemment commercialisés par la société CDD, en particulier :

- un dispositif dit Emdobiops imitant la Pipelle de cornier de la société CDD,

- un produit Amnioper imitant le produit Amniopic de la société CDD,

- un produit dit "Coupelle pour IAD/IAC" imitant le Dome de Belaisch de la société CDD,

- un produit Endocram ou Endocam imitant le produit Endoscan de la société CDD ;

- faire interdiction à la société Gynéas de continuer à commercialiser les produits constitutifs de concurrence déloyale, et ce, sous une astreinte de 500 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Gynéas en réparation du préjudice qu'elle a causé à la société CDD, par la concurrence déloyale dont elle s'est rendue coupable à son égard, au paiement d'une indemnité de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la société Gynéas à verser à la société CDD la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du NCPC et en tous les dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 novembre 2004, la société à responsabilité limitée Laboratoires Gynéas (ci-après la société Gynéas), intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

- ordonner la capitalisation des intérêts relatifs aux condamnations prononcées par le tribunal ;

- constatant le caractère particulièrement abusif de l'appel relevé, condamner la société CDD à lui verser la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

- la condamner à payer à la société Gynéas la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens ;

Subsidiairement,

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel en garantie régularisé en première instance à l'encontre de la société Rimos et de la société Prince Médical ;

- condamner les sociétés Rimos et Prince Médical à indemniser la société Gynéas au titre du préjudice qu'elle subirait dans l'hypothèse où elle serait condamnée envers la société CDD, au titre des articles respectivement par elles vendus, et ce, pour le montant des condamnations qui pourraient être prononcées par la cour à l'encontre de ladite société Gynéas en principal, dommages et intérêts, intérêts, frais et dépens ;

- condamner les sociétés Rimos et Prince Médical aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 16 décembre 2004, la société à responsabilité limitée Prince Médical, intimée, demande à la cour de :

- déclarer irrecevable et en toute hypothèse mal fondé l'appel interjeté par la société CDD ;

- constater l'abandon par la société CDD de ses demandes au titre de contrefaçon ou de concurrence déloyale pour l'hystéromètre ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- constater que la société Prince Médical n'a commis aucun acte de contrefaçon ;

- constater que la société Prince Médical n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ;

- constater qu'en l'absence d'acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale de la part de la société Prince Médical, la demande d'appel en garantie à son égard formulée par la société Gynéas est dépourvue d'objet ;

- débouter la société Gynéas de sa demande en garantie dirigée à l'encontre de la société Prince Médical ;

- condamner in solidum la société CDD et la société Gynéas à verser à la société Prince Médical la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- condamner in solidum la société CDD et la société Gynéas à verser à la société Prince Médical la somme supplémentaire de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens.

La société de droit italien Rimos n'a pas constitué avoué.

Ceci étant exposé,

Sur la contrefaçon de la marque Dome

Considérant que la société CDD est titulaire de la marque dénominative Dome déposée le 22 octobre 1990, enregistrée sous le n° 1 622 624 et régulièrement renouvelée, désignant les produits relevant de la classe 10 et notamment les "appareils et instruments chirurgicaux, instruments gynécologiques, dispositif d'insémination artificielle" ;

Que cette marque est exploitée pour désigner un produit commercialisé par la société CDD, consistant dans un dispositif mis au point avec le professeur Belaisch, destiné à l'insémination artificielle et baptisé "Dome de Belaisch" ;

Que la société Gynéas a décrit dans son catalogue un produit destiné à l'insémination artificielle, dénommé "Coupelle pour IAD/IAC" comme un "dôme disposant d'un réservoir de sperme" ;

Considérant que la société Gynéas soutient que s'agissant d'un vocable générique et s'appliquant à la forme que définit l'usage auquel il est destiné, il ne peut lui être fait grief de s'y référer dans le cadre de la présentation de son produit qu'elle avait appelé d'un nom distinct "Coupelle pour IAD/IAD" ;

Mais considérant que le terme "Dôme", qui désigne une structure hémisphérique, n'est pas en l'espèce générique dès lors qu'il n'a aucun rapport avec la forme particulière du produit que la société CDD vend sous cette marque, dont le sommet n'est pas arrondi mais plat ;

Que la reprise du terme "dôme" par la société Gynéas afin de décrire un produit identique au Dôme de Belaisch de la société CDD est dès lors constitutive de contrefaçon de la marque Dome, la présence de l'accent circonflexe étant indifférente en raison de l'écriture en lettres minuscules ;

Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté le grief de contrefaçon de la marque Dôme ;

Sur la contrefaçon de la marque Amniopic

Considérant que la société CDD est titulaire de la marque dénominative Amniopic déposée le 14 mars 1991 et enregistrée sous le n° 1 649 920, dont la preuve du renouvellement n'est pas rapportée mais celui-ci n'est pas contesté par les intimés, désignant dans la classe 10 les instruments d'obstétrique notamment pour percer la poche des eaux ou pour prélèvement de liquide amniotique ;

Que la société Gynéas commercialise un perforateur de membrane amniotique sous la dénomination "Amnioper" ; que cette dénomination ne figure pas dans son catalogue mais sur l'emballage du produit commercialisé ;

Que la société Gynéas ne conteste pas commercialiser ce produit et a d'ailleurs appelé en garantie son fournisseur, la société Rimos ;

Considérant que la société CDD soutient que la marque Amniopic et la dénomination Amnioper présentent des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles indiscutables et désignent un produit strictement identique, à savoir un perforateur de membrane amniotique de sorte qu'il existe un risque de confusion ;

Mais considérant que si les produits en présence sont identiques et les signes présentent une certaine similitude, celle-ci provient de la reproduction de la racine "amnio" qui évoque la destination du produit ;

Que les terminaisons "PIC" et "PER"ont des sonorités différentes ;

Qu'enfin, la dénomination "Amnioper" est formée à partir des termes "perforateur" et "amniotique" qu'elle désigne tandis que la marque Amniopic ne renvoie pas directement à l'idée de perforateur ; que la similitude intellectuelle entre ces signes est due au fait qu'il n'existe qu'un nombre limité de termes afin de désigner les produits auxquels ils renvoient ;

Que dès lors, le risque de confusion pour les professionnels concernés (les gynécologues- obstétriciens) n'est pas avéré, ceux-ci étant habitués à employer des dénominations proches pour des produits d'origine différente et les conditions d'exploitation des deux produits (indications sur les emballages et sur les produits eux-mêmes) étant différentes ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté le grief de contrefaçon de la marque Amnioper ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société CDD soutient que la société Gynéas a copié l'apparence et la présentation des produits auxquels elle avait consacré d'importants efforts de recherche et commerciaux que sont la "Pipelle de cornier", l'"Amniopic", le "Dôme de Belaisch" et l'"Endoscann" ;

Considérant que si les produits de la société CDD et ceux de la société Gynéas présentent des caractéristiques identiques, celles-ci sont imposées par leur fonction technique ;

Que toutefois, les produits de la société Gynéas sont présentés dans des emballages similaires à ceux de la société CDD, à savoir une face transparente et une face papier sur laquelle figurent des mentions en bleu sur fond blanc ;

Que si la face transparente est imposée par des motifs fonctionnels ainsi que le soutient la société Gynéas, il n'en est pas de même des couleurs susmentionnées ;

Que la société Gynéas a par conséquent commis des faits distincts de concurrence déloyale en imitant le conditionnement des produits de la société CDD, ce qui a pu induire la clientèle de la société CDD en erreur et la détourner, ainsi qu'en témoignent les attestations des docteurs Naett et Fauck qui reconnaissent avoir confondu les produits des deux sociétés ;

Qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur les arguments de la société CDD tenant à l'embauche de Mme Gallez et M. Schnitzer ;

Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CDD au titre de la concurrence déloyale ;

Sur le parasitisme

Considérant que la société CDD soutient également qu'en se livrant à l'imitation de ses produits ainsi qu'à la présentation analogue de ses catalogues, la société Gynéas a ainsi pu offrir à la vente ses produits à un prix inférieur et détourner sa clientèle, ce qui est constitutif de parasitisme :

Considérant toutefois que c'est avec motifs justes et pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont relevé que la présentation des catalogues 2000 des sociétés CDD et Gynéas est très différente ; qu'en effet, alors que le catalogue CDD présente chacun de ses produits avec une grande sobriété sur une page avec le dessin du produit et une description en utilisant à chaque fois deux couleurs (bleu et rouge), sans indication de prix, le catalogue Gynéas est rempli de couleurs, les produits étant photographiés à plusieurs reprises sous des angles différents et le prix figurant en exergue en couleur jaune sur fond rouge pour attirer l'attention ;

Que la société CDD ne justifie pas que les prix pratiqués par la société Gynéas sont illicites, celle-ci justifiant s'approvisionner tant auprès de sa société-mère, la société LCH qu'auprès de sociétés autres qui fournissent également la société CDD (la société Rimos et la société Prince Médical) ;

Que dans ces conditions, la demande formée par la société CDD au titre du parasitisme sera rejetée et qu'il convient de confirmer les premiers juges sur ce point ;

Sur le préjudice et les mesures réparatrices

Considérant que la société intimée produit aux débats des documents comptables justifiant une diminution des ventes du produit Dôme de Belaisch entre 1998 et 2000, lesquelles sont passées de 3 645 à 2 096 unités, ce qui correspond à une perte de marge de 4 804 F ;

Que le préjudice subi par la société CDD du fait de la contrefaçon de sa marque Dôme par la société Gynéas sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que la vente pour l'année 2000 des produits Amniopic, Pipelle de Cornier, Dôme de Belaisch et Endoscann se chiffre respectivement à 174 508 F, 1 409 900 F, 49 194 F et 1 428 F, soit un total de 1 635 030 F, soit environ 250 000 euro ; que la preuve n'est toutefois pas rapportée par la société CDD d'une baisse de vente significative de ses produits, autres que le Dôme de Belaisch et Endoscann (perte de marge pour ce dernier produit en 2000 : 2023 F) ;

Que, compte tenu des éléments produits, le préjudice subi par la société CDD du fait de la concurrence déloyale de la société Gynéas sera justement évalué à la somme de 25 000 euro ;

Qu'il sera fait interdiction à la société Gynéas de faire usage de la dénomination Dôme pour désigner les instruments médicaux à usage gynécologique ou d'obstétrique, et ce, sous astreinte de 500 euro par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt ;

Sur la procédure abusive

Considérant que l'action de la société CDD ayant été pour partie accueillie, la demande pour procédure abusive des intimées sera rejetée ;

Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société CDD pour procédure abusive ;

Sur l'appel en garantie

Considérant que la société Gynéas appelle en garantie la société Rimos qui est notamment le fabricant du produit "Coupelle pour IAD/IAC" ;

Considérant toutefois que le produit "Coupelle pour IAD/IAC" n'est pas en lui-même contrefaisant ; que la contrefaçon réside dans l'utilisation du terme "dôme" dans son descriptif tel qu'il figure dans le catalogue de la société Gynéas ; qu'en conséquence, la société Rimos ne doit pas garantie à la société Gynéas pour la contrefaçon de la marque Dôme ;

Sur l'article 700 du NCPC et les dépens

Considérant que la société Gynéas sera condamnée à verser à la société CDD la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté le grief de contrefaçon de la marque Amniopic ; Statuant de nouveau ; Dit que l'utilisation du terme "dôme" par la société Gynéas afin de désigner un produit destiné à l'insémination artificielle contrefait la marque Dôme n° 1 622 624 de la société CDD ; Fait interdiction à la société Gynéas de faire usage de la dénomination Dôme pour désigner les instruments médicaux à usage gynécologique ou d'obstétrique, et ce, sous astreinte de 500 euro par infraction constatée, à compter du 15e jour suivant la signification du présent arrêt ; Condamne la société Gynéas, à payer à la société CDD pour contrefaçon la somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts ; Dit que la société Gynéas s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société CDD ; Condamne la société Gynéas à verser à la société CDD la somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts à ce titre ; Condamne la société Gynéas à verser à la société CDD la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Rejette toute autre demande ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Gynéas aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC par Maître Huygue.