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Décisions

CA Riom, 4e ch. soc., 29 novembre 2005, n° 05-01004

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cheymol

Défendeur :

Lyreco France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gayat de Wecker

Conseillers :

Mme Sonokpon, M. Thomas

Avocats :

Mes Bazy, Azam

Cons. prud'h. Clermont-Ferrand, du 26 ja…

26 janvier 2004

Faits et Procédure

M. Richard Cheymol a été embauché par la SAS Lyreco France en qualité de VRP par un contrat de travail à durée indéterminée du 26 août 1987.

Le 28 juillet 1998, un nouveau contrat de travail a été signé entre les parties prévoyant pour M. Cheymol un statut d'attaché commercial, statut cadre, et application de la Convention collective nationale étendue des commerces de gros.

Saisi par le salarié qui sollicitait l'annulation du contrat d'attaché commercial et la reconnaissance de son statut de VRP, le Conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand, par jugement du 26 janvier 2004, l'a débouté de ses demandes.

M. Cheymol a relevé appel de ce jugement le 6 février 2004.

Prétentions des parties

M. Cheymol concluant à la réformation, fait valoir que le statut de VRP est d'ordre public et que, quelle que soit la qualification donnée par les parties à leurs rapports, les clauses insérées dans le contrat de travail incompatibles avec ce statut de VRP ne peuvent tenir en échec l'application du statut dès lors qu'il se vérifie dans les faits que le salarié satisfait aux conditions énoncées par l'article L. 751-1 du Code du travail.

Il soutient qu'il remplit ces conditions puisqu'il procède à la prospection d'une clientèle, qu'il a une activité de démarchage personnel auprès des clients, qu'il prospecte à l'extérieur de l'entreprise et qu'il prend et transmet des ordres.

Il ajoute que cette activité est exercée à titre exclusif et constant et non pour son propre compte, que l'exercice de tâches accessoires est compatible avec le statut et que, depuis le début de son activité, il a toujours eu un secteur stable, à savoir le Puy-de-Dôme.

Selon lui, le fait que l'employeur intervienne dans l'organisation de la prospection n'est pas incompatible avec le statut et que le paiement à la commission ne conditionne pas l'application du statut.

Il estime que l'employeur lui a fait signer un contrat d'attaché commercial en violation des dispositions relatives au statut des VRP.

Par comparaison entre son salaire antérieur et le salaire perçu depuis 1998, il soutient avoir perdu 35 000 euro environ.

Il ajoute qu'il a subi une pression constante avec des moyens mis à sa disposition non appropriés et une absence totale de reconnaissance qui est à l'origine d'un état dépressif grave.

Il sollicite :

1) de dire nul le contrat d'attaché commercial du 1er mai 1998 pour violation du statut d'ordre public de VRP ou, à titre subsidiaire, pour vice du consentement en raison des manœuvres dolosives de l'employeur,

2) de condamner, en conséquence la SAS Lyreco France à lui payer les sommes de :

- 35 000 euro à titre de rappel de salaire et accessoires depuis le mois d'août 1998 ainsi que celle de 3 500 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, si le contrat du 1er mai 1998 n'était pas annulé, il demande la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 126 000 euro correspondant à 3 ans de commissions au titre de l'indemnité de clientèle.

La SAS Lyreco France sollicite la confirmation du jugement, le rejet des demandes de M. Cheymol et la condamnation de celui-ci à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir que les obligations du salarié sont très différentes de celles qui découlent du contrat de VRP, que l'attaché commercial a pour mission de promouvoir les ventes et le conseil auprès de la clientèle, qu'il a aussi une mission de remontée d'informations vers la direction commerciale.

Elle estime que M. Cheymol n'apporte pas la preuve de ses allégations et que les critères du statut de VRP ne sont pas remplis puisque l'activité principale de M. Cheymol n'est pas la prise d'ordres et qu'il n'a pas la responsabilité exclusive d'un secteur géographique fixe.

Elle soutient que M. Cheymol a signé l'avenant à son contrat de travail en toute connaissance de cause, soulignant que la nouvelle organisation a été mise en place après consultation des représentants du personnel et que le salarié aurait pu rester VRP s'il l'avait souhaité.

Elle soutient qu'aucune indemnité de clientèle n'est due en l'absence de rupture du contrat de travail et de préjudice.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.

Discussion

Sur la recevabilité

La décision contestée ayant été notifiée le 29 janvier 2004, l'appel, régularisé le 6 février 2004, est recevable au regard du délai d'un mois prescrit par les articles 538 du nouveau Code de procédure civile et R. 517-7 du Code du travail.

Sur les fonctions réellement exercées

Les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail régissent le statut de VRP en ces termes :

Les conventions dont l'objet est la représentation, intervenues entre les voyageurs, représentants ou placiers d'une part et leurs employeurs, d'autre part, sont, nonobstant toute stipulation expresse du contrat ou en son silence, des contrats de louage de services lorsque les voyageurs, représentants ou placiers :

1. travaillent pour le compte d'un ou plusieurs employeurs ;

2. exercent en fait d'une façon exclusive et constante leur profession de représentant ;

3. ne font effectivement aucune opération commerciale pour leur compte personnel ;

4. sont liés à leurs employeurs par des engagements déterminant la nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat, la région dans laquelle ils doivent exercer leur activité ou les catégories de clients qu'ils sont chargés de visiter, le taux des rémunérations.

L'absence de clauses interdisant soit l'exercice d'une autre profession, soit l'accomplissement d'opérations commerciales personnelles ne peut faire obstacle à l'application des dispositions ci-dessus.

Il résulte de ces dispositions que le statut des VRP est applicable dès lors que les conditions sont réunies, quelle que soit la qualification que les parties ont pu donner à leurs relations contractuelles, les clauses incompatibles avec le statut ne pouvant tenir en échec l'application de ce statut qui est d'ordre public.

En l'espèce, même si M. Cheymol a signé, le 28 juillet 1998, un contrat de travail par lequel il était stipulé qu'il occuperait les fonctions d'attaché commercial, il convient, nonobstant la qualification donnée, de rechercher si, en fait, compte tenu des fonctions réellement exercées, le salarié réunit les conditions pour se voir appliquer le statut des VRP, étant précisé que si une seule des conditions légales fait défaut, le statut n'est pas applicable.

En application de l'article L. 751-1 précité, ce statut ne s'applique qu'aux personnes qui, d'une part, ont une activité de prospection, laquelle se caractérise par la visite d'une clientèle, à l'extérieur de l'entreprise, dans le but de prendre ou de provoquer des ordres, et qui, d'autre part, exercent l'activité de représentant de manière exclusive et constante.

Le contrat en cause du 28 juillet 1998 précise que l'attaché commercial devait assurer la promotion des ventes et suivre un portefeuille de clientèle lequel était constitué par celui sur lequel le salarié exerçait son activité antérieurement avec cette précision que l'employeur se réservait la possibilité de le modifier.

Le salarié avait pour fonction essentielle de "prospecter, suivre et développer" le chiffre d'affaires réalisé auprès de la clientèle constituée des entreprises et administrations de son portefeuille.

Il était précisé que les actions de promotion des ventes et de conseil se ferait en coordination et avec l'assistance technique et commerciale mis à disposition par la société et il était spécifié que "l'attaché commercial ne prendra pas de commande chez le client, sauf si la situation spécifique de ce dernier l'exige".

La rémunération était composée d'une partie fixe et d'une prime sur objectifs calculée en fonction des objectifs de développement du chiffre d'affaire, de la prospection et de la fidélisation des clients.

L'employeur ne conteste pas que M. Cheymol pouvait prendre des ordres mais il soutient que cette activité n'était qu'occasionnelle, son activité principale consistant à promouvoir les ventes et à exercer une activité de conseil auprès de la clientèle.

Il explique qu'en 1998, a été mise en place une nouvelle organisation consistant dans l'installation, au siège de la société, d'une nouvelle structure intitulée "service clients", chargée notamment de recevoir les commandes des clients, l'action de ce service étant relayée sur le terrain par les attachés commerciaux et il justifie que ce service, qui comprend plusieurs secteurs (plate-forme téléphone, commandes écrites, etc...) est composé de 232 conseillers commerciaux.

Il résulte des éléments versés aux débats que l'activité de prospection n'est pas réservée exclusivement à M. Cheymol sur son secteur puisque le service mis en place au siège de la société a pour mission d'intervenir auprès des clients et de développer le chiffre d'affaires, notamment sur ce secteur.

Les bilans d'activité quotidiens de M. Cheymol pour l'année 2003 ainsi que les récapitulatifs des commandes prises ou reçues directement par le service "clients" font apparaître qu'en 2001, la part de M. Cheymol dans la réalisation du chiffre d'affaires est de 14,48 % et que les prises d'ordre faites par lui concernent 12,56 % des clients qui ont commandé dans son secteur. Les pourcentages sont inférieurs en 2002 (respectivement 2,82 % et 3,25 %) et en 2003 (1,11 % et 1,94 %).

M. Cheymol soutient qu'une grande partie des commandes enregistrées par le service "clients" serait consécutive à la visite de l'attaché commercial chez le client mais il n'en apporte aucunement la preuve alors que l'employeur justifie que la mission des conseillers commerciaux affectés au service "clients" ne se limite pas à l'enregistrement de commandes et qu'ils ont une action de vente pour lesquelles ils perçoivent des primes.

Le bilan des commandes produit par l'employeur pour l'année 2004 confirme le caractère marginal de l'activité de prises d'ordres des attachés commerciaux puisqu'il fait apparaître que le nombre des commandes par téléphone représente 23,77 % de l'ensemble, le nombre de commandes par fax 46,12 % tandis que le nombre de commandes émanant des représentants n'est que 6,73%.

Dans la mesure où les critères relatifs à la prise d'ordres et à l'exercice exclusif de la profession de représentant ne sont pas réunis, M. Cheymol n'est pas fondé à revendiquer le statut de VRP.

En conséquence, il convient de le débouter de son appel et de confirmer la décision entreprise sur ce point.

Sur le consentement au contrat du 28 juillet 1998

M. Cheymol soutient que la signature du contrat du 28 juillet 1998 aurait été obtenue à la suite de manœuvres dolosives de l'employeur.

Il résulte, cependant, des éléments versés aux débats que le changement de statut proposé aux VRP en 1998 a été précédé par une concertation du comité central d'entreprise, que plusieurs réunions ont été organisées au cours desquelles le projet a été discuté et qu'une commission a été créée pour l'étudier dans laquelle ont été désignés des vendeurs. Au terme de la réunion du 18 mars 1998, les membres du comité central d'entreprise ont estimé que "le projet de contrat est intéressant pour les entrants dans l'Entreprise, les vendeurs ayant de faibles revenus vont pouvoir changer d'échelon et de niveau et donc avoir une progression. Par contre, il nous parait moins motivant pour les vendeurs qui ont pris une situation de découpe de secteur ou de reprise de clients, ... qui vont se retrouver dans un niveau qu'ils considéreront inférieur à celui qu'ils auraient pu occuper compte tenu du travail effectué et des résultats antérieurs. L'avis des membres du CCE est le suivant : avis favorable: 1 personne, avis défavorable : 4 personnes, avis réservé : 6 personnes".

Il convient de relever que M. Cheymol qui était représentant du personnel depuis 1997 et membre du comité central d'entreprise a été destinataire des documents d'informations fournis par l'employeur et a pu participer aux discussions organisées. Il est donc établi qu'il a signé le contrat du 28 juillet 1998 en ayant connaissance des conditions applicables au nouveau statut.

Il est, en outre, constant que le changement de statut s'est fait sur la base du volontariat et que ceux qui ont souhaité rester VRP le sont restés.

M. Cheymol qui soutient que l'employeur aurait fait une fausse présentation de la situation et aurait trompé les salariés pour obtenir leur signature n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses affirmations.

Aucun des éléments versés aux débats ne permet de mettre en évidence l'existence d'une tromperie alors que les 42 VRP qui avaient décidé de conserver leur statut ont progressivement accepté le nouveau statut à 3 exceptions près.

Il n'est, en conséquence, nullement démontré que le consentement de M. Cheymol aurait été vicié et le jugement qui a débouté le salarié de sa demande d'annulation du contrat du 28 juillet 1998 sera confirmé.

Sur la demande au titre du préjudice moral

M. Cheymol qui se plaint d'un état dépressif depuis 2001, produit un certificat de son médecin traitant faisant état de surmenage, de surcharge de travail et même de harcèlement.

Il soutient qu'il serait victime d'une longue dégradation de ses conditions de travail imputable à l'employeur.

Les éléments versés aux débats ne permettent, cependant, pas d'établir un quelconque comportement fautif de l'employeur.

Ainsi qu'il a été examiné ci-dessus, il n'apparaît pas que le changement de statut de M. Cheymol a été obtenu de manière dolosive.

M. Cheymol ne justifie nullement que l'employeur lui fixerait des "objectifs le plus souvent irréalisables" et il n'apporte aucun élément de preuve des pressions qu'il dit subir de la part de l'employeur.

Il n'est pas fondé à soutenir se voir contraint à "des tâches administratives rébarbatives" alors qu'il s'agit des tâches mêmes qui découlent de ses nouvelles fonctions d'attaché commercial (établissement de rapports journaliers d'activité, transmission au chef des ventes des informations relatives au marché et à la concurrence, etc...) telles qu'elles sont prévues à son contrat de travail.

Les prétentions de M. Cheymol ne sont pas fondées et le jugement qui l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts sera confirmé.

Sur l'indemnité de clientèle

L'article L. 751-9 du Code du travail dispose : "En cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur et lorsque cette résiliation n'est pas provoquée par une faute grave de l'employé, ainsi que dans le cas de cessation du contrat par suite d'accident ou de maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail de l'employé, celui-ci a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, compte tenu des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions qui pourraient être constatées dans la clientèle préexistante et provenant du fait de l'employé".

Il en résulte que l'indemnité de clientèle n'est due qu'en cas de rupture du contrat de travail du fait de l'employeur et qu'en l'absence de rupture, M. Cheymol ne peut y prétendre.

Même à supposer que le contrat initial de VRP doive être considéré comme rompu par la signature du contrat du 28 juillet 1998, cette rupture ne peut être imputée à l'employeur puisque M. Cheymol avait la liberté de refuser le nouveau contrat et de conserver le statut de VRP. L'indemnité de clientèle n'étant pas due en cas de rupture du contrat de travail d'un commun accord, le salarié doit être débouté de sa demande à ce titre.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement : En la forme, Déclare l'appel recevable, Au fond, Confirme le jugement, Y ajoutant, Déboute M. Richard Cheymol de sa demande au titre de l'indemnité de clientèle, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que M. Richard Cheymol doit supporter les dépens de première instance et d'appel.