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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 22 mars 2001, n° 98-05216

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Debflex (SA)

Défendeur :

Delamare

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

M. Pérignon, Mme Brumeau

Avoués :

SCP Gallière Lejeune Marchand Gray, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault

Avocats :

Mes Bignon, Borfiga, Dubos

T. com. Rouen, du 19 oct. 1998

19 octobre 1998

Les faits et la procédure :

Le 28 août 1989, un contrat d'agent commercial a été conclu entre M. Delamare et la société Debflex, spécialisée dans la fabrication et le conditionnement de câbles et petits équipements électriques, portant sur les départements du Calvados, de la Manche et de l'Orne et concernant la clientèle des quincailliers, des vendeurs de bricolage et leurs groupements.

La rémunération de M. Delamare consistait en une commission sur les commandes enregistrées de façon directe ou indirecte, fixée à 5 % de la commande et à 2,5 % pour les commandes émanant des hypermarchés, à laquelle s'ajoutait une majoration de 40 % du taux de base pour assurer la couverture des charges du statut d'agent commercial indépendant de M. Delamare.

Le 17 décembre 1990, M. Delamare a acquis le secteur du département de l'Eure, puis le 5 janvier 1995, celui de la Seine-Maritime ainsi que la clientèle du "B3" de Fécamp, et des magasins Leroy-Merlin d'Isneauville, de Tourville la Rivière et de Montivilliers.

Le 17 novembre 1993, la société Debflex a adressé un courrier à M. Delamare pour se plaindre de ne pas avoir de nouvelles régulières et demander des rapports de visites toutes les trois semaines.

Le 24 novembre 1997, la SA Debflex a adressé à M. Delamare une lettre lui reprochant une organisation professionnelle non satisfaisante et lui demandant des rapports de visites hebdomadaires, puis, le 29 décembre 1997, une lettre recommandée avec accusé de réception ayant le même objet.

Le 3 février 1998, M. Delamare a écrit à la société Debflex pour lui réclamer des rappels de commissions restant dues à concurrence de 382 753 F TTC, portant sur la période de janvier 1991 à décembre 1997.

Le 23 mars 1998, la société Debflex a signifié à M. Delamare la rupture du contrat pour faute grave, sans préavis.

Le 25 mai 1998, M. Delamare a fait assigner la SA Debflex devant le Tribunal de commerce de Rouen qui, par jugement rendu le 19 octobre 1998, a :

- dit qu'aucune faute grave ne peut être mise à la charge de M. Delamare,

- condamné la société Debflex à payer à M. Delamare la somme de 386 277,82 F à titre de rappel de commissions sous réserve de vérification,

- avant dire droit au fond, nommé M. Daniel Canton, en qualité d'expert avec pour mission de se faire communiquer toutes factures relatives au rappel énoncé et d'en vérifier le montant,

- par application des dispositions de l'article 138 du nouveau Code de procédure civile, ordonné à la centrale d'achats Bricomarché de produire les chiffres d'affaires réalisés par la société Debflex sur les départements du Calvados, Orne, Manche, Eure et Seine-Maritime,

- donné acte à M. Delamare de sa demande relative au rappel de commissions sur les livraisons effectuées sur son secteur en exclusivité, aux magasins Bricomarché,

- condamné la société Debflex à payer à titre provisionnel à M. Delamare les sommes de 64 774,55 F TTC à titre d'indemnité de préavis et de 429 672 F HT à titre d'indemnité compensatrice,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Debflex à payer à M. Delamare la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- réservé les dépens.

Le 12 novembre 1998, la SA Debflex a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 2 février 2001, la SA Debflex expose notamment que :

- malgré deux avertissements donnés en 1993 et 1997, l'activité de M. Delamare s'est dégradée et ses résultats sont devenus notoirement insuffisants ; l'insuffisance du chiffre d'affaires, l'irrégularité des visites aux clients et le défaut d'information du mandant constituent des manquements graves aux obligations contractuelles et légales de M. Delamare, qui justifient la rupture sans indemnités du contrat d'agent commercial par la SA Debflex,

- subsidiairement, les indemnités de préavis et de rupture devraient être réduites car elles ne peuvent être calculées que sur la base des commissions effectivement versées et non sur celle, hypothétique, des commissions réclamées à tort par M. Delamare,

- l'expertise judiciaire réalisée en cours de procédure a permis d'établir l'exactitude de la position de la SA Debflex quant au taux de rémunération et aux commissions versées à M. Delamare qui doit être débouté des demandes formées à ce titre,

- en toute hypothèse, ses demandes, qui portent sur sommes à paiement périodique, sont frappées par la prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du Code civil et les intérêts moratoires doivent être calculés non pas sur les sommes dues TTC mais HT,

- en tout état de cause, par application des dispositions du contrat, les commissions ne sont pas dues sur les magasins non visités quel que soit le chiffre d'affaires réalisé.

La SA Debflex demande en conséquence à la cour d'infirmer la décision déférée et de :

A titre principal,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rouen en date du 19 octobre 1998 en toutes ses dispositions,

- débouter M. Delamare de toutes ses demandes,

- en conséquence, condamner M. Delamare à restituer à la SA Debflex les sommes de 512 230,06 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 1999, date de leur versement et de 436 351,43 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2000,

- constater que les commissions dues par la SA Debflex à M. Delamare au titre du 1er trimestre 1998 s'élèvent à 37 272,30 F TTC,

A titre subsidiaire,

- dire que la prescription quinquennale s'applique aux commissions versées par la SA Debflex à M. Delamare,

- en conséquence, condamner M. Delamare à restituer à la SA Debflex la somme de 59 521 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2000,

- constater que les intérêts moratoires dus sur les commissions réclamées par M. Delamare s'élèvent à 41 152,97 F,

- en conséquence, condamner M. Delamare à restituer à la SA Debflex la somme de 7 881,22 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2000,

- constater que l'indemnité compensatrice de préavis de M. Delamare s'élève à 21 524 F et l'indemnité de rupture à 172 190,40 F,

- en conséquence, condamner M. Delamare à restituer à la SA Debflex la somme de 303 126,80 F (43 595 + 259 531,80), augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 1999,

A titre reconventionnel,

- condamner M. Delamare à payer à la SA Debflex la somme de 161 695 F augmentée des intérêts légaux à compter du 15 décembre 2000,

- à titre subsidiaire, condamner M. Delamare à payer à la SA Debflex la somme de 55 185,22 F augmentée des intérêts légaux à compter du 1er mars 1999,

En tout état de cause,

- condamner M. Delamare à payer à la SA Debflex la somme de 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner M. Delamare aux dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2001, M. Delamare soutient essentiellement que :

- les griefs invoqués par la SA Debflex sont totalement infondés et contraires tant au statut de travailleur indépendant de l'agent commercial qu'aux dispositions du contrat du 28 août 1989, preuve étant par ailleurs apportée que les visites à la clientèle ont été effectuées régulièrement et que le chiffre d'affaires réalisé a progressé de 250 % entre 1991 et 1997 ainsi qu'il résulte notamment du rapport d'expertise judiciaire ; la rupture unilatérale du contrat par la SA Debflex est donc abusive et doit donner lieu à réparation conformément aux dispositions de la loi du 25 juin 1991,

- s'agissant des commissions, la SA Debflex ne conteste pas valablement l'application du taux de commissionnement de 5 % majoré de 40 % puis 42 %, accepté par circulaires, ni du fait que la totalité des sommes dues n'a pas été réglée du fait de " l'oubli " de certaines factures servant de base au calcul des commissions,

- la SA Debflex doit donc payer les commissions dont le montant a été fixé de manière incontestable par l'expert, la prescription quinquennale, qui repose sur une présomption de paiement, ne pouvant jouer car le montant exact de la créance n'a pu être connu de M. Delamare du fait des agissements de la SA Debflex,

- toute indemnité allouée en contrepartie d'une prestation qui aurait dû être fournie étant astreinte à la TVA, les intérêts légaux doivent être calculés sur les indemnités TTC et non HT comme le prétend la SA Debflex.

M. Delamare demande donc à la cour de:

- confirmer la décision entreprise en son principe et débouter la SA Debflex de ses demandes,

- vu le rapport d'expertise déposé par M. Canton,

- condamner la société Debflex à lui régler à titre principal la somme de 379 579,30 F TTC à titre de rappel de commissions,

- lui donner acte qu'il se réserve de former une demande de rappel de commissions sur les livraisons effectuées sur son secteur en exclusivité, aux magasins Bricomarché,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Debflex à lui régler une indemnité de préavis, en application de la loi du 25 juin 1991 (article 11, alinéas 2 et 3) et dire que cette indemnité courra jusqu'à la fin d'un mois civil soit, pour la réception de la lettre le 1er avril 1998, un préavis courant jusqu'au 30 juillet 1998, soit une indemnité de 85 645,92 F,

- condamner la société Debflex à lui régler une somme de 492 672 F HT à titre d'indemnité compensatrice avec intérêts de droit à dater de l'assignation 28 mai 1998,

- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,

- condamner la société Debflex à lui régler une somme de 48 240 F TTC en application de l'article 700 NCPC ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise de M. Canton.

Sur ce, LA COUR :

- Sur le rappel des commissions :

Attendu qu'aux termes du contrat du 28 août 1989, les commissions sont calculées sur toute commande directe ou indirecte, à condition que le client ait été visité au moins une fois, puis régulièrement et que les commandes acceptées soient payées, à hauteur de 5 % sur l'ensemble des articles et de 2,5 % " pour les hypers dont les centrales sont visitées par nos autres collaborateurs ou nous-mêmes "; que ces commissions sont majorées de 40 % pour assurer la couverture des frais professionnels de M. Delamare ;

Que par circulaire du 5 janvier 1995, la SA Debflex a porté à 42 % des commissions la majoration pour frais professionnels à compter du 1er janvier 1995 ;

Attendu que contrairement à ce qu'affirme M. Delamare, la SA Debflex n'a pas, aux termes de ses circulaires, entendu porter à 5 % le taux de commissionnement de base sur l'ensemble des clients, avec effet rétroactif au jour du contrat initial ;

Qu'en effet, les circulaires versées aux débats visent uniquement soit un groupe de magasins (Mammouth, circulaire non datée signée de M. Riche, chef des ventes), soit des opérations ponctuelles sur des produits limitativement désignés (circulaires n° 14014, 13070, 13032, 13078, 13156, 13183, 13242, 13236, 13259, 13326, 13357 et 13388) ;

Que c'est donc par une appréciation erronée des faits que le tribunal a retenu que le taux de commissionnement applicable hors majoration pour frais professionnels, devait être uniformément fixé à 5 % ;

Attendu qu'ainsi que l'a d'ailleurs justement relevé l'expert judiciaire en réponse aux dires des parties, n'ayant pas reçu mission de rechercher les taux de commission applicables aux factures correspondantes ni de calculer les commissions effectivement dues en fonction de ces taux, il ne pouvait vérifier les calculs effectués par M. Delamare que sur la base du taux brut uniforme de 5 % retenu par celui-ci ;

Attendu que compte tenu de ces observations, les éléments versés aux débats ne permettant pas à la cour de fixer avec exactitude le montant des commissions effectivement dues par la SA Debflex à M. Delamare et, par conséquent, de dire si les demandes formées par celui-ci à ce titre sont ou non justifiées et si oui, dans quelle proportion, il convient de recourir à une nouvelle mesure d'expertise et de surseoir à statuer sur ces demandes ainsi que sur les questions de la prescription quinquennale et de l'éventuelle restitution d'un trop perçu soulevées par la SA Debflex ;

- Sur la rupture du contrat :

Attendu que le contrat signé par les parties le 28 août 1989 prévoit que la clientèle (quincailliers et leurs groupements, bricoleurs et leurs groupements et hypermarchés) doivent " faire l'objet de visites suivies suivant l'importance " (page 1) ; qu'il est précisé sous la rubrique " conditions de travail " (page 2) que " M. Antoine Delamare s'engage à visiter régulièrement, et aux époques les plus propices, la clientèle du secteur qui lui est accordé en exclusivité et à tenir la société Debflex au courant de son activité, notamment à lui faire part des réactions et désirs de la clientèle chaque fois que nécessaire " ; qu'il doit être relevé que la phrase suivante: " par des comptes rendus de tournées réguliers ", insérée après le mot " activité ", a été rayée et qu'il est précisé qu'en " raison de l'importance attachée à cette obligation, son inexécution sera considérée comme une faute grave " ;

Qu'à cet égard, il convient de constater que, contrairement aux affirmations de la SA Debflex, le retrait de la phrase " par des comptes rendus de tournées réguliers " a fait l'objet d'un paraphe en marge par l'ensemble des parties ; que dès lors, seul cet exemplaire du contrat doit être retenu comme probant, aucun autre document contractuel n'ayant d'ailleurs été produit par la SA Debflex ;

Qu'il est par ailleurs stipulé page 3 du document que " M. Delamare s'engage à exercer son activité comme il est prescrit par le statut professionnel " et que la SA Debflex s'engage à l'aider au maximum en lui fournissant le matériel et tout ce qui pourra lui être utile dans l'exercice de ses fonctions ;

Attendu en outre que le statut professionnel d'agent commercial auquel se réfère le contrat est régi par la loi du 25 juin 1991 qui rappelle en son article 1er que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ; que l'article 4 précise que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties, que les rapports entre ces cocontractants sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information et que l'agent commercial doit exécuter son mandat en " bon professionnel ", le mandant devant en contrepartie mettre celui-ci en mesure d'exécuter son mandat ;

Attendu qu'il résulte tant des dispositions contractuelles que des prescriptions légales susvisées qu'aucune périodicité de l'information du mandant ni aucun objectif commercial précis n'ont été imposés à M. Delamare, dont en définitive, les obligations en la matière étaient celles, d'ordre général, prévues par la loi ;

Attendu que par lettre du 17 novembre 1993, la SA Debflex a reproché à M. Delamare de ne pas lui avoir fourni d'informations depuis le 29 septembre 1993, tout en lui accusant réception d'un rapport reçu le matin même, et lui a demandé de lui adresser dorénavant des rapports de visite ;

Que toutefois, ce simple courrier, dépourvu de toute valeur contractuelle, ne pouvait avoir pour conséquence de modifier les obligations de M. Delamare envers le mandant ;

Que par ailleurs, la relation contractuelle s'est poursuivie postérieurement à cette lettre sans qu'aucun incident ne soit démontré ni même allégué et s'est même étendue par l'acceptation par la SA Debflex d'un taux de commissionnement plus favorable envers M. Delamare (1er janvier 1995) et par l'extension du secteur de M. Delamare à une clientèle définie d'hypermarchés spécialisés du département de la Seine-Maritime (5 janvier 1995), ce qui suppose au moins que le mandant n'avait aucun grief à reprocher à M. Delamare à cette époque ;

Qu'en outre, aux termes d'une lettre adressée à M. Delamare le 27 septembre 1996, la SA Debflex le remercie " du travail fourni ces derniers mois " ; que la SA Debflex tente de minimiser la portée de ce courrier en affirmant qu'il s'agit d'une lettre circulaire envoyée à tous ses commerciaux ; que cependant, il y a lieu de considérer que cette circulaire n'aurait pas été adressée à M. Delamare si la SA Debflex avait eu à cette époque à lui reprocher les insuffisances professionnelles alléguées ;

Attendu que par lettre simple du 24 novembre 1997, la SA Debflex a reproché à M. Delamare de ne pas faire preuve " d'enthousiasme " lors de ses contacts avec le chef des ventes et de manquer d'organisation dans son travail ; que la SA Debflex lui a également rappelé ses obligations contractuelles relatives à l'information du mandant en reproduisant toutefois une clause erronée du contrat initial puisque la phrase " par des comptes rendus de tournées réguliers ", pourtant écartée d'un commun accord, y figurait ; qu'il était également demandé à M. Delamare de remplir des rapports hebdomadaires " comme ceci est prévu dans votre contrat ", sous peine de se voir imputer une faute grave ; qu'enfin, il était rappelé que le résultat de M. Delamare était négatif (- 2,99 %) alors que celui de la société était positif (+ 12 %) ;

Que par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 1997, faisant suite à une réponse de M. Delamare du 17 décembre 1997, la SA Debflex a réitéré sa demande de lui adresser des rapports de visite hebdomadaires et lui a de nouveau reproché la stagnation de ses résultats ainsi que sa mauvaise organisation ;

Qu'enfin, en raison notamment du refus de M. Delamare d'effectuer des opérations de " merchandising " pour le compte de la SA Debflex suite à la rupture de ses relations contractuelles avec la société Moridis antérieurement chargée de cette tâche, la SA Debflex a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mars 1998, notifié à M. Delamare la rupture du contrat aux motifs qu'il avait " décidé d'entrer en conflit avec la SA Debflex ", qu'il refusait " d'effectuer des implantations de magasins, contrairement à (ses) obligations ", qu'il manifestait du désintérêt " pour son travail et qu'il refusait de faire remonter les informations du terrain " ;

Attendu que la SA Debflex ne pouvait unilatéralement modifier les obligations contractuelles pesant sur M. Delamare ni dénaturer le contrat d'agent commercial initial de celui-ci ; qu'il y a d'ailleurs lieu de relever à cet égard que dans ses documents et courriers, par ses allusions à la compétence du conseil de prud'hommes, aux " collègues " salariés de M. Delamare, etc., la SA Debflex paraît confondre de manière constante le statut d'agent commercial de celui-ci avec celui de VRP salarié ;

Attendu en outre que les lettres d'avertissements puis de rupture citées ci-dessus font référence soit à des obligations contractuelles inexistantes obligation d'effectuer du " merchandising " et autres implantations de magasins ou " mises en état du rayon ", activités non prévues au contrat initial ni dans les avenants postérieurs et qui, en toute hypothèse, sont étrangères à l'activité d'agent commercial telle que définie par la loi du 29 juin 1991, soit à des obligations erronées ou ne figurant pas de manière explicite au contrat : obligation de fournir des rapports de visites hebdomadaires ou des informations suivant une périodicité précise ; qu'il en résulte que les griefs énoncés sont dépourvus de toute pertinence et ne peuvent établir la faute grave reprochée à M. Delamare par la SA Debflex ;

Qu'au surplus, les questionnaires adressés par la SA Debflex aux 125 clients de M. Delamare et dont 8 sont produits par celle-ci et présentés comme étant défavorables à M. Delamare, sont démentis par des courriers ultérieurs de certains de ces clients qui affirment soit que celui-ci passait régulièrement (Monsieur Bricolage de Gisors), soit qu'ils ne sont pas rédacteurs des documents vantés par la SA Debflex (Gedimat Granville Béton);

Attendu enfin que l'insuffisance des résultats de M. Delamare, également invoquée par la SA Debflex à l'appui de la rupture du contrat, ne repose sur aucun élément comptable objectif et indiscutable ; qu'au contraire, il est établi tant par les éléments produits par M. Delamare que par le rapport d'expertise judiciaire, qui n'est pas contesté sur ce point, que, contrairement aux affirmations de la société mandante, le chiffre d'affaires réalisé par M. Delamare sur son secteur est passé de 1 253 000 F en 1991 à 3 060 054 F en 1997, soit une augmentation de 244,21 % ; que selon les propres écritures de la SA Debflex (page 14, tableau § 4) pour l'exercice 1996/97, la progression des résultats de M. Delamare a été de 19,4 % alors que celle des résultats de la SA Debflex n'a pas dépassé 16 % ; que la progression ultérieure à 1998, plus forte, est sans incidence puisqu'elle correspond à des moyens de commercialisation nouveaux, différents et sans rapport avec ceux stipulés au contrat d'agent commercial de M. Delamare ;

Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la preuve d'une faute grave, de nature à justifier la rupture unilatérale du contrat, n'est pas apportée par la SA Debflex à l'encontre de M. Delamare ;

Attendu que pour les mêmes motifs, la demande reconventionnelle de la SA Debflex tendant à se voir restituer par M. Delamare les commissions versées à hauteur de 161 695 F et concernant des clients qui n'auraient pas été régulièrement visités, doit être rejetée comme étant non fondée ;

- Sur l'indemnisation de la rupture abusive du contrat d'agent commercial :

Attendu que les indemnités tant de préavis que de rupture du contrat doivent être calculées sur la base des commissions réellement dues à M. Delamare telles qu'elles seront fixées par la cour expertise ;

Qu'il sera en conséquence sursis à statuer sur les demandes formées de ce chef par M. Delamare jusqu'au dépôt du rapport d'expertise;

Attendu que les dépens seront réservés et qu'il sera en conséquence sursis à statuer sur les demandes formées en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme la décision entreprise sauf en ce qu'elle a reconnu l'absence de faute grave à l'encontre de M. Delamare et le caractère abusif de la rupture unilatérale du contrat d'agent commercial par la SA Debflex ; Déboute la SA Debflex de sa demande de restitution de la somme de 161 695 F ; Avant dire droit sur les autres demandes, ordonne une nouvelle expertise et désigne M. Daniel Canton, 14 bis rue Hénault, Mont Saint Aignan pour y procéder avec pour mission de : - se faire communiquer le contrat d'agent commercial du 28 août 1989 et ses avenants, ainsi que les circulaires de la SA Debflex n° 14014, 13070, 13032, 13078, 13156, 13183, 13242, 13236, 13259, 13326, 13357, 13388 et la circulaire non datée signée de M. Riche, chef des ventes, relative aux magasins Mammouth, portant augmentation partielle du taux de commission soit pour des catégories de clients, soit sur des produits et/ou des périodes déterminés ; - déterminer au vu de ces documents les taux de commissionnement applicables aux factures déjà examinées dans le cadre de l'expertise ordonnée par le tribunal de commerce, en fonction de leurs dates, des produits facturés et de la catégorie de clientèle concernée ; - calculer le montant des commissions effectivement dues à M. Delamare par la SA Debflex en fonction des taux de commissionnement retenus ; - dresser un récapitulatif par années de 1991 à 1997 des commissions ainsi évaluées, hors majoration pour frais professionnels et avec majoration ; Dit que la SA Debflex devra consigner au greffe de la Cour d'appel de Rouen une somme de 6 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert dans le mois de la signification de l'arrêt ; Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de quatre mois à compter du versement de la provision ; Désigne M. Pérignon, conseiller à la cour de céans, pour surveiller les opérations d'expertise ; Sursoit à statuer sur les demandes de M. Delamare et de la SA Debflex, y compris celles formées en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Réserve les dépens.