CA Limoges, ch. soc., 11 octobre 2005, n° 05-0838
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kita
Défendeur :
Madrange (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Leflaive
Conseillers :
M. Nervé, Mme Dubillot-Bailly
Avocats :
Mes Delpuech, Gaillard
Aux termes d'un contrat de travail signé le 19 avril 2001 la société Madrange a engagé Laurent Kita en qualité de directeur de clientèle marques distributeurs à compter du 11 juin 2001 moyennant une rémunération de 30 000 F par mois. Il était prévu à l'article 9 une clause de non-concurrence interdisant à Laurent Kita toute activité se rapportant directement ou indirectement à l'activité charcutière exercée par la société Madrange pendant vingt-quatre mois à compter de la cessation effective de son travail et sur la France métropolitaine, avec une contrepartie financière égale à 10 % de sa rémunération nette à moins que Laurent Kita exerce une activité non salariée ou perçoive une rémunération supérieure dans son nouvel emploi.
Par avenant du 2 avril 2002 Laurent Kita a été nommé directeur commercial marques distributeurs, avec une rémunération mensuelle de 6 100 euro.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 décembre 2004 Laurent Kita a notifié à son employeur sa démission à compter du 13 décembre 2004. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mars 2005 la société Madrange a fait connaître à Laurent Kita qu'elle entendait maintenir sa clause de non-concurrence sur une durée réduite à dix-huit mois.
La société Madrange a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 avril 2005, notifié à la société Campofrio Montagne Noire la clause de non-concurrence précitée et son intention d'en obtenir le respect intégral. La société Campofrio Montagne Noire lui a répondu par un courrier recommandé avec accusé de réception du 19 avril 2005 qu'elle considérait que rien ne s'opposait à ce que Laurent Kita entre à son service. Parallèlement Laurent Kita a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 avril 2005, fait valoir à son ancien employeur que la clause de non-concurrence était nulle.
La société Madrange a saisi la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Limoges le 28 avril 2005 aux fins de voir enjoindre à Laurent Kita de cesser toute activité concurrentielle dès le prononcé de la décision à intervenir sous astreinte de 1 000 euro par jour, dire qu'il sera déchu de son droit à percevoir la contrepartie financière et condamner Laurent Kita à lui payer 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Laurent Kita a conclu au débouté de la demande comme excédant les pouvoirs de la formation de référé ou subsidiairement en raison de la nullité de la clause litigieuse et a réclamé reconventionnellement 3 000 euro à titre de dommages-intérêts et 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ordonnance du 6 juin 2005 la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Limoges s'est déclarée compétente, a dit que l'article 9 du contrat de travail de Laurent Kita doit s'appliquer dans son intégralité, lui a interdit son activité concurrente à son ancien emploi sous astreinte de 762,25 euro par jour à compter du septième jour suivant la notification de l'ordonnance, a ordonné à la société Madrange de payer en compensation 10 % de la moyenne des trois derniers mois de salaire pendant 18 mois sous astreinte de 100 euro par jour de retard et a condamné Laurent Kita à verser à la société Madrange 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Laurent Kita a relevé appel de cette ordonnance par déclaration au greffe de la cour du 16 juin 2005.
Par écritures soutenues oralement à l'audience il demande à la cour de lui déclarer inopposable la clause de non-concurrence insérée à l'article 9 de son contrat de travail et de condamner la société Madrange à lui payer 3 000 euro en réparation de son préjudice moral et 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il expose l'argumentation suivante au soutien de ses prétentions:
La formation de référé n'était pas compétente pour se prononcer sur la demande de la société dès lors qu'il y a une contestation sérieuse sur la licéité de la clause de non-concurrence. Celle-ci est nulle si l'employeur s'est réservé la possibilité de la mettre en œuvre. La contrepartie financière est d'autant plus dérisoire, que l'interdiction est étendue à l'ensemble du territoire métropolitain. C'est à l'employeur de prouver que la clause de non-concurrence est précise et limitée et ne porte pas une atteinte excessive à la liberté du travail. En présence d'une clause manifestement nulle la formation de référé a le pouvoir de la déclarer inopposable au salarié.
Par écritures soutenues oralement à l'audience la société Madrange conclut à la confirmation de l'ordonnance sauf à voir dire que Laurent Kita est déchu du droit à la contrepartie financière et réclame 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en exposant l'argumentation suivante:
La violation évidente d'une clause de non-concurrence constitue un trouble manifestement illicite. La formation de référé a le pouvoir de mettre fin à cette situation en enjoignant au salarié de cesser sa collaboration avec le nouvel employeur. La clause litigieuse a fait l'objet d'un énoncé circonstancié de ses motifs, elle est limitée à l'activité charcutière et est assortie d'une contrepartie financière et Laurent Kita l'a explicitement acceptée. Ses fonctions consistaient à promouvoir la vente des produits auprès des grandes enseignes et du fait de celles-ci il connaissait nécessairement la capacité de production et la stratégie commerciale mais aussi les faiblesses éventuelles de la société Madrange et de ses filiales. Laurent Kita fait valoir en vain que la société Campofrio Montagne Noire commercialise de la charcuterie sèche alors que la société Madrange commercialise de la charcuterie cuite car les interlocuteurs dans les centrales d'achat sont les mêmes pour les deux produits. Laurent Kita cause donc un préjudice considérable à la société Madrange en allant travailler pour la société Campofrio Montagne Noire. Il reconnaît qu'il n'a découvert la charcuterie que chez la société Madrange et peut donc exercer son métier de directeur commercial dans d'autres domaines.
La clause est limitée à deux ans, ce qui n'est pas excessif, et l'employeur l'a d'ailleurs réduite à dix-huit mois. L'application à la France métropolitaine est normale eu égard au regroupement des centrales d'achat des grandes enseignes. La contrepartie financière n'est pas dérisoire et la dite clause n'était pas en sommeil.
Sur quoi, LA COUR
Attendu que, dans son contrat de travail, qui est la loi des parties, Laurent Kita a explicitement accepté la clause de non-concurrence;
Que l'article 9 expose d'abord la raison pour laquelle elle est prévue, en l'espèce la connaissance que va avoir Laurent Kita des techniques de gestion commerciale, de production et financière de la société Madrange et l'interdiction pour Laurent Kita d'en faire profiter une société concurrente;
Qu'il prévoit l'interdiction d'exercer une activité se rapportant directement ou indirectement à l'activité charcutière de la société Madrange et de ses filiales pendant vingt-quatre mois sur la France métropolitaine, moyennant une contrepartie financière de 10 % de la rémunération antérieure à moins que Laurent Kita exerce une activité non salariée ou perçoive une rémunération supérieure ;
Que les parties ont convenu enfin que la société Madrange pourrait la réduire dans le temps ou dans l'espace ou la dénoncer unilatéralement dans les quinze jours suivant le dernier jour effectivement travaillé ;
Attendu que postérieurement à son départ de l'entreprise, Laurent Kita a fait valoir auprès de la société Madrange que cette clause était nulle et qu'il ne se considérait donc pas comme lié par elle ;
Mais attendu qu'il n'apparaît pas au vu de ses explications que cette clause soit manifestement illicite ;
Que dès lors que la licéité de la clause de non-concurrence n'a pas été utilement contestée devant le juge du fond elle s'impose impérativement au salarié et son ancien employeur est fondé à saisir la formation de référé du conseil de prud'hommes pour la faire respecter si sa violation peut lui être gravement dommageable ;
Attendu, en l'espèce, qu'il ressort sans ambiguïté du courrier que la société Campofrio Montagne Noire a adressé le 19 avril 2005 à la société Madrange qu'il y avait bien eu des contacts entre elle et Laurent Kita et qu'elle considérait que rien ne s'opposait à ce qu'il entre à son service;
Que, d'après les extraits de revues versés aux débats, la société Campofrio Montagne Noire se présente comme le leader français des salaisons de qualité supérieure et fait partie du groupe espagnol Campofrio Alimentacion, qui est une entreprise de transformation de viande de porc;
Qu'il n'apparaît pas sérieusement contestable que la société Campofrio Montagne Noire exerce une activité dans la charcuterie, ce qui entre dans les prévisions de la clause de non-concurrence litigieuse;
Qu'il n'est pas plus contestable au vu de l'intitulé des fonctions de Laurent Kita et des courriers versés aux débats par l'intimée que ce salarié avait des responsabilités dans la commercialisation des produits de la société Madrange et était à ce titre un interlocuteur des centrales d'achat et des entreprises de la grande distribution ;
Que la perspective d'exercer des fonctions analogues dans une entreprise concurrente constitue un dommage imminent et les mesures prises par la formation de référé s'imposent pour le prévenir;
Attendu qu'il n'est pas établi que Laurent Kita ait effectivement violé la clause de non-concurrence à ce jour et il peut donc encore prétendre à la compensation financière ;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance et de condamner Laurent Kita aux dépens et aux frais irrépétibles supportés par l'intimée devant la cour;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi; ~ Confirme l'ordonnance de la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Limoges en date du 9 juin 2005 en toutes ses dispositions ; ~ Condamne Laurent Kita à payer à la société Madrange six cents euro (600 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; ~ Condamne Laurent Kita aux dépens d'appel.