CA Paris, 5e ch. A, 5 octobre 2005, n° 03-21176
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CM Emballage (SARL)
Défendeur :
Emballage SFE (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffaukt-Silk
Conseillers :
MM. Roche, Byk
Avoués :
SCP Baufume-Galland, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Pannequin, Bouvier-Ravon
Dans le cadre de son activité la société Emballage SFE conçoit, fabrique et commercialise des emballages destinés aux transports aériens de marchandises dangereuses et a, à ce titre, conçu un modèle de caisse en carton renforcée de bois, lequel a fait l'objet d'un certificat d'agrément délivré par le ministère de l'Equipement, des Transports et du Tourisme le 6 novembre 1996 et renouvelé le 25 avril 2002.
S'estimant victimes d'actes de concurrence déloyale et parasitaire de la part de la société CM Emballage, la société Emballage SFE a, par acte du 18 novembre 2002, assigné cette dernière devant le Tribunal de commerce de Meaux afin de voir cesser les agissements qu'elle lui reproche et d'obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.
Par jugement du 18 novembre 2003, le tribunal saisi a:
- dit que la société CM Emballage s'était rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Emballage SFE,
- interdit à la société CM Emballage de fabriquer et commercialiser des emballages destinés au transport de matières dangereuses, sans avoir reçu l'agrément du ministère des Transports et ce, sous astreinte définitive de 2 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de la décision,
- condamné la société CM Emballage à payer à la demanderesse la somme provisionnelle de 100 000 euro, à parfaire, au titre du préjudice subi, et ordonné une mesure d'expertise confiée à M. Aubart avec mission de déterminer l'importance du préjudice subi par la société Emballage SFE à la suite du détournement de clientèle dont s'agit.
Régulièrement appelante la société CM Emballage a, par conclusions enregistrées le 29 août 2005, prié la cour de:
- infirmer le jugement entrepris dans ses dispositions lui faisant grief,
- dire et juger qu'elle ne s'est livrée à aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme vis-à-vis de la société Emballage SFE, en conséquence
- débouter la société Emballage SFE en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner cette dernière à lui rembourser la somme de 100 000 euro indûment perçue dans le cadre de l'exécution provisoire, ainsi que celle de 20 000 euro exposée par elle au titre des frais de publication outre les intérêts au taux légal à compter de leur versement,
- constater, enfin, que l'intimée a procédé par voie d'affirmations gratuites en prétendant qu'elle ne respectait pas les règles de sécurité, en matière d'emballages destinés au transport de matières dangereuses,
- condamner la société Emballage SFE au paiement de la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en réparation du préjudice subi du fait de l'utilisation abusive du dispositif du jugement entrepris ainsi que celle de 20 000 euro sur le fondement de l'article 1383 du Code civil, pour procédure abusive et vexatoire,
- l'autoriser à faire procéder à la publication de l'arrêt à intervenir et fixer à 20 000 euro le montant des frais de publications qui seront mis à la charge de la société intimée,
- dire que la cour se réserve le contrôle de l'exécution de cette condamnation,
- condamner la société Emballage SFE aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées le 13 juillet 2005 la société Emballage SFE, a, pour sa part, demandé à la cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a:
- dit que la société CM Emballage s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire,
- mis un terme aux agissements de celle-ci et interdit sous astreinte à cette dernière de fabriquer et commercialiser des emballages destinés au transport de matières dangereuses sans avoir reçu l'agrément du ministère des Transports,
- ordonné une mesure d'expertise,
le reformant pour le surplus :
- préciser que les agissements de la société CM Emballage, ont conduit à un détournement de clientèle à son préjudice,
- condamner la société CM Emballage à lui verser la somme de 800 000 euro à titre de provision dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, quitte à parfaire,
- débouter la société CM Emballage de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,
- condamner cette dernière aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Sur les prétentions de la société Emballage SFE
* En ce qui concerne la responsabilité
Considérant que cette dernière reproche, tout d'abord, à la société CM Emballage l'acte de concurrence déloyale que constituerait le débauchage de M. Guilhet qui exerçait en son sein l'activité de directeur d'exploitation dès lors qu'avant même l'expiration du délai de préavis qu'il se devait de respecter après sa démission de ses fonctions il a participé directement et activement à la création de l'appelante ; que si cette dernière soutient que le fait pour un ancien salarié de constituer une société concurrente ne représente pas un agissement déloyal en tant que tel et s'il ne saurait effectivement être reproché, sauf à méconnaître directement le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, à des collaborateurs libres de tout lien avec leur ancien employeur d'apporter et d'exploiter les connaissances techniques et commerciales acquises chez ce dernier et de participer à la création d'une autre société, il convient de relever, en l'espèce, qu'ainsi que le révèle le procès-verbal établi par Me Pellaux, huissier de justice à Meaux le 28 décembre 2001, M. Guilhet a été à l'origine de la création de l'intéressée avant même l'expiration de son préavis ; qu'il était alors, indépendamment de toute clause expresse le précisant, toujours lié à la société Emballage SFE dont il restait le préposé par une obligation de fidélité et de loyauté exclusive de tout acte de concurrence et, notamment, de l'animation d'une entreprise à l'objet social similaire ; que, de même, la société CM Emballage a procédé au recrutement de M. Le Normand, lequel exerçait les fonctions de chef d'équipe au sein de la société intimée et ce en méconnaissance directe, et au demeurant non contestée, de la clause de non-concurrence mentionnée dans le contrat de travail de l'intéressé conclu le 22 juillet 1991 et dont la société appelante ne critique pas utilement la validité ; que, par ailleurs, et outre le fait que la connaissance d'une telle clause est présumée dans les secteurs où elle est habituelle comme le frêt aérien et que le nouvel employeur se doit de prendre l'initiative d'en vérifier l'éventuelle existence, la société Emballage SFE a, elle-même, informé le gérant de la société CM Emballage, par un courrier du 15 janvier 2002, du fait que M. Le Normand était bien lié à son précédent employeur par une semblable stipulation ; que, dans ces conditions, ne peut qu'être regardée comme établie l'effectivité du débauchage de personnel allégué;
Considérant qu'en deuxième lieu la société Emballage SFE impute à la société CM Emballage un détournement caractérisé de clientèle que révéleraient la "baisse brutale" de son chiffre d'affaires et la perte de clients anciens ; que si le démarchage de la clientèle d'un concurrent ne constitue pas en soi une pratique commerciale déloyale dès lors qu'il ne prend pas un caractère systématique et si la circonstance que d'anciens clients de l'intimée aient rejoint l'appelante ne saurait, à elle seule, démontrer l'existence obligée de manœuvres déloyales de sa part alors que le jeu normal de la concurrence est précisément de permettre à la loi du marché de s'exercer dans le seul intérêt du consommateur final, il convient de souligner que la recherche d'une clientèle ne saurait s'accompagner de manœuvres visant à semer la confusion dans l'esprit des acheteurs potentiels ou à permettre une distorsion du jeu de la concurrence par la méconnaissance de la réglementation applicable au secteur;
Considérant, en l'occurrence, qu'il ressort des pièces du dossier et, notamment des énonciations précises et détaillées du constat établi par Me Rochet, huissier de justice à Chelles, le 30 août 2002, que, du moins en ce qui concerne la société Géoservices, ancienne cliente de l'intimée, la société CM Emballage a fabriqué et commercialisé pour le compte de cette dernière des emballages destinés aux transports aériens de marchandises dangereuses, dont les caractéristiques extérieures sont identiques à celles des caisses mises sur le marché par la société Emballage SFE et ce, sans avoir néanmoins reçu l'agrément ad hoc du ministère des Transports et en y apposant, en outre, de faux numéros de certificats ; qu'ainsi, en se dispensant du respect des exigences administratives applicables et en évitant les contraintes inhérentes à celles-ci de même que des frais de certification des marchandises, l'appelante a nécessairement détourné à son profit et de façon déloyale la clientèle de l'intimée ; que, plus généralement et indépendamment du cas de la seule société Géoservices, objet du constat sus-analysé, l'appelante n'a pu justifier, malgré l'injonction adressée à cet effet par l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 juin 2005, de l'existence des certificats d'agrément administratifs afférents aux emballages qu'elle commercialisait auprès de ses multiples autres clients et alors que ceux-ci estimaient légitimement que les caisses en cause bénéficiaient des homologations nécessaires ainsi que le démontrent les attestations versées aux débats et émanant des sociétés Gefco, Excess et Isys Logistique; qu'une telle commercialisation illicite des objets dont s'agit sans l'obtention préalable de l'agrément correspondant ne peut qu'être constitutive d'une concurrence déloyale susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ; qu'également, alors que la réglementation IATA précise que toutes les personnes concernées par le transport des marchandises dangereuses "doivent avoir reçu une formation", il est constant que du 17 novembre 2002 au 27 janvier 2003 M. Guilment n'était plus titulaire du certificat d'aptitude au transport des marchandises dangereuses par la voie aérienne ; que, par ailleurs, il n'est pas justifié de ce qu'un autre salarié de l'entreprise aurait, pendant la période considérée, bénéficié du certificat requis ; que, par suite, le non-respect par l'appelante des obligations prévues à cet effet en matière de formation, avec le coût induit par celles-ci, représente un nouvel élément de nature à fausser la concurrence existant sur le marché du frêt aérien;
Considérant, en dernier lieu, que si la société Emballage SFE impute aussi à la société CM Emballage "le détournement de ses secrets de fabrique ... notamment concernant les caractéristiques techniques des emballages fournis", elle ne justifie pas cependant de la spécificité particulière des emballages en question ou d'un savoir-faire technique propre qui serait le résultat de recherches réalisées par ses soins ; que, dès lors, ce chef d'actes anti-concurrentiels ne saurait être retenu en l'espèce;
Considérant, en conséquence, que c'est à bon droit que les premiers juges ont constaté la matérialité des actes de concurrence déloyale commis par l'appelante et interdit sous astreinte à cette dernière toute fabrication et commercialisation des caisses et emballages litigieux sans préalablement avoir reçu l'agrément administratif nécessaire;
* En ce qui concerne le préjudice
Considérant que si, au regard de la réalité ci-dessus démontrée des agissements déloyaux commis à son encontre par la société CM Emballage, la société Emballage SFE sollicite que la somme de 100 000 euro qui lui a été allouée par les premiers juges à titre de provision soit portée à 800 000 euro elle n'apporte cependant pas d'éléments suffisamment significatifs susceptibles de permettre de contester utilement l'évaluation faite par les premiers juges en fonction de la perte de chiffre d'affaires alléguée et de la nature des actes de concurrence déloyale retenus ; qu'il convient, dès lors, de confirmer le montant de la somme provisionnelle accordée en l'état à l'intimée et de rejeter le surplus de sa demande de ce chef, l'indemnisation définitive ne pouvant en tout état de cause intervenir qu'à l'issue de l'expertise confiée à M. Aubart par le jugement déféré;
Sur les demandes reconventionnelles formées par la société CM Emballage
Considérant que l'appelante sollicite l'octroi de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à raison de "l'utilisation déloyale du jugement entrepris" provoquée par la publication faite par la société Emballage SFE du dispositif de celui-ci; que, toutefois, une telle publication a été ordonnée par les premiers juges avec le bénéfice de l'exécution provisoire ; que l'appelante n'a à aucun moment sollicité la suspension de l'exécution provisoire concernant cette disposition ; qu'elle ne saurait dès lors reprocher présentement à l'intimée de s'être conformée au jugement; que, par ailleurs, l'intéressée ne rapporte pas la preuve que la société Emballage SFE eût, ainsi qu'elle le soutient, adressé nominativement à certains de ses clients ledit jugement ; que la société CM Emballage ne saurait davantage prétendre que l'action engagée par l'intimée eût été "vexatoire et abusive" et réclamer également à ce titre une indemnité dès lors que la réalité des actes de concurrence déloyale allégués a été retenue tant en première instance qu'en cause d'appel ; qu'enfin, aucune circonstance ne justifie qu'il soit procédé à la publication du présent arrêt, laquelle n'est, au demeurant, pas réclamée par la société Emballage SFE;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, les parties étant déboutées de leurs conclusions respectives;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant qu'il convient, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société CM Emballage à payer à l'intimée la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, les rejetant, confirme le jugement, Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, Condamne la société CM Emballage aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Roblin Chaix de Lavarenne, avoués, Condamne la société CM Emballage à verser à la société Emballage SFE la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens.