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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 14 décembre 2005, n° 03-17519

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cegetel (SA)

Défendeur :

France Distribution Import (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffaukt-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Taze-Bernard Belfayol Broquet, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Blaquier, Fajgenbaum

T. com. Paris, du 24 juin 2003

24 juin 2003

Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du marché de la téléphonie fixe, l'opérateur Cegetel a contracté le 17 novembre 1998 avec la société FDI, société de distribution de produits par vente directe, à qui elle a confié le soin de démarcher des clients potentiels.

Souhaitant redéfinir ses relations avec FDI, Cegetel a soumis celle-ci à une procédure d'appel d'offres au terme de laquelle sa candidature n'a pas été retenue. Estimant brutale la rupture des relations contractuelles, FDI a assigné par acte du 8 août 2001 Cegetel devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 24 juin 2003 cette juridiction a condamné Cegetel à payer à la société FDI 2 137 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 8 août 2001 avec exécution provisoire sous réserve, en cas d'appel, de fournir une garantie bancaire à hauteur de moitié de cette somme, outre 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par déclaration du 13 août 2003, Cegetel a fait appel de cette décision et sollicite par conclusions du 25 octobre 2005 l'infirmation du jugement entrepris. A titre subsidiaire, il est demandé à la cour de dire que FDI a commis une faute grave en violation des dispositions des articles L. 134-3 et 4 du Code de commerce et se trouve donc déchu de son droit à indemnité, Cegetel sollicitant reconventionnellement sur son préjudice économique la nomination d'un expert et 20 000 euro de provision, 200 000 euro au titre du préjudice moral et 845 000 euro sur le fondement de l'article L. 134-10 du Code de commerce. A titre infiniment subsidiaire, il est demandé l'infirmation du jugement sur le montant de l'indemnité et sa confirmation sur le rejet des autres demandes. Enfin, il est réclamé, en tout état de cause, la confirmation de la condamnation de FDI à payer 200 000 euro à Cegetel à titre de provision pour manquement aux articles L. 134-3 et 4 du Code de commerce, outre la restitution de 845 000 euro avec intérêts à compter du 24 octobre 2002 et 200 000 euro en réparation du préjudice moral, outre 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

FDI conclut le 14 juin 2005 au débouté de Cegetel, à la confirmation du jugement entrepris, Cegetel devant en outre être condamnée à lui payer:

- 2 137 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2001 et capitalisation sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce,

- 400 758 euro au titre du préavis,

- 2 137 000 euro pour brusque rupture des relations commerciales,

- 524 000 euro pour les fautes détachables de la rupture ayant occasionné un préjudice moral,

- et 30 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

SUR CE

Sur le principal de la demande et l'application à la cause du statut d'agent commercial

Considérant que pour justifier l'infirmation du jugement, Cegetel conteste que FDI puisse se prévaloir du statut d'agent commercial, FDI ne pouvant se prévaloir ni d'un pouvoir de négociation, ni de celui de prendre des ordres ou passer des contrats;

Considérant que FDI estime, au contraire, avoir reçu mission de Cegetel de démarcher des clients potentiels pour leur faire souscrire une offre de service ; que, ce faisant, cette activité entre bien dans la définition de la mission d'agent commercial;

Considérant que Cegetel explique que les personnes prospectées par FDI ne signant aucun contrat à son profit, FDI ne peut être considérée comme ayant été missionnée par elle pour vendre des produits ou services ; qu'elle ne peut en conséquence revendiquer le bénéfice du statut d'agent commercial, ayant simplement une mission de présentation des produits ou services à des "clients potentiels";

Mais considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que l'activité de FDI consistait à se présenter comme mandataire de Cegetel chez des utilisateurs de téléphonie fixe, non pour simplement les informer sur les produits et services de cette société mais pour les démarcher, dans le cadre de la loi sur le démarchage et la vente à domicile, afin qu'ils signent avec Cegetel des contrats de "souscription au 7" pour le besoin desquels il leur était demandé de fournir leur identité précise et un relevé bancaire pour domicilier les factures ; qu'il s'agit bien de la négociation d'une offre de services pour le compte de Cegetel, peu important à cet égard que cette offre ne comprenne pas d'abonnement dès lors qu'acceptée elle valide un contrat entraînant des obligations de fournir un service, fût-ce ponctuellement et à la demande, de la part de Cegetel, et celle de leur paiement pour ses cocontractants;

Considérant qu'il convient, dès lors, de dire que FDI doit bénéficier du statut d'agent commercial et de faire application à la cause des dispositions des articles L. 134-1 et suivant du Code de commerce;

Sur le subsidiaire de la demande et les conséquences à tirer de l'application du statut d'agent commercial,

Considérant que pour échapper à l'obligation d'indemniser l'agent en cas de rupture Cegetel invoque la faute grave commise par FDI en contractant avec 9 Télécom;

Considérant que FDI s'oppose à cette argumentation en faisant valoir que le grief allégué n'a pas provoqué la rupture comme l'exigent les termes de l'article L. 134-13, 1° du Code de commerce;

Considérant qu'il n'est pas contesté par l'intimé devant la cour qu'étant agent commercial de Cegetel, il a pendant la période d'exercice de son mandat exercé une activité similaire au profit de 9 Télécom, circonstance révélée postérieurement à la rupture du contrat;

Considérant que même en l'absence de relations d'exclusivité, l'agent commercial est tenu de se comporter loyalement vis-à-vis de son mandant, ce qui implique, conformément à l'article L. 134-3 du Code de commerce, de l'informer pour obtenir son autorisation au cas où il voudrait mener des activités similaires avec un concurrent ; que, ne l'ayant pas fait, son comportement constitue au regard des obligations qui lui incombent une faute grave de nature à provoquer la rupture du contrat;

Considérant que FDI ne saurait arguer de la méconnaissance par Cegetel de cette situation au début de leurs relations litigieuses dès lors qu'il résulte des pièces au dossier qu'en répondant négativement sur ce point au questionnaire d'appel d'offres de novembre 2000, FDI a sciemment caché à son mandant les relations qu'elle avait nouées avec 9 Télécom par contrat du 3 décembre 1999;

Considérant en conséquence qu'il convient de dire que, par application des dispositions de l'article L. 134-13,1° du Code de commerce, FDI ne saurait avoir droit à indemnisation du fait de la rupture de ses relations contractuelles avec Cegetel ;

Sur la demande en dommages et intérêts de Cegetel résultant du préjudice subi à raison de la faute de son agent commercial,

Considérant qu'au vu de la faute grave ainsi constatée commise par FDI à l'encontre de Cegetel, cette dernière doit être déclarée bien fondée dans le principe de sa demande de dommages et intérêts;

Considérant que la cour n'étant pas à même d'évaluer le montant de ce préjudice, il convient de faire droit à la demande d'expertise en désignant à cette fin:

M. Alain Auvray expert demeurant avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris, suivant les modalités fixées au présent dispositif, afin qu'il établisse le manque à gagner de Cegetel au vu des contrats dont FDI a obtenu la souscription au profit de 9 Télécom pendant la période où FDI était l'agent commercial de Cegetel;

Considérant qu'à cette fin, il convient d'enjoindre à FDI de communiquer à l'expert tous documents et pièces comptables ou autres nécessaires à sa mission, une provision de 20 000 euro étant accordée à Cegetel sur son préjudice économique ainsi qu'une somme de 30 000 euro au titre du préjudice moral subi du fait du manquement de son cocontractant à ses obligations, notamment de loyauté;

Sur la demande de restitution à Cegetel des commissions perçues par FDI concernant des contrats non exécutés,

Considérant que pour solliciter de ce chef une somme de 845 000 euro Cegetel fait valoir, comme l'a retenu le premier juge, qu'elle a versé des commissions sur un certain nombre de contrats qui n'ont finalement pu être mis à exécution soit parce qu'ils ont été résiliés, soit en raison d'erreurs administratives;

Considérant que FDI conclut au débouté de ce chef, estimant que Cegetel n'apporte la preuve ni de la réalité de ces contrats ni du quantum de commissions qu'ils auraient indûment générées;

Considérant toutefois qu'au vu de l'attestation du cabinet Salustro Reydel, commissaire aux comptes de Cegetel, qui relève l'existence de contrats inexécutés et en calcule l'incidence financière tout en prenant la précaution de dire que "l'attestation délivrée est soumise aux conditions de représentativité et de fiabilité des tableaux de bord commerciaux" "suivi mensuel parc 7 résidentiel" et "suivi mensuel parc 7 pro", établis usuellement par la société Cegetel, il existe une présomption de réalité quant à l'existence de ces contrats non exécutés;

Que toutefois la cour ne saurait faire sien, sans vérification, le calcul du commissaire aux comptes, celui-ci étant conditionné à la fiabilité des tableaux susmentionnés;

Considérant que pour ce faire, la cour estime nécessaire d'élargir la mission de l'expert déjà désigné en lui demandant, au vu des pièces qui lui seront remises par l'une et l'autre partie, de donner toutes précisions utiles sur le chiffre des contrats non exécutés et dont la non-exécution n'est pas imputable à Cegetel ainsi que sur l'incidence financière d'un tel chiffre sur les commissions réellement dues à FDI;

Sur l'indemnité de préavis,

Considérant que Cegetel s'oppose au paiement à FDI de la somme de 400 758 euro due au titre du préavis non accompli en faisant valoir qu'il s'agirait d'une demande nouvelle;

Considérant que cette demande ne saurait être ainsi qualifiée, dès lors, qu'elle résulte nécessairement de la demande initiale présentée par FDI et tendant à ce qu'elle soit indemnisée pour l'ensemble des conséquences liées à la rupture contractuelle;

Mais considérant que cette demande ne peut qu'être rejetée compte tenu de la faute grave commise par l'agent commercial;

Considérant que l'équité commande enfin de condamner FDI à payer à Cegetel 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme partiellement le jugement entrepris, Reconnaît à FDI le statut d'agent commercial, Dit que FDI a commis une faute grave ayant provoqué la rupture des relations contractuelles et qu'en conséquence FDI doit être déboutée de sa demande d'indemnité compensatrice, Déboute FDI de sa demande d'indemnité de préavis, Condamne FDI à indemniser Cegetel du préjudice subi du fait de sa faute, lui accorde de ce chef 30 000 euro au titre du préjudice moral et une provision de 20 000 euro au titre du préjudice économique, Avant dire droit, Désigne M. Main Auvray demeurant 5 avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris, expert, afin de, dans un délai de 8 mois à compter du présent arrêt, et sous réserve du versement d'une provision de 7 000 euro à la charge de FDI : - évaluer ce préjudice économique au vu des contrats dont FDI a obtenu la souscription au profit de 9 Télécom pendant la période où FDI était l'agent commercial de Cegetel et enjoint pour ce faire à FDI de communiquer à l'expert toutes pièces et documents comptables ou autres nécessaires à sa mission, - établir, au vu des pièces qui lui seront remises par les parties, le nombre de contrats souscrits, au profit de Cegetel par l'intermédiaire de FDI, et non exécutés, cette non-exécution ne devant pas être due à Cegetel ; l'expert précisera également l'incidence financière de ces contrats sur les commissions versées à FDI, Dit que la société FDI devra, dans le délai d'un mois à compter de l'invitation faite par le secrétaire-greffier de la cour, consigner la provision de 7 000 euro à valoir sur la rémunération de l'expert, Dit que l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation au conseiller de la mise en état et déposer son rapport au secrétariat-greffe de la cour dans les huit mois à compter du jour où il aura été avisé de la consignation, Réserve les dépens.