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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc. A, 14 novembre 2005, n° 04-01731

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Régie Networks (SA)

Défendeur :

Daulouède, ASSEDIC Aquitaine

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duval-Arnould (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Carbonell, Louiset

Avocats :

Mes Deguerry, Aguera, Hurmic, Garat

Cons. prud'h. Bordeaux, du 19 janv. 2004

19 janvier 2004

Madame Maïa Daulouède a été engagée par la SA Régie Networks, en qualité d'attachée technico-commerciale pour exercer ses fonctions à Pau, à compter du 24 novembre 1997.

Elle était mutée à compter du 14 septembre 1998 auprès de l'établissement de Bordeaux par contrat, suivi de plusieurs avenants.

Il lui était notifié un "premier avertissement" par lettre du 10 mai 1999 pour non-atteinte des objectifs.

Elle a été licenciée, le 18 juillet 2000, pour cause réelle et sérieuse, au même motif.

La SA Régie Networks a relevé appel du jugement du Conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 30 juin 2004, qui, considérant que Madame Maïa Daulouède était bien fondée à se prévaloir de la qualité de V.R.P et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'a condamnée à payer à la salariée les sommes de :

- 1 538,82 euro à titre d'indemnité complémentaire de préavis, outre congés payés afférents,

- 5 000 euro à titre d'indemnité de clientèle restant due compte tenue de la somme versée au titre de l'indemnité de licenciement,

- 1 524,49 euro à titre de contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence,

- 9 760 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il a, en outre, ordonné à la SA Régie Networks le remboursement à l'ASSEDIC Aquitaine des indemnités de chômage versées à Madame Maïa Daulouède dans la limite de six mois.

Les parties ont été entendues en leurs observations au soutien de leurs écritures, desquelles, vu les moyens exposés :

- Par conclusions tendant à l'infirmation du jugement déféré, la SA Régie Networks demande de débouter Madame Maïa Daulouède de l'intégralité de ses demandes.

- Par conclusions tendant à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, Madame Maïa Daulouède entend voir débouter la SA Régie Networks de son appel et, sur appel incident, condamner celle-ci à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ASSEDIC Aquitaine, qui intervient volontairement, demande le remboursement par l'employeur de la somme de 4 865,28 euro, représentant le versement des allocations de chômage à Madame Maïa Daulouède dans la limite de six mois.

Pour plus ample exposé des circonstances de fait, de la procédure et des prétentions des parties, il convient de se référer au jugement déféré et aux conclusions des parties.

Sur ce,

Sur la qualité de VRP,

Attendu que la SA Régie Networks conteste la qualité de VRP de Madame Maïa Daulouède tenant à l'absence de fixité du secteur de prospection, du fait que les fonctions de la salariée ne relèvent que pour partie de la prospection et que sa fonction de prospection n'est que relative ; que, cependant, elle ne fournit en appel aucun moyen nouveau et seulement quatre pièces dont les attestations de la directrice régionale et du directeur commercial, qui ne sont pas de nature à justifier de l'absence de qualité de VRP, étant observé que les attestations émanant de supérieurs hiérarchiques de la salariée ne sauraient être retenues qu'avec les plus extrême réserves ;

Attendu que c'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont considéré que Madame Maïa Daulouède remplissait les conditions prévues par l'article L. 751-1 du Code du travail pour bénéficier de la qualité de VRP ; qu'en effet, si le V.R.P doit exercer de façon exclusive et constante la profession de représentant, cela n'exclut pas que le salarié puisse avoir des activités accessoires par rapport à la représentation; que le contrat de travail ne saurait être interprété autrement, aucune pièce produite n'établissant que la salariée exerçait une autre activité que celle relevant de représentation, c'est-à-dire prospection, négociation avec les clients et prises de commandes transmises à la société, l'accent étant mis dans le contrat de travail sur la prospection et le "maintien de relations très étroites avec les clients de la société", c'est-à-dire la fidélisation de la clientèle ;

Attendu, par ailleurs, que la salariée a été affectée sur le secteur de Pau, puis en septembre 1998 sur celui de Bordeaux avec attribution d'un secteur géographique précis avec une clientèle déterminée et un produit spécifique à vendre, à savoir la vente d'espaces publicitaires au profit d'annonceurs démarchés, secteur modifié deux fois, comme cela ressort, entre autres, d'une note de service du 18 septembre 1998 ; que la salariée a contesté ces modifications de son secteur imposées par l'employeur; que celui-ci ne peut valablement invoquer la clause de mobilité figurant au contrat de travail, alors que cette clause ne peut intervenir qu'avec l'accord express de la salariée ; qu'en effet, l'employeur ne peut ainsi modifier le contrat de travail unilatéralement, même si celui-ci lui en réserve le droit, une telle clause étant nulle;

Attendu, en conséquence, que le jugement doit être confirmé sur la qualité de VRP de Madame Maïa Daulouède;

Sur le licenciement,

Attendu que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement et fixant les limites de litige, sont ainsi rédigés :

"Malgré de nombreuses mises en garde orales, écrites et l'indication de méthodes de travail, vous n'êtes malheureusement pas en mesure de réaliser vos objectifs de chiffres d'affaires depuis plus de six mois, et ce en dépit de la patience dont nous avons fait preuve dans ce dossier. Vous avez en effet réalisé seulement 67 % de l'objectif de chiffre d'affaires du 1er octobre 1999 au 30 juin 2000, soit 393 KF pour un objectif de 584 KF; si l'on considère les six derniers mois, la réalisation de vos chiffres d'affaires n'a jamais dépassé 57 % de l'objectif initial que nous avions fixé."

Attendu qu'aux termes de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des griefs invoqués et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties;

Attendu qu'il convient de constater que dans la lettre de licenciement, l'employeur reproche à la salariée uniquement la non-réalisation d'objectifs contractuels ; que les objectifs fixés par avenant du 1er octobre 1999 étaient de 750 KF annuels contre 702 KF pour l'année précédente, avec précision du chiffre d'affaires à réaliser mois par mois ; que le libellé-même de l'annexe à l'avenant du 1er octobre 1999 fixant les objectifs démontrent que ceux-ci n'étaient pas discutés avec la salariée, mais imposés par l'employeur, puisqu'y est précisé in fine "le salarié doit la retourner avec mention lu et approuvé";

Attendu que la SA Régie Networks invoque la faiblesse des résultats de Madame Maïa Daulouède en produisant un tableau, non contesté par celle-ci, des objectifs fixés et réalisés mois par mois par la force de vente de la région Sud-Ouest d'octobre 1998 à septembre 1999, puis ceux postérieurs comprenant les objectifs et les résultats de son successeur ; qu'elle soutient que les objectifs étaient réalistes et réalisables ;

Attendu, cependant, que comme les premiers juges l'ont exactement analysé, et au vu des mêmes pièces produites qu'en première instance, et notamment de courriers des 6 et 17 septembre et 19 octobre 1999, que la modification des secteurs avec l'arrivée d'un commercial supplémentaire a eu pour conséquence de réduire le secteur de Madame Maïa Daulouède, même si elle continuait à travailler avec huit clients attachés à la partie du secteur qui lui a été retiré, entraînant une perte de son chiffre d'affaires significative, alors que ses objectifs n'étaient pas corrélativement diminués;

Attendu que les tableaux en chiffres d'affaires et en pourcentage comparatifs avec les autres commerciaux montrent que seulement un tiers de ceux-ci sur 25 environ atteignaient les objectifs fixés et que d'autres commerciaux obtenaient des résultats inférieurs à elle;

Attendu que la SA Régie Networks soutient que le successeur de Madame Maïa Daulouède atteignait ses objectifs sur le même secteur; que, toutefois, comme la salariée le soulève à juste titre, les objectifs fixés à son successeur étaient très en-dessous des siens, soit 580 KF, alors qu'il reprenait une clientèle qu'elle avait créée, ce qui n'est pas dénié par l'employeur ;

Attendu, enfin, que ne sauraient être significatifs le démarchage involontaire d'un seul client en limite de secteur, comme l'explique Madame Maïa Daulouède, et l'attribution du client Interama, ne compensant que pour partie la perte de chiffre d'affaires ;

Attendu que, dans ces conditions, il apparaît que les objectifs étaient peu réalistes et réalisables dès lors que Madame Maïa Daulouède a été privée, du fait de la SA Régie Networks, d'une partie de son secteur entraînant une diminution du chiffre d'affaires réalisable ; qu'il s'ensuit que l'employeur ne peut valablement faire grief à la salariée de n'avoir pas atteint sur la période considérée les objectifs fixés par lui ; que la non-atteinte des objectifs et l'insuffisance de résultats alléguée ne sont donc pas établies ; que le licenciement étant, par conséquent, dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement déféré sera confirmé de ce chef;

Sur les demandes de la salariée,

Attendu que, compte tenu de son ancienneté, du montant de sa rémunération, du fait du chômage qui s'en est suivi et des circonstances de la rupture, il y a lieu de confirmer le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués par les premiers juges qui en ont fait une juste appréciation;

Attendu qu'il convient de confirmer les condamnations pécuniaires au titre du complément de préavis et des congés payés afférents, non discutées, de l'indemnité de clientèle et de la clause de non-concurrence prononcées par les premiers juges qui en ont fait une juste appréciation au vu des pièces produites;

Attendu, en effet, sur l'indemnité de clientèle, que la création et le développement d'une clientèle sur le secteur bordelais par Madame Maïa Daulouède ne sont pas démentis par la SA Régie Networks qui se contente de dire que la salariée ne rapporte pas la preuve de l'augmentation et de la part qu'il lui revient dans la valeur de la clientèle développée ; que les courriers de l'employeur et pièces produites par lui démontrent l'existence et l'importance de cette clientèle ; qu'en outre, l'employeur ne peut sérieusement soutenir qu'il appartient à la salariée de justifier qu'elle n'a pas démarché la clientèle postérieurement au licenciement, et alors même que l'indemnité de clientèle s'apprécie à la date du départ;

Attendu, sur la clause de non-concurrence, que dès lors que la clause insérée dans le contrat de travail n'a pas été levée par l'employeur dans le délai légal, cette clause de non-concurrence, liant contractuellement les parties, doit recevoir application ; que c'est l'interdiction de démarcher la clientèle qui, limitant les possibilités de la salariée à l'accès à un emploi, qui doit être indemnisée ; que le cas échéant, c'est à l'employeur d'établir que la salariée n'a pas respecté la clause de non-concurrence pour s'opposer au paiement de l'indemnité réclamée et due ; que la salariée a donc droit à la contrepartie pécuniaire de cette clause prévue par l'article 17 de l'accord du 3 octobre 1975 modifié;

Sur la demande de l'ASSEDIC,

Attendu qu'en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, il y a lieu d'ordonner à l'employeur fautif le remboursement à l'ASSEDIC des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées ; qu'il sera fait droit à la demande de l'ASSEDIC Aquitaine;

Sur les demandes accessoires,

Attendu que la SA Régie Networks qui succombe en son appel, doit supporter la charge des dépens ; qu'il convient d'accorder à Madame Maïa Daulouède une indemnité supplémentaire pour participation à ses frais irrépétibles.