CA Nouméa, 5 novembre 2003, n° 531-2002
NOUMÉA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Aline Calédonie (SA)
Défendeur :
Wagner
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fontaine
Conseillers :
MM. Stolz, Grafmuller
Avocats :
SELARL Louzier-Fauche-Ghiani-Nanty, SELARL Juriscal
Procédure de première instance
Par jugement contradictoire du 8 novembre 2002, auquel la cour se réfère pour exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, le Tribunal du travail de Nouméa a débouté la société Groupe Aline de ses demandes tendant à la condamnation de Stéphan Wagner à lui payer des dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence incluse dans son contrat de travail, et condamné la société Groupe Aline déclarée responsable du préjudice subi par Stéphan Wagner à la suite de l'envoi par celle-ci d'un fax du 5 septembre 2005 à la société, la somme de 1 500 000 F CFP à titre de dommages et intérêts, outre 100 000 F CFP pour frais irrépétibles.
Procédure d'appel
Par requête déposée le 26 novembre 2002, la société Groupe Aline a régulièrement interjeté appel de cette décision, non signifiée.
Dans ses conclusions, elle sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, la condamnation de Stéphan Wagner à lui payer la somme de 99 725 800 F CFP en réparation du préjudice causé par la violation qu'elle estime constituée, de la clause de non-concurrence, la constatation de l'incompétence de la juridiction du travail relativement à la demande en dommages et intérêts du salarié, le débouté des demandes de ce dernier, et sa condamnation à lui verser une indemnité de procédure de 250 000 F CFP et aux entiers dépens, distraits au profit de la société d'avocats Juriscal.
La société Groupe Aline soutient que l'interprétation restrictive qu'a fait le tribunal de la clause de non-concurrence méconnaît les termes clairs et précis de cette clause dont la portée, connue du salarié qui a exigé des indemnités conséquentes pour sa contrepartie, a été confirmée lors de la transaction.
Elle rappelle que cette clause interdit à l'ancien salarié de s'intéresser, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, à une entreprise vendant des articles pouvant concurrencer directement ou indirectement ceux vendus par la société Groupe Aline, et elle affirme que Stéphan Wagner a dépassé les actes préparatoires d'une acquisition programmée après l'issue de la clause, en particulier en signant l'acte d'acquisition sous condition suspensive de la société Commercial Office en juin 2001, et en s'investissant personnellement dans son acquisition en se mettant en relation par mails ou télécopies avec les fournisseurs auprès desquels il vante notamment sa connaissance du marché, en organisant son approvisionnement dès juillet 2001, en signant des télécopies à l'entête de Commercial Office ou en participant à des réunions avec des fournisseurs concurrents de ceux de la société Groupe Aline.
Cette dernière estime encore que la preuve des fautes alléguées est rapportée par les pièces qu'elle a versées aux débats à savoir l'attestation de Madame Cariou, qui a bien démissionné, et qui a été présentée par Stéphan Wagner en qualité d'associée dans la nouvelle structure désignée comme sienne le 21 août 2001, et pour laquelle il a organisé un stage de formation ; elle en déduit que Stéphan Wagner a cherché à acquérir une entreprise commercialisant directement des produits concurrents de ceux de la société Groupe Aline, et qu'il a par ailleurs cherché à désorganiser cette dernière en détournant ses meilleurs vendeurs, Madame Cariou, Monsieur Pascal ou Madame Kallenbach aux termes des correspondances de Commercial Office.
La société Groupe Aline soulève encore l'incompétence de la juridiction du travail pour statuer sur la demande en dommages et intérêts du salarié à son égard, qu'elle considère sans lien avec l'exécution ou la fin du contrat de travail.
A titre subsidiaire, elle conclut au débouté des demandes, en faisant valoir qu'en constatant que le salarié n'avait pas tenu ses engagements contractuels de non-concurrence, elle a cru de bonne foi faire partager son expérience à ses partenaires commerciaux, ce qui, en outre n'a entraîné aucun préjudice pour Stéphan Wagner qui a été embauché par le Groupe Lavoix, et que le fait de faire connaître son opinion fondée sur une personne ne peut constituer en soi une faute.
Stéphan Wagner conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, par les motifs des premiers juges, et à la condamnation de la société Groupe Aline à lui verser la somme de 150 000 F CFP pour frais irrépétibles et aux entiers dépens.
Il précise que la clause de non-concurrence n'interdit pas au salarié de prospecter pendant la période d'éviction, en vue de s'établir après l'expiration du délai comme entrepreneur ou salarié dans le domaine interdit, le marché du travail ne répondant pas immédiatement aux sollicitations d'un demandeur à l'activité économique, ce qui le contraindrait à attendre l'expiration du délai pour engager les travaux de prospection, alors que l'interdiction porte sur l'établissement ou l'intéressement à une entreprise concurrente qui pourrait, dans le délai de la clause, exposer les intérêts légitimes de l'ancien employeur.
Le salarié expose que la liberté de prospecter doit recevoir une consécration d'autant plus large qu'il est hautement spécialisé, ou que par la nature de ses tâches effectuées pendant 24 ans au service d'un seul employeur, il se trouve peu disposé, ou le monde du travail ne le prédispose pas, à d'autres emplois, que par ailleurs la transaction invoquée a éteint un litige existant et clos tout litige à naître, et ne contient pas les stipulations alléguées par l'employeur.
Stéphan Wagner fait encore valoir qu'il n'a pris aucun intérêt dans la société Commercial Office, de même que son épouse, et qu'il a été réembauché par le Groupe Rabot, qui se fournit pour certains produits auprès de la société Groupe Aline, et il précise à cet égard que, alors qu'il était libre de contracter, les époux Wagner ont dénoncé la promesse d'achat du fonds de commerce sur le constat qu'ils avaient pu faire de certains faits qu'ils s'étaient interdits d'examiner en raison de la clause de non-concurrence, et des conditions suspensives des engagements réciproques des parties à l'acte de vente.
Il soutient n'avoir fait aucun acte de gestion, passé aucune commande, tenu la moindre caisse, reçu aucun client, perçu aucune rémunération et n'avoir jamais pénétré sauf à la veille du compromis en juin 2001, dans les lieux du fonds de commerce avant l'expiration de la période interdite.
Stéphan Wagner explique que, s'il a obtenu des époux Merle occasionnellement l'autorisation d'utiliser le papier à entête de Commercial Office, c'est afin de pouvoir interroger les fournisseurs du fonds sur les catalogues et les produits dont la plupart ne sont pas concurrents de ceux de la société Groupe Aline, que la comparaison des prix, sans passer commande, le fait de s'enquérir des conditions de vente, notamment de produits non vendus par la société Groupe Aline, dans le cadre d'un fonds de commerce au détail, sans aucune commune mesure avec l'activité d'importation et de vente en gros de la société Groupe Aline, et d'examiner les modalités d'un stage d'esthéticienne, ne peuvent s'analyser que comme des études et pourparlers que la clause ne pouvait interdire.
Le salarié fait encore valoir qu'il n'a commis aucun acte de désorganisation de l'entreprise, alors qu'il n'a pas acquis la société et il conteste la lettre émanant de Monsieur Merle, qui a engagé un procès contre les époux Wagner pour rupture de la vente prévue.
Il soutient que les fonctions envisagées de Madame Cariou étaient celles d'esthéticienne, qu'elle était par ailleurs mentionnée en qualité de gérante associée du fonds de commerce projeté, qu'il n'a nullement rédigé la lettre de démission de la salariée, qu'il n'a pas cherché à débaucher, et il fait état d'un grave malaise relationnel qui aurait expliqué la démission de Madame Cariou, et s'étonne de la production tardive de l'attestation de cette dernière, datée du jour de la démission.
Stéphan Wagner conteste la recevabilité de l'attestation, non régulière de M. Pascal, et qui ne démontre aucun débauchage de ce salarié que l'intimé a côtoyé pendant 24 ans et avec lequel il a conservé de bonnes relations; il estime encore que les faits relatifs à Madame Kallenbach, qui avait des liens de parenté avec les époux Wagner, ont été inventés par les époux Merle, à l'instigation, affirme-t-il, de la société Groupe Aline qui a déposé plainte pour abus de biens sociaux contre le salarié, procédure clôturée par un non-lieu confirmé par la chambre de l'instruction.
Sur la demande reconventionnelle, Stéphan Wagner maintient la compétence du tribunal du travail, en raison de tentatives de dénigrement et de corruption faites en décembre 2001 par Monsieur Aline auprès de son nouvel employeur pendant les négociations d'embauche, ces manœuvres ne s'expliquant que par le lien du contrat de travail ayant existé entre les parties, et ayant pour but de l'empêcher de retrouver un emploi en jetant le discrédit sur sa personne.
Postérieurement à l'ordonnance de fixation, intervenue le 4 août 2003, la société Groupe Aline a déposé de nouvelles conclusions invoquant la commune intention des parties et le principe, prévu par l'article 1134 du Code civil, de l'exécution de bonne foi des conventions et elle demande à la cour de placer la clause de non-concurrence dans le cadre de la transaction globale signée au moment du départ, qui indiquerait que la neutralité d'une année du salarié est une condition essentielle allant au-delà de la seule clause de non-concurrence initiale, eu égard à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, et concrétisée par le versement d'indemnités importantes destinées à permettre Stéphan Wagner de se reconvertir dans un autre secteur d'activité, alors que l'intéressé a démarché la société Commercial Office et a signé un acte d'achat six mois après la perception des sommes.
La société Groupe Aline soutient que l'acte d'acquisition est définitif, seule l'entrée théorique en jouissance étant reportée à une date postérieure, l'article 9 de l'acte de vente prévoyant que Madame Merle s'engageait dès la signature du contrat à se tenir à la disposition de l'acquéreur pendant 9 jours sans rémunération, avec effet immédiat, et Madame Merle, qui a poursuivi en justice la réalisation de la vente, ayant mis fin à l'entrepôt sous douane ouvert à son nom, et ayant témoigné n'avoir eu qu'un rôle d'assistante de Stéphan Wagner pendant les trois mois visés.
Elle allègue encore la prospection active par Stéphan Wagner quelques semaines après la transaction, dont elle rappelle les actes, qui porteraient directement atteinte aux intérêts de son ancien employeur, et elle invoque le projet de Stéphan Wagner, dès juillet 2000, alors salarié de la société Groupe Aline, de créer sa propre entreprise, ainsi qu'en attesterait Madame Asi, comptable de l'entreprise et ce qui ressortirait d'un listing annoté par le salarié.
La société Groupe Aline rappelle les pièces produites à l'appui de ses arguments et les tentatives de démarchage de son personnel, et elle indique que le 2 juillet 2001 n'est pas la date de l'établissement de l'attestation mais celle de la remise de la lettre de démission de Madame Cariou, qui a par ailleurs complété son témoignage par une attestation aux termes de laquelle Stéphan Wagner lui aurait proposé de travailler pour le compte de sa société dès mars 2001, qu'il organisait par ailleurs un stage de formation dans une entreprise du 20 au 25 septembre 2001 alors que Madame Cariou était employée par la société Groupe Aline jusqu'au 30 septembre 2001.
Concernant la demande reconventionnelle, il est fait état d'un détournement de correspondance, nié par Stéphan Wagner et argument retiré par l'appelante dans ses dernières écritures, qui reprennent le moyen tiré de l'absence de préjudice du salarié, et qui soulignent que Madame Wagner ne serait qu'un prête-nom, ce qui caractérise l'intention de nuire à son ancien employeur de Stéphan Wagner et sa mauvaise foi.
Elle verse aux débats de nombreuses pièces, qui ont été analysées et pour certaines contestées par l'intimé, qui a conclu au bénéfice de ses écritures et demandes, en contestant avoir accompli aucun acte de gestion de Commercial Office, ni tenté de créer sa propre entreprise, alors qu'il représentait la société Groupe Aline auprès des fournisseurs, notamment L'Oreal.
Il considère que l'action entreprise par la société Groupe Aline, qui n'a subi aucun acte de concurrence déloyale et aucun préjudice, a pour but de reprendre les sommes allouées au titre de la transaction, alors que cet acte prévoyait :
- le versement de sommes que le salarié avait accepté de différer au jour de sa retraite,
- des sommes répondant aux exigences légales soit un an de salaire au titre de la contrepartie financière de la clause litigieuse,
- et les autres éléments correspondant aux divers chefs de préjudice d'un dirigeant d'entreprise évincé de son emploi, de ses collaborateurs et interlocuteurs commerciaux, après de longues années au service de la société.
Il évoque en dernier lieu la possibilité d'une confrontation avec les attesteurs et auteurs des divers documents produits.
Motifs de la décision
Sur la clause de non-concurrence
Attendu que par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont exactement retenu que les actes de Stéphan Wagner ne constituaient nullement une violation de la clause de non-concurrence, mais des actes préparatoires à la recherche d'un établissement professionnel;
Attendu qu'en l'espèce, le contrat d'achat de la société Commercial Office était signé en juin 2001 par Madame Wagner, sous condition suspensive, que cette vente ne devait prendre effet qu'en septembre 2001, soit postérieurement à l'expiration de la clause de non-concurrence de son époux, que par ailleurs cet achat n'a pas été réalisé, qu'il appartient à la juridiction saisie par les époux Merle, vendeurs, de se prononcer sur la réalisation de la vente, et non à la société Groupe Aline ;
Attendu qu'aucun acte de commande n'est démontré de la part de Stéphan Wagner au sein de la société Commercial Office, seules des demandes d'information, concernant notamment des tarifs et des catalogues ayant été sollicitées par Stéphan Wagner, que les allégations de Madame Merle concernant la gestion par Stéphan Wagner de la société Commercial Office, non étayées par des éléments objectifs, ne peuvent être prises en considération, eu égard à l'instance en cours entre elle-même et les époux Wagner ;
Attendu que la clause de non-concurrence doit s'apprécier strictement, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, que les indemnités perçues par Stéphan Wagner à la fin de son contrat de travail, ne font pas obstacle à l'application de ce principe, qu'elles ne présentent, au demeurant, aucun caractère excessif, eu égard à ses fonctions de directeur général de l'entreprise et à son ancienneté ;
Attendu qu'aucune tentative de désorganisation de la société de l'ex-employeur de Stéphan Wagner n'est établie. Par ailleurs, Madame Cariou, qui a donné sa démission ne faisant état d'aucune pression sur sa personne, alors quelle était libre de demeurer au sein de la société Groupe Aline ou de choisir une autre voie professionnelle, qu'elle semble en outre avoir maintenu sa démission alors que le projet d'achat de société Commercial office ne réalisait pas;
Attendu qu'au surplus il est sollicité des dommages et intérêts pour violation d'une clause de non-concurrence et non pour tentative de débauchage de personnel;
Attendu qu'ainsi, le débouté des demandes de la société Groupe Aline sera confirmé ;
Sur les dommages et intérêts sollicités par Stéphan Wagner
Attendu que la lettre de Monsieur Aline au président du Groupe Lavoix, demandant à ce dernier comme un service personnel de ne pas recruter Stéphan Wagner, qui se trouvait en négociation d'embauche, se situe bien dans le cadre des suites du contrat de travail de l'intéressé, ce qui rendait compétent le tribunal du travail pour connaître de la demande du salarié en réparation du préjudice que cette lettre lui a causé, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges;
Attendu que cette lettre visait à nuire à Stéphan Wagner en le privant d'un emploi éventuel, et non seulement à informer un futur employeur d'éléments objectifs, ainsi que l'appelante le soutient;
Attendu que le préjudice moral de Stéphan Wagner a été exactement apprécié par le tribunal et sera confirmé ;
Sur les frais irrépétibles
Attendu qu'il apparaît équitable de décharger Stéphan Wagner des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel pour la somme de 150 000 F CFP, l'indemnité allouée par les premiers juges étant confirmée par ailleurs;
Attendu que la demande formée au même titre par la société Groupe Aline sera rejetée;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire; Déclare l'appel de la société Groupe Aline recevable et mal fondé ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Y Ajoutant; Condamne la société Groupe Aline à payer à Stéphan Wagner la somme de cent cinquante mille (150 000) F CFP pour frais irrépétibles d'appel; Déboute la société Groupe Aline de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.