CA Paris, 1re ch. H, 15 novembre 2005, n° ECEC0812846X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Les Oliviers (SARL)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoué :
SCP Mira-Bettan
Avocat :
Me Pottier
La société l'Hermitage de Saint-Etienne, du groupe Medica-France, qui était à la tête d'une trentaine de maisons de retraite dénommées l'Hermitage, a acquis en 1995 le fonds de commerce de la société Les Alizés, qui exploitait jusqu'alors une résidence accueillant des personnes âgées, afin d'y créer une maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes de 80 lits avec 40 lits de section de cure médicale et 10 places d'accueil "jour". Cette société avait conclu le 11 mai 1994 avec la société Logal, dont l'associée unique était la Société d'Economie Mixte de la commune de Saint-Étienne, ci-après la SAIEM, un bail commercial d'une durée de neuf ans fixant un loyer mensuel de 20 025,33 euro. A la suite d'un différend portant sur les modalités d'extension des activités projetées ainsi que sur les travaux de mise en conformité qui s'avéraient nécessaires, les parties ont finalement conclu, le 7 octobre 1996, un protocole aux termes duquel l'Hermitage de Saint-Etienne s'engageait à signer avec Logal un nouveau bail commercial fixant un loyer majoré correspondant au coût de ces travaux.
Après l'absorption de l'Hermitage de Saint-Étienne, Medica-France a cédé en 1997 son fonds de commerce, comprenant le droit au bail, à la SNC les Oliviers, transformée en SARL en 1999. De son côté, Logal a été absorbée le 1er janvier 1998 par la SAIEM. Parallèlement, au plan administratif, la demande d'ouverture de la maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes qui avait été initialement rejetée en 1996, a été acceptée par arrêté du 8 octobre 1997 du président du Conseil général et du Préfet de la Loire, mais seulement pour 68 lits, dont 40 en section de cure médicale. Enfin, par arrêté du 26 mai 1998, le maire de Saint-Étienne a autorisé l'ouverture de l'établissement après avis favorable de la Commission communale de sécurité.
Le 31 janvier 2001, la société les Oliviers, ci-après les Oliviers, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la SAIEM, par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de cette ville ainsi que par la commune de Saint-Étienne elle-même sur le marché de l'hébergement des personnes âgées dépendantes et semi-dépendantes de l'agglomération de Saint-Étienne, ayant consisté tout à la fois :
- dans l'exploitation abusive par la SAIEM, dont elle est devenue la locataire, d'une situation de dépendance économique ainsi que dans l'exploitation abusive par le CCAS, à qui la ville de Saint-Etienne a décidé de confier, en 1996, la gestion de 15 résidences pour personnes âgées, de sa position dominante,
- dans une entente conduite par ces trois entités,
- enfin, dans la pratique par le CCAS, grâce au versement des subventions d'équilibre dont il bénéficie, de prix abusivement bas.
Par décision n° 05-D-05 du 18 février 2005, le Conseil a rejeté la saisine estimée en partie irrecevable et, pour le surplus, dépourvue d'éléments probants.
LA COUR,
Vu le recours formé par la société les Oliviers, représentée par son liquidateur amiable, le 22 mars 2005; Vu le mémoire, déposé le 22 avril 2005 à la suite de son recours, dans lequel cette société demande à la Cour de réformer la décision déférée et de sanctionner les différentes infractions commises conjointement par la SAIEM et le CCAS de Saint-Etienne ainsi que par cette commune elle-même; Vu les observations du ministre de l'Economie, déposées le 26 mai 2005, tendant au rejet du recours; Vu les observations du Conseil de la concurrence, déposées le 3 juin 2005; Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience; Ouï à l'audience du 20 septembre 2005 en leurs observations orales le conseil de la partie requérante, le représentant du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer et la société les Oliviers ayant eu la parole en dernier;
Sur ce,
En ce concerne l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique
Considérant que la requérante maintient que cette pratique résulte du montant excessif du loyer imposé par la SAIEM, que des liens étroits unissent à la commune de Saint-Etienne et à son CCAS, alors que, s'agissant de l'emplacement des locaux où elle exerce son activité, contrairement à ce qu'a estimé le Conseil, elle ne disposait pas de solution équivalente;
Mais considérant que s'il est vrai qu'aux termes de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce, est prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur, force est de constater, qu'au cas d'espèce, la pratique anticoncurrentielle dénoncée par les Oliviers s'inscrit, non dans le cadre d'une telle relation, mais résulte en réalité seulement du protocole d'accord, librement négocié par le cédant de son fonds de commerce, qui déterminait, sous certaines conditions, une augmentation du loyer fixé par le bail commercial initial ; que, de surcroît, le Conseil a relevé avec pertinence que la requérante ne démontrait pas qu'elle était dans l'impossibilité de rechercher d'autres locaux pour exercer ses activités moyennant le paiement d'un loyer d'un montant plus adapté à ses perspectives de rentabilité, spécialement eu égard au délai qui s'est écoulé jusqu'au dépôt de sa requête en 2001;
En ce qui concerne l'abus de position dominante et la pratique de vente à prix abusivement bas
Considérant que la société les Oliviers soutient également qu'un tel abus résulte de l'exploitation par le CCAS de la ville de Saint-Étienne de 15 établissements comparables au sien à des prix dont le montant, inférieur au marché, est rendu possible par des subventions d'équilibre et que, ne formulant aucun grief à l'encontre de décisions administratives, c'est à tort que le Conseil a estimé que ses griefs se rattachaient au contentieux administratif de la tarification;
Mais considérant que si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative;
Considérant qu'en l'espèce, la contestation de la gestion par le CCAS de la ville de Saint-Étienne de résidences pour personnes âgées que la commune exploitait auparavant en régie directe, met en effet directement en cause l'organisation et le fonctionnement du service public de l'hébergement des personnes âgées ou dépendantes de cette collectivité locale, et non d'activités susceptibles d'en être détachées; qu'au surplus, la décision de la commune d'allouer une subvention au CCAS, établissement public, relève de ses prérogatives de puissance publique, dont il n'appartient pas au Conseil de la concurrence d'apprécier la régularité ; que, dès lors, c'est à bon droit que le Conseil a estimé que, même si la gestion de ces résidences constitue une activité de prestation de services, l'examen de la légalité des modalités de leur financement au regard des dispositions des articles L. 420-2 et L. 420-5 du Code de commerce ne relevait pas de ses attributions;
En ce qui concerne l'existence d'une entente
Considérant que la société les Oliviers prétend enfin que la commune de Saint-Etienne, la SAIEM et le CCAS se sont également rendus coupables d'une telle pratique, qui a pour objet et pour effet d'entraver la concurrence sur le marché de l'hébergement des personnes âgées dépendantes de la ville de Saint-Étienne;
Mais considérant que la requérante se borne sur ce point à mettre à nouveau en exergue les griefs précédemment évoqués au sujet du montant du loyer commercial et du niveau des tarifs pratiqués par les autres établissements, griefs justement écartés par le Conseil, et, précisant que l'entente dénoncée ne serait pas "formalisée", n'allègue ni des faits ni des comportements imputables aux représentants des trois entités susceptibles d'attester une action concertée tendant à l'empêcher de proposer, sur le marché considéré, des tarifs aussi compétitifs que ceux pratiqués par le CCAS;
Considérant qu'il suit de là que le recours doit être rejeté;
Par ces motifs, Rejette le recours, Condamne la SARL les Oliviers aux dépens.