Cass. crim., 6 septembre 2005, n° 04-86.698
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Palisse
Avocat général :
M. Chemithe
Avocat :
SCP Tiffreau
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Bernard, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 28 septembre 2004, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euro d'amende, à l'interdiction définitive d'exercer la profession de courtier d'assurances, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 313-4 (ancien), 313-7 (ancien) du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X coupable d'abus de faiblesse, l'a condamné à la peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euro d'amende, et à payer des dommages-intérêts à Georgette Y représentée par son administrateur légal ;
"aux motifs que "Bernard X n'a pas contesté qu'alors qu'il travaillait aux AGF, il avait effectué des placements dans l'intérêt du couple Y ; que, par ailleurs, il est acquis que Georgette Y a, par son intermédiaire, souscrit au profit de certains bénéficiaires en novembre 1996 un contrat " eurepargne ", en janvier 1997 une assurance " avenir placement plus " et en août 1998 un contrat " april épargne libre " ;
"que dans ce contexte, et alors que Bernard X n'ignorait pas les autres placements faits par sa cliente, tant aux MMA, qu'à la Société Générale et qu'il connaissait également le montant des retraites de l'intéressée et la teneur de son testament, il lui a proposé l'acquisition d'un appartement ancien à Nîmes, dans un bâtiment classé historique (l'hôtel de Régis), nécessitant des travaux d'aménagement, et " destiné à la location " pour un montant de 232 000 francs, somme entièrement financée par un emprunt contracté auprès d'Entenial pour une durée de 10 ans, moyennant des mensualités de 1 044 francs, comprenant uniquement les intérêts, à taux variable, et aucune fraction de remboursement du capital, celui-ci étant remboursable en, totalité au terme ; que pour ce faire, Georgette Y a constitué un mandataire spécial par acte authentique passé par devant Me Jean-Yves Le Z ; qu'en garantie de l'emprunt, Georgette Y a donné en gage une police d'assurance vie MMA ;
" que le notaire ayant lu la procuration a précisé aux enquêteurs que Georgette Y n'avait pas esquissé la moindre remarque lors du passage traitant de l'achat d'un bien immobilier ; que pour le surplus, Georgette Y lui est apparue " comme ayant toute sa tête lors de la signature de cette procuration " ;
" considérant, s'agissant de l'état de santé de Georgette Y, née le 9 mars 1920, que son médecin traitant a attesté en novembre 2001, que " l'intéressée vivait essentiellement dans le souvenir de son époux, présentait un état dépressif nécessitant la prise de thérapeutiques spécifiques ; que ce praticien a précisé qu'elle pouvait être amenée à présenter des troubles de mémoire ou d'efficience intellectuelle une personne fragile, susceptible de subir une influence de la part d'un tiers qui serait amené à en abuser psychiquement " ; qu'il est démontré que cette fragilité a perduré, l'intéressée présentant désormais une maladie de la mémoire évolutive, le mini mental test étant chiffré en janvier 2004 à 18/30, le juge des tutelles a prononcé la mise sous tutelle de Georgette Y et désigné Geneviève A, sa nièce, pour exercer les fonctions d'administrateur légal sous contrôle judiciaire ;
" que les travaux relatifs à la rénovation de l'Hôtel de Régis se sont terminés fin 2003 et que les mises en location ont commencé à cette date ; que le procès-verbal de réception du studio n'est pas intervenu à défaut de représentation de Georgette Y ; que ce logement n'a donc à ce jour généré que des charges et aucun revenu ; que, s'agissant de la valeur patrimoniale, le bien immobilier a été évalué à la somme comprise entre 28 000 euro et 30 000 euro selon les documents fournis par la partie civile et à la somme de 32 940 euro selon attestation produite par le prévenu ;
" que ce type d'investissement permet à l'acquéreur de déduire de ses revenus fonciers préexistants et de ses revenus généraux la totalité des intérêts de l'emprunt et le montant total des travaux ;
" que s'il n'est pas démontré que Georgette Y souhaitait souscrire une nouvelle assurance vie, compte tenu des contrats d'ores et déjà en cours, ses propos recueillis lors de l'enquête montrent qu'elle n'entendait pas acquérir un appartement monument historique ;
que, Bernard X, qui a indiqué revenir sur ses déclarations faites pendant sa garde à vue, avait pourtant reconnu lors de sa confrontation avec l'intéressée que " cela n'était pas clair chez Me Le Z et que Georgette Y n'avait, en conséquence, pas compris qu'elle faisait une procuration pour qu'elle puisse acheter un appartement au travers d'un emprunt de 232 000 francs" ; qu'il avait même ajouté lors de cette confrontation " qu'il avait conscience de cela " ;
" que l'intention frauduleuse est de la sorte parfaitement caractérisée ; que les pièces médicales montrent que Georgette Y était vulnérable ; que le rappel des modalités de l'opération permet d'établir que cet investissement ne présentait pas d'intérêt pour elle qui n'est pas imposable ou très peu ; que le coût de l'opération s'étant élevé à la somme de 35 400 euro et la valeur vénale de l'immeuble s'élevant à un prix moyen de 30 000 euro, le manque à gagner est au minimum de 5 400 euro, sans tenir compte des intérêts du prêt et des taxes d'ores et déjà acquittés, de l'impossibilité pour elle de pouvoir racheter, avant son terme, l'assurance vie MMA gagée en garantie de l'emprunt ; que, par ailleurs, la mise en œuvre d'une procédure pénale lui a indéniablement, compte tenu de son âge, causé des tracas constitutifs d'un préjudice moral ;
" qu'au vu des ces éléments, c'est à bon droit que les premiers juges ont requalifié les faits en abus de faiblesse, la décision étant cependant réformée en ce que l'ancien texte (313-4 du Code pénal) doit être retenu, au regard de la date des faits" ;
"alors que, 1) selon l'arrêt attaqué, le notaire ayant reçu l'acte portant constitution d'un mandataire spécial en vue de l'acquisition immobilière litigieuse avait précisé que Georgette Y n'avait pas esquissé la moindre remarque lors du passage traitant de cette acquisition, et qu'elle lui était apparue " comme ayant toute sa tête lors de la signature de cette procuration" ; qu'en jugeant néanmoins que Georgette Y se serait trouvée dans un état de faiblesse, aux motifs qu'un médecin avait attesté de sa fragilité en novembre 2001 et que cette fragilité aurait perduré, Georgette Y ayant été ultérieurement placée sous tutelle, sans mieux s'expliquer sur les éléments concrets qui auraient permis de caractériser, contrairement aux déclarations du notaire, un état de faiblesse au moment où l'acte authentique susvisé avait été reçu, en février 2001, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"alors que, 2°) le délit d'abus de faiblesse suppose que l'acte obtenu de la victime soit de nature à lui causer un grave préjudice ; qu'en retenant que les travaux relatifs à la rénovation de l'Hôtel de Régis s'étaient terminés fin 2003 et que les mises en location des appartements achetés dans cet immeuble avaient bien commencé à cette date, mais que, s'agissant du studio acquis par Georgette Y, le procès-verbal de réception n'était pas intervenu "à défaut de représentation de Georgette Y", de sorte que ce logement n'avait à ce jour généré que des charges et aucun revenu, et en constatant ainsi un manque à gagner dû à une circonstance postérieure à l'acquisition litigieuse, en l'occurrence l'absence de procès-verbal de réception du studio rénové, sans rechercher si, au moment où cette acquisition avait été faite, Georgette Y pouvait réellement escompter des revenus de location, de sorte que cette acquisition n'aurait pu être regardée comme de nature à lui causer un grave préjudice, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale,
"alors que, 3°) le délit d'abus de faiblesse suppose une intention frauduleuse ; qu'en retenant que les travaux relatifs à la rénovation de l'Hôtel de Régis s'étaient terminés fin 2003 et que les mises en location avaient bien commencé à cette date, mais que, s'agissant du studio acquis par Georgette Y, le procès-verbal de réception n'était pas intervenu " à défaut de représentation de Georgette Y", de sorte que ce logement n'avait à ce jour généré que des charges et aucun revenu, et en constatant ainsi un manque à gagner dû à une circonstance postérieure à l'acquisition litigieuse, en l'occurrence l'absence de procès-verbal de réception du studio, sans rechercher si, au moment où cette acquisition avait été faite, Bernard X pouvait croire que le studio serait mis en location après rénovation, de sorte que l'opération aurait été rentable, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'intention du prévenu d'obliger Georgette Y à un acte qui aurait été de nature à lui causer un grave préjudice, et a ainsi privé sa décision de base légale" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 313-4 devenu l'article 223-15-2 du Code pénal ;
Attendu que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;
Attendu que, pour déclarer Bernard X coupable d'abus de faiblesse, l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il ne résulte pas que l'état d'ignorance ou la situation de faiblesse de Georgette Y étaient apparents ou connus de Bernard X, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue ;
Et sur le second moyen relevé d'office et pris de la violation des articles 111-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré le prévenu coupable d'abus de faiblesse, l'arrêt attaqué le condamne notamment à l'interdiction définitive d'exercer la profession de courtier d'assurances ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi une interdiction définitive, alors que l'article 313-7 du Code pénal, applicable au moment des faits, et l'article 223-15-3 dudit Code, actuellement en vigueur, prévoient l'interdiction d'exercer une activité professionnelle pour une durée de cinq ans au plus, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs, Casse et Annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Rennes, en date du 28 septembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Angers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.