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Décisions

CJCE, 2e ch., 19 février 1981, n° 130-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Fabriek voor Hoogwaardige Voedingsprodukten Kelderman BV

CJCE n° 130-80

19 février 1981

1. Par jugement du 28 mars 1980, parvenu à la Cour le 29 mai 1980, l'economische Politierechter d'Amsterdam a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 30 du traité, en vue de préciser la notion de mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au regard de l'article 10 du 'Broodbesluit'(arrêté sur le pain) néerlandais, en ce que cet article prévoit que la quantité de matière sèche contenue dans un pain doit se situer à l'intérieur d'une 'fourchette' déterminée.

2. La question est posée dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre un importateur poursuivi pour avoir vendu sur le marché néerlandais de la brioche en provenance de la République française dont le poids rapporte à la matière sèche s'élevait environ a 300 grammes pour 400 grammes de produit frais. Les autorités administratives néerlandaises, ayant assimile cette brioche au pain, ont constate que cette teneur en matière sèche ne rentrait pas dans la fourchette prévue par le 'Broodbesluit'.

3. Il est rappelé que le 'Broodbesluit' a été promulgué aux Pays-Bas dans sa version actuelle, le 21 décembre 1925, en application des articles 14 et 15 de la 'Warenwet' du 19 septembre 1919 (loi sur les marchandises); en vertu de ces textes, il est prévu, entre autres, que, pour protéger la santé publique ou promouvoir la loyauté dans les transactions commerciales, des règlements d'administration générale peuvent poser certaines exigences en matière de composition et d'appellation des marchandises.

4. L'importateur, s'étant vu dresser procès-verbal en vertu des dispositions précitées, a, devant l'economische Politierechter d'Amsterdam, invoque l'incompatibilité de cette règlementation avec l'article 30 du traité CEE aux termes duquel sont interdites dans les échanges intracommunautaires les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que de toutes mesures d'effet équivalent. Le juge national a estimé nécessaire, avant de rendre son jugement, de poser à la Cour la question suivante :

' La notion de mesure d'effet équivalant a des restrictions quantitatives à l'importation de l'article 30 du traité CEE doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle vise la condition inscrite à l'article 10 du 'Broodbesluit' (Warenwet) - selon laquelle la quantité de matière sèche contenue dans un pain doit se situer à l'intérieur d'une fourchette déterminée - qui a pour conséquence que des produits traditionnels d'autres Etats membres, dont la teneur en matière sèche se situe en dehors de cette fourchette, ne peuvent être mis en vente aux Pays-Bas'.

5. Il convient d'abord de relever que, en l'absence de règles communes ou harmonisées relatives à la fabrication et à la commercialisation du pain, il appartient aux Etats membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne les caractéristiques de composition, la fabrication et la commercialisation de cette denrée.

6. Ainsi que la Cour l'a itérativement affirmé dans les arrêts du 20 février 1979 (Rewe, affaire 120-78, Recueil 1979, p. 649) et du 26 juin 1980 (Gilli, affaire 788-79, non encore publiée), les obstacles à la circulation intracommunautaire résultant de disparités des législations nationales relatives à la commercialisation des produits en cause doivent être acceptes dans la mesure ou ces prescriptions peuvent être reconnues comme étant nécessaires pour satisfaire a des exigences impératives tenant, notamment, à la protection de la santé publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs.

7. L'extension, aux produits importes, d'une obligation de contenir une certaine quantité de matière sèche peut exclure la commercialisation dans l'état concerne de pain originaire d'autres Etats membres. Elle peut nécessiter une fabrication différenciée selon la destination du pain, et donc, entraver la circulation du pain tel que produit légalement dans l'Etat membre d'origine si, dans cet état, des critères identiques de fabrication ne sont pas prescrits.

8. Un obstacle étant ainsi susceptible d'entraver les échanges entre Etats membres, il y a donc lieu d'examiner s'il peut être justifie par des raisons d'intérêt général tenant en l'occurrence à la protection de la santé publique et à la défense des consommateurs, raisons qui, selon les observations du Gouvernement néerlandais et conformément à la 'Warenwet', sont à la base du 'Broodbesluit'.

9. En ce qui concerne la sauvegarde de la santé publique, le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, intervenant à la procédure, a exposé qu'il souhaitait veiller, par les mesures prises, à ce que la population reçoive des substances nutritives suffisantes.

10. Il convient de remarquer à ce propos que le système de la 'fourchette' des quantités de matière sèche, tel que prévu par le 'Broodbesluit', est lie à la confection du pain en formats déterminés et met donc en jeu un critère qui ne présente aucun rapport avec la protection de la santé. Le Gouvernement néerlandais a d'ailleurs reconnu au cours des débats oraux, que celle-ci n'était pas en cause. Cette argumentation ne saurait donc être retenue.

11. En ce qui concerne la défense des consommateurs, il a été allégué que le 'Broodbesluit' aurait institué une délimitation claire entre les divers formats et poids de pain et permettrait ainsi d'éviter que le consommateur ne soit induit en erreur sur la quantité réelle de pain qui lui est offerte.

12. Cependant, il importe d'observer à ce sujet qu'il est facile d'assurer une information convenable du consommateur par des moyens adéquats tels que l'exigence d'un étiquetage comportant par exemple le poids et les caractéristiques de composition du produit importé, comme cela a d'ailleurs été exposé à propos des circonstances relatives au litige soumis à la juridiction nationale.

13. Enfin, dans ses observations, le Gouvernement néerlandais tire argument de l'existence, dans la réglementation néerlandaise, d'une large possibilité d'exemption, par le ministre compétent, de l'obligation de respecter les conditions imposées par le 'Broodbesluit'.

14. Il y a lieu a ce propos de rappeler une jurisprudence constante (arrêt du 24. 1. 1978, Van Tiggele, affaire 82/77, Recueil 1978, p. 25 ; arrêt du 16. 12. 1980, Fietje, affaire 27-80, non encore publiée) en vertu de laquelle une mesure qui relève de l'interdiction prévue par l'article 30 du traité n'échappe pas à cette interdiction par le seul fait que l'autorité compétente est habilitée à accorder des exemptions, même si cette habilitation est utilisée libéralement en faveur des produits importes. La libre circulation est un droit dont l'exercice ne peut dépendre d'un pouvoir discrétionnaire ou d'une tolérance de l'administration nationale.

15. Il apparait de ce qui précède que l'obstacle oppose à la commercialisation, aux Pays-Bas, de pain légalement produit et commercialise dans un autre Etat membre n'est justifie par aucun motif d'intérêt général et que, des lors, l'application, au pain importe, de la législation nationale en la matière constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative prohibée par l'article 30 du traité.

16. Il convient donc de répondre à la question posée que la notion de 'mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation', figurant à l'article 30 du traité est a comprendre en ce sens que relève de cette disposition une réglementation légale d'un Etat membre prescrivant que la quantité de matière sèche d'un pain doit se situer à l'intérieur d'une fourchette de valeurs déterminées des lors qu'elle s'applique à l'importation de pain légalement fabriqué et commercialisé dans un autre Etat membre.

Sur les dépens

17. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ; la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par l'economische Politierechter d'Amsterdam, par jugement du 28 mars 1980, dit pour droit :

La notion de 'mesure d'effet équivalant a des restrictions quantitatives à l'importation', figurant à l'article 30 du traité est à comprendre en ce sens que relève de cette disposition une réglementation légale d'un Etat membre prescrivant que la quantité de matière sèche d'un pain doit se situer à l'intérieur d'une fourchette de valeurs déterminées des lors qu'elle s'applique à l'importation de pain légalement fabrique et commercialise dans un autre Etat membre.