CA Paris, 3e ch. B, 26 janvier 2005, n° 04-21945
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Espace Télécommunications Equipement (SARL), Mulhaupt (ès qual.)
Défendeur :
SFR (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thevenot
Conseillers :
M. Monin-Hersant, Mme Catry
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Mes Michel, Cledat
Vu le jugement rendu le 22 septembre 2004 par le Tribunal de commerce de Paris rejetant les demandes présentées par la société "Espace Télécommunication Equipement" en résiliation des conventions la liant à la société "Société Française du Radiotéléphone" et au paiement de dommages et intérêts;
Vu l'appel qui a été interjeté à l'encontre de cette décision;
Vu les dernières écritures déposées par la société "Espace Télécommunication Equipement" et maître Mulhaupt ès qualités d'administrateur judiciaire de cette société en redressement judiciaire, ces écritures portées par son assignation à jour fixe visant à l'infirmation du jugement pour obtenir la condamnation de la société "Société Française du Radiotéléphone" à leur payer la somme de 1 818 774 euro à titre d'indemnité de brusque rupture, au paiement de la somme de 1 818 774 euro au titre du préjudice découlant d'un détournement de clientèle, soit sur le fondement de l'abus de droit soit sur celui de la violation des articles 1134, 1135 et 1156 du Code civil, voir condamner la société "Société Française du Radiotéléphone" à leur payer la somme de 10 912 644 euro à titre de dommages et intérêts et d'indemnité compensatrice de rupture, et celle de 150 000 euro au titre de la résiliation abusive du contrat concernant le point de vente de Sélestat, la voir condamner à payer la somme de 1 215 371 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de clientèle, subsidiairement la voir condamner à leur payer la somme de 3 637 548 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de reconversion, sa condamnation au paiement de la somme de 7 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la publication de la décision dans plusieurs journaux.
Vu les dernières conclusions déposées le 14 décembre 2004 par la société "Société Française du Radiotéléphone" aux termes des quelles il est demandé de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il rejette les demandes de la société "Espace Télécommunication Equipement" et de son administrateur judiciaire et les voir condamner in solidum à lui payer la somme de 8 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les faits:
La société "Espace Télécommunication Equipement" a conclu avec la société "Cellcorp", mandatée par la société "Société Française du Radiotéléphone" à cette fin et engageant la seconde vis-à-vis de la première, 5 contrats de diffusion de services de radiotéléphonie, en 1998, les 28 mai et 18 août, et en 1999 les 16 et 18 août
Le distributeur société "Espace Télécommunication Equipement" s'engageait à ce que 80 % au moins des abonnements souscrits par son intermédiaire le soient au profit de la société "Société Française du Radiotéléphone" ; la société "Société Française du Radiotéléphone" concédait à l'exploitant l'usage de l'enseigne.
L'article 6.6 des contrats stipule que "le partenaire (société "Espace Télécommunication Equipement") s'engage sur un nombre d'abonnements bruts au moins égal au quota fixé (20 contrats d'abonnement) ; en cas de non-réalisation du quota durant une période de deux mois consécutifs, Cellcorp a la faculté d'adresser au partenaire par courrier recommandé avec accusé de réception une lettre d'alerte à l'issue du deuxième mois, lui précisant qu'il doit réaliser ce quota avant la fin du troisième mois sous peine de voir son contrat... résilié"
Il était précisé que ce quota devenait sans objet si la capacité du système définie en nombre d'abonnements dans la zone géographique ne permet plus de répondre définitivement à la clientèle.
L'article 14 des contrats précisait que leur durée était de 2 ans renouvelable ensuite annuellement, sauf dénonciation par l'une des parties trois mois avant son terme par lettre recommandée avec accusé de réception.
L'article 16 du contrat imposait à la société "Espace Télécommunication Equipement" une clause de non-concurrence portant sur l'exécution de prestations identiques à celles visées par le contrat pendant 12 mois à compter de la date de résiliation du contrat.
Par lettres recommandées expédiées 3 mois avant la date d'échéance de chacun des contrats, au cours de l'année 2003, le respect de ces délais étant non contestés, la société "Société Française du Radiotéléphone" a résilié les conventions en cause.
Considérant que les contrats litigieux constituent des contrats de distribution comportant l'utilisation d'enseigne et un engagement de quasi-exclusivité de la part de la société "Espace Télécommunication Equipement"; que de tels contrats rentrent dans le champ d'application de l'article L. 330-3 du Code du commerce;
Considérant que la société "Espace Télécommunication Equipement" ne peut soutenir que la société "Société Française du Radiotéléphone" a usé d'un comportement fautif en ce qu'il était discriminatoire à son égard, par rapport aux autres distributeurs; qu'en effet, les contrats conclus entre les parties ne comportent aucun engagement d'exclusivité, ni aucun engagement d'offrir à l'ensemble des distributeurs des prestations identiques, sauf intention de nuire ou de défavoriser l'un des contractants par rapport aux autres, faits qui ne sont pas suffisamment établis en l'espèce;
Considérant que la résiliation des 5 contrats en cause a été prononcée par la société "Société Française du Radiotéléphone" dans les formes et délais des contrats, et qu'elle n'est pas critiquée en cela; que par contre, la société "Espace Télécommunication Equipement" soutient que le préavis contractuel de résiliation était insuffisant et que de ce fait, elle détient un droit à indemnisation;
Considérant que le seul fait que la résiliation ait été faite dans les termes du contrat ne retire pas à la société "Espace Télécommunication Equipement" tout droit à indemnisation;
Considérant que toutefois la société "Société Française du Radiotéléphone" n'a commis aucun abus dans la résiliation, puisqu'elle s'est faite à sa date et après mise en demeure; que les délais de résiliation, acceptés entre les parties à l'origine des relations contractuelles, sont courts mais suffisants pour lui permettre de changer d'activité dans des conditions, supportables pour un commerce de centre ville portant sur des objets à fréquent renouvellement et compte tenu du fait que la société "Espace Télécommunication Equipement" avait au moment de la rupture une partie de sa clientèle attachée à d'autres marques;
Considérant qu'en l'espèce il est bien certain que le délai de préavis (trois mois) était court;
Mais considérant que la dégradation des rapports entre les parties faisait prévoir comme prévisible un non-renouvellement des contrats; qu'ainsi :
- un premier différend survenu entre les parties s'est achevé sur un accord en octobre 2002,
- par la suite, une lettre recommandée avec accusé de réception du 6 janvier 2003, a constaté le refus par la société "Espace Télécommunication Equipement" de mettre les documents et livres comptables à la disposition de la société "Société Française du Radiotéléphone" comme il lui était demandé sur la base du contrat,
- la résiliation est finalement survenue, précédée de 4 lettres recommandées avec accusé de réception des 20 juin, 10 septembre et 16 décembre 2002 constatant la non-réalisation des quotas et comportant mise en demeure de les réaliser et rappelant la faculté de résiliation;
Considérant qu'il ne peut pas plus être reproché à la société "Société Française du Radiotéléphone" d'avoir prononcé la résiliation du contrat concernant l'exploitation du magasin de Sélestat, au motif que les quotas de vente n'étaient pas atteints et qui a même cessé son activité;
Considérant qu'il ne peut être tiré de l'introduction d'une action en justice par la société "Espace Télécommunication Equipement" aux fins de résiliation des contrats d'autre interprétation qu'elle en souhaitait une application plus conforme à ses vœux, ou en faire sanctionner la violation;
Considérant qu'en conséquence les demandes de la société "Espace Télécommunication Equipement" seront rejetées;
Considérant que la société "Espace Télécommunication Equipement" soutient qu'elle dispose d'un droit à dommages et intérêts en ce que la société "Société Française du Radiotéléphone" est l'auteur d'un abus de droit à son encontre; qu'en fait l'article 6.7 du contrat qu'elle invoque ne vise pas l'obligation de définir une zone de chalandise, mais seulement les défaillances de capacités du système mis à disposition du distributeur, cas non réalisé; que l'obligation d'information résultant de l'article L. 330-3 du Code du commerce n'est susceptible d'entraîner la nullité du contrat qu'autant qu'elle a vicié le consentement du franchisé; que tel ne peut être le cas en l'espèce, où la société "Espace Télécommunication Equipement" est en charge de plusieurs magasins pour lesquels les contrats ont été renouvelés, ce qui suffit à démontrer qu'elle était parfaitement informée, et réduit à néant son argument de la mauvaise foi de son partenaire contractuel;
Considérant que la société "Société Française du Radiotéléphone" n'avait pas l'obligation de garantir à la société "Espace Télécommunication Equipement" l'exclusivité; que la société "Société Française du Radiotéléphone" fait valoir, sans être démentie que la société "Espace Télécommunication Equipement" a elle-même procédé à des ouvertures de boutiques à proximité de commerces identiques préexistants;
Considérant que dans ces conditions, il n'apparaît pas que la société "Société Française du Radiotéléphone" ait abusé de son droit de contracter dans les conditions imposées à son cocontractant, ni qu'elle ait usé de mauvaise foi dans la conclusion des contrats;
Considérant qu'enfin, il résulte de la formulation même de la demande de la société "Espace Télécommunication Equipement" qu'une partie de la clientèle est attachée à l'activité commerciale de la société "Société Française du Radiotéléphone" au sens large, et l'autre à l'activité de l'exploitant; que ce n'est que pour cette seconde partie que la société "Espace Télécommunication Equipement" pourrait formuler des prétentions; mais qu'elle n'apporte sur ce point aucun élément qui puisse être mis en relation directe et nécessaire avec le fait de la société "Société Française du Radiotéléphone";
Considérant qu'il n'apparaît pas équitable de laisser supporter à l'une ou l'autre des parties, tout ou partie des frais irrépétibles du procès;
La société "Espace Télécommunication Equipement", qui succombe dans l'instance, sera condamnée aux dépens;
Par ces motifs, LA COUR, - confirme le jugement dont appel, - déboute les parties de leurs demandes d'indemnité de procédure - condamne la société "Espace Télécommunication Equipement" aux dépens, avec application, au profit des avoués de la cause, de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.